La famille victime de la fiscalité

En 2019, le prélèvement à la source viendra bouleverser profondément les modalités de collecte de l’impôt sur le revenu. Cela aura inévitablement des impacts profonds et durables sur nos familles.
Toutefois, ce point de méthode fiscale n’est pas le seul à changer. Le corollaire de cette mesure sera la possibilité offerte aux couples mariés d’opter pour une individualisation du taux d’imposition.
Vu son caractère optionnel, cette nouveauté peut sembler tout à fait anodine. Mais alors pourquoi à tout prix vouloir offrir une alternative facultative à l’imposition commune, alors que cela coûtera, selon Bercy, environ 1,3 milliard d’euros à un État déjà exsangue ?
Pour les gouvernements successifs qui ont mis en place ce mécanisme, la réponse est double.
Premièrement, l’individualisation des revenus encouragera les femmes à travailler. L’INSEE note en effet que l’imposition commune des revenus tend à favoriser financièrement les couples dont les écarts de revenus entre l’homme et la femme sont importants. Le plus souvent, ces écarts s’expliquent par la différence entre une activité très rémunératrice pour l’homme et une activité faiblement rémunératrice ou non rémunérée pour la femme.
Deuxièmement, la mesure facilitera la vie des personnes divorcées. Le régime commun d’imposition peut parfois virer au casse-tête dans les cas de séparation. L’individualisation de l’imposition apportera un nouvel outil au juge, qui sera en capacité, au moment du divorce, d’attribuer plus justement à l’un ou l’autre des parents les parts fiscales des enfants.
Mais ne nous y trompons pas. Étant donné son coût et ses conséquences, cette mesure ne doit pas être considérée comme un simple ajustement technique de fine tunning, mais plutôt comme une nouvelle « politique d’émancipation » à part entière. Le caractère de la décision, présenté comme optionnel dans un premier temps, est principalement tactique, car il neutralise les oppositions en donnant l’illusion que rien ne change. Mais, en réalité, tout change.
L’individualisation fiscale participe à un mouvement plus général qui tend à recentrer les décisions politiques sur la satisfaction des désirs individuels, gage d’une apparente liberté. Nous nous trouvons ici en présence du relativisme dénoncé par Jean Paul II et Benoît XVI. Cette tendance générale d’individualisation des politiques, habillée des atours séduisants de la « modernisation administrative », permet de contourner les structures sociales, suspectes d’entraver la liberté de l’individu dont l’État se fait désormais le garant.
En l’espèce, la structure sociale incriminée est la famille, au sens traditionnel de la réalité. Elle est accusée de cantonner trop souvent la femme au foyer, et de complexifier les nouvelles mobilités affectives auxquelles nous devrions tous aspirer. Il deviendrait donc nécessaire de l’affaiblir pour libérer l’individu de ses carcans.
Nous assistons bel et bien à une étape supplémentaire de la décomposition, de la déconstruction de la famille naturelle, organe vital garantissant la stabilité sociale.
Ce faisant, l’individualisation fiscale dissout un peu plus la famille dans le grand bain du marché, qui vient s’insérer au cœur des choix du ménage. D’une politique fiscale centrée sur la famille et l’accueil de la Vie, nous passons, de fait, à une politique fiscale centrée sur l’apparente liberté de l’individu adulte, qui s’exprime à travers ses désirs immédiats.
La doctrine sociale de l’Église souligne et rappelle à temps et à contretemps que l’on ne peut effacer d’un trait la famille, la déstabiliser ou la fragiliser sans aller au-devant d’immenses dommages dans le présent et dans le futur. Le pape François aime à dire que « tout est lié ». Il nous rappelle dans Laudato si que « nous avons impérieusement besoin que la politique et l’économie, en dialogue, se mettent résolument au service de la vie, spécialement de la vie humaine » (n. 189).
Nous catholiques, ainsi que les hommes et les femmes de bonne volonté, nous devons nous poser encore une fois cette question : « Que voulons-nous pour les générations futures ? Que laisserons-nous aux générations futures ? » L’aspiration profonde des nouvelles générations est tout autre que celle que l’idéologie ambiante veut imposer. Nous avons le devoir d’apporter d’autres réponses que celle de l’exaltation de l’individualisme et de ses désirs qui n’est autre qu’une expression de Babel. N’avons-nous pas le devoir de rappeler que la vraie liberté se construit avec la vérité, présente dans la loi naturelle inscrite dans le cœur de l’homme depuis le matin du monde ? Nous croyons que cette vérité est source d’harmonie pour tous. Sommes-nous prêts à en témoigner auprès de nos contemporains ? Un immense chantier ouvrant à l’espérance nous attend. Encourageons-nous les uns les autres !

Abbé Hubert Lelièvre

L’abbé Hubert Lelièvre est délégué épiscopal à la famille du diocèse d’Avignon et Modérateur de la Famille Missionnaire de l’Évangile de la Vie, à Bollène. Il vient de publier Parce que je t’aime ! 31 jours avec Humanae vitae. Donner la vie humaine est source de grande joie, Peuple Libre, 2018, 194 pages, 14,50 €.

© LA NEF n°305 Juillet-Août 2018