Benjamin Netanyahou et Donald Trump le 23 mai 2017 à Jérusalem © Commons.wikimedia.org

Israël : vers une judéisation intégrale

Il fallait s’y attendre : le transfert de l’ambassade des États-Unis de Tel-Aviv à Jérusalem, effectué en grande pompe le 14 mai dernier, à l’occasion du 70e anniversaire de l’indépendance d’Israël, allait encourager les dirigeants de cet État à poursuivre leur dessein de judaïsation intégrale. Deux mois après, une étape décisive dans cette voie a été franchie par l’adoption d’une loi définissant l’identité de l’État, selon un projet conçu par le Premier ministre, Benjamin Netanyahou. Le 19 juillet, le Parlement (Knesset) a donc fait d’Israël « l’État-nation du peuple juif, où celui-ci applique son droit naturel, culturel, religieux, historique », tout en réservant aux citoyens juifs un « droit exclusif » en matière d’« autodétermination nationale ».
La nouvelle loi a été adoptée à une courte majorité : 62 voix favorables sur les 120 sièges que comporte la Knesset. Les 13 députés arabes israéliens ont évidemment voté contre et l’un d’eux, Zouheir Bahloul, a démissionné. Bien que confirmant en partie une situation qui prévalait déjà dans les faits, à savoir un statut inégalitaire appliqué aux ressortissants non-juifs (non mentionnés dans le texte), cette loi va plus loin dans la distorsion puisqu’elle déclare aussi l’hébreu seule langue officielle, concédant à l’arabe un « statut spécial », et ajoute que « l’État considère le développement des localités juives comme une valeur nationale ».

Une différence de droits
Certes, la judéité de l’État avait déjà été spécifiée dans la déclaration d’indépendance proclamée par David Ben Gourion en 1948, qui reprenait ainsi les termes de la résolution 181 votée par l’ONU en 1947, laquelle prévoyait un plan de partage de la Palestine en deux États, un juif et un arabe. Cependant, depuis lors, Israël, qui s’est volontairement privé de Constitution, s’arrangeait pour entretenir le flou sur certains aspects essentiels tels que la nature de son État, le tracé des frontières et la nationalité.
Ayant réussi à se faire reconnaître comme une démocratie libérale dans les instances internationales, Israël n’a cependant pas reconnu et garanti l’égalité des droits et des devoirs à tous ses citoyens, distinguant juifs ou non-juifs (loi de 1952). C’est ainsi que les Arabes israéliens (1,5 million de personnes, soit 17,5 % de la population) sont exemptés du service militaire, sauf les Druzes (130 000), cette minorité ayant dès 1948 choisi l’allégeance à Israël. Aussi, la loi du 19 juillet est-elle ressentie par eux comme une trahison. « Nous avions conclu une alliance du sang et maintenant vous nous laissez dehors », a déclaré le chef de la communauté, Mouafak Tarif, au lendemain du vote, tandis que trois députés druzes déposaient un recours devant la Cour suprême (1). Quant aux autres, musulmans et chrétiens, ils subissent de nombreuses injustices (dépossession de terres, privation de services publics et de subventions aux municipalités ainsi qu’aux écoles reconnues, etc.). « Après avoir observé attentivement la loi israélienne, j’ai relevé 50 lois qui contiennent des dispositions spéciales uniquement réservées aux citoyens juifs », confiait récemment le député arabe Youssef Jabareen (2).

Un État de nature ethnocratique
En consacrant la judéité de l’État, les dirigeants israéliens veulent désormais en finir avec ces ambiguïtés. Pour empêcher leur éventuelle remise en cause, les nouvelles dispositions sont classées parmi les « lois fondamentales » qui tiennent lieu de Constitution. « Nous avons fait passer cette loi fondamentale pour empêcher la moindre velléité de transformer Israël en un État de tous ses citoyens », a répliqué le rapporteur de la loi, Avi Dichter, membre du Likoud, le parti majoritaire, aux députés arabes qui protestaient lors des débats dans l’hémicycle (3). C’est d’ailleurs ce que le chef de l’État, Reuven Rivlin, pressentait lorsque, sortant de son rôle protocolaire, il a émis de vives critiques contre le projet de loi : « Voulons-nous soutenir la discrimination et l’exclusion d’hommes et de femmes en raison de leur origine ethnique ? », s’est-il interrogé (4).
Ainsi, peu à peu, B. Netanyahou, conforté par Donald Trump, réalise un objectif déjà porté par certains de ses prédécesseurs mais jusque-là dissimulé : l’État d’Israël est de nature ethnocratique ; il doit appartenir à tous les juifs du monde, y compris ceux qui n’ont aucun lien avec ce pays (5). Cette détermination semble résulter d’une obsession démographique. La nouvelle loi pourrait servir à bloquer définitivement l’application de la résolution 194 de l’ONU (1948) qui reconnaît le droit au retour des Palestiniens exilés. Ceci pour ne pas faire courir aux juifs d’Israël le risque de se trouver en minorité et contraints dès lors d’accepter un État binational, ce qui anéantirait le rêve sioniste.

Annie Laurent

(1) Le Figaro, 30 juillet 2018 ; L’Orient-Le Jour, 2 août 2018.
(2) Le Point, 18 juillet 2018.
(3) Le Figaro, 20 juillet 2018.
(4) Id., 16 juillet 2018.
(5) Jonathan Cook, « Netanyahou prendra-t-il le risque de révéler l’un des plus vils secrets d’Israël ? », site Middleeasteye, 1er novembre 2017.

© LA NEF n°306 Septembre 2018