L’Eucharistie est « la source et le sommet de la vie chrétienne » (Vatican II, LG n°11). Pour le croyant, c’est un moment extraordinaire, « un coin du ciel qui s’ouvre sur la terre » dit Jean-Paul II (EE n°19). Aller à la messe, c’est aller à la rencontre de Dieu. Il s’agit d’une rencontre où Celui-ci parle à l’homme, d’une rencontre où Il le visite, d’une rencontre où chacun est appelé à vivre une union intime, un cœur à cœur. Tout au long de la messe, Dieu est à l’œuvre pour nous éclairer, nous élever, nous purifier, nous réchauffer, nous donner sa vie, nous transformer en son amour.
Un tel événement justifie une attention et une préparation toute particulière. C’est avec un cœur brûlant d’amour tout orienté vers Dieu que nous devrions entrer dans l’église. N’est-ce pas l’Amour qui nous attend ?
Le désir de nous préparer à cette rencontre peut nous amener à nous rendre à l’église un peu avant le début de la messe. Nous avons besoin, en effet, d’un peu de temps pour chercher le Seigneur et nous présenter à Lui. Il est utile de faire le ménage dans son imagination et parfois nous arrivons aussi avec notre fardeau ou notre péché qu’il est bon de déposer. L’église et son architecture nous aident à nous tourner vers Dieu avec tout ce qu’elle expose à notre regard et qui nous parle de Lui : la croix, l’autel, les vitraux, les saints, un tableau … Par contre, l’écran, cet objet technique géant, situé au-dessus du chœur dans certaines églises, en s’imposant et en captant le regard devient mécaniquement écran, rival et obstacle pour celui qui cherche Dieu en s’aidant de ses yeux.
Au cours de la messe, nous avons à nous tourner vers Dieu de tout notre cœur et de toute notre âme. Successivement nous sommes appelés à louer Dieu, à nous reconnaître pécheur, à glorifier Dieu, à écouter Sa parole, à nous offrir, à nous unir, à rendre grâce.
La préparation à ce grand moment de rencontre demande que l’on prenne les moyens d’ouvrir son cœur. Pour y parvenir, nous avons besoin d’un silence intérieur qui lui-même n’est possible que par le silence extérieur. Or, aujourd’hui, cela est malheureusement devenu impossible car l’habitude s’est développée depuis pas mal d’années de parler dans les églises avant le commencement de la messe et de parler à voix haute comme on le fait avant un spectacle ou sur la place du marché. Les bavardages et les déplacements pour se saluer et échanger produisent un brouhaha bruyant qui rend impossible le recueillement nécessaire à la prière. Même si on prend une attitude de recueillement, même si on s’agenouille, rien n’y fait. Le bavardage est tellement banalisé qu’il est devenu la normalité et c’est celui qui essaye en vain de prier qui paraît anormal. L’habitude est tellement ancrée et tellement répandue que personne ne fait attention à celui qui prie. Comment expliquez cela : ignorance, indifférence, sans gêne ? On a oublié qu’il y a un temps et un lieu pour chaque chose. L’église n’est pas le lieu des bavardages et des mondanités, mais le lieu de la prière et de la rencontre avec Dieu et cela encore plus lorsqu’une messe va avoir lieu.
Le Pape François s’est exprimé sur ce sujet au cours de l’Audience Générale du 15 novembre 2017 : « Quand nous allons à la messe, peut-être arrivons-nous cinq minutes à l’avance et commençons-nous à bavarder avec celui qui est à côté de nous. Mais ce n’est pas le moment de bavarder : c’est le moment du silence pour nous préparer au dialogue. C’est le moment de se recueillir dans son cœur pour se préparer à la rencontre avec Jésus. Le silence est très important ! Nous n’allons pas à un spectacle, nous allons à la rencontre du Seigneur et le silence nous prépare et nous accompagne. Rester en silence avec Jésus. Et du mystérieux silence de Dieu jaillit sa Parole qui résonne dans notre cœur. » Dans la Présentation Générale du Missel Romain on peut lire la demande suivante : « Déjà avant la célébration elle-même, il est bon de garder le silence dans l’église, à la sacristie et dans les lieux avoisinants, pour que tous se disposent à célébrer les saints mystères avec cœur » (PGMR n°45).
Peut-être avons-nous perdu le sens de ce que nous célébrons ? François nous rappelle alors l’essentiel : « La messe est le mémorial du mystère pascal du Christ. Elle nous rend participants de sa victoire sur le péché et la mort et donne sa pleine signification à notre vie … L’Eucharistie nous conduit toujours au sommet de l’action du salut de Dieu. Le Concile Vatican II affirme : Chaque fois que le sacrifice de la croix, par lequel le Christ, notre agneau pascal, a été immolé, est célébré sur l’autel, l’œuvre de notre rédemption s’effectue … Chaque célébration de l’Eucharistie est un rayon de ce soleil sans couchant qu’est Jésus ressuscité. Participer à la messe, en particulier le dimanche, signifie entrer dans la victoire du Ressuscité, être éclairés par sa lumière, réchauffés par sa chaleur. À travers la célébration eucharistique, l’Esprit Saint nous rend participants de la vie divine qui est capable de transfigurer tout notre être mortel. À la messe, nous sommes avec Jésus, mort et ressuscité, et il nous entraîne vers la vie éternelle. À la messe, nous nous unissons à lui. Ou plutôt, le Christ vit en nous et nous vivons en lui … Si nous le recevons avec foi, nous aussi nous pouvons vraiment aimer Dieu et notre prochain, nous pouvons aimer comme il nous a aimés, en donnant sa vie. Si l’amour du Christ est en moi, je peux me donner pleinement à l’autre … Quand nous allons à la messe, c’est la même chose que si nous allions au calvaire. Quand nous entrons dans une église pour célébrer la messe, pensons à cela : j’entre au calvaire où Jésus donne sa vie pour moi. Et ainsi, le spectacle disparaît, les bavardages disparaissent, les commentaires et ce genre de choses qui nous éloignent de cette chose si belle qu’est la messe, le triomphe de Jésus. La messe, c’est revivre le calvaire, ce n’est pas un spectacle. » (AG du 22 novembre 2017)
Ces dernières décennies, dans nos assemblées, l’humain a pris le dessus sur le divin et cela est préjudiciable spirituellement. Certes, nous allons aussi à l’église pour rencontrer des amis, des frères et la charité doit s’exercer à l’égard du prochain. Mais, il ne faut pas inverser l’ordre des choses. Personne n’est la Source de l’Amour. Et c’est en buvant de toute son âme à la Source qu’est Jésus que nous progresserons dans l’amour. Il est donc clair que nous devons donner la priorité à Dieu. Plus notre cœur sera saisi et purifié mieux nous aimerons. Nous avons ensuite toute la semaine pour nous retrouver et échanger et cela peut commencer sur le parvis de l’église à la sortie de la messe.
Nous devons penser à nos prêtres. Eux aussi ont besoin de demeurer dans un certain silence pour rester uni au Christ et se préparer à célébrer dignement, à nous enseigner, à être instrument docile de l’Esprit-Saint et témoin de son Amour miséricordieux. Le brouhaha qui règne dans les églises avant le commencement de la messe ne les aide pas dans leur propre recueillement.
Nous devons penser tout autant à ceux qui sont de passage, à ceux qui sont en recherche. Il y a peut-être des personnes éloignées de l’Église dans nos assemblées et qui ressentent comme un appel de Dieu à l’intérieur d’elles-mêmes. Nous devons alors nous interroger sur le contre-témoignage que peut constituer notre désinvolture face à ce qui est sacré et face aux mystères de notre foi. N’oublions pas également les enfants qui observent. Par notre attitude, nous leur suggérons des pensées qui peuvent les éloigner ou les rapprocher de Dieu. Je me souviens avoir été impressionné au cours d’une messe lorsque j’étais enfant par un homme d’une grande taille qui priait debout en gardant les yeux fermés. J’avais été profondément édifié par ce signe visible d’une personne qui priait et qui apportait ainsi un témoignage de foi. Dans l’assemblée, Il peut y avoir aussi des esprits sincèrement critiques et sceptiques qui se posent légitimement des questions sur ce qu’ils perçoivent de notre foi et de notre spiritualité. Il y a les personnes d’origine musulmane de plus en plus nombreuses dans notre pays. Elles ont un sens du sacré et de la transcendance souvent plus développé que nous. Parmi elles, certaines éprouvent un attrait pour Jésus-Christ et pour un Dieu plus proche et plus intime. Il y a tous les incroyants. Quel spectacle leur donnons-nous lorsque nous nous agitons ainsi avant de célébrer la gloire de Dieu et les plus grands mystères de notre foi ? De quoi témoignons-nous ? Est-ce Dieu ou l’humain qu’ils voient dans nos églises ?
Stanislas Grymaszewski
© LA NEF exclusivité internet 29 août 2018