Livres Juillet-Août 2018

LIBERER LA LIBERTE. FOI ET POLITIQUE
Joseph Ratzinger/Benoît XVI
Préface du pape François, Parole et Silence, 2018, 232 pages, 22 €.

Benoît XVI a toujours apporté une attention toute particulière aux rapports entre la foi et la raison. Cet ouvrage, qui rassemble des textes de 1981 à 2014 (une introduction inédite sur le concept de droit), porte plus particulièrement sur l’aspect politique de ces rapports : sur le fait qu’une démocratie sans ancrage sur les notions de vérité et de bien – que la foi contribue à éclairer – devient relativiste et donc sujette à la dictature d’une majorité. En effet, en refusant de prendre en compte la question du bien (et donc aussi du bien commun) au prétexte qu’elle diviserait, cette conception de la démocratie (celle d’un Rorty héritée d’un Kelsen) donne un pouvoir sans limites à la majorité électorale, le bien s’identifiant au légal. Or, une telle majorité n’a rien d’infaillible et peut décider de la suppression de la démocratie, que l’on se souvienne de l’Allemagne de 1933. « De ce fait, écrit Benoît XVI, des institutions ne peuvent se maintenir et être efficaces sans des convictions éthiques communes », lesquelles ne peuvent être le fruit d’« une raison purement empirique » (p. 92). C’est pourquoi, poursuit-il, « pour une culture et une nation, se couper des grandes forces éthiques et religieuses de son histoire revient à se suicider » (p. 93).

Benoît XVI montre que ces « convictions éthiques communes » ne peuvent avoir pour socle que la loi naturelle, dont la reconnaissance est nécessaire pour rendre vivable la démocratie et lui apporter la paix : « Le démantèlement de la dictature du relativisme et de l’adoption d’une morale totalement autonome qui interdit la reconnaissance de l’incontournable loi morale naturelle inscrite par Dieu dans la conscience de chaque homme est une condition nécessaire de la paix » (p. 155). Certes, « l’État n’est pas en lui-même principe de vérité et de morale », c’est donc hors de lui-même qu’il doit chercher « une mesure minimale de vérité, de connaissance du bien, qui ne soit pas manipulable ». Or, en Occident, c’est « la foi chrétienne (qui) s’est affirmée comme portant la civilisation religieuse la plus universelle et la plus rationnelle » (p. 130-132), d’où la nécessité de développer le dialogue entre la foi et la raison, chacune ayant besoin de l’autre dans une juste distinction des ordres.

Signalons enfin, en chapitre de conclusion, le débat passionnant de 2000 sur l’existence de Dieu entre le cardinal Ratzinger et le philosophe athée Paolo Flores d’Arcais.

Voilà une magnifique introduction à une pensée riche et cohérente, incontournable pour sortir des impasses de la modernité.

Christophe Geffroy

 

ETIENNE GILSON. UNE BIOGRAPHIE INTELLECTUELLE ET POLITIQUE
Florian Michel
Vrin, 2018, 458 pages, 35 €.

Pour ceux qui estiment Gilson pour son envergure historique et philosophique exceptionnelle, notamment par sa mise en valeur de l’acte d’être, ainsi que pour son style littéraire qui ne cède jamais au jargon, ce qui tient du prodige quand on côtoie la scolastique, cette biographie est passionnante. Elle situe pertinemment la formation du futur académicien dans le contexte de la Grande Guerre. Son statut laïque le protège de la censure qui frappe un de Lubac et lui permet de s’affranchir du thomisme d’autorité pour redécouvrir saint Thomas. Gilson fut on ne peut plus lucide sur les idéologies séculières : « Comme Lénine fut l’anti-Christ, je dois dire de la même manière qu’Hitler est l’anti-Moïse. Il est le prophète du peuple qu’il s’est choisi, ce qui est le contraire de ce que les juifs ont fait. Dieu a élu le peuple juif, mais le peuple allemand élit son propre Dieu » (p. 101). Sur la chrétienté universelle, comme alternative radicale aux nationalismes, F. Michel note justement que l’approche de Gilson « est plutôt évasive » (p. 127) et assez utopique, ce qui explique sans doute à la fois ses engagements et ses désillusions en politique. Le « moment conciliaire » révèle un Gilson amer quant aux « tribulations de Sophie », c’est-à-dire à la mise en cause du soubassement métaphysique de la théologie. Quant à la postérité de Gilson, si Jean-Paul II et Benoît XVI lui ont rendu hommage, force est de constater que « Gilson est en France l’un des oubliés de l’histoire intellectuelle de sa génération » (p. 300). Un beau livre pour connaître une belle figure.

Abbé Christian Gouyaud

 

UNE DIVERSITE MENACEE. LES CHRETIENS D’ORIENT FACE AU NATIONALISME ARABE ET A L’ISLAMISME
Joseph Yacoub
Salvator, 2018, 214 pages, 20 €.

L’objectif de cet ouvrage est de mettre en évidence l’injustice que subissent les chrétiens de culture syriaque, dont l’auteur est lui-même issu. Le berceau historique de ces chrétiens, répartis entre des Églises catholiques et autocéphales très anciennes, se trouve en Mésopotamie, en Syrie orientale et en Iran, où ils connurent leur âge d’or sous la dynastie païenne des Sassanides (IIIe-VIIe siècles) malgré les persécutions que ce régime leur infligea. Ce sont eux qui portèrent l’Évangile jusqu’en Inde. Au Ve siècle, deux d’entre eux, les moines saint Jacques l’Assyrien et saint Abraham, ont même séjourné en France (on trouve leurs traces en Savoie et en Auvergne). Enfin, après la conquête islamique, « plurilingues et polyvalents, ils ont été des pionniers de la modernité, y ont éminemment contribué et ont donné une littérature extrêmement riche et variée, tant en arabe qu’en syriaque », note Yacoub qui se réjouit du lien renoué entre le présent et le passé grâce aux récentes découvertes archéologiques. Et de déplorer avec raison qu’au début du XXe siècle, les intellectuels orientaux, parmi lesquels des chrétiens, initiateurs du nationalisme arabe, aient négligé cet apport considérable, ouvrant ainsi la voie à la confusion entre arabité et islam. Les souffrances infligées aux Assyro-Chaldéens par l’islamisme actuel ponctuent aussi ce livre, au terme duquel l’auteur lance un appel aux musulmans afin qu’ils reconnaissent la dette que l’Orient a contractée envers cette riche culture, source d’une diversité féconde.

Annie Laurent

 

MICHAEL D. O’BRIEN
Clemens Cavallin
Salvator, 2017, 384 pages, 22,50 €.

À la demande de son éditeur, O’Brien, qui n’a aucune envie d’écrire ses mémoires, va autoriser Clemens Cavallin à le faire à sa place, mais il lui facilitera la tâche en mettant à sa disposition toutes ses archives, y compris son journal ! Ils ont tout pour s’entendre : fervents catholiques, pères de famille nombreuse et artistes engagés. Les multiples références aux témoignages familiaux et aux notes de O’Brien lui-même sont une preuve de cette œuvre commune. La traduction de ce travail, qui nous est offerte ici, nous fait pénétrer dans le monde catholique nord-américain, bien différent du nôtre, déroutant parfois, même si les préoccupations au sujet de l’avenir de l’Église et de la société chrétienne sont semblables d’un continent à l’autre.

Ce n’est qu’à l’âge de 48 ans qu’O’Brien va enfin connaître la célébrité avec la publication de Père Elijah ; jusque-là, il n’était connu que comme peintre dans un milieu étroitement catholique et a mené – et fait mener aux siens – une existence pauvre et dure conformément au choix fait avec son épouse de vivre de son art au service exclusif de Dieu ! stupéfiant, admirable, décoiffant ! Pourtant l’image que nous révèle ce livre est celle d’un mari et d’un père aimant, tendre et attentif au bien de chacun des siens, relevant, en communion avec son épouse, le défi d’élever leurs six enfants en les protégeant d’un environnement matérialiste et en subsistant à la grâce de Dieu. Un bel exemple de vie familiale qui laisse sa part à la joie et à l’humour.

Ce livre permettra de mieux comprendre en profondeur l’œuvre de ce très grand romancier catholique, sans doute le plus grand actuellement.

Marie-Dominique Germain

 

GEORGES BERNANOS
Thomas Renaud
Pardès, Collection « Qui suis-je ? », 2018, 128 pages, 12 €.

Il aura été le grand oublié de l’année 2018. Si l’on a beaucoup parlé de Charles Maurras, dont l’expulsion de la liste des Commémorations nationales aura finalement bien servi la cause, le silence aura été en quelque sorte assourdissant en ce qui concerne Georges Bernanos.

Le savez-vous ? Le célèbre auteur du Journal d’un curé de campagne rendait son âme à Dieu le 5 juillet 1948. Il y a 70 ans ! Un chiffre bien rond, qui donne du poids et du sérieux, qui annonce en tout état de cause la mobilisation du souvenir et  la commémoration. Et, pourtant, rien ! Et ce n’est pas tout ! Car cette année, le nom de Bernanos suscite les anniversaires. Celui de sa naissance, par exemple, en 1888 (il y a cent trente ans) ou encore celui de la parution, chez Plon, en 1938 (80 ans !), des Grands cimetières sous la lune. Mais là encore, à l’exception notable de Sébastien Lapaque qui republie chez un éditeur courageux (Les Provinciales) son Georges Bernanos encore une fois, enrichi d’autres textes, on ne peut pas dire que l’édition se bouscule vraiment.

Une autre exception toutefois ! Celle offerte par Thomas Renaud qui vient de faire paraître un petit volume consacré aussi bien à l’homme qu’à l’œuvre. L’ouvrage est modeste (un peu plus d’une centaine de pages) et vise surtout à servir d’introduction pour ceux qui connaîtraient peu ou pas l’auteur de Sous le soleil de Satan.

Sans prétendre donner une interprétation personnelle, cherchant toujours à trouver le juste point d’équilibre (pas facile, avouons-le, avec un homme comme Bernanos), Thomas Renaud retrace d’une plume didactique la vie mouvementée de l’écrivain tout en montrant comment des livres sortirent de cette âme de feu, si prompte à la souffrance. Au-delà, il ne manque pas d’indiquer la manière dont fut reçue cette œuvre ou comment elle trouva une autre vie, dans le cinéma, par exemple.

Sa conclusion ? Bernanos fut sa vie entière « catholique, royaliste, anti-démocrate, anti-clérical et anti-moderne ». Un « irrécupérable » ! Notre capitaine, en somme, comme aurait dit Nimier…

Philippe Maxence

 

UN MOINE EN OTAGE
Jacques Moura, avec Amaury Guillem
Éditions Emmanuel, 2018, 218 pages, 17,90 €.

Journaliste à Marseille où il dirige l’antenne locale de RCF, Amaury Guillem restitue dans ce livre les confidences du Père Jacques Mourad, moine et prêtre syrien, qu’il a recueillies après la libération de ce dernier, captif de l’État islamique (Daech) en 2015.

Né à Alep, deuxième ville de Syrie, dans une famille de rite syriaque-catholique, J. Mourad était séminariste lorsqu’il découvrit Mar Moussa (Saint Moïse en araméen), monastère syriaque du IVe siècle situé dans une vallée désertique au nord de Damas. Là, il rencontra le Père Paolo Dall’Oglio, jésuite italien établi dans ces lieux dont il avait entrepris la restauration pour en faire un centre voué à la rencontre avec les musulmans. Le futur prêtre s’engagea alors dans cette aventure monastique qui l’amena à une « conversion » inattendue. Lui qui, comme tant d’autres chrétiens orientaux, avait appris à se méfier des fidèles de l’islam, cette religion dont ils ont eu tant à souffrir, hier comme aujourd’hui, découvrait qu’il était appelé à « être auprès d’eux un témoin rayonnant de Jésus ».

Nul relativisme, nul irénisme cependant dans sa démarche, car jamais le P. Jacques n’adopta la fascination du P. Paolo pour l’islam et, sur ce point, il ne tait pas ses désaccords avec ce dernier. Sa lucidité demeure intacte ; elle le conduit même à la colère face à l’inacceptable commis par les djihadistes lorsqu’ils lui infligent, ainsi qu’à d’autres, tant de tortures physiques et morales. « Pourquoi laisse-t-on cette idéologie diabolique se développer sur nos terres ? », s’interroge-t-il. Toutefois, la compassion pour ces hommes « emmurés dans une prison intérieure » ne le quitte pas. « Je mesure la violence de ce qu’ils vivent. Ils sont écartelés entre la loi prétendument divine à laquelle ils croient devoir obéir et celle, réellement divine, enfouie au fond de leur cœur. » Plongé dans la prière, le P. Jacques choisit le pardon et la douceur, mettant en garde l’Occident contre ses compromissions, ses injustices et son oubli de Dieu. Un témoignage d’une très grande force humaine et spirituelle.

Annie Laurent

 

L’ISLAM DANS LE TERRORISME ISLAMIQUE
Ibn Warraq
Tatamis, 2018, 420 pages, 20 €.

Il est de bon ton consensuel, à chaque massacre perpétré en Europe ou ailleurs par des musulmans dits islamistes, que nous ne devrions pas « faire d’amalgame » entre la religion musulmane et le terrorisme. L’expression pavlovienne « pas d’amalgame » va sans nul doute faire son entrée sous peu dans les dictionnaires, tant elle est partie prenante du langage commun. Ce livre d’Ibn Warraq est en désaccord complet avec cette thèse selon laquelle il serait possible de séparer le bon grain musulman de l’ivraie islamiste radicale. Il défend même une thèse entièrement opposée, s’appuyant sur un corpus de sources et sur une impressionnante bibliographie en diverses langues.

Ibn Warraq est le pseudonyme d’un écrivain américain qui serait né en Inde, déjà auteur d’un livre remarqué et fortement lu à l’échelle planétaire, Pourquoi je ne suis pas musulman (L’Âge d’Homme, 1999). Dans cet ouvrage, l’auteur défendait déjà la thèse soutenue dans L’Islam dans le terrorisme islamique : le problème n’est pas l’intégrisme ou le fondamentalisme musulman, pas plus l’islamisme radical, mais l’islam en tant que tel.

Ce nouvel ouvrage traduit en français montre ainsi que la violence terroriste produite par des musulmans est profondément enracinée dans la religion musulmane, et que de ce fait il n’est pas d’islam modéré ou moderne. Le terrorisme, selon l’auteur, n’est dit « islamiste » que par commodité idéologique de langage. La thèse s’appuie sur le Coran et les principaux textes musulmans. En outre, un pareil livre fait un tour historique, théologique et intellectuel des principaux courants fondamentalistes, depuis l’époque de Mahomet jusqu’aux Frères Musulmans et leur activiste masqué contemporain, maintenant emprisonné, Tariq Ramadan, ou encore le wahhabisme. À lire pour la masse d’informations qu’elle contient, cette somme l’est aussi pour penser les relations dangereuses établies par l’oligarchie européenne avec nombre de pays fondamentalistes.

Matthieu Baumier

 

CATHOLIQUE DEBUTANT
Julien Leclercq
Tallandier, 2018, 218 pages, 16,90 €.

Les récits de conversion, tous tellement identiques mais tous tellement différents, sont généralement des livres réjouissants, dont émane cette joie communicative du nouveau converti insufflée aux lecteurs ; c’est une bouffée d’air frais aux catholiques, disons plus « confirmés », avec ou sans jeu de mots. Ce livre ne fait pas exception.

Notre auteur l’avait bien cherché… des années à se démarquer ostensiblement de tout ce qui, peu ou prou, était religieux, d’un mépris enfantin qui le fit cracher sur un crucifix au nihilisme philosophique d’un étudiant en mal de reconnaissance. À cela, une grand-mère très aimée et très pieuse, un Bon Dieu très patient, et le voici pris au piège de l’Amour. Catéchisé et baptisé par l’abbé Guillaume de Tanoüarn, notre néophyte nous raconte ses premiers pas et ses découvertes du monde catholique : les sacrements, la liturgie, la papauté, Rome… mais il met aussi en lumière cette impression d’abandon et de solitude que peut ressentir le nouveau baptisé au sein de la communauté qui l’accueille : un appel à nos communautés afin d’entourer plus solidement leurs nouveaux membres, car le baptême n’est pas une fin mais le début d’un long chemin.

Anne-Françoise Thès

 

LE SOLEIL S’EST REFUGIE DANS LES CAILLOUX. POESIE
Anne-Lise Blanchard
Ad Solem, 2018, 104 pages, 16,90 €.

En 2014, Anne-Lise Blanchard, au cours de missions humanitaires, découvre en Syrie les villes chrétiennes détruites, le drame des réfugiés et cette mise en garde d’un dominicain irakien prédisant à notre Occident endormi l’arrivée de ce même fléau.

Lorsque les mots et les témoignages ne suffisent plus à décrire l’indicible, il reste la poésie. Ces courts poèmes nous communiquent, par petites touches, quelque chose de cet effroi et de cette horreur où, malgré tout, la petite fille Espérance s’arrête, parfois les yeux embués, le regard sereinement tourné vers l’avenir. Une rare et délicate manière de nous faire partager ce redoutable avertissement adressé aux consciences somnolentes.

Anne-Françoise Thès

 

MEURTRES SUR LA MADISON
Keith McCafferty
Gallmeister, 2018, 380 pages, 23,50 €.

La Madison est l’une des rivières à truites les plus prisées du Montana. C’est dans ce cadre grandiose que McCafferty, rédacteur en chef d’un magazine consacré à la pêche et à la chasse, a situé l’intrigue policière de ce premier roman traduit en français. Alors qu’un cadavre est découvert dans la Madison et qu’un autre meurtre se produit vite, c’est bien la pêche et la nature sauvage du Montana qui occupent la place centrale, avec deux enquêteurs sympathiques – le shérif Martha Ettinger et le pêcheur et peintre Sean Stranahan, lui-même ancien détective. Les amateurs de pêche à la truite, de grand air et de descriptions soignées apprécieront la qualité d’écriture de cet auteur – confirmation que la littérature américaine se porte bien. Mais cette insistance sur la nature et la psychologie des personnages, digne d’un vrai romancier, se fait quelque peu au détriment d’une investigation policière qui, néanmoins, s’accélère sur la fin.

Patrick Kervinec

 

PUY DU FOU, UN REVE D’ENFANCE
Philippe de Villiers
Éditions du Rocher, 2018, 280 pages, 17,90 €.

Sous le même titre et chez Albin Michel en 2010, Philippe de Villiers avait déjà publié un récit des débuts de la grande aventure du Puy du Fou. Ce nouvel opus n’est cependant pas un remake loin de là. Si le premier volume nous racontait la création du Puy du Fou, né de l’opiniâtre volonté de l’auteur et grâce à la débrouillardise et à l’inventivité de tout un chacun, on a ici la suite de l’aventure. D’année en année, il nous invite à suivre la progression de la cinéscénie tant du point de vue scénique que technique. Dans l’esprit puyfollais, chaque succès n’est qu’une marche à monter pour faire encore mieux, chaque bénéfice est immédiatement réinvesti dans l’aventure commune. On retrouve aussi le respect dû au travail de chacun, combiné avec un solide esprit d’équipe, indispensable contribution au bien commun. Ainsi, au fil du temps, l’entreprise s’est améliorée, développée, perfectionnée, toujours fidèle à la charte voulue par son créateur.

Villiers n’oublie pas de mettre dans son récit, qui se termine par l’arrivée de l’anneau de Jeanne d’Arc, un peu (beaucoup) de panache, c’est sympathique. Un beau livre qui montre que volonté et intelligence peuvent faire des miracles ; les jeunes y trouveront la preuve que les vraies valeurs ne sont ni ringardes, ni trop austères, et qu’elles engendrent de belles réussites.

Marie-Dominique Germain

 

L’ACCORD SECRET DE BADEN-BADEN. COMMENT DE GAULLE ET LES SOVIETIQUES ONT MIS FIN A MAI 68
Henri-Christian Giraud
Éditions du Rocher, 2018, 578 pages, 24 €.

La thèse centrale de ce livre, qui se dévore comme un thriller, est celle du machiavélique accord entre de Gaulle et les communistes pour mettre fin à la révolte étudiante. L’auteur, petit-fils du général Giraud, fait remonter cette complicité à l’automne 1941, quand le chef de la France Libre a échangé la reconnaissance par Staline de son gouvernement contre le « blanchissement » du Parti Communiste qui passera, grâce à lui, de premier parti collaborateur à premier parti résistant : c’est bon pour l’image. D’un anti-américanisme viscéral, de Gaulle va consacrer les premières années de son mandat à une ouverture à l’Est qui fissure les deux blocs de la guerre froide. Il est une pièce essentielle dans la politique étrangère soviétique, grâce au savoir-faire d’un diplomate d’exception, le francophile et parfait stalinien Youri Doubinine, en poste en France de nombreuses années. Lorsqu’éclatent les évènements de Mai, le PCF, inquiet d’être débordé sur sa gauche, fait d’abord tout pour les freiner. Puis, ne pouvant les empêcher, il s’y engage à contrecœur. C’est alors que de Gaulle se rend secrètement à Baden-Baden, pour y rencontrer Massu, mais surtout pour obtenir l’assurance du discret soutien soviétique, par la voix du maréchal Kochevoï, commandant en chef des troupes stationnées en RDA. Cette certitude obtenue, il rentre en France où il peut organiser la grande manifestation du 31 Mai, feindre de taper sur les communistes qui viennent opportunément de rentrer dans le rang, et laisser l’URSS régler son compte au Printemps de Prague.

Jean-François Chemain

 

ALEP, LA GUERRE ET LA DIPLOMATIE
Maria Khodynskaya-Golenishcheva
Pierre-Guillaume de Roux, 2017, 248 pages, 20,90 €.

Diplomate à la Mission permanente de la Fédération de Russie auprès des Nations unies, Maria Khodynskaya-Golenishcheva est aussi docteur en géopolitique et arabisante. À ces divers titres, elle a participé aux négociations de Genève sur la Syrie, notamment durant la bataille pour la reconquête d’Alep – centre stratégique de grande importance –, libérée en décembre 2016 par les autorités de Damas. C’est donc un témoin de premier ordre qui raconte dans cet ouvrage, nourri de nombreuses révélations, les dessous de la diplomatie internationale dans le conflit qui détruit la Syrie depuis 2011, qu’elle qualifie à juste titre de « guerre civilo-globale » pour tenir compte de toutes les implications internationales à l’œuvre dans ce pays meurtri. En fait, les mécanismes onusiens reflètent les rapports de forces régissant les relations entre grandes Puissances. L’auteur montre notamment comment l’Occident, ayant choisi l’option arabe sunnite, a soutenu les djihadistes de diverses obédiences (ils étaient une vingtaine) qui sévissaient dans la partie orientale d’Alep. Elle dissèque aussi la propagande et la désinformation orchestrées par les Etats-Unis, qui n’hésitent pas à mettre sous leur tutelle l’aide humanitaire des bureaux de l’ONU. La Russie, soutien du régime d’Assad, et sa diplomatie régionale, réaliste car elle agit en concertation avec l’Iran et la Turquie, se trouvent ainsi honteusement discréditées au mépris de la paix. Un document implacable.

Annie Laurent

 

L’AGE D’OR DU MAURRASSISME
Jacques Paugam
Préface de Michel De Jaeghere, nouvelle édition revue et augmentée, Pierre-Guillaume de Roux, 2018, 402 pages, 25 €.

Avant de nous reporter aux origines, ceci qui accompagna le dernier épisode d’une tumultueuse équipée de l’esprit ; ayant été condamné, en janvier 1945, à la réclusion à perpétuité par la Cour de Justice du Rhône, Charles Maurras, d’abord interné à Riom, fut transféré à Clairvaux en mars 1947. Encore qu’étouffée, la voix du prisonnier arrivait quand même à franchir les murs et plusieurs au-dehors la diffusaient. D’un autre côté, le 20 décembre 1949, une réunion en faveur de la révision de son procès, tenue dans une salle comble, vit parler et applaudit Daniel Halévy, Gabriel Marcel, Henri Massis. Dès lors, diverses marques d’estime continueront de se produire jusqu’à la mort du vieux maître (bénéficiaire depuis quelques mois d’une grâce médicale) et à la cérémonie funèbre du 19 novembre 1952 en l’église Saint-Symphorien de Tours – où l’on nota la présence recueillie d’un romancier archicélèbre : Pierre Benoit. Le lendemain, au nom de l’Académie française, Jules Romains, avec tact et mesure, allait d’ailleurs lui rendre un hommage que tous ses confrères, à l’exception d’un seul, écoutèrent debout.

Nous avons mentionné les origines. Car, bien sûr, chez Maurras la formation de ses idées comme la naissance de son magistère demanderont du temps. Impossible de retrouver en un clin d’œil des principes naturels d’organisation sociale ; difficile de les acclimater illico autour de soi. Tâche capitale cependant, qu’exigeaient les graves faiblesses du pays, où le régime, anonyme, irresponsable, empêchait tout vrai relèvement national. Ainsi donc s’imposerait le devoir très impérieux d’édifier un système de pensée offensif, muni de prolongements institutionnels fermes et décentralisateurs permettant à la vie collective de la France de s’épanouir d’une façon harmonieuse. Et cette « doctrine réfléchie », cette doctrine de haut niveau intellectuel, Maurras en premier lieu, et, auprès de lui, divers amis et compagnons groupés en « laboratoire d’études politiques », parce qu’ils entendent manier la truelle et l’épée, faire construction et bataille, vont durcir sa dissidence d’avec le pouvoir en place (inséparable des partis à la conquête de leur aliment dans l’État) et convenir de répondre, en tous domaines, à l’événement.

Auteur en 1971 d’un copieux et précieux ouvrage fondé sur la parfaite connaissance des textes et aujourd’hui reparu, Jacques Paugam situait entre 1899 et 1908, date de lancement d’un quotidien fameux, « l’âge d’or » du mouvement inspiré par Charles Maurras, mais mouvement destiné, en s’éloignant de sa grande époque créatrice, à prendre la couleur (malencontreuse ?) d’une sorte de « conservatisme de choc »… Pourtant nous gardons la mémoire de ce fidèle aperçu du regretté Pol Vandromme à propos de la critique maurrassienne, « ample, ordonnée, servie par l’abondance et l’habileté d’un immense génie dialecticien », nous continuons de goûter cette « langue admirable de force, d’exactitude et d’entrain ».

Michel Toda

© LA NEF n°305 Juillet-Août 2018