Livres Septembre 2018

L’ASSASSIN DU TRAIN
JESSICA FELLOWES
Éditions du Masque, 2018, 496 pages, 20,90 €.

Connaissez-vous les sœurs Mitford ? Ces célèbres femmes anglaises eurent des vies hors du commun, remplies d’extravagance. Impossible ici de donner ne serait-ce qu’un aperçu de la vie de chacune des six sœurs qui marquèrent de leur empreinte la première moitié du XXe siècle.

Pourquoi vous parler d’elles ? Tout simplement parce que Jessica Fellowes, nièce de Julian Fellowes, le réalisateur de la série Downton Abbey, a eu l’idée ingénieuse de les prendre comme héroïnes de… romans policiers. Original, non ?

Le premier volume d’une série qui s’intitule « Les sœurs Mitford enquêtent » a paru et l’on suit ici l’aînée, Nancy, qui sous l’impulsion d’une jeune nurse qui tente d’échapper à son milieu social, se lance à la poursuite du meurtrier de l’infirmière Florence Nightingale Shore.

Comme Nancy Mitford, Florence Nightingale Shore a bien existé. Infirmière réputée, elle a participé à la Grande Guerre en France, se dévouant auprès des blessés. Rentrée en Angleterre, elle fut lâchement assassinée dans un train en janvier 1920. Son meurtrier n’a jamais été retrouvé et Jessica Fellowes s’est engouffrée dans ce trou noir pour y lancer la jeune Nancy qui aurait certainement été bien surprise de se savoir mêlée à une telle aventure.

Reste qu’au-delà de l’intrigue policière, bien menée quoique de facture assez classique, le portrait de l’aînée des Mitford, au moment de son passage de l’adolescence à l’âge adulte, paraît pertinent. Quelques années plus tard, ayant été mêlée à la jeunesse huppée des années folles (elle deviendra notamment une amie du romancier catholique Evelyn Waugh), elle sera une romancière à succès, s’installera en France par amour et décédera à Versailles où une plaque rappelle son passage dans la ville royale.

Bien que son père estimât que ses filles étaient toutes folles, Nancy n’était certainement pas la plus extravagante des sœurs. Pas la plus rangée, non plus. Toutes avaient l’étoffe d’un héros de roman. C’est chose faite désormais et on attend donc la suite de cette série au charme si désuet, si follement anglais…

Philippe Maxence

 

LA STRATEGIE DE L’INTIMIDATION
Du terrorisme jihadiste à l’islamiquement correct
ALEXANDRE DEL VALLE
L’Artilleur, 2018, 548 pages, 23 €.

« Islamophobie » : ce terme apparu dans le langage commun il y a quelques années serait-il en passe de faire l’objet d’une condamnation universelle assortie de sanctions pénales ? Telle est l’ambition des principales organisations islamiques sunnites qui, partout dans le monde, y compris auprès des Nations unies, s’emploient à empêcher toute critique, voire toute liberté d’appréciation, des textes fondateurs de l’islam, même les plus nuisibles à la paix mondiale. L’Europe est en première ligne dans cette stratégie qu’Alexandre Del Valle, docteur en Histoire contemporaine et passé maître dans l’art de débusquer les fondements de l’entreprise djihadiste, qualifie justement d’« intimidation ». Il rappelle pour cela l’usage de la formule « Aslam, taslam » (« Soumets-toi et tu auras la paix ») lancée dès le VIIe siècle par les premiers conquérants musulmans pour asservir les peuples qu’ils entendaient dominer.

Au fond, il s’agit de faire admettre partout la supériorité religieuse et idéologique de l’islam, de le rendre intouchable. L’intimidation vise les non-musulmans mais aussi les musulmans résidant en dehors de la « Demeure de l’islam », qui sont invités à refuser toute assimilation à des cultures « impies ». Pour atteindre leur but, ces organisations panislamiques, dont l’auteur décrit minutieusement des programmes à faire frémir, pratiquent l’infiltration méthodique, multipliant les chantages à la victimisation et au « racisme », exigeant le respect de la charia, la révision des manuels d’histoire au bénéfice de l’islam et la glorification de la civilisation mahométane, organisant le communautarisme. Au lieu de résister, les élites occidentales sécularisées, les militants tiers-mondistes et révolutionnaires enfoncés dans l’auto-culpabilisation, se soumettent à l’islamiquement correct en se pliant à une autocensure mortifère tout en exaltant la « dette » envers les supposées inventions arabo-musulmanes. L’auteur consacre à ce sujet des pages capitales et fort détaillées.

Il ne reste à l’islamisme qu’à prospérer en dissimulant de moins en moins son projet de reconquête de l’Espagne comme prélude à celle de l’Europe. Cet ouvrage d’une impressionnante érudition devrait nourrir la réflexion et l’action de tous ceux, politiques et religieux, sur qui repose l’avenir des nations héritières de la civilisation chrétienne.

Annie Laurent

 

Le vieux monde est de retour
Pascale Tournier
Stock, 2018, 250 pages, 19 €

Livres, gros titres des journaux et dossiers des hebdomadaires se multiplient : la droite conservatrice menacerait la France. Depuis LMPT, les tenants du monde actuel, un monde qu’ils semblent toujours croire « nouveau », accordant du reste à cette « nouveauté » une sorte de privilège de bienséance, craignent que le pire ne leur tombe sur la tête : une droite s’assumant comme telle, et n’ayant peur ni de ses racines chrétiennes et catholiques ni de s’engager en politique. Avec cet essai, Pascale Tournier, rédactrice en chef adjointe de La Vie, donne un panorama des divers courants et personnalités, la plupart récents mais pas tous, qui défendent une conception conservatrice de la politique, et plus généralement du monde. Courants qui ne sont en rien « réacs » : il s’agit de mettre en œuvre un monde nouveau, déconstruisant le monde ancien et déréalisé imposé par les conceptions matérialistes de l’existence.

Dans cet essai informatif, en forme de reportage journalistique, le lecteur croisera Sens commun, Fillon, Zemmour, Marion Maréchal Le Pen, Finkielkraut, Eugénie Bastié, la revue Limite, Charlotte d’Ornellas, l’Action Française, Madeleine de Jessey, Alexandre Devecchio, Guillaume de Thieulloy, Jacques de Guillebon, les Veilleurs… et nombre de conceptions qui semblent pouvoir donner naissance à un mouvement politique conservateur. C’est un peu simpliste mais cela permettra aux jeunes et futurs défenseurs de la Vie de s’y retrouver. Courez, courez, camarades, le vrai vieux monde est derrière vous et le conservatisme approche. Il est temps.

Matthieu Baumier

 

La vie cachée de l’abbé Charles
Les années de formation sacerdotale d’un séminariste de l’entre-deux-guerres
Michel Emmanuel
Parole et Silence, 2018, 888 pages, 32 €.

Le titre légèrement provocateur donné à cet ouvrage recouvre en fait un travail universitaire impeccable issu d’une thèse d’histoire soutenue en 2011 par Michel Emmanuel. L’intérêt de ce gros volume croît à mesure qu’avance le parcours chronologique de la vie de l’abbé Charles (1908-1993). Si on prend déjà plaisir au charme d’une enfance partagée entre un cadre banlieusard (Bécon les Bruyères) et un horizon périgourdin, si on suit avec étonnement la vocation précoce d’un jeune garçon issu d’une famille peu fervente, ses combats pour garder la foi et imposer son choix, on est heureux de pénétrer dans l’univers du petit séminaire de Conflans : monde clos, où se forme une jeunesse vouée majoritairement au sacerdoce, dans une ambiance de piété éclairée, d’amour des études (surtout littéraires), de goût de l’amitié.

Mais voilà l’entrée au séminaire des Carmes, séminaire universitaire, lié à l’Institut catholique de Paris. Le supérieur de la maison est « Monsieur » Verdier qui préside encore aux destinées de l’œuvre qu’il a fondée, avant de devenir archevêque de Paris. C’est un maître, mais c’est aussi un père, dont l’empreinte est durable sur le séminariste.

Mais c’est surtout la montée vers le sacerdoce qui est passionnante : nous y voyons comment l’ardent désir qui le soulève depuis ses jeunes années mûrit, s’approfondit. Cette montée n’est pas sans crise ni épreuve, mais elle ne laisse place à nul retour en arrière. Et ce sont les ordinations successives qui s’égrènent jusqu’au 20 avril 1935 qui le voit toucher au but : « je suis prêtre ! »

Une dernière partie permet de suivre l’abbé Maxime Charles comme jeune prêtre, vicaire à Malakoff en banlieue « rouge » dans les quatre années qui précèdent la guerre. On attend avec impatience la suite…

Père Michel Gitton

 

Enquête sur le miracle coranique
Dominique et Marie-Thérèse Urvoy
Cerf, 2018, 206 pages, 18 €.

Voilà un sujet qui manquait dans la vaste littérature consacrée aux sciences islamiques, d’où l’intérêt de cet ouvrage caractérisé par une grande érudition. Dans l’islam, le miracle occupe une place privilégiée. Pour les musulmans croyants, le Coran est en lui-même un miracle produit directement par Allah qui le conservait auprès de Lui de toute éternité, Mahomet n’ayant servi que de docile transmetteur. Le prophète de l’islam n’était-il d’ailleurs pas illettré comme l’affirme la tradition islamique ? Ce Livre « divin » est donc réputé recéler toutes les perfections, jusque dans sa composition, son sens et son style. Ne dit-il d’ailleurs pas de lui-même avec insistance qu’il est « inimitable », ce qui se traduit par le dogme du Coran « incréé », proclamé à Bagdad au IXe siècle, au terme de débats agités ?

Quant à la langue arabe, elle est tout simplement celle d’Allah, d’où l’exclusivité de son usage dans les prières rituelles, la vénération que lui portent les musulmans de toutes cultures et leurs réticences à admettre des traductions. Mais si le Coran qualifie lui-même sa langue de « claire », les auteurs montrent que cet attribut signifie en fait quelque chose comme de l’évidence, car les nombreuses études philologiques font ressortir bien des distorsions linguistiques. Dans sa perfection, le Coran annonce évidemment toutes les sciences, ce qui contredit le retard de la plupart des pays musulmans dans le domaine de la créativité.

D. et M.-Th. Urvoy posent enfin la question de l’historicité. Apparu dans l’histoire des hommes au VIIe siècle, l’islam se veut pourtant la religion de toujours, religion innée donnée à l’homme par Allah dès la Création. Comment concilier cette contradiction ? Il faut souhaiter que cet essai inspire aux intellectuels musulmans la nécessité de procéder à une lecture raisonnée du Coran.

Annie Laurent

 

Père Jacques Hamel
Armand Isnard
Artège, 2018, 172 pages, 15,90 €.

« Les gens dont on dit qu’il n’y a rien à en dire sont en général ceux qui nous en disent le plus. C’est précisément le cas du Père Jacques Hamel. » L’enquête menée par Armand Isnard livre un beau portrait de prêtre fidèle, tout donné au Christ et à son sacerdoce, aimant par-dessus tout célébrer la messe. Alors que son âge, 85 ans, aurait pu le conduire à se reposer, lui qui, dans sa jeunesse rêvait d’entrer chez les Pères Blancs, tenait à poursuivre sa mission. Les témoins interrogés par l’auteur évoquent une personnalité réservée, alliée à une âme sensible et vibrante. Il n’en était pas moins un homme de caractère, perfectionniste même, soignant particulièrement ses homélies et se montrant exigeant en matière liturgique. Cultivant des relations chaleureuses avec sa famille, il accueillait aussi avec bonté tous ceux qui frappaient à sa porte.

Isnard consacre des pages importantes à la question du martyre du P. Hamel, élément essentiel dans le cadre du procès en béatification dont l’enquête diocésaine est en cours. Son « Va-t’en, Satan », lancé à la face de son agresseur, qui a tant frappé les esprits, montre sa lucidité et son rejet absolu du mal. Le sacrifice du Père Hamel a produit de belles grâces de pardon, en particulier chez sa propre sœur qui s’est rapprochée de la mère – musulmane – du meurtrier. Ce geste très évangélique côtoie les propos surprenants de certains témoins interrogés par l’auteur, tel ce prêtre qui anime des rencontres interreligieuses dans le diocèse de Rouen : « Nous servons le même Dieu, de façon différente. » Ne peut-on aimer les musulmans sans céder à l’indifférentisme doctrinal ?

Annie Laurent

 

Le Diable existe vraiment !
Pape François
Artège, 2018, 220 pages, 12 €.

Les adeptes de ce que j’ai appelé le « Françoisbashing » sont inattentifs aux aspects traditionnels de l’enseignement du pape François et s’acharnent à répandre l’image d’un pape progressiste sinon hérétique. Pourtant, sur de multiples sujets, il est facile de montrer la parfaite continuité de son Magistère avec celui de ses prédécesseurs.

À une époque où l’enseignement sur les fins dernières et sur l’existence et l’action du démon « par haine contre Dieu et son Royaume en Jésus-Christ » (comme dit le Catéchisme de l’Église catholique) a quasiment disparu des sermons et de l’enseignement commun, le pape François rappelle fréquemment que le Diable existe et qu’il faut le combattre. Dans son homélie, lors de la messe célébrée à la Maison Sainte-Marthe le 11 avril 2014, il réaffirmait très simplement : « Le diable existe aussi au XXIe siècle. Ne soyons pas naïfs. Nous devons apprendre de l’Évangile comment le combattre. »

Ce n’était pas, chez le pape François, un propos de circonstance ou une parole improvisée. C’est chez lui une conviction profonde qu’il veut faire partager aux fidèles aussi bien qu’aux pasteurs. En Italie, sous le titre Il diavolo c’è. Come agisce, come combatterlo (« Le diable existe. Comment il agit, comment le combattre »), est paru un recueil des enseignements du pape sur le sujet. Les éditions Artège ont pris l’heureuse initiative de le traduire. De manière significative ce recueil comprend, pour moitié, des homélies et des allocutions prononcées alors que le cardinal Bergoglio était encore archevêque de Buenos Aires. Il y a bien une continuité dans l’enseignement de celui qui est devenu pape : le Diable (« celui qui divise ») est un séducteur et un menteur, qui incite au mal souvent sous l’apparence du bien, un tentateur qu’il faut combattre et avec lequel il ne faut pas « entrer en dialogue ».

Yves Chiron

 

La droite face à l’Islam
Frédéric Saint Clair
Salvator, 2018, 156 pages, 15 €.

S’appuyant sur Le Choc des civilisations, paru en 1996, et dont l’auteur, Samuel Huntington (1927-2008), avait longtemps enseigné à Harvard, la présente analyse du djihadisme, de l’islamisme et de l’Islam, c’est-à-dire des dimensions terroriste, politique et culturelle d’un phénomène qui inquiète, se garde d’en retenir la dimension spirituelle, liée au for intérieur. Soucieuse du seul paradigme civilisationnel, l’islam, nom commun avec un « i » minuscule, parce qu’il appartient au cultuel, n’entre pas, en effet, dans l’approche ici proposée – laquelle vise, au sens strict, l’Islam, nom propre avec un « i » majuscule, cette strate culturelle des agitateurs salafistes. Or, à l’heure où ceux-ci implantent chez nous un faisceau de codifications destinées à régir les mœurs d’une vaste diaspora, le pouvoir en place persiste à n’y voir que des expressions de la foi religieuse musulmane. Et comme notre respect de l’Autre uni à notre amour des « droits de l’homme » garrottent là contre toute réaction un peu efficace, comme notre fameux principe de laïcité, hors trouble à l’ordre public, s’avère manifestement inadéquat (au point d’admettre la fiévreuse multiplication des mosquées ou d’accepter la stupéfiante expansion du marché halal au prétexte toujours de libre expression religieuse), les gouvernants coopèrent bon gré mal gré à l’islamisation culturelle du territoire – niveau réel de la menace fondamentaliste et, faute pour ses adeptes d’un rôle décisionnaire dans l’État, enclenchement d’un processus de domination métapolitique au sein de la société civile, atteinte dans sa stabilité psychique par le rabotage continu des traditions autochtones.

Corollaire obligé : un pareil idéal de neutralité laïque en train d’escamoter notre avoir national, de tourner nos spécificités pour mieux juxtaposer, sans aucune échelle de référence, plusieurs couleurs discordantes, trahit son manque de pertinence et demande une redéfinition qui préserve l’héritage de la France. Théoricien conservateur, Frédéric Saint Clair plaide donc pour qu’on ôte à l’Islam la couverture religieuse factice, derrière quoi grandit un travail de conquête ; aussi pour qu’on ranime l’axiome d’une inégalité culturelle de droit et de fait à l’avantage des croyances et coutumes familières au pays.

Michel Toda

 

Le secret d’Emma M.
Anne Kurian
Quasar, 2018, 292 pages, 17 €.

Emma, journaliste à Arlton (tous les lieux sont imaginaires), accepte d’épauler une bonne amie durant l’été dans son œuvre humanitaire. Là, elle y rencontre son neveu, Colin Wayne, qui n’est autre que l’acteur qui jouait, des années auparavant, le rôle de l’idole de sa jeunesse. Les deux ont vite une attirance mutuelle, mais un lourd secret empêche Emma de laisser libre cours à son cœur…

Ce qui aurait pu n’être qu’une romance pour midinette se révèle un roman construit qui évite les pièges du genre : il fallait oser le pari qui est plutôt réussi ! C’est en effet un vrai roman avec une intrigue et des rebondissements, des personnages bien dessinés et des seconds rôles ayant une vraie place. De plus c’est bien écrit et raconté, on a donc à l’arrivée un premier roman pas mal du tout. Ajoutons enfin qu’il évite le piège du roman « catho militant » habituellement médiocre et horripilant : le spirituel y a certes une part, mais distillé intelligemment et avec parcimonie.

 

Le monde de Tim
Pierre Grand-Dufay
Pierre-Guillaume de Roux, 2018, 260 pages, 20 €.

En 2047, Paul et Claire semblent vivre heureux dans une société matérialiste entièrement réglée par la technique et la science, les robots étant devenus nos compagnons ordinaires. Mais voilà que l’irruption de Tim dans leur vie, un jeune orphelin de 15 ans, va obliger le couple à remettre en question leur existence et s’interroger sur le « progrès » d’un monde déshumanisé coupé de ses racines.

Depuis le génialissime 1984 de Orwell et les dérives actuelles, ce thème, souvent abordé, est rarement bien traité. Belle exception avec ce beau roman intelligent et très agréable à lire.

 

SACRÉE LÉONIE. Cancre sur le banc des saints
DOMINIQUE MENVIELLE
Éditions Emmanuel, 2018, 260 pages, 17 €.

Excellente biographie de la sœur visitandine de Thérèse de Lisieux qui est en fait la première à s’être mise à son école par la petite voie d’amour. À découvrir.

Patrick Kervinec

 

Conservatisme
Roger Scruton
Albin Michel, 2018, 234 pages, 19,50 €.
Le pouvoir corrompt
Lord Acton
Les Belles Lettres, 2018, 136 pages, 17 €.

Roger Scruton nous propose un panorama historique du conservatisme, panorama qui a le mérite de ne pas se limiter à l’Angleterre. On peut dater l’émergence de ce courant politique au XVIIIe siècle. R. Scruton établit les liens qui existent dès l’origine entre libéraux et conservateurs, et marque aussi leur divergence : « Les libéraux et les conservateurs étaient unis dans leur appréciation de la liberté individuelle comme valeur politique ultime, mais ils n’avaient pas la même vision des institutions traditionnelles. Pour les libéraux, l’ordre politique découle de la liberté individuelle ; pour les conservateurs, c’est l’inverse : la liberté est le résultat d’un agencement politique » (p. 40-41). Les conservateurs s’opposent à la notion de « contrat social » et proposent « une doctrine des limites de la liberté » (p. 51). Finalement, la relation entre ces deux courants est « symbiotique plutôt qu’antagoniste », les deux ne partageant pas le même « tempérament » (p. 72) mais se retrouvant unis contre le socialisme.

R.Scruton offre là une intéressante introduction à la pensée conservatrice, faisant découvrir au passage des auteurs fort peu connus en France (comme John Ruskin ou Matthew Arnold…), tout en montrant qu’il s’agit d’une pensée toujours vivante qui, selon notre auteur, est « le meilleur défenseur de la culture occidentale menacée par deux ennemis en particulier : le politiquement correct qui contraint la liberté d’expression et ramène tout à la culpabilité de l’Occident, et l’extrémisme religieux, l’islamisme militant notamment » (p. 171).

Lord Acton (1834-1902) n’est aujourd’hui connu que pour son aphorisme : « Le pouvoir tend à corrompre, le pouvoir absolu corrompt absolument ». Cet aphorisme a le mérite de résumer la préoccupation majeure de lord Acton, homme politique libéral et historien renommé. Catholique, et donc lui-même membre d’une minorité religieuse longtemps persécutée en Angleterre, il a beaucoup réfléchi à la liberté : dans la troisième conférence ici publiée (de loin la plus intéressante), son propos est de montrer que la liberté, fruit d’un progrès continu quoique tourmenté, est une avancée récente, que liberté religieuse et liberté civile sont intimement liées et que la conscience de ce lien ne peut remonter au-delà du XVIIe siècle.

Le conservatisme a bien des aspects sympathiques, mais son problème est son tropisme vers le libéralisme, ce que ne cache nullement R. Scruton. Quant à lord Acton, historien notoire, il y aurait beaucoup à dire sur sa vision très anglo-anglaise du progrès vers la liberté.

Christophe Geffroy

 

Un homme nommé Joseph
Dominique Rey
Salvator, 2018, 136 pages, 14 €.

Mgr Rey est l’heureux évêque du seul diocèse de France – Fréjus-Toulon – visité par saint Joseph. C’était à Cotignac, en 1660. L’époux de la Vierge Marie apparut alors à un berger, Gaspard Ricard, faisant aussi jaillir une source qui continue de surgir de la roche et procure depuis lors d’innombrables grâces aux flots continus de pèlerins qui s’y abreuvent. Chaque année, la fête de saint Joseph est particulièrement solennisée en ce lieu sous la présidence de Mgr Rey. Autant d’occasions pour lui de méditer les mystères qui entourent la vie terrestre du charpentier de Nazareth appelé par Dieu à collaborer à la Rédemption d’une manière exceptionnelle.

Ces méditations sont rassemblées ici pour le plus grand profit spirituel et humain des lecteurs. L’évêque y scrute en profondeur la personnalité et les actes de Joseph auquel il donne le titre de « docteur du silence ». Si l’Évangile ne rapporte aucune de ses paroles, il retient ses gestes, accomplis dans la confiance, l’obéissance, l’effacement. Mgr Rey en tire de précieux enseignements pour les chrétiens confrontés aux épreuves et aux défis contemporains (agitation, révolte, impudeur, perte du sens du sacrifice, de l’autorité et des responsabilités, crise de la paternité, dévirilisation de l’homme, perversion du travail, etc.).

L’ensemble s’ouvre sur l’acte de consécration de Fréjus-Toulon (2012) et se clôt sur un poème et une prière composés par Mgr Rey lui-même. Ce petit livre, d’une grande richesse, peut rendre d’éminents services aux éducateurs ainsi qu’à ceux qui se préparent au mariage, mais aussi à tous les laïcs chrétiens, invités à prendre saint Joseph comme modèle de sainteté.

Annie Laurent

 

Histoire d’Israël
Michel Abitbol
Perrin, 2018, 880 pages, 30 €

Spécialiste de l’histoire et des cultures juives et arabes, Michel Abitbol donne à lire, à l’occasion des 70 ans de la naissance d’Israël, un ouvrage qui est à la fois une somme et une synthèse retraçant l’histoire de l’État juif. Orientaliste, l’auteur est reconnu à l’échelle internationale. Il contribue ainsi régulièrement à L’Encyclopedia Judaica. Cette Histoire d’Israël est bien plus qu’une synthèse historique. Bien sûr, Michel Abitbol raconte l’histoire de ce pays, de sa naissance en 1948 jusqu’à nos jours, et les 880 pages du volume, servies par un appareil de notes rigoureux, ne sont pas de trop pour ce faire ; mais l’auteur va plus loin, entremêlant de façon claire et fine les divers aspects de cette histoire, tant religieuse que démographique ou politique. Économique aussi, ce qui n’est pas rien. Derrière les faits relatés, Michel Abitbol apporte des analyses qui éclairent son lecteur ; une nécessité tant le sujet est ample et le terrain idéologique ambiant miné.

Il fait aussi, et sans doute surtout, sentir ce qu’est cette aventure extraordinaire : celle de la naissance d’un État, juif en l’occurrence. Une épopée. Le livre est construit de façon à ce que son lecteur suive l’évolution d’Israël pas à pas, dès avant sa naissance, avec des pages stimulantes sur les sources du nationalisme juif et du sionisme. Le lecteur découvrira aussi ce qui s’est joué avec la déclaration Balfour, puis au moment de la résolution de l’ONU de 1947. Une résolution qui proposait le partage de la Palestine entre deux pays. Abitbol écrit ensuite bien au-delà de la simple histoire factuelle, montrant comment est née la nation israélienne, expliquant et exposant les guerres, exposant combien une paix durable dans la région est rendue très incertaine du fait des divers fanatismes. Un livre complet, à lire. Comment se faire une opinion fondée, sinon ?

Matthieu Baumier

 

La bataille de Bouvines
Histoire et légendes
Dominique Barthélemy

Perrin, 2018, 542 pages, 27 €.

Remportée près de Lille, le 27 juillet 1214, sur un empereur allemand, un comte de Flandre et d’autres coalisés, nourris des subsides du roi d’Angleterre, la bataille de Bouvines et Philippe Auguste, son vainqueur, occupent une place assez exceptionnelle dans notre histoire. Pourtant, neuf décennies plus tard, à Mons-en-Pévèle, un coûteux succès de Philippe le Bel celui-là, encore en face des Flamands, avait vengé, après deux ans, moyennant une sorte de mobilisation générale inédite, le désastre de Courtrai et illustré la vigueur combative du monarque. Certes, mais le « souvenir » de Bouvines, prégnant déjà, n’en subit alors nulle atteinte ni n’en subirait à travers les âges, quoiqu’on relève diverses étapes de ses narrations – entre fables et réexamens. Tout bien pesé, discuté, considéré, ce choc guerrier, s’étant engagé sous le coup d’une attaque surprise contre l’arrière-garde du roi de France, suivie d’un prompt renfort venu du reste de son ost, a sans doute offert, peu ou prou, le spectacle d’une mêlée confuse, émaillée toutefois de hauts faits individuels.

Médiéviste dont les travaux s’attachent à la royauté féodale, à la chevalerie et aux communes, Dominique Barthélemy, avec un pareil ouvrage où revivent aussi les septième (1914) et huitième (2014) centenaires de Bouvines, épuise le sujet.

Michel Toda

© LA NEF n°306 Septembre 2018