Eglise du Sauveur à Pékin © Commons.wikimedia.org

L’accord Vatican-Chine

Un accord provisoire a été signé à Pékin le 22 septembre entre le Saint-Siège et la Chine. Analyse du Père Jean Charbonnier, prêtre des Missions Étrangères de Paris (MEP) et spécialiste du christianisme chinois.

L’accord entre le Saint-Siège et la Chine, dont les médias chinois ont peu parlé, a été annoncé comme une victoire par le cardinal Parolin. Avant de voir ce qu’il en est, signalons que l’accord n’implique en aucune façon un changement dans l’application brutale de la nouvelle loi sur les religions en vigueur depuis février dernier. Le gouvernement chinois peut même faire valoir son accord officiel avec Rome pour forcer tous les catholiques à entrer dans le cadre « patriotique » de la politique officielle du Parti. La position des clandestins s’en trouve affaiblie.
Trois éléments ont été explicitement révélés :
1. Les sept évêques illicites nommés sans l’accord de Rome, y compris trois d’entre eux excommuniés, sont réconciliés avec le Saint-Siège après avoir officiellement demandé pardon. C’est une victoire pour le gouvernement chinois et un affaiblissement de l’autorité romaine pour les catholiques clandestins qui ne comprennent pas ce revirement du Saint-Siège. Du point de vue de la psychologie chinoise, c’est une perte de la face intolérable et la crainte de sanctions accrues.
2. Le pape accepte le processus « démocratique » chinois pour l’élection des évêques. Les prêtres, religieux et laïcs de l’Association patriotique du diocèse participent à l’élection. Leur candidat est alors présenté à la Conférence épiscopale chinoise. L’accord stipule que le candidat élu doit être présenté au Saint-Siège pour une approbation finale du pape. Le pape a précisé lui-même que, suivant l’accord, il nomme le candidat. Mais si celui-ci ne convient pas, pourra-t-il exercer son veto ? C’est une victoire pour le pape si cette disposition est confirmée dans la pratique. Elle est pourtant démentie dans l’immédiat puisque le Saint-Siège doit reconnaître sept évêques nommés sans son accord et même, pour certains, malgré son refus explicite. Cette contradiction interne en dit long sur la portée réelle de l’accord.
3. La préfecture apostolique de Chengde, dans la province du Hebei, est élevée au rang de diocèse suffragant de l’évêché de Pékin. Les régions ecclésiastiques de 1946 seraient-elles rétablies ? Le territoire de Chengde est plus étendu. L’accord présente ce changement comme étant l’œuvre du pape. Ce serait une première intervention du pape dans le tracé des diocèses de Chine depuis des décennies…
Dans la mesure où le pape François soutient cet accord qu’il a toujours vivement désiré, on doit penser que c’est un acte d’humilité auquel il invite l’Église devant une Chine riche et puissante. Son but n’est évidemment pas de chercher un compromis avec les nouveaux exploiteurs du peuple chinois. Il a été souvent reproché à l’Église de se ranger du côté du plus fort. C’est peut-être encore le cas de la politique vaticane, qui doit tenir compte de la place que prend aujourd’hui la Chine dans la vie du monde. Mais le but du pape François est bien dans l’esprit de l’Évangile. C’est de permettre à l’ensemble des catholiques de Chine de s’unir entre eux pour le bien de leur pays, dans un esprit de service et d’amour.

Les non-dits de l’accord
Ce qui nous est révélé de l’accord n’est que la partie visible de l’iceberg. Qu’y a-t-il sous l’eau ? Dans la logique des mesures déclarées, on peut conclure que le Saint-Siège reconnaît la légalité de la Conférence épiscopale chinoise puisqu’il devra prendre en compte les candidats à l’épiscopat qu’elle lui présentera. Faut-il en conclure que la trentaine des évêques clandestins sera invitée à rejoindre cette conférence, qui est, en fait, toujours dominée par l’Association patriotique des catholiques chinois ? Leur droit de refuser est-il reconnu par l’Église ? Dans le cas contraire, le risque serait que les clandestins deviennent doublement clandestins, à la fois vis-à-vis de l’État et de l’Église. Il y aurait un risque de schisme de la part des catholiques les plus fidèles à l’Église. Autre question non soulevée : l’État chinois autorisera-t-il ces évêques qui n’ont pas été « élus démocratiquement » à exercer leur ministère ? L’accord contient-il une clause précisant le rôle de l’Association patriotique des catholiques ?
Une autre question de taille est amorcée par la reconnaissance du nouveau diocèse de Chengde. D’après la version publique de l’accord, c’est le pape qui est le créateur de ce nouveau diocèse. Est-ce l’amorce d’une prise en compte par le Saint-Siège de la nouvelle répartition administrative des diocèses ? Dans l’annuaire pontifical romain, la Chine compte 144 diocèses créés par Rome. La nouvelle répartition administrative des diocèses, mise en place sous l’égide de l’Association patriotique des catholiques, réduit à 96 le nombre des diocèses. Compte tenu de l’évolution de la Chine, ce remaniement paraît assez raisonnable.
Il est probable que l’accord contient une clause stipulant la reconnaissance de la nouvelle carte des diocèses en Chine. Ce qui signifie un contrôle accru de la vie de l’Église et des conditions de vie plus difficiles encore pour les clandestins.

Un ballon d’essai ?
Reste une question capitale qui fait sans doute partie de l’accord. Le gouvernement chinois a répété inlassablement qu’un accord avec Rome n’était possible que si le Vatican rompait d’abord ses relations diplomatiques avec Taïwan. Des représentants du Vatican ont souvent laissé entendre que le Saint-Siège ne ferait aucune difficulté pour transférer sa représentation de Taipei à Pékin. Pour le Saint-Siège, une rupture avec Taipei n’est concevable que si le gouvernement de la République populaire fait une demande de reprise des relations diplomatiques, qu’il a rompues en 1952.
La mémoire des humiliations subies par la Chine jusqu’au Traité de Versailles en 1919 demeure toujours bien présente chez les dirigeants chinois. Le gouvernement chinois actuel n’est sûrement pas demandeur de relations diplomatiques avec le Vatican même si, réflexion faite, cela pourrait être dans son intérêt. La Chine populaire pourrait se contenter de ne pas exiger du Vatican la rupture avec Taipei. Le libre jeu de l’Église à Taïwan assure un lien concret avec les catholiques du continent et favorise l’union entre l’île et la mère patrie. En l’absence de relations diplomatiques avec Pékin, Taïwan demeure le seul territoire chinois où l’Église peut témoigner pleinement de son amour pour le peuple chinois. Rompre avec Taïwan serait suicidaire pour l’Église en Chine.
Cet accord provisoire est-il un ballon d’essai ? Espérons que les quelques articles de l’accord révélés publiquement n’auront pas d’effet néfaste pour l’Église en Chine.

Père Jean Charbonnier

© LA NEF n°308 Novembre 2018