Le Père Claude Sirvent dessert la paroisse de Draguignan et il est prêtre accompagnateur de la communauté chrétienne des policiers de France.
Permettez-moi de revenir quelques années en arrière pour planter le décor. La violence s’abat sur la France, terrasse notre chère liberté et foudroie un territoire et sa jeunesse par un beau soir du mois de novembre 2015. Tandis que la vie s’égrenait lentement au son des rires des terrasses de café et de la musique, la mort a subitement balayé l’insouciance et la joie de vivre en un cortège de cadavres. Alors, sont arrivés des policiers. Leur quotidien était de traquer jusqu’alors des voleurs à la tire, patrouiller dans la rue ou sécuriser les zones dites sensibles de la capitale. Mais, ce vendredi soir, lors de l’attaque au Bataclan, ils se sont retrouvés en première ligne face aux terroristes, face à l’horreur, face à la mort – au cœur d’une humanité poignardée. Les images de l’antre de la mort où s’amoncellent des corps baignant dans une mare de sang resteront à jamais gravées et collées dans leur mémoire. Ce soir-là, au cœur de l’enfer, leurs vies, leur abnégation, leur utilité, le don de soi ont affronté la barbarie, le désir de tuer, l’obscurantisme, en un mot le mal. Ils descendaient aux enfers. Et je pourrais égrener une liste d’évènements identiques, aussi effroyables les uns que les autres, auxquels les policiers ont été confrontés.
Alors, parler d’humilité à une époque où le selfie est roi, où la médiatisation des ego en tous genres inonde les chaînes radio et télévisuelles, où l’écran devient miroir, où la loi du plus fort l’emporte sur l’argumentation et la raison, parler d’humilité, pour la police nationale, peut paraître incongru. Loin de moi, l’idée de pleurer sur notre époque et sur eux. Chaque époque porte en elle la marque du progrès et de ses travers. La nôtre n’y échappe pas. « Ni rire, ni pleurer, disait Spinoza, mais comprendre. »
Un sort difficile et exigeant
Encensés après l’attentat de Charlie Hebdo, jetés aux chiens après l’affaire Théo, fréquemment soupçonnés et accusés, tel est le sort des policiers. Et pourtant, serviteurs de la République, ils continuent dans l’humilité et parfois dans l’indifférence, leur rude mission de pacification des territoires perdus de la République. Et, contre les mensonges de l’esprit du mal qui s’abattent sur eux, contre les injustices dont ils font souvent les frais, contre leurs propres tristesses et leurs découragements, ils ne se départissent jamais de cette dignité d’homme qui rejoint l’humilité dont ils sont pétris.
Cette humilité est ce courage sans faille qui les habite, de se confronter aux limites de l’insoutenable (assassinat des leurs à Magnanville), à ces ténèbres intérieures d’un terrorisme islamiste barbare (assassinat du père Hamel), de se cogner contre les défauts et vices de notre société, et avec dans leur for intérieur, cet examen de conscience que personne ne peut faire à leur place et qui les mène parfois au suicide.
Cette confrontation à soi-même et aux autres, dans le silence de la peur et de la mort, c’est cela l’humilité. Elle ne se donne pas en spectacle, elle est l’intime qui les lie entre eux. L’humilité est cette épreuve du courage. Non pas celui qui consiste à vaincre dix mille hommes mais plutôt celui qui consiste à se vaincre soi-même, celui de la conquête incessante de soi, de la mise à mort de nos instincts les plus bas, les plus vils que nous prenons souvent pour des qualités. Non le policier n’est pas celui qui oppresse les autres mais celui qui se mesure à lui-même. N’en déplaise à certains esprits à l’idéologie politique et sectaire qui ne peuvent supporter la vision d’un policier comme celle d’une croix ou d’une église.
Et pour conclure, permettez-moi de revenir également sur la mort du colonel de gendarmerie Arnaud Beltrame. Il a perdu la vie, sans rien tuer en lui-même, mais en vivant son temps d’homme au compte de Dieu. Il a perdu sa vie en tant que sienne, parce qu’il a laissé Dieu libre de la prendre pour en faire une parole universelle. Et voilà « l’admirable échange » : l’homme s’est fait perdant et il a gagné, il s’est laissé gagner par Dieu. En effet, il ne servirait à rien de laisser dans le monde une traînée de puissance : ce que le Christ nous demande c’est de creuser un sillon de bonté, et d’aller à Dieu par le chemin de l’amour et donc du don de soi.
En disant « oui » à la République, Arnaud Beltrame a non seulement ratifié dans la joie le choix de Dieu, mais il a ouvert son cœur et sa vie à une mission spécifique pour la gloire de Dieu et le salut du monde.
Père Claude Sirvent
© LA NEF n°308 Novembre 2018