DEMEURE
Pour échapper à l’ère du mouvement perpétuel
FRANÇOIS-XAVIER BELLAMY
Grasset, 2018, 272 pages, 19 €.
Après s’être brillamment intéressé à la crise de la transmission dans Les Déshérités (Plon, 2014), François-Xavier Bellamy aborde ce qui est sans doute le cœur de la modernité : la passion du mouvement en toute chose. La démonstration de notre auteur est argumentée, convaincante et d’une grande clarté. Il épingle remarquablement l’idéologie dominante qui trouve sa traduction politique dans le nom du parti présidentiel : « En marche » !
À travers une trame historique qui va d’Héraclite à Galilée, il montre combien l’obsession du changement ne peut mener qu’à la catastrophe, car, écrit-il, « ce qui rend possible le mouvement de toute vie, et ce qui lui donne un sens, c’est toujours ce qui demeure ». À cet égard, ses pages sur l’importance de l’héliocentrisme et des découvertes de Galilée sont passionnantes en ce qu’elles montrent qu’en établissant la mobilité de tous les corps célestes, la physique moderne tend à supprimer toute stabilité dans l’univers.
Cette quête du mouvement a des conséquences en tous domaines et nous empêche tout particulièrement de nous interroger sur l’avenir que nous voulons, puisque le futur est déjà dessiné par le progrès qui fait que demain est forcément meilleur qu’aujourd’hui. Si tout bouge sans cesse, la notion même de vérité n’a plus de sens, le relativisme devient logiquement la norme ; la politique ne poursuit plus un bien commun évanescent mais a pour ambition « de s’adapter » au monde mouvant selon les préconisations des « experts » ; etc. Bref, à vouloir se défaire des contraintes, nous cherchons à repousser toujours plus loin toutes les limites : « Sans doute sommes-nous les premiers dans l’histoire humaine à avoir pensé que par la technologie, par l’union de la science et de l’agir, nous pourrions, non pas assumer les limites naturelles pour mieux habiter le monde, mais défaire les limites– changer le monde, changer notre nature elle-même. Ce qui est certain, c’est que nous sommes les premiers à avoir réussi à mettre en danger le monde, et la nature – à mettre en danger la vie même. »
C’est vraiment un beau travail pédagogique que nous offre là François-Xavier Bellamy : en montrant les bienfaits et la nécessité d’une certaine permanence et donc aussi de l’enracinement cher à Simone Weil, il fournit des pistes incontournables pour tout redressement, pour sortir de ce que Zygmunt Bauman appelle la « vie liquide ».
Christophe Geffroy
L’ÂME DÉSARMÉE. Essai sur le déclin de la culture générale
ALLAN BLOOM
Les Belles Lettres, 2018, 502 pages, 19 €.
L’AMOUR ET L’AMITIÉ
ALLAN BLOOM
Les Belles Lettres, 2018, 652 pages, 19 €.
Les grands livres ne vieillissent pas ! C’est presque une tautologie que de le dire, mais dans notre époque où règnent l’opinion et l’immédiateté, il n’est peut-être pas inutile de le rappeler. On le vérifie d’ailleurs à nouveau avec la réédition (pour la première fois en version intégrale) de l’essai de l’Américain Allan Bloom, paru en 1987, en France sous le titre L’Âme désarmée. Qui était l’auteur ? Essentiellement, un célèbre professeur de philosophie et un passionné de littérature.
Malgré son titre français, les réflexions d’Allan Bloom ne concernaient évidemment pas l’aspect religieux ni le salut de cette âme qui était pourtant bien le véritable sujet de son livre. L’auteur se situait, en quelque sorte, en amont, sur le plan de l’éducation naturelle, dans la formation de la sensibilité et de l’intelligence des générations à venir. Dix ans après 1968, Bloom voyait les dégâts causés par une éducation libérée de toute discipline et prisonnière de l’utilitarisme des sciences sociales.
À vrai dire, le ver était dans le fruit depuis bien longtemps, et Bloom le savait. Mais ce n’était pas en historien qu’il réagissait, mais en acteur. L’université était en danger et donc la jeunesse, et donc l’avenir de son pays. Dans Le Regard politique, Pierre Manent, qui a bien connu Bloom, résume la démarche de celui-ci : « Il dressa avec allégresse, avec passion, avec une sorte de violence le diagnostic qu’il tirait de son expérience d’enseignant : l’éducation dispensée par les universités avait appauvri les âmes des étudiants. »
De fait, le livre était puissamment vivant. Il ne pouvait laisser indifférent. Mais il ne proposait pas seulement le diagnostic d’un mal, il préconisait un remède : le recours à l’éducation libérale (les Humanités), la lecture des grands livres, l’amitié entretenue le long d’une vie avec les grands penseurs et les grands écrivains…
Dénoncé par les mandarins, plébiscité par les lecteurs, L’Âme désarmée revient en France, accompagné d’un autre essai du même auteur, L’Amour et l’amitié. Des livres intemporels et pourtant plus que jamais d’actualité…
Philippe Maxence
LE PRIX DE LA FRATERNITÉ
GUILLAUME DE TANOÜARN
Tallandier, 2018, 330 p, 18,90 €
Le plus récent essai de l’abbé Guillaume de Tanoüarn, fin penseur du christianisme contemporain, docteur en philosophie et rédacteur en chef du magazine catholique Monde & Vie, est à la fois un ouvrage qui réfléchit sur le temps et les malheurs présents, ainsi que sur les enjeux et les défis auxquels nous sommes confrontés, et une tentative de retrouver le bien commun. Nous ne vivons pas seulement ensemble, indique d’emblée l’auteur, en référence au trop fameux « vivre ensemble » dont le patent échec est évoqué dans ces pages, mais bien « avec », et ce n’est pas du tout pareil. Il y a quelque chose de la famille lorsque l’on vit « avec », ou de l’amitié, ou encore de l’amour. Ce sont là vies fraternelles et sororales, tandis que le « vivre ensemble » aura été une tentative totalisante de fabriquer un liant entre communautés sous tensions, volonté née en partie de conceptions dévoyées de la fraternité, celles de Rousseau et de ses épigones par exemple. Tanoüarn donne à lire un vibrant appel à la fraternité, possibilité à tenter pour redonner un sens commun à notre société. C’est au prix de la fraternité que ce vivre en commun (car c’est de cela dont parle l’auteur) échoue ; et c’est à ce même prix, celui de la fraternité, qu’il doit être possible, au sens de ce qui a de la valeur. La notion est évangélique, elle est aussi républicaine mais elle ne sera pas revivifiée sans s’appuyer sur le grand impensé de notre époque : le fait que la foi et la spiritualité sont inhérentes à l’humain et non pas constructions intellectuelles. Devant la violence et la montée des tensions, l’homme de Dieu rappelle à juste titre une évidence : la fraternité, cela consiste aussi à se voir dans l’autre, en particulier dans celui que l’on pourrait, de façon binaire, juger vite comme trop différent. L’abbé ne sera pas invité sur France Inter, ce n’est pas grave. Il a, lui, un lectorat qui n’est, justement, pas obligé de partager toutes ses opinions. C’est précisément de cela que naît la pensée.
Matthieu Baumier
LE TRAIN D’ERLINGEN
ou la métamorphose de Dieu
BOUALEM SANSAL
Gallimard, 2018, 254 pages 20 €
La rentrée romanesque française 2018 a été un mauvais cru. Les acteurs de la critique littéraire le disent plus aisément en privé qu’en public : c’est la pire rentrée depuis longtemps, et peu de romans sont véritablement défendables. Dans ce marasme, le roman de Boualem Sansal est l’un de ceux, rares, qui émergent. Et même plus : après 2084, ce nouveau roman, Le Train d’Erlingen, est un coup de semonce littéraire, envoyé comme un signal d’alarme. Que dit Sansal ? Que l’islamisme est un fléau et que nos gouvernants se comportent de façon lâche. L’écrivain le rappelle aussi : chaque fois que l’on a voulu comprendre le pire, par complicité de classe au début du XXe siècle, ou bien par mollesse d’âme et confusion intellectuelle aujourd’hui, ce pire a gagné du terrain. C’est ce qui se passe avec l’islamisme, dont il faut rappeler qu’il est une idéologie totalitaire. Cette idéologie, Sansal la combat avec une arme dont on ne mesure pas assez l’importance : le roman. Ce combat, il l’annonce en un prologue devenu nécessaire dans une France où prononcer les mots « islamisme » ou « identité » est parfois risqué pour un intellectuel : « Ce roman raconte les derniers jours de la vie d’Élisabeth Potier, professeure d’histoire-géographie à la retraite, habitant la Seine-Saint-Denis, victime collatérale de l’attentat islamiste du 13 novembre 2015 à Paris. » L’écrivain joue alors sur les identités, et témoigne par personnage interposé de ce que nous subissons : les racines du mal. Un roman qui, de façon différente, est, comme le Soumission de Houellebecq, roman de lanceur d’alerte. Les oreilles sont-elles ouvertes ?
Matthieu Baumier
L’AMOUR NE PASSERA JAMAIS
Bienheureux Jean-Baptiste Fouque
BERNARD ARDURA ET ANTOINE D’ARRAS
Cerf, 2018, 242 pages, 18 €
Mgr Bernard Ardura, président du Comité pontifical pour les sciences historiques, et Antoine d’Arras, directeur à la Fondation Hôpital Saint-Joseph (Marseille), unissent ici leurs plumes pour honorer l’abbé Fouque (1851-1926) qui a été béatifié le 30 septembre dernier. L’ouvrage, fruit de recherches dans de nombreux fonds d’archives, comporte deux parties. Dans la première, les auteurs retracent la vie et l’œuvre de ce prêtre, resté dans les mémoires comme « le saint Vincent de Paul marseillais » pour avoir multiplié les fondations au bénéfice des jeunes filles, des enfants orphelins, délaissés, délinquants et « anormaux », des personnes âgées, des malades pauvres, etc. L’hôpital Saint-Joseph, fondé en 1919, sous un label clairement catholique, et toujours en activité, reste son œuvre capitale.
La deuxième partie du livre rassemble des textes choisis (homélies, méditations, correspondances, témoignages) qui mettent en valeur la volonté indomptable et la charité débordante du nouveau bienheureux dont la réussite dans ce domaine doit surtout à sa confiance inébranlable en la Providence. « Tout est possible à celui qui croit » : cette certitude lui tenait lieu de devise. À cet égard, les auteurs ont retenu l’une de ses prédications sur la foi particulièrement remarquable. Assidu au confessionnal, qu’il nommait « la pharmacie du Bon Dieu », recommandant la communion fréquente, chose rare à son époque, prônant l’enthousiasme dans l’action, profondément marial, tel était ce prêtre dont le bilan ne saurait donc se limiter à l’humanitaire. Habité par un ardent désir de sainteté pour lui-même, pour ses paroissiens et pour les religieuses qui l’assistaient, l’abbé Fouque dégageait « une grandeur mystérieuse et sacrée », selon l’académicien Henry Bordeaux, premier biographe de cette édifiante figure sacerdotale que Mgr Ardura, postulateur de sa cause en canonisation, et A. d’Arras permettent de découvrir.
Annie Laurent
LE GOÛT DES MYRTILLES
JEAN FRANÇOIS THOMAS SJ
Via Romana, 2018, 462 pages, 13 €
Le Père Thomas fut longtemps missionnaire à Manille où il se consacra aux enfants des rues, il y connut un jeune myopathe auquel ce touchant roman est dédié. Ce dernier, prénommé Darwin, traînant dans les rues de Manille, est adopté en toute connaissance de cause par des parents chrétiens. La figure de ce jeune garçon, héroïque sur son chemin de croix, est très émouvante, mais il n’est pas le seul intérêt du roman, loin de là. Dans sa nouvelle vie en France, l’enfant compare souvent avec ce qu’il a connu auparavant et… s’étonne ! Occasion d’une bonne confrontation entre notre monde, riche, égoïste, revendicateur, souvent corrompu, et la joie de vivre simple mais constante, malgré la misère, de tous ces petits enfants abandonnés de Manille.
Ce roman très attachant n’est cependant pas sans défauts : écrit en 2007 et publié onze ans plus tard, il souffre parfois d’anachronismes, mais là n’est pas le plus important. La diatribe contre notre monde occidental, quelquefois drôle ou piquante, devient parfois méchante ou injuste à force d’exagération, à moins qu’elle ne tombe dans le didactisme ou le sermon. Dommage, trois fois dommage, car il y a là matière à un excellent ouvrage qui, malgré ses défauts, se lit d’une seule traite et vous poursuit par les réflexions et l’examen de conscience qu’il suscite.
Marie-Dominique Germain
LE PAPE DICTATEUR
L’histoire cachée du pontificat
HENRY SIRE
Presses de la Délivrance, 2018, 256 pages, 22 €
Le titre très provocateur et accrocheur laisse entendre un violent pamphlet contre le pape François. Et de fait, on ne peut nier le caractère polémique de l’ouvrage qui ne s’encombre pas de chercher les aspects positifs du pontificat de François ; il ne s’agit pas d’une analyse qui prétendrait à une certaine neutralité a priori, il s’agit bien d’une thèse à charge et l’auteur ne retient que les éléments qui la confortent (il doute, par exemple, des positions du pape sur l’avortement alors qu’elles sont sans ambiguïté). Il n’empêche que si l’on garde bien en tête ce caractère partial, cet ouvrage apporte malgré tout une somme de renseignements qui confirme une inquiétante corruption dans les hautes sphères du Vatican, corruption financière et corruption de mœurs homosexuelles.
Henry Sire, ancien historiographe de l’Ordre de Malte, explique d’abord comment le « groupe de Saint-Gall », jadis formé pour porter le cardinal Martini au pontificat, s’est à nouveau formé avant le consistoire de 2013 pour faire élire Bergoglio. Il développe ensuite longuement l’invraisemblable soutien dont ont bénéficié des prélats notoirement homosexuels comme Mgr Ricca ou Mgr Capozzi (le chapitre III de ce livre recoupe nombre d’informations révélées par Mgr Vigano dans sa lettre du 25 août dernier). Puis l’auteur aborde notamment quatre dossiers sensibles : la façon dont ont été menés les deux synodes sur la famille, la refonte de l’Académie pontificale pour la Vie, la destruction de la florissante congrégation des Franciscains de l’Immaculée et l’affaire de la démission du Grand Maître de l’Ordre de Malte.
L’ouvrage se termine sur une vision très noire de la situation, François étant pour l’auteur « dépassé par la corruption généralisée » (p. 232) dont il donne deux signes : le scandale financier qui touche le cardinal Maradiaga, très proche du pape ; et l’autre affaire liée aux malversations et à la dette touchant les hôpitaux italiens IDI et Bambino Gesù (dette pour laquelle il a demandé l’aide de la Papal Foundation dont l’un des piliers était… McCarrick).
Si certains points de ce livre mériteraient assurément d’être recoupés (il est riche de références, mais beaucoup puisent à des sources elles-mêmes très orientées), ce qui nécessiterait un gros travail d’enquête, il n’en présente pas moins suffisamment d’éléments solides pour juger la situation actuelle particulièrement explosive.
Christophe Geffroy
LES GRANDS VAINCUS DE L’HISTOIRE
JEAN-CHRISTOPHE BUISSON ET EMMANUEL HECHT
Perrin, 2018, 418 pages, 21 €
L’histoire connaît des vainqueurs et des vaincus, la distinction est connue ; l’histoire est forgée par les vainqueurs, le poncif l’est également. L’histoire des vaincus est cependant peu traitée. Jean-Christophe Buisson et Emmanuel Hecht se sont lancés dans cette entreprise avec bonheur, en proposant une histoire des vaincus à travers une bibliographie de treize personnages militairement battus ou politiquement défaits. Les noms choisis nous font voyager autant chronologiquement que géographiquement par des récits aussi bien menés que documentés et des anecdotes savoureuses, qui nous conduisent ainsi tout naturellement jusqu’au XXe siècle.
Néophytes et passionnés d’histoire se retrouveront dans cette lecture, tant les auteurs ont choisi de traiter des personnages célèbres – Vercingétorix, Jeanne d’Arc – et d’autres plus méconnus – Montezuma, Chiang Kai-Shek –, étayant leur propos par de fines analyses politiques et des réflexions nourrissant les descriptions factuelles non moins intéressantes.
Le duc de Guise fut victime de rivalités, Charette d’un régime ; Hannibal est mort vaincu, traqué ; le général Lee a connu les honneurs, l’histoire récente s’est chargée de l’ostraciser ; quant à Nixon, il était sans doute destiné au sort des vaincus avant même le Watergate. Cet ouvrage a le mérite de faire revivre de riches figures et de redonner à certaines d’entre elles leurs lettres de noblesse sans renoncer à décrire leurs échecs respectifs qui les réunissent sous ce thème.
Joseph Geffroy
ARNAUD BELTRAME
gendarme de France
CHRISTOPHE CARICHON
Éditions. du Rocher, 2018, 220 pages, 16,90 €
Comment oublier la grandeur du geste d’Arnaud Beltrame, cet officier de gendarmerie qui, en mars 2018, est allé jusqu’à accepter de mourir sous les coups d’un djihadiste pour sauver la vie d’une femme otage dans un magasin de Trèbes, dans l’Aude ? Cet acte incroyable dans une société repue comme la nôtre méritait bien que l’on s’intéressât de près à ce héros français salué dans le monde entier. Au terme d’une enquête minutieuse qui lui a fait rencontrer de nombreux témoins, Christophe Carichon a pu reconstituer le parcours familial, professionnel et spirituel de ce descendant d’immigrés italiens, ayant aussi des racines bretonnes du côté maternel. En plusieurs chapitres très fouillés, l’auteur s’attarde sur la carrière de Beltrame, homme passionné et attachant, au sourire légendaire, dont l’engagement militaire répondait à une authentique vocation fondée sur son amour enthousiaste pour la France.
Son intelligence, son ardeur au travail et à l’étude ne lui ont pourtant pas permis de réussir le concours d’entrée à l’École de guerre ; mais « l’homme cassé » qu’il fut alors parvint à surmonter cette douloureuse humiliation en intégrant l’École européenne d’intelligence économique, formation qui lui sera très utile pour organiser la riposte au terrorisme islamique lorsqu’après des missions à Paris, dans le Var, en Irak, en Normandie, il se retrouve à Carcassonne où devait s’achever sa vie terrestre.
L’auteur s’est bien sûr intéressé à la quête spirituelle d’Arnaud Beltrame. Lors du drame de Trèbes, celle-ci avait suscité quelques interrogations, la Grande Loge de France ayant revendiqué le brillant gendarme comme l’un de ses membres tandis qu’étaient connus ses liens avec l’abbaye de Lagrasse où il se préparait à s’unir chrétiennement avec sa Marielle, déjà épousée civilement. S’il n’a jamais renié formellement son adhésion à la franc-maçonnerie – il n’en parlait pas –, tout indique que celle-ci n’était pas pour lui motivée par une ambition carriériste ou l’attrait pour l’occultisme ; elle s’inscrivait dans le cadre idéaliste d’une recherche de sens authentique, qui le conduisait au même moment chez les moines cisterciens de Timadeuc. C’est là qu’il a entamé son retour à la foi de son baptême, accompagné par sainte Anne et l’archange saint Michel, si vénérés en Bretagne. Aucune duplicité donc en cet homme qui a suivi le Christ en offrant librement sa vie à quelques mois d’un mariage auquel il tenait ardemment. Le Père Jean-Baptiste Golfier, chanoine à Lagrasse, intime du couple, est convaincu que « cet acte surhumain a été mû par un don divin ».
Annie Laurent
J’AI RENCONTRÉ PAUL VI
Sa sainteté par la voix des témoins
Mgr RINO FISICHELLA
Editions des Béatitudes, 2018, 142 pages, 15 €
PAUL VI PROPHETE
Dix gestes qui ont marqué l’histoire
MICHEL COOL
Salvator, 2018, 186 pages, 16 €
Nous pouvons préférer un saint pape à un autre saint pape. C’est légitime. Le fait est là : deux miracles en faveur de la vie naissante ont été obtenus par l’intercession du pape Paul VI. Ils ont ouvert la voie à sa canonisation qui a eu lieu le dimanche 14 octobre 2018. L’infaillibilité de l’Église est engagée. Mais comme le disait saint Jean-Paul II : « La sainteté vit dans l’histoire et aucun saint n’échappe aux limites et aux conditionnements propres à notre humanité. En béatifiant l’un de ses fils, l’Église ne célèbre pas les choix historiques particuliers qu’il a pris, mais elle l’indique plutôt comme devant être imité et vénéré pour ses vertus, comme une louange à la grâce divine qui resplendit en celles-ci » (3 septembre 2000).
Ainsi, dans le premier livre, Mgr Rino Fisichella (« postulateur de la cause » du nouveau saint) nous décrit l’héroïcité des vertus de Paul VI qui vécut dans une période de l’histoire de l’Église où beaucoup eurent, tout comme lui, le sentiment que « par quelque fissure la fumée de Satan » était entrée dans le peuple de Dieu (29 juin 1972). Aussi, lui a-t-il fallu force et courage pour donner notamment la Nota explicativa praevia (au sujet de la collégialité épiscopale lors du concile Vatican II), mais aussi les encycliques Mysterium fidei, Sacerdotalis caelibatus, Evangelii nuntiandi et, bien sûr, Humanae vitae, sans oublier le Credo du peuple de Dieu.
Pour une approche moins théologique et plus historique, nous pouvons lire le livre de Michel Cool qui expose dix « gestes prophétiques » de Paul VI ainsi que de belles prières composées par le nouveau saint pape.
Abbé Laurent Spriet
BAUDOUIN ET FABIOLA
BERNADETTE CHOVELON
Artège, 2018, 224 pages, 14, 90 €
Qu’il s’agisse du plan privé ou public, des documents authentiques valident les propos tenus par Bernadette Chovelon. Si chaque couple possède son parcours propre, quand il est royal il appartient à l’histoire. L’éducation de Baudouin fut inscrite dans le projet qu’il serait un jour roi, ce qui n’est pas le cas de Fabiola. Leur rencontre romanesque appartient au service de l’amour dont les acteurs furent des hommes d’Église et une certaine Veronica. Ils se virent à Lourdes pour confier le dossier à la Vierge. Ils quittèrent la ville mariale en se déclarant fiancés.
De gros problèmes les accablent. Le principal fut les cinq fausses couches de la reine. Ils se rendirent proches des pauvres de sorte qu’ils devinrent populaires. Ils visitèrent bien des pays et surent tenir leur rôle durant bien des années.
Peu à peu le roi faiblit et mourut en 1993. La reine s’habilla de blanc pour la messe d’à Dieu. Tout le pays s’unit à elle dans ce moment si dense où la foi éclata alentour. Cette vie rayonnante d’amour peut inspirer certains couples.
François Dabezies
DOMINIQUE DE ROUX PARMI NOUS
Dir. OLIVIER FRANÇOIS
Pierre-Guillaume de Roux, 2018, 122 pages, 19,90 €.
Le 10 juin 2017, à l’occasion du quarantième anniversaire de sa mort, un colloque sur « Dominique de Roux, un réfractaire entre littérature et politique » était organisé par la revue Éléments. On attendait avec impatience que les actes en soient publiés. Cela est maintenant chose faite grâce aux soins diligents de son fils Pierre-Guillaume. Bref, tous d’un réel intérêt et d’une belle venue d’expression, les textes des intervenants réunis dans ce petit volume nous permettent de découvrir ou de mieux connaître un homme à la fois assez extraordinaire et pas mal déroutant, qui avait commencé très jeune à rouler sa bosse. Créateur, en 1961, au lendemain de la sortie de son premier roman, Mademoiselle Anicet, des fameux Cahiers de l’Herne (dont le n° 3, consacré à Céline, par le succès qu’il obtint, les lancera véritablement), puis, en 1963, des éditions du même nom (où vont paraître les Cantos pisans d’Ezra Pound, sujet celui-ci du n° 6 et du n° 7, en 1965, des Cahiers), Dominique de Roux allait multiplier rencontres et amitiés (citons Raymond Abellio, Jorge Luis Borges, sujet du n° 4 des Cahiers, Witold Gombrowicz, auquel, en 1971, trois ans après son décès, le n° 14 des Cahiers donna la vedette, ou encore le poète de Moires, Pierre Jean Jouve, salué à son tour, en 1972, dans le n° 19) sans jamais oublier l’écriture, d’essai ou de pamphlet, et, désir inassouvi, le roman : témoin L’Harmonika-Zug de 1963, Maison jaune de 1969… Il n’allait jamais cesser non plus de jouer, au mépris du doux confort professionnel, les perturbateurs et les trublions. Ainsi la publication de son livre Immédiatement de 1972 l’obligera à quitter les Presses de la Cité, en outre à lâcher la collection de poche 10/18 qu’il coanimait et les éditions Christian Bourgois qu’il avait tenues sur les fonts baptismaux.
Créateur, disions-nous, des Cahiers de l’Herne. Mais également, en 1973, de la revue Exil ; en 1975 des Dossiers H afin de continuer ailleurs l’aventure, hélas contrariée, de l’Herne. Quant à ses voyages africains ou portugais, liés au départ à de grands reportages pour la Télévision française, voyages non exempts de rêves ou de chimères, Le Cinquième Empire, ouvrage ésotérique et romanesque de haut vol publié quinze jours avant sa brutale disparition, le 29 mars 1977, à l’hôpital Foch de Suresnes, oui ce Cinquième Empire en aura été le testament.
Michel Toda
© LA NEF n°308 Novembre 20018