Benoîte Rencurel

Jubilé à Notre-Dame du Laus

Benoîte Rencurel (1647-1718) commença à avoir des apparitions de la Vierge Marie au Laus en 1664. Elles ont été reconnues officiellement par l’Église en 2008 et Benoîte a été déclarée vénérable en 2009. Une année jubilaire avait été proclamée à Notre-Dame du Laus pour le tricentenaire de la mort de Benoîte et les dix ans de la reconnaissance officielle des apparitions.

Benoîte Rencurel a rendu son âme à Dieu le 28 décembre 1718 dans le fin fond d’une vallée des Alpes du Sud. Trois siècles plus tard, l’Église lui accorde une année jubilaire pour nous intéresser à cette personnalité peu connue et à son existence hors norme, qui dit la puissance baptismale d’une laïque ancrée dans le Bon Dieu.
Née sous Louis XIV dans un village du diocèse d’Embrun à l’époque (maintenant Gap), elle a vécu comme le Roi Soleil à cheval sur deux siècles (1647-1718). Sa famille est plus que modeste, surtout après la mort de son père en 1654 ; un parent sans conscience s’adjugeant l’héritage, la veuve et ses trois enfants se retrouvèrent dans la misère noire : un peu comme la famille Soubirous de Lourdes, survivant « au cachot ».
Sa mère se voit donc dans l’obligation de se séparer de l’aînée, Benoîte, en l’envoyant garder les troupeaux des voisins. À 7 ans elle quitte donc la maison avec, comme seul bien, le chapelet qu’elle a sollicité de sa maman. Elle prie donc, simplement et spontanément. Sa misère ne la ferme pas sur elle-même ; elle voit plus misérable qu’elle : en temps de famine, elle donne volontiers le peu de pain qu’elle a aux enfants les plus nécessiteux.
En mai 1664, le ciel s’invite dans sa vie. Notre Dame lui apparaît avec son Enfant, sans que cela semble la troubler le moins du monde. Sa réaction est vraiment « nature ». On exploitait dans ce vallon le gypse que l’on cuisait dans des fours rustiques pour en faire du plâtre. « Belle dame, que faites-vous là ? dit Benoîte avec beaucoup d’aplomb. Vous venez acheter du plâtre ? » La suite ne manque pas de charme non plus : « Voudriez-vous goûter avec moi ? J’ai un peu de bon pain, nous tremperions dans la fontaine ! » La Dame sourit de sa simplicité, mais ne lui dit mot. Benoîte poursuit sur le même ton enjoué : « Belle Dame ! Vous plairait-il de nous donner cet enfant, qui nous réjouirait tant ? » La Dame sourit encore sans répondre. Après être demeurée quelque temps avec Benoîte, toujours silencieuse elle prend l’Enfant dans ses bras et disparaît dans l’antre du rocher, où la bergère la verra plusieurs fois les jours suivants, entrer et sortir.

La « belle Dame »
Peu à peu, la belle Dame commence à lui parler, l’interrogeant sur sa vie concrète. Par exemple, elle lui demande si elle accepterait de lui donner un petit mouton et sa chèvre. Pas de problème pour le mouton, mais non pas pour la chèvre qui lui sert de monture quand la rivière est en crue. La demande est réitérée durant plusieurs jours, toujours avec ce refus concernant la chèvre. Enfin la Dame dit : « Je ne te demanderai plus ta chèvre, puisque ça te fâche ! » Plus sérieusement elle lui demande de faire chanter les litanies mariales, prières inconnues de Benoîte ; et lui apprend même une mélodie inédite jusqu’alors. La petite l’apprend à ses amies et la procession enfantine égaye le bel été montagnard.
Toujours en 1664, les habitants du village s’émeuvent peu à peu et s’interrogent sur ces faits mystérieux. Les curieux, les prélats eux-mêmes ne voient rien. Un beau jour enfin, Benoîte s’écrie devant les badauds : « La voilà ! » La question fuse alors : « Demande-lui qui elle est ! » Et la réponse vient aussi simplement : « Je suis Marie, mère de Jésus, et vous ne me verrez plus de quelque temps ! » C’était le 29 août de la même année 1664.
De fait les visites cessèrent durant six semaines, et Benoîte en fut fort attristée. Mais à la fin septembre, elle aperçoit une grande lumière sur le versant de l’autre côté de la rivière. Le vieux pont de bois qui la franchit est hors d’usage ; aussi passe-t-elle le cours d’eau sur le dos de la grosse chèvre qu’elle avait refusé de donner. Elle grimpe rapidement pour retrouver sa Dame, se plaignant aussitôt à elle avec une amère véhémence de sa défection prolongée : oui, Benoîte est « nature » ! Marie l’apaise en lui disant d’aller au Laus, hameau tout proche, quasiment abandonné : « Vous y trouverez une petite chapelle d’où s’exhaleront de bonnes odeurs, là vous me parlerez très souvent, et très souvent vous me verrez. » De fait, la chaumière la plus fatiguée avait servi de chapelle. Benoîte la repère grâce à l’odeur. Marie y était déjà, debout sur l’ancien autel tout empoussiéré, la félicitant d’avoir trouvé sans s’être impatientée.
Toujours nature, la jeune enfant lui demande de se pousser un peu pour nettoyer avec son tablier la table sainte, proposant de le couper en deux afin qu’il lui serve de nappe sous les pieds. La Dame lui sourit et répond gentiment que d’ici peu, il n’y manquera rien, linges, cierges et autres ornements. Elle ajoute qu’elle veut même faire bâtir là une église afin que beaucoup de pécheurs s’y convertissent. Benoîte lui rétorque qu’on est pauvre dans la région, il faudra bien se contenter de la chapelle telle qu’elle est. Notre Dame lui répond que tout se fera : « Quand il faudra bâtir, on trouvera tout ce dont on aura besoin, qui sera les deniers des pauvres, et il n’y manquera rien. » Au cours de l’hiver suivant, Benoîte monte au Laus chaque jour ; elle y voit la Vierge qui lui répète « de prier continuellement pour les pécheurs ». Notre-Dame lui donne à entendre que les pécheurs se trouvent dans un état pitoyable : Dieu est offensé par leurs fautes, mais Il veut leur prodiguer sa miséricorde, qui ne peut être reçue que librement.

La « réconciliatrice et le refuge des pécheurs »
De fait, la nouvelle des apparitions attire de plus en plus les foules. Pour la Saint-Joseph (19 mars 1665), les pèlerins accourent, et beaucoup obtiennent des grâces par son intercession, se confessent et prennent la résolution de changer de vie. Notre-Dame se révèle ici comme « la réconciliatrice et le refuge des pécheurs ». Et Benoîte prend à cœur la mission qu’elle reçoit de la Très Sainte Vierge, à savoir préparer les pécheurs à recevoir le sacrement de pénitence. Deux prêtres sont affectés au sanctuaire à recevoir les pèlerins avec douceur, patience et charité, douceur « au carré » à l’égard des plus grands pécheurs pour les aider dans le douloureux processus du repentir.
À vue humaine, la tâche de Benoîte n’est vraiment pas facile. Notre-Dame lui demande de mettre « les pieds dans le plat » dans des situations difficiles. Elle doit parler en face aux femmes et aux filles dont la vie est scandaleuse, aux gentilshommes véreux. Mieux (ou pire !), voilà Benoîte face aux prêtres et aux religieux qui piétinent sans scrupules leurs engagements, la voilà même face à un évêque sortant du confessionnal : la Très Sainte Vierge lui dit de le prévenir qu’il doit y retourner, car il a oublié le plus important ! La voyante s’acquitte de cette diplomatie céleste si peu diplomatique pour nous.
Le naturel et la franchise robuste de Benoîte la trouvent imperturbable en toutes ces circonstances si variées, encourageant les pénitents, avertissant ceux qui n’osent confesser leurs péchés, et les orientant vers le confesseur le plus adéquat. Par-dessus le marché, Benoîte se sacrifie pour les pécheurs et leur démarche vers le confessionnal : un peu comme le saint Curé d’Ars, pour réparer leurs péchés et obtenir aux pécheurs les grâces nécessaires.
Vingt ans plus tard, à partir de 1684, le pèlerinage du Laus connaît un grand essor. Des soldats en garnison à Gap montent au Laus, sont saisis par la grâce, se confessent, changent de vie et deviennent des messagers du sanctuaire en France et à l’étranger. Pourtant une éclipse survient, période d’épreuves et d’obscurité pour Benoîte. Au cours de l’été 1692, Benoîte et les chapelains doivent se réfugier à Marseille, les troupes du duc de Savoie dévastant la région de Gap. Pire : de nouveaux responsables du sanctuaire, d’inspiration janséniste, entravent volontairement la vie sacramentelle des pèlerins. À partir de 1700, Benoîte est parquée dans la maison qu’on lui avait construite au Laus, loin de la foule. Les fréquentes visites de la Sainte Vierge et de son bon Ange la rassurent et la consolent.
Enfin en 1711, le pèlerinage, confié à une nouvelle équipe de prêtres fervents, reprend son développement, avec la dévotion au Sacré-Cœur de Jésus et le recours à Marie, refuge des pécheurs. Benoîte reprend paisiblement sa mission, jusqu’à ce que sa santé fléchisse : alitée plus d’un mois, elle reçoit le saint Viatique le jour de Noël 1718, peu après elle se confesse et reçoit l’extrême-onction, en grande consolation. Le 28 décembre vers huit heures du soir, elle dit adieu à ceux qui l’entouraient et rend son âme à Dieu, à son Époux Jésus et à sa Très Sainte Mère Marie.

TRP Dom Hervé Courau
Abbé de Notre-Damme de Triors

Site de Notre-Dame du Laus : www.sanctuaire-notredamedulaus.com/

© LA NEF n°309 Décembre 2018