Livres Décembre 2018

LE MYSTÈRE CLOVIS
PHILIPPE DE VILLIERS
Albin Michel, 2018, 426 pages, 22 €

Philippe de Villiers nous fait découvrir ici l’une de ces grandes figures qui ont façonné l’identité de la France mais dont les livres scolaires ne nous donnent en fait qu’un aperçu trop anecdotique. Son nouvel ouvrage s’inscrit donc dans la lignée de ceux que l’auteur a déjà consacrés à Saint Louis, sainte Jeanne d’Arc et Charette. Comme dans ses précédents récits biographiques, les héros se racontent eux-mêmes en un langage qui emprunte volontiers au vocabulaire de leur temps, ce qui colore le style.

Clovis donc, en réalité Chlodowig, prénom signifiant « illustre au combat », s’est vu, dès sa naissance à Tournai, investi par son père Childéric, lui-même fils de Mérovée, vainqueur en 451 d’Attila, le redoutable chef des Huns, d’une mission valant « charte royale ». À 15 ans, le jeune héritier, encore païen pour longtemps, devient roi des Francs. C’est le moment de la chute de Rome. Soutenu et conseillé par Rémi, l’évêque de Reims, qui voit en lui le restaurateur de la romanité, Clovis se lance dans l’aventure de l’unification des Gaules, alors éparpillées en tribus rivales dominées par des chefs ariens. Il emporte une première victoire à Soissons où il s’installe. La restitution à saint Rémi du célèbre vase liturgique, dérobé par les soldats francs lors du pillage qui suit la bataille, consolide une relation de confiance qui sera précieuse au souverain et à l’homme d’Église. Commence alors un long et difficile chemin qui conduira Clovis au baptême, célébré à Reims lors de la fête de Noël 508 avec 3000 de ses soldats.

Le compagnonnage d’autres saints a été décisif dans ce parcours laborieux, jalonné de doutes et de résistances. Sur le mons Martyrium (Montmartre), qu’il visite en compagnie de Geneviève, Clovis découvre le sacrifice de Denis et de ses compagnons. La protectrice de Lutèce veut bien l’aider à soumettre la ville, mais elle y met une condition : qu’il se convertisse au catholicisme, en fait au christianisme du concile de Nicée et non à l’hérésie d’Arius qui le tentait davantage à cause de la supposée puissance de son dieu, comparée « au dieu d’impuissance qui se laisse clouter sur une poutre croisée ». Dans son refus de tout compromis, Geneviève sera ensuite imitée par Clotilde, l’épouse admirée de Clovis, deux femmes fortes en leurs convictions religieuses. Plus tard, catéchumène, le roi avouera que sa prière au « dieu de Clotilde » alors qu’il guerroyait contre les Alamans à Tolbiac, relevait d’un calcul intéressé et non d’une disposition de l’âme.

Par la suite, le spectacle bouleversant des miracles accomplis par saint Martin sur son tombeau à Tours, qu’il visita à la demande pressante de Geneviève, l’a transformé en « un croyant charnel ». Clovis fixe sa capitale à Lutèce qu’il nomme Paris, devenant alors le protecteur de l’unité française sous la bannière du catholicisme, soutenu par saint Macaire, l’évêque d’Arles. Il a compris que « l’unité de foi précède, mais aussi commande l’unité de loi », posant ainsi les principes d’une saine laïcité. Cette épopée fascinante, dont la lecture réjouit le cœur et l’intelligence – il faut insister sur cet aspect –, comporte des leçons essentielles dont on aimerait que les dirigeants actuels s’inspirent pour restaurer la France dans sa vocation de « fille aînée de l’Église ».

Annie Laurent

 

NO SOCIETY
La fin de la classe moyenne occidentale
CHRISTOPHE GUILLUY
Flammarion, 2018, 242 pages, 18 €

Christophe Guilluy poursuit ici ses investigations sur les conséquences du déclassement de la « France périphérique », en élargissant notamment l’analyse aux principaux pays occidentaux, tous connaissant un phénomène similaire plus ou moins marqué. Chiffres à l’appui, il montre que même s’il est vrai que la pauvreté a globalement reculé dans le monde (notamment en Chine, mais au détriment des classes populaires occidentales précarisées), on observe parallèlement un « processus mondial de concentration du capital et des richesses » (p. 52) entraînant une sorte de sécession des classes dominantes qui, bien que préconisant une société ouverte et mondialisée, se replient de plus en plus « sur ses bastions, ses emplois, ses richesses » (p. 104), délaissant les classes moyennes et populaires ainsi sacrifiées au nom de la mondialisation. « En détruisant économiquement et culturellement l’ancienne classe moyenne occidentale, écrit Christophe Guilluy, et notamment son socle populaire, la classe dominante a créé les conditions de l’explosion des sociétés occidentales et de leur balkanisation » (p. 82).

Ce sont ces classes dominantes qui ont délibérément créé les conditions de cette situation explosive, en abandonnant le bien commun, en ouvrant les frontières sans discernement au commerce, au capital, aux hommes, laissant une immigration massive créer un climat d’insécurité culturel qui ne les touche pas, transférant à Bruxelles de plus en plus de pouvoirs régaliens au détriment des nations. Le problème pour ces classes supérieures est qu’elles ne représentent qu’une minorité (guère plus de 20 à 25 % de la population), les classes moyennes sacrifiées se réveillant par le populisme. « Le populisme n’est pas une poussée de fièvre irrationnelle, mais l’expression politique d’un processus économique, social et culturel de fond » (p. 176). Et Guilluy ajoute : « La vague dite populiste est le produit de la disparition de la classe moyenne occidentale, pas celui de la propagande ou du talent de quelques tribuns » (p. 189). C’est donc un phénomène profond et durable.

Depuis le temps que Christophe Guilluy nous met en garde, livre après livre, nos élites feraient bien de prendre au sérieux ses analyses et d’en tirer les conclusions qui s’imposent si elles ne veulent pas être balayées par ce que l’auteur appelle le « soft power des classes populaires ».

Christophe Geffroy

 

UN CATHOLIQUE N’A PAS D’ALLIÉS
Correspondance Maritain-Bernanos-Mauriac-Claudel
PRESENTE PAR HENRI QUANTIN ET MICHEL BRESSOLETTE
Cerf, 2018, 362 pages, 24 €.

Quel intérêt trouve-t-on à lire de vieux échanges de lettres entre écrivains ? Les faits sont datés, les thématiques très souvent dépassées, les allusions pas toujours compréhensibles. Et puis, un écrivain ne devrait exister que par sa création. Peut-être ! En allant piocher, ici ou là, on comprend cependant mieux parfois l’élaboration d’une œuvre.

Rien de tout cela dans cet ouvrage, publié à l’instigation de Michel Bressolette, aujourd’hui décédé, et continué par Henri Quantin. S’il y a bien un échange entre écrivains, et ici pas des moindres – Maritain, Bernanos, Claudel et Mauriac – il ne porte pas tant sur leurs livres respectifs (il y est fait pourtant allusion) que sur les graves questions du moment. Et c’est passionnant, ou tout du moins, très éclairant.

Face à la montée du totalitarisme, à la question de l’antisémitisme, à l’affaire de la condamnation romaine de l’Action Française ou encore de la guerre d’Espagne, tous les quatre réagissent, s’interrogent et s’interpellent mutuellement, se trouvent selon les sujets et les personnes, en communion d’idées ou radicalement opposés. Ils se disputent, se réconcilient ou encore constatent le fossé qui se creuse entre eux.

Tout tourne autour de Jacques Maritain, auquel Mauriac, Claudel ou Bernanos écrivent. Derrière Jacques, il y a forcément Raïssa, avec sa sensibilité, sa profondeur, sa vie de prière, mais qui entretient, comme une vestale entièrement dévouée, le feu de la défense de son génie de mari. On aurait aimé d’ailleurs qu’Étienne Gilson, l’autre grande voix du renouveau thomiste, fût ajouté à ce quatuor.

Le plus intéressant de ces missives ? Il se trouve, me semble-t-il, dans la correspondance entre Maritain et Bernanos. Ce dernier apparaît décidément avec toute la force qui le caractérise et plus vivant que Maritain, malgré l’auréole de « saint laïc » de celui-ci. La grande découverte se situe dans la proximité grandissante entre le philosophe et Mauriac, lesquels vécurent, il est vrai, le plus longtemps. À chacun ses préférences ! Mais lecture faite, je suis décidément du côté de Bernanos…

Philippe Maxence

 

LE LOUP DANS LA BERGERIE
JEAN-CLAUDE MICHÉA
Climats, 2018, 168 pages, 17 €

On dit de Jean-Claude Michéa qu’il écrit toujours le même livre. C’est sans doute vrai au sens où ses essais développent une même pensée antilibérale, mais cette répétition – qui est loin de l’être totalement – a ceci de bon qu’elle permet de mieux assimiler les vérités essentielles explicitées par l’auteur livre après livre. Ici, le propos de Michéa est de montrer que le recentrage de la gauche sur la rhétorique des droits de l’homme l’a inévitablement conduit à se convertir au libéralisme et à la mystique de la « croissance » et de la « compé­titivité ». Pour étayer sa démonstration, il explique que les guerres de Religion ont fini par imposer deux postulats au politique : d’abord que l’homme, contrairement à la vision classique héritée d’Aristote, n’est pas un « animal politique », mais qu’il est au contraire un être associable, potentiellement un « loup » pour son prochain ; d’où l’individualisme (et l’autonomie qui l’accompagne) et le modus vivendi minimum pour vivre en société : le contrat. Ensuite qu’il est impossible de s’accorder sur une définition commune du Bien, c’est pourquoi l’État doit être « axiologiquement neutre », avec les deux seules régulations alors possibles : le Marché et le Droit. Et en articulant le principe individualiste et l’impératif de « neutralité axiologique », on obtient la « liberté » telle qu’elle est définie à l’article 4 de la Déclaration de 1789, celle-ci consistant « à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui ».

Ainsi comprend-on qu’il est impossible, dans cette logique, de s’opposer à toutes sortes de « nouveaux droits de l’homme », dès lors qu’ils n’empiètent pas sur la liberté d’autrui (en quoi la GPA contraint-elle votre liberté ?). Et ainsi cette conception politique, si on l’accepte sans sourciller, mène-t-elle inéluctablement, que l’on soit de droite ou de gauche, au libéralisme économique avec le Marché comme régulateur suprême en lieu et place du Bien (et donc du Bien commun qui n’a plus aucune consistance), réputé objet de discorde. Une belle démonstration à méditer !

Christophe Geffroy

 

LES MENSONGES DES LUMIÈRES
MARC HALEVY
Cerf, 2018, 370 pages, 18 €

Physicien et philosophe, spécialiste de la complexité, ancien élève de Prigogine, Marc Halévy est l’auteur de nombreux ouvrages questionnant tout à la fois la science et la spiritualité, ainsi que leurs relations. Dans cet essai, il montre que « les Lumières ont menti » et que ce mensonge a accouché des idéologies totalitaires dont nous subissons toujours les effets. Une douzaine de philosophes ont ainsi suffi à mettre le monde et les cerveaux à feu et à sang, de par leurs pensées dogmatiques. Ce sont les pensées de ces philosophes que cet ouvrage analyse, insistant à son tour sur cette réalité : le « progrès » est un mythe, et ce mythe destructeur gagne à être à son tour déconstruit, ce que fait cet essai en nous conduisant dans les méandres, souvent ténébreux, de personnages tels que D’Holbach (grand ami par ailleurs de Michel Onfray), Laplace, D’Alembert, Condillac, La Mettrie (autre grand ami d’Onfray), Condorcet et Montesquieu. Il ressort de ces pages qui titillent l’esprit, sans que l’on soit nécessairement en accord avec tout, qu’il est effectivement urgent de faire notre deuil de ce monde de « lumière » inversé, et de plonger dans le réel du monde, du vrai monde et non de son image idéaliste.

Matthieu Baumier

 

LES GRANDES FIGURES DE LA BIBLE
Sous la direction de JEAN-MARIE GUENOIS et MARIE-NOËL THABUT
Tallandier/Le Figaro, 2018, 362 pages, 21 €

Cet ouvrage est le fruit de la collaboration de plusieurs spécialistes biblistes venus d’horizons différents : prêtre, rabbin, pasteur, historien ou philosophe, tous ont quelque chose à nous dire sur tel ou tel grand personnage biblique dont on sent bien, et c’est une des qualités de ce livre, qu’il leur tient à cœur pour une raison ou pour une autre. Une mosaïque donc et chacun sans doute y trouvera son miel.

À tout seigneur tout honneur, voici Adam et Ève et, surprise, une lumière toute nouvelle sur Dieu qui n’apparaît plus comme vengeur mais déjà comme Amour. Chacun des auteurs nous projette ainsi une lumière nouvelle sur son « héros », Abraham, le père des croyants, le modèle de l’abandon, David, le roi messie, pas du tout le glorieux triomphateur mais le proscrit, trahi comme celui dont il est l’image, la magnifique évocation de saint Pierre sur sa croix, etc. Il faudrait garder la Bible à portée de main ou alors se précipiter vers elle sitôt terminé un de ses cours chapitres, toujours passionnant, émouvant ou instructif ou tout cela à la fois. Oui, une vraie réussite que cet ouvrage !

Marie-Dominique Germain

 

TRANSFIGURÉE
PATRICIA SANDOVAL ET CHRISTINE WATKINS
Téqui, 2018, 334 pages, 18,90 €

C’est trop peu de répertorier les blessures qu’elle a connues, la famille éclatée, la rue, la drogue et trois avortements. Ce témoignage montre d’abord une femme qui se débat pour trouver le bonheur, d’abord humain, puis divin. Ce qui rend ce texte si poignant vient de sa vie surnaturelle qui lui semble si naturelle : son combat contre Satan lui-même après ses anges maléfiques, et surtout l’ange saint Michel, la Vierge et les saints du ciel. Dans une autre vision elle voit aussi ses trois enfants avortés auxquels elle donne des noms. Elle s’ouvre au Dieu de miséricorde, donne sa place au sacrement du pardon et prie sur de nombreuses têtes.

Vivant au sud-ouest des États-Unis, mais ayant des racines mexicaines, elle connaît deux langues, l’anglais et l’espagnol, qui vont lui servir. Sa grand-mère lui dit : « Patricia, le martyre est dans notre sang. » Elle est invitée à raconter son témoignage de vie dans des salles, des stades, des radios et des télévisions. Même devant des archevêques, son discours remplit de larmes ses auditeurs. Son message porte surtout sur la vie et donc contre les avortements. Son action suscite des conversions. Elle devient célèbre dans plusieurs pays, mais entre deux tournées, elle se rend compte des blessures encore non guéries.

Le livre se termine alors que sa vie continue, mais déjà, sa disponibilité à l’action de Dieu la rend proche de la sainteté.

François Dabezies

 

L’IDENTITÉ OU LA MORT
CHRISTIAN VANNESTE
Préface de Philippe de Villiers, Apopsix, 2018, 240 pages, 20 €

Devant diverses nations qui, en apparence, tiennent encore au sol et demeurent à leur place, qui, pour marquer une fête, suspendent toujours à leurs branches, comme à celles des vieux chênes, une suite de guirlandes et de lampions, quelqu’un, écrivain de combat et balzacien éminent, les disait analogues à l’arbre dont la sève et l’aubier sont morts et dont le tronc n’est plus qu’un bois sec. On se flattait, certes, d’y révérer mieux que nulle part la Vérité, la Justice, la Paix et autres abstractions. Mais la patrie dans sa substance physique (terre à maintenir, peuple à protéger) appartenait au passé. Eh bien, à l’heure actuelle, lu en filigrane, cet ancien diagnostic ne découvre-t-il pas le nom de notre pays ? Menacé à court terme, celui-ci, dans la conservation de sa chancelante souveraineté contre le bulldozer mondialiste ; menacé, même, dans sa survie, par le discours, par le comportement, par la démission ou la trahison de toutes les autorités constituées… En fin de compte, « l’ordre de disparaître pour accomplir son destin universel », voilà ce que lui intime aujourd’hui une idéologie cyniquement dominante. Car, selon elle, ajoute Christian Vanneste, l’essence de la France « serait de ne pas en avoir ».

Ni ergoteur ni ratiocineur, se contentant d’exposer et de défendre avec sincérité, honnêteté, loyauté, une noble cause, Christian Vanneste donc, député du Nord entre 1993 et 2012, ose traiter ici des sujets réputés dangereux (l’immigration, par exemple, comparée à une « machine infernale ») et, fort d’une indépendance absolue vis-à-vis de la pensée enrégimentée, met les points sur les i. D’ailleurs, pour reprendre les paroles de Philippe de Villiers, parce qu’il n’a « jamais baissé la garde », parce qu’il a « marché des dizaines de fois sur la queue du serpent », braver les vigilants et leurs hargneux coups de semonce lui semble naturel.

Michel Toda

 

PETITES CHOSES FORMIDABLES
GILBERT KEITH CHESTERTON
Traduction d’Hubert Darbon, Desclée de Brouwer, 2018, 256 pages, 18,50 €

Il est toujours délicat de recommander un seul livre d’un très grand auteur, surtout quand ce dernier mesure deux mètres et pèse cent trente kilos, et plus encore si l’on ajoute à ces beaux volumes les 80 essais, 200 romans et 4000 articles qu’il a signés en à peine 40 ans de carrière. Heureusement, les éditions Desclée de Brouwer publient cette année une remarquable traduction des Petites choses formidables, recueil de 39 articles de quelques pages, qui constitue, à ce jour, l’une des meilleures introductions à l’œuvre de Gilbert Keith Chesterton. Le connaisseur comme le néophyte aura plaisir à y entendre l’auteur développer son art poétique, son éloge des jurys populaires, la sagacité de Jésus-Christ et de la démocratie municipale, sa franche opposition à l’impérialisme et son merveilleux éloge des contes de fées ; mais aussi sa vision de la France et son inexpugnable défense de l’orthodoxie chrétienne.

Écrits pour un public depuis longtemps trépassé, ces articles jouissent d’une actualité plus que troublante avec notre époque. J’en prends pour témoin la vibrante dénonciation que l’auteur fait d’un univers où « l’élément d’espoir (l’auteur pense à l’Évangile) a été constamment nié et mis en doute, tandis que le désespoir n’a pas une fois été nié » ; le fâcheux phénomène ayant pour conséquence que « la seule chose en laquelle les modernes croient vraiment (soit) la damnation ».

Plus qu’une introduction, l’ouvrage est un vade-mecum. Il permet de se rappeler des vérités essentielles, sans lesquelles il est fort difficile de mener sa vie, comme : « Les contes de fées ne font pas naître l’idée du croque-mitaine chez l’enfant. Mais ils lui donnent l’idée qu’on peut le vaincre » ; ou encore : « Discourir sur ses propres malheurs est la meilleure façon de devenir fou. » Le recueil recèle aussi des exorcismes qu’il est bon de connaître pour son logis : « Au nom de Dieu, de la Démocratie, de la Grand-mère du dragon, au nom de tout ce qui est bon, je te conjure de quitter ces lieux et de ne les hanter plus » !

Yrieix Denis

 

SAINT PIE V
Le pape intempestif
PHILIPPE VERDIN
Cerf, 2018, 218 pages, 18 €

Aux pages 31 et 32 de son livre le P. Philippe Verdin fait une plaisante énumération des formes variées que peut prendre la vocation dominicaine et, sans se nommer lui-même, il fait référence à ce qui fut, un moment, sa fonction : « conseiller ingénu du président de la République ». Il y eut aussi plusieurs papes issus de l’Ordre dominicain, le plus célèbre étant saint Pie V. Son court pontificat de six ans (1566-1571) a marqué durablement l’histoire de l’Église. Le livre que lui consacre le P. Verdin est allègre, presque sans notes en bas de page, avec une bibliographie réduite au minimum, un abus du name dropping (Canal +, Games of Thrones, Lady Di, etc.) et un vocabulaire parfois trop familier. Mais une fois ces contrariétés surmontées, on lit le portrait intelligent, bien informé, d’un grand pape réformateur chargé d’appliquer les décisions du concile de Trente achevé trois ans avant son élection.

Le chapitre sur le missel, le bréviaire et le catéchisme – trois des grandes réformes voulues par le concile de Trente et mises en œuvre par saint Pie V – est clair, même si on voit que l’auteur ne goûte gère la liturgie traditionnelle. Le chapitre sur le problème protestant dans la France de Catherine de Médicis et dans l’Angleterre d’Élizabeth Tudor met bien en lumière l’obstacle que le pouvoir royal, dans les deux cas, a mis à la politique pontificale et aux décrets tridentins.

Sur le plan personnel, les vertus du pape dominicain sont indéniables, en contraste avec tant de papes de la Renaissance.

Yves Chiron

 

LA BATAILLE DE France
21 mars-11 novembre 1918
LOUIS MADELIN
Perrin, 2018 (réédition de 1920), 312 pages, 22 €.

Du 21 mars au 11 novembre 1918, soit sept mois et demi durant, des dunes de la mer du Nord à la vallée de la Moselle, tous les noms reparurent qui, depuis l’invasion de 1914 et la coûteuse défense pouce par pouce du sol national, avaient successivement rempli nos communiqués, mais, cette fois, avec le ferme espoir d’enfin arracher la décision et d’obtenir la victoire. Au vrai, forces et moyens, dans les commencements de 1918, semblaient très supérieurs du côté adverse car, à la suite des abandons énormes consentis par la Russie rouge à l’empire wilhelmien, celui-ci était maintenant en mesure de reporter sur le front occidental la masse de ses unités combattantes et de son redoutable matériel. Ayant pour chef le prestigieux maréchal von Hindenburg et, en réalité, tenue d’une main de fer par Ludendorff, premier quartier-maître général, l’armée allemande, pressée de mettre à profit sa supériorité numérique face aux alliés franco-britanniques (point encore bénéficiaires d’une aide américaine d’ailleurs assez peu déterminante), va lancer une série d’offensives qui, le 21 mars, sur la Somme, et le 9 avril, au beau milieu des Flandres, enfoncent nos camarades d’outre-Manche, puis, le 27 mai, lourde conséquence de la rupture des lignes de l’Aisne, semble ouvrir, comme en septembre 1914, l’accès à la Marne et la route de Paris. Terrible épreuve pour l’Entente ! Ultime perspective pour l’Allemagne du triomphe final ! Cependant, avortée une quatrième offensive, le 9 juin, afin d’élargir à l’ouest de Reims la vaste poche qu’il a creusée ; contenue, le 15 juillet, une nouvelle tentative afin de l’élargir à l’est, voici qu’une vigoureuse contre-attaque parvient à rejeter l’ennemi de la Marne sur la Vesle. Deux mois de lutte acharnée du 18 juillet (date à laquelle Ferdinand Foch appelé le 14 avril au commandement suprême des armées alliées – française sous Philippe Pétain, britannique sous Douglas Haig, belge sous le roi Albert Ier –, ressaisit l’initiative des opérations) au 22 septembre, et le terrain perdu à partir du 21 mars se trouvera reconquis.

En situation stratégique maintenant plus mauvaise qu’au début de l’année, avec, au mois d’octobre, un front en retraite sur une largeur de 350 kilomètres, l’Allemagne, dont les soldats, jusqu’au bout, furent remarquables, a avoué Louis Madelin (1871-1956), « de discipline, de courage opiniâtre, d’esprit de sacrifice », ne pouvait empêcher qu’un orgueil colossal provoque le courroux du monde et scelle le sort de la guerre en sa défaveur.

Michel Toda

 

UN MOINE DANS LES TRANCHÉES
Lettres de guerre 1914-1919
FRANÇOIS-JOSAPHAT MOREAU
Éditions Saint-Léger, 2018, 512 pages, 28 €

Cette édifiante correspondance est celle d’un fils à sa mère. Incorporé à Tours dès le 4 août 1914 au 66e régiment d’infanterie, Dom François-Josaphat Moreau devient rapidement aumônier militaire, puis brancardier. Il ne retournera à la vie monastique dans son abbaye de Ligugé qu’en 1923.

Ces lettres évoquent avec intérêt le quotidien des tranchées, le déroulement de la guerre, le moral des combattants et le fonctionnement de l’aumônerie militaire. Elles témoignent de la nécessité d’une survie spirituelle devant ce vaste champ de ruines s’étendant au fur et à mesure du conflit et de ses atrocités. Le bénédictin rassure autant sa mère que lui-même : écrire est une manière de se livrer et d’apaiser les craintes immenses qui sont devant lui. Il fait preuve d’un grand courage, d’un souci permanent d’évangélisation malgré l’épreuve, n’hésitant pas à porter secours au cœur du danger et à consoler tous ceux qui souffraient dans leur chair et dans leur âme.

Pierre Mayrant

 

LE JOURNAL DE LA PESTE
MICHAËL D. O’BRIEN
Salvator, 2018, 282 pages, 21 €

Ce nouveau roman de Michaël O’Brien (publié aux États-Unis en 1999) est la suite d’Étrangers et de passage (Salvator, 2017), qui narrait la vie de Stephen et Anna Delaney tout au long du XXe siècle dans un village reculé de la Colombie Britannique (Canada). Nous suivons maintenant leur petit-fils, Nathaniel, notre contemporain. Ce récit ne nécessite pas de connaître impérativement ce qui précède, l’auteur rappelant ici ou là ce qu’il faut savoir du premier volume. Si Étrangers et de passage brossait une épopée épique, la vie rude d’émigrants irlandais et anglais au cœur d’une nature sauvage, Le journal de la peste oscille entre de pertinentes réflexions sur la pente de nos démocraties modernes vers le totalitarisme et le thriller. Le héros, en effet, journaliste anticonformiste jugé dangereux par le pouvoir, est accusé d’ignominies dont il est évidemment innocent, l’obligeant à prendre la fuite avec ses deux enfants. Il ne faut pas s’attendre ici à des poursuites à la James Bond, cette fuite étant surtout l’occasion pour Nathaniel de retour sur lui-même, de flash-back lui permettant de mieux comprendre la situation et de se révéler à lui-même.

Moins puissant qu’Étrangers et de passage, ce Journal de la peste n’en est pas moins un bon roman, Michaël O’Brien étant assurément aujourd’hui l’un des meilleurs écrivains chrétiens.

Christophe Geffroy

 

UN BON SAMARITAIN
MATTHIEU FALCONE
Gallimard, 2018, 262 pages, 19,50 €

Pierre Saintonge, le héros du premier roman de Matthieu Falcone, est un peu comme nous, plein de compassion et de confusion face aux migrants. Un soir, pour épater sa femme, et parce qu’il est pris de cet espoir surérogatoire que donne la boisson, il invite dans son salon les trois migrants qui dorment dans le hall de son immeuble parisien.

Commence alors une série d’épisodes burlesques, tragiques, vraisemblables ou outranciers, qui semble résumer toutes les contradictions et les apories de notre époque. Récit qui est aussi l’occasion pour l’auteur de faire preuve d’une très grande finesse psychologique (quels personnages !), et d’un sens aigu de l’observation des mœurs et des croyances contemporaines.

Un « vrai » premier roman est en général – l’idée n’est contre-intuitive qu’en apparence – un roman de maturité. Il arrive après des centaines d’essais infructueux, de tâtonnements, de réussites inabouties et de premiers petits succès. Quand on regarde le parcours de nos plus grands écrivains, leurs premières grandes œuvres arrivent rarement avant 30 ans, mais quand elles traversent le ciel des lettres, c’est en suscitant le même étonnement qu’une comète dans un ciel d’aéronefs.

Matthieu Falcone est de cette trempe-là. Il signe, à 36 ans, avec Un bon samaritain, un grand roman. Une de ces fictions qui en disent plus vrai sur nous-mêmes que nous ne saurions nous l’avouer. Ne manquaient que des personnages raisonnables pour dénouer l’intrigue de ce conte moderne – mais sont-ils si nombreux dans la réalité ?

Yrieix Denis

 

PAR ACCIDENT
HARLAN COBEN
Belfond, 2018, 360 pages, 21,90 €

Nap Dumas est policier dans le New Jersey. Il y a quinze ans, il a perdu son frère jumeau, mort de mystérieuse façon, et Maura, son amour de jeunesse, volatilisée depuis cet accident. Or, voici que l’on retrouve ses empreintes sur une scène de crime, celle d’un ami d’enfance. Sur ces bases de départ, Coben construit une intrigue fort bien ficelée comme il en a le secret. Le roman, mené tambour battant, est d’une lecture agréable. Pour les amateurs de détente, c’est bien fait et très captivant. C’est néanmoins une écriture quelque peu formatée, inévitable contrepartie de ces best-sellers mondiaux !

Patrick Kervinec 

 

UNE BIBLIOTHÈQUE IDÉALE
Que lire de 0 à 16 ans ?
ANNE-LAURE BLANC, VALÉRIE D’AUBIGNY, HÉLÈNE FRUCHARD

Critérion/Fondation pour l’École, 2018, 290 pages, 17,90 €

Remarquable choix de livres (2000 titres classiques et contemporains) pour aider les parents et les jeunes à bien choisir. Un précieux guide que toute famille se doit de posséder.

 

L’HISTOIRE DE France
Racontée pour les écoliers
GWENAËLLE DE MALEISSYE

Critérion/Fondation pour l’École, 2018, 304 pages, 24,90 €

Belle histoire de France, chronologique et joliment illustrée. Particulièrement pédagogique et d’un excellent esprit, elle vise les jeunes ados ou les professeurs qui trouveront là un support idéal.

Le même éditeur propose aussi du même auteur trois fascicules pour CE2, CM1 et CM2, ainsi qu’une frise chronologique à accrocher au mur.

 

MONASTÈRES D’EUROPE
MARIE ARNAUD & JACQUES DEBS
Zodiac/Arte Éditions, 2018, 252 pages, 39 €

Vingt-deux monastères sont ici présentés, de l’Atlantique à l’Oural, catholiques et orthodoxes, hommes et femmes. Des photos à couper le souffle et un texte qui cherche à comprendre ces « témoins de l’invisible ».

 

LA FUITE EN ÉGYPTE
Dans l’art d’Orient et d’Occident
FRANÇOIS BŒSPFLUG ET EMANUELA FOGLIADINI
Mame, 2018, 160 pages, 39 €

Trente-huit œuvres splendides sur ce thème chrétien ont été ici rassemblées et richement commentées. Magnifique.

 

Signalons encore trois ouvrages recommandables :

– Décoder un tableau religieux. Nouveau Testament, d’Éliane et Régis Burnet, Cerf, 2018, 206 pages, 29 €.

– Sainte Thérèse de Lisieux. Vivre d’amour, de Didier-Marie Golay, Cerf, 2018, 320 pages, 29 €.

– Les Aumôniers militaires, de Grégoire Mabille, Yvon Bertorello, Alban Guillemois, Mame, 2018, 112pages, 14,90 €.

Patrick Kervinec

© LA NEF n°309 Décembre 2018