Livres Janvier 2019

LA PHILOSOPHIE DEVENUE FOLLE
Le genre, l’animal, la mort
JEAN-FRANÇOIS BRAUNSTEIN
Grasset, 2018, 396 pages, 20,90 €

Cet essai remarquable a un côté effrayant ! Effrayant, car il développe avec une rigueur et une précision implacable les folies – théorie du genre, antispécisme et euthanasie – qui se sont imposées dans le débat public, alors qu’elles auraient dû demeurer cantonnées dans le cercle limité de quelques « penseurs » aux étranges lubies. Sur ces trois disciplines, devenues des piliers du politiquement correct, Jean-François Braunstein, professeur de philosophie à la Sorbonne, spécialiste de l’histoire des sciences et de l’éthique médicale, revient aux sources et cite abondamment les fondateurs de ces disciplines : John Money et Judith Butler pour le genre, Peter Singer et Donna Haraway pour l’antispécisme (théorie qui fait de l’homme un animal comme un autre), Singer encore, Joseph Fletcher et Hugo Tristram Engelhardt pour l’euthanasie, etc. « De telles prises de position, écrit l’auteur, manifestent une volonté déterminée d’effacer, au sens strict, toutes les frontières. Celle, fondamentale, de la dualité des sexes. Celle, traditionnelle, qui sépare l’homme de l’animal. Celle, sacrée, qui pour les humains trace la ligne entre vivant et mort » (p. 380).

Les longues citations de ces auteurs sont effroyables, tant elles révèlent l’aspect à la fois profondément idéologique de ces théories, déconnectées du réel à un degré inouï, et leurs approches totalement inhumaines, dénuées de toute empathie envers le prochain – leur définition de l’humain étant réduite à la conscience, tout être sans conscience ne méritant pas le nom d’homme. Et ceux qui prétendent défendre les animaux (et le droit aux relations sexuelles avec eux) ne montrent en fait aucun amour pour eux mais surtout un grand mépris pour l’homme ! « Si l’on pousse jusqu’au bout la logique des raisonnements des éminents universitaires que nous avons évoqués, écrit J.-F. Braunstein, on arrive à des conclusions qui sont non seulement absurdes mais abjectes » (p. 377), comme, par exemple, l’infanticide assumé, y compris d’enfants tout à fait normaux, ou l’utilisation des êtres humains sans conscience pour les expérimentations médicales plutôt que les animaux. C’est pourquoi, « il convient de récuser les bases mêmes de ces raisonnements. Leur erreur commune est de penser que les questions morales sont analogues à des problèmes logiques ou juridiques, dans lesquels une solution et une seule s’impose » (p. 378).

Il y a chez tous ces « penseurs » une absence de taille : l’amour ! Ils n’ont pas compris que la vie ne s’appréhende pas en termes d’efficacité, d’utilité ou de plaisir, mais d’abord par la capacité à donner et recevoir de l’amour.

Sur la question de l’antispécisme et de la place des animaux dans nos sociétés, signalons le court essai de Jean-Pierre Digard, L’animalisme est un anti-humanisme (CNRS Éditions, 2018, 128 pages, 14 €), concis, clair et direct : « Si les animalistes ne connaissent pas et n’aiment pas vraiment les animaux, ils détestent plus encore les humains » (p. 97).

Christophe Geffroy

SERMON DE SAINT THOMAS D’AQUIN AUX ENFANTS ET AUX ROBOTS
SEBASTIEN LAPAQUE
Stock, 2018, 142 pages, 15,50 €.

Que l’on me permette un souvenir. À la fin des années 90, pour un livre que j’étais en train d’écrire, je cherchais le moyen de rendre hommage à Chesterton. J’hésitais alors entre l’évocation de l’homme ou la dissertation sur son œuvre quand d’un coup, une autre façon de faire s’imposa. Il fallait honorer l’écrivain en redonnant vie à son plus célèbre personnage, le fameux Father Brown. La décision prise, je projetai celui-ci au milieu d’un plateau de télévision, recourant à son sourire et à sa logique pour débusquer les sophismes du moment.

Pourquoi revenir sur ce souvenir ? Tout simplement parce que Sébastien Lapaque a fait plus et mieux : il a redonné vie à saint Thomas d’Aquin en personne (1). Et c’est peu dire que son Sermon de saint Thomas d’Aquin aux enfants et aux robots est un bijou de petit livre qui brille des mille feux de l’intelligence de l’Aquinate et du talent de romancier de son auteur.

Sans crainte, celui-ci a plongé Thomas, tonsure et bure, sur un plateau de télévision pour discuter du sujet qui nous hante tous : le transhumanisme. Pour Lapaque, c’est clair. Le XIIIe siècle a posé les questions essentielles de l’existence et les a résolues en recourant au subtil équilibre entre la foi et la raison. Dans les dialogues que nous découvrons, le romancier n’a pas inventé les réponses de frère Thomas. Il a puisé dans ses œuvres, principalement les deux fameuses Sommes.

Comme toujours avec Lapaque, tout semble couler de source, comme si ces citations étaient nichées depuis toujours dans sa mémoire. Quel travail, au contraire ! Un travail d’artisan, qui réunit ses matériaux, choisit ses outils, puis cisèle ses mots. Il en ressort une grande hymne (catholique !) à l’équilibre, une ode à la vie, un cantique à l’union du corps et de l’âme. La défaite du transhumanisme et la grandeur de notre humanité, jusques et y compris dans sa faiblesse.

Philippe Maxence

(1) Pour rendre hommage à l’Aquinate, j’avais inventé pour ma part une lettre censée être écrite par son plus proche collaborateur…

LA FORCE DE LA VOCATION
La vie consacrée aujourd’hui
PAPE FRANÇOIS
Entretien avec Fernando Prado, Éditions des Béatitudes, 2018, 122 pages, 11,90 €

Ce livre est le fruit d’un entretien entre le pape François et un religieux, sur le thème de la vie consacrée. Même si cet échange n’a pas, bien entendu, de caractère magistériel, il n’est pas sans intérêt, en particulier parce que François est un jésuite et donc qu’il connaît la vie consacrée « de l’intérieur ». Dans cet ouvrage nous retrouvons presque tous les ennemis de prédilection du pape : les idéologies, la rigidité, le gnosticisme et le pélagianisme, le cléricalisme, la mondanité spirituelle et le diable. Et l’intérêt de cet entretien réside notamment dans le fait que le Père Prado a réussi à faire préciser au pape ce qu’il entend par bon nombre de ses expressions souvent nébuleuses.

Ceci étant, François déclare : « je crois que la vie consacrée répond à cette idée fondamentale qui est de vivre à fond l’appel de Jésus amoureux » car « sans une passion amoureuse pour Jésus, la vie consacrée n’a pas d’avenir possible ». De même, il décrit le renouveau postconciliaire de la vie consacrée comme « lent, fécond et désordonné », citant notamment des congrégations « qui se précipitèrent dans les changements peut-être sans trop peser le pour et le contre, de sorte qu’on les a vues, “jeter le bébé avec l’eau du bain”, alors qu’en réalité “tu ne peux pas regarder l’avenir si tu ne reviens pas aux racines et que tu ne parles pas aux anciens” ». En outre, le pape aborde les questions du recrutement et du discernement des vocations, de l’obéissance, de la pauvreté, de la prière, du fait de se supporter les uns les autres en communauté, de la fidélité. Il se montre sévère au sujet de l’admission de personnes ayant des tendances ou des pratiques homosexuelles : « Dans la vie consacrée comme dans la vie sacerdotale, ce genre d’affection n’a pas sa place. » Pour finir cette brève recension, laissons la parole au Saint-Père : « Aux personnes consacrées qui liront ce livre, je veux simplement dire : vivez avec joie votre vocation, c’est là votre force. Et je vous demande de ne pas oublier de prier pour moi. J’en ai besoin. »

Abbé Laurent Spriet

LA MEDITERRANÉE
Conquête, puissance, déclin
JEAN-PAUL GOURÉVITCH
Desclée de Brouwer, 2018, 368 pages, 21,50 €

Depuis trois mille ans, la Méditerranée, cette mer située au carrefour de trois continents (Europe, Asie, Afrique), bordée par 28 pays, ne cesse de nourrir fantasmes et rêves variés. Triomphes, échecs et tragédies jalonnent son histoire mouvementée fortement marquée de sceaux culturels dont aucun n’a finalement réussi à s’imposer. Envers et contre tout, elle continue de séduire, se présentant ainsi comme un espace féminin « qu’il faut coloniser et féconder », note Jean-Paul Gourévitch pour introduire ce livre très riche. En une fresque historique documentée, l’auteur évoque tous les « rêves » qui se sont succédé autour de cette mare nostrum (« notre mer »), ainsi désignée par le géographe grec Strabon : cités phéniciennes et grecques, Empire romain, division entre Rome et Byzance, conquêtes arabo-islamiques jusqu’en Europe occidentale, croisades (ou l’échec d’une Méditerranée chrétienne), essor de Venise, domination turque, expéditions et colonisations européennes, réveil des nationalismes arabes, etc. Parmi les civilisations chrétiennes qui ont façonné la géopolitique méditerranéenne, il est dommage que l’auteur s’en tienne au catholicisme latin et à l’orthodoxie gréco-slave, omettant le christianisme issu des cultures copte et antiochienne, pourtant bien méditerranéennes.

Qu’en est-il aujourd’hui de tous ces rêves ? Avec raison, Gourévitch constate l’échec de l’Union pour la Méditerranée, conçue par la France et inaugurée dans l’euphorie en 2008. Pour lui, « ce projet était menacé par deux autres rêves déstabilisateurs de l’ensemble du littoral : l’un récurrent, le rêve migratoire, l’autre conjoncturel mais qui tend à devenir permanent : le rêve islamiste ». Cette mer médiane parviendra-t-elle un jour à la vocation médiatrice que semble lui conférer sa position géopolitique ?

Annie Laurent

ROBESPIERRE
L’homme qui nous divise le plus
MARCEL GAUCHET
Gallimard 2018, 278 pages, 21 €

Les biographies de Maximilien de Robespierre (1758-1794) sont légion et il fallait toute l’originalité de Marcel Gauchet pour en écrire une qui sorte du lot. L’historien des idées n’aborde pas le personnage historique sous l’angle moral, il ne cherche pas à savoir s’il a fait du bien ou du mal à la France, s’il l’a initiée à la démocratie ou s’il l’a jetée dans la première expérience totalitaire de l’histoire.

Il ne s’embarrasse pas de son enfance qu’on connaît finalement fort peu : le récit ne débute qu’à la Révolution française. L’auteur ne décrit pas le révolutionnaire, ne s’approprie pas le contexte historique, n’ajoute pas de faits sociologiques ou géographiques susceptibles d’éclairer son itinéraire. Seuls ses discours font l’ossature de cette biographie et permettent de comprendre le personnage, comme s’il s’agissait des seules sources sérieuses pour répondre à la problématique qu’il s’est fixée initialement : pourquoi ce personnage si emblématique est-il la source d’un tel clivage dans notre pays, encore aujourd’hui ? Seule l’analyse scrupuleuse des idées permet alors la réponse la plus juste, sans tomber dans le pathos ou l’invective morale. Il le justifie ainsi : la Révolution « n’a cessé, de surcroît, de se dire et de se réfléchir se faisant. Et nul ne l’a autant dite et réfléchie dans son effectuation que Robespierre. Il a été l’incarnation de cette révolution des principes et, non content de s’en faire l’organe par son verbe, il a été jusqu’à vouloir en incarner la rigueur dans sa personne ».

Marcel Gauchet se pose en véritable historien des idées qui ne prend pas parti et ne juge Robespierre ni comme l’Incorruptible ni comme un tyran, mais simplement comme « l’âme » de la Révolution. S’il fallait un coupable à qui imputer les carnages de cette décennie, ce serait vers la dynamique révolutionnaire elle-même et non vers un individu en particulier qu’on devrait se tourner.

Pierre Mayrant

LA RÉPUBLIQUE EN PANNE
PIERRE DUMAZEAU
Éditions du Rocher, 2018, 134 pages, 14,90 €

Faire naître la compétence au milieu d’un grand tumulte d’incompétences, pétrir la vérité dans un amas de bévues et d’erreurs, c’est croire que la volonté générale peut sourdre, miraculeusement lucide et harmonieuse, d’une immense confusion de volontés particulières. Phénomène singulier dont nous avons du mal à trouver la justification. Sans doute, parce que l’habitude l’a érigé en principe de légitimité du monde moderne, renoncer au suffrage universel semble impossible. Quant à une réforme profonde (annonçant ou exprimant une transformation des mœurs) qui combinerait une structure hiérarchique avec le respect des libertés fondamentales, quels hommes, compte tenu du présent état de choses, oseraient l’engager ? Bref, hormis la prospérité grossière et sèche, la pente jamais satisfaite à voir se multiplier les biens et s’étaler les commodités (pour plusieurs évidemment fort nécessaires) d’un éden aseptisé, une vraie disette d’idéal ! En rien contrebalancée par les effronteries ou les fadaises de la Macronie – mise sur orbite, sachons-le, grâce aux imbéciles heureux, « imbéciles à la tête en poire et au sourire bien fendu » qui se prennent pour des dégourdis et qui, trop souvent, s’avèrent méprisables. Exemple parlant : la défaite, aux dernières législatives, de Jean-Frédéric Poisson, député des Yvelines, devant une certaine Aurore Bergé, soutien de Valérie Pécresse aux régionales de 2010, de Nicolas Sarkozy à la présidentielle de 2012, puis de François Fillon, puis une seconde fois de Nicolas Sarkozy, puis d’Alain Juppé lors de la primaire de 2016, et, au terme de cette trajectoire, porte-parole du groupe LREM à l’Assemblée. Quoi en conclure ? Qu’aux yeux de cette dame et de ses pareils, le vocabulaire, les étiquettes politiques ne recouvrent plus que des intérêts grouillants.

Michel Toda

APPELÉS À LA JOIE
DON LOUIS-HERVE GUINY
Mame, 2018, 200 pages, 14,90 €

Ce prêtre de la Communauté Saint-Martin connaît les questions qui habitent le cœur des jeunes qu’il reçoit depuis plus de quinze ans : quel sens donner à la vie ? Comment discerner ce que Dieu veut de soi ? Comment accéder au bonheur véritable ? Ma vocation revêt-elle un caractère naturel ou surnaturel ? Quelle place tient la liberté de la personne humaine face à la volonté de Dieu ?

Pour répondre à toutes ces questions, celui qui cherche aura à suivre un chemin de détachement, de sainte indifférence et se trouvera sur le bon chemin s’il vit dans la paix, la joie et la miséricorde. Car le péché fait manquer la cible de la vocation. Donc chacun doit se confesser régulièrement.

Une fois le discernement opéré, reste à poser des actes, des choix inspirés par Dieu. Pour cela nous avons à cultiver une relation d’amitié avec Jésus sans rechercher des choses extraordinaires, mais des moyens humains de prière comme la méditation, l’adoration, la messe, le chapelet… À chacun de repérer les merveilles que Dieu a disposées dans sa vie. Quels sont les dons que j’ai reçu ? Un sage directeur spirituel le soutiendra sur cette route. Il aidera au renoncement et au décentrement. Enfin l’Église confirme (ou infirme) la vocation.

Suit un chapitre sur le mariage, mais le but de tout baptisé reste la sainteté.

François Dabezies

MAURICE DE GUÉRIN
MARIE-CATHERINE HUET-BRICHARD
Pierre-Guillaume de Roux, 2018, 290 pages, 22 €

Enfant précoce, studieux, né en 1810 dans une famille languedocienne et peu argentée de la noblesse rurale, établie au Cayla, simple gentilhommière sise sur un riant coteau, Maurice de Guérin avait, jusque vers douze ans, connu une libre éducation campagnarde. Tôt mis en communion avec toute la fleur de l’univers physique, il aimait s’attarder près de la terrasse et se taisait pour ne pas effaroucher les oiseaux qui rentraient le soir. Une scolarité à Toulouse, puis à Paris, et, en 1829, le bachot passé, notre jeune lecteur de René, livre de Chateaubriand bien fort complice de son infrangible mélancolie, est la proie d’aspirations éparpillées qui se disputent une mobile personnalité. Or, au lendemain de la chute du prince légitime, le lancement de l’Avenir, hardie feuille quotidienne animée par l’abbé de La Mennais, enthousiasme Maurice. Vont s’ensuivre un désaveu romain, et la soumission de l’abbé, le 10 septembre 1832, et le repli de celui-ci dans son domaine de La Chênaie, ce Port-Royal breton, « solitude parmi les solitudes », où arrive le même Maurice au mois de décembre. Mais, l’ermitage fermé par M. Féli à la fin de l’été 1833, les pensionnaires doivent le quitter, et Guérin, après une courte halte chez des amis d’Armorique, réintègre Paris au début de 1834 avec pour lot une existence pleine d’embarras… que hantent les souvenirs du « toit bienheureux » de l’avant-veille. Et quand, brûlot au flanc de l’Église, surgissent Paroles d’un croyant, voilà soulevée comme jamais sa ferveur mennaisienne. Cri d’adhésion du disciple zélé, assurément ; du disciple auquel le proche futur, néanmoins, empreint de désillusion, fera, d’une manière définitive, tourner la page.

Quelques années, marquées par le doute, l’inquiétude, le scepticisme, lui restaient à vivre. Aux environs de 1836, sous un fin ciseau mythologique, le Centaure, la Bacchante donnent libre cours à la poursuite du grand Pan, au sentiment d’ivresse sacrée qu’il lui inspire. Oh ! cet abandon à l’élan de la nature, champs, fleuves, forêts, n’était pas sans risque, car le grand Pan menaçait de tuer le Dieu chrétien dans son âme. Mais, de toute façon, une tuberculose pulmonaire, si elle n’empêcha pas qu’il se marie à l’automne 1838, achevait de l’épuiser. Revenu au Cayla (où il avait séjourné en 1837) avec sa petite épouse, en juillet 1839, il s’y éteindra, entre sa pieuse sœur Eugénie, maternelle et charmante, et son père, et muni du saint viatique, une semaine plus tard.

En exergue du Mystère Frontenac, le romancier François Mauriac avait inscrit des vers de Maurice de Guérin, aimé aussi du poète Francis Jammes, pèlerin du Cayla en 1906. La scrupuleuse biographie de l’auteur du Cahier vert que nous offre Marie-Catherine Huet-Brichard apporte à ce foyer insuffisamment nourri une brassée opportune.

Michel Toda

ITINERAIRES DE CHRÉTIENTÉ AVEC JEAN MADIRAN
RÉMI FONTAINE
Presses de la Délivrance, 2018, 154 pages, 18 €

La vertu que Jean Madiran cultivait le plus était la piété filiale. Et, de fait, notre époque en manque singulièrement. Il voyait notamment la crise dans l’Église comme une conséquence du mépris de cette vertu de piété se traduisant par un mépris du passé. Eh bien, on peut dire que Rémi Fontaine est sur ce point un vrai disciple : la lecture de son livre montre l’esprit de piété à l’égard de cet Ancien qui fut pour plusieurs générations un maître en une époque particulièrement troublée qui avait déjà perdu ses repères. Si Madiran a mené un combat qui avait sa place dans un contexte ecclésial bien plus rude que celui d’aujourd’hui, nous avons malgré tout du mal à nous retrouver dans son héritage « nationaliste » très maurrassien que reprend Rémi Fontaine en y ajoutant sa lubie d’un « sain et légitime communautarisme ». Son rejet en bloc du monde moderne – rejet qui n’est pas celui des papes, et notamment de Jean-Paul II qui a écrit là-dessus des lignes importantes, notamment dans Veritatis splendor – est sans nuances, il est en revanche plus convaincant dans son approche de la nécessaire loi naturelle, sujet sur lequel Madiran a écrit des lignes lumineuses.

Christophe Geffroy

LA MÉMOIRE ASSIEGÉE
Histoire, identité et propagande culturelle
ROBIN TERASSE
DMM, 2017, 428 pages, 28,50 €

Dans son introduction, l’auteur constate que n’entre dans la mémoire que ce que l’on y met. Or il est patent que l’on n’y met pas tout ce que l’on devrait savoir avec pour résultat la mauvaise conscience européenne. Son propos est de nous faire redresser la tête et il y parvient dans une première partie très réussie à travers l’évocation des grandes razzias, migrations, invasions dont est tissée l’histoire humaine ; en la matière, preuve à l’appui, ce sont les hordes barbares, arabo-musulmans, turcs et mongols qui remportent la palme. Le grand prédateur n’est pas celui qu’on croit. Ouf ! cela fait du bien de se l’entendre rappeler. Cette première partie, documentée, solide, se lit d’une traite. Une bouffée d’air frais !

La deuxième partie du livre est moins convaincante. C’est une tentative pour prouver qu’avec la désacralisation du christianisme, on assiste à une succession de sacralités, toutes plus nocives les unes que les autres, des Lumières aux grandes barbaries du XXe siècle, et maintenant avec la déconstruction de toutes lois naturelles. Si les faits évoqués le sont justement, la démonstration manque de rigueur : en effet, le christianisme n’est peint que comme une sacralité parmi d’autres, donnant ainsi prise au relativisme tant redouté par Benoît XVI ; d’autre part, il est douteux que les propagateurs d’idéologies néfastes y aient vu le moindre caractère sacré ni même la clef du bonheur universel mais plutôt un levier pour assouvir leur passion dominatrice. Toujours est-il que nous assistons à la sape de notre identité et qu’un des bons moyens pour y parvenir est d’affaiblir nos fiertés légitimes ; ce livre l’établit amplement. Le lire et le faire lire est une manière de résister.

Marie-Dominique Germain

AUX ÂMES CITOYENS !
Apocalypse now
NATALIE SARACCO
Salvator, 2018, 314 pages, 20 €

Scénariste et réalisatrice, Natalie Saracco avait décrit dans un précédent livre, Pour ses beaux yeux (Salvator, 2016), sa rencontre fulgurante avec le Sacré-Cœur au cours d’un grave accident et sa conversion. Dans ce nouvel opus, l’auteur nous offre, à sa manière, une vision eschatologique de notre époque où s’exacerbe ce combat entre le bien et le mal et où le démon semble mener la danse. Le titre donne le ton, déjanté ; le style est lapidaire, découpé tel le script d’un film ; les images sont jetées au fil de ses inspirations mais toujours sous-titrées par l’Ecriture. Natalie Saracco n’oublie pas qu’elle est cinéaste et là, c’est du cinéma d’auteur, avec l’exaltation d’une nouvelle convertie. On aime ou on déteste !

Les maux de notre époque défilent : mensonges, dévoiement du message de l’Église, tiédeur, voire froideur, mondanité, transhumanisme, nouvelles technologies perverties… pourtant, nous attendons le retour du Christ annoncé par les signes de l’antéchrist. Nous devons d’ores et déjà prendre les armes de ce dernier combat : les Sacrements, la Vierge Marie, le chapelet… et oser prier pour hâter ce retour.

Une trame somme toute classique, un ton qui l’est beaucoup moins, et d’ailleurs on peut ne pas apprécier les références cinématographiques ou jeux de mots qui ne cessent de ponctuer ce livre où transparaît, s’impose même parfois, la personnalité de l’auteur.

Anne-Françoise Thès

LES PAPES ET LA FRANC-MAÇONNERIE
Une opposition séculaire
ANGELA PELLICCIARI
Artège, 2017, 408 pages, 22 €

L’ouvrage de l’historienne italienne a l’immense mérite de rappeler à tous ceux qui seraient tentés par une double appartenance catholique et maçonnique que les papes, depuis l’apparition des premières loges (1717), les ont condamnées pas moins de 586 fois, au gré des bulles et des encycliques, et sans appel. Cette pseudo-religion est née en Angleterre, dont elle a répandu universellement les idées libérales et anti-catholiques. Elle n’a eu de cesse de détruire l’Église, préparant les révolutions française et européennes et, particulièrement en Italie, encourageant la destruction du pouvoir temporel du pape, sous couvert de Risorgimento, pour mieux affaiblir son autorité spirituelle. Celle que Pie IX surnomme la « Synagogue de Satan » – mais qui traite en retour l’Église d’« immonde harpie » – est à l’origine de toutes les mesures dont les catholiques eurent à souffrir en Europe et en Amérique (surtout latine) au XIXe et au début du XXe siècle. La litanie de ces persécutions est impressionnante : suppression des ordres religieux, confiscation des biens de l’Église, interdiction d’enseigner, quand ce n’est pas mise à mort des catholiques. Elle sut s’assurer la mainmise sur les consciences, par la prise de contrôle de la presse, de l’université, de l’école et de la culture, et un usage permanent du mensonge, notamment historique. On sort étourdi de la lecture de ce livre, en regrettant cependant qu’il n’évoque pas l’existence d’une maçonnerie « traditionnelle », celle à laquelle appartenait Joseph de Maistre, qu’on ne peut accuser de menées subversives.

Jean-François Chemain

HILLBILLY ÉLÉGIE
J.D. VANCE
Globe, 2017, 288 pages, 22 €

Ce roman autobiographique a connu un immense succès aux États-Unis. Ce récit à la fois très personnel et politique raconte l’enfance et la vie des « petits Blancs » de la rust belt (ceinture de rouille), ce vaste bassin industriel qui va des grands lacs jusqu’à l’Atlantique, ravagé par la crise économique, aujourd’hui peuplé d’électeurs de Trump, quand cette population ouvrière votait jadis Démocrate. Il faut lire ce récit fort et poignant pour mesurer la détresse d’une certaine Amérique. L’auteur, qui a réussi à entrer à Yale et à devenir avocat, plaide pour les Hillbillies – les péquenauds – dans lesquels il voit, malgré tous leurs défauts, ses « voisins », ses « amis », sa « famille ». Un bouleversant témoignage pour mieux comprendre ce pays complexe.

Christophe Geffroy

CORRESPONDANCE FRÉDÉRIC OZANAM ET AMÉLIE SOULACROIX
LÉONARD DE CORBIAC en collaboration avec Magdeleine Houssay
Desclée de Brouwer, 2018, 856 pages, 25 €

Établie par l’abbé Léonard de Corbiac, prêtre de la Communauté Saint-Martin, cette riche correspondance entre Frédéric Ozanam et sa fiancée puis son épouse, Amélie Souslacroix, permet de découvrir une autre dimension du fondateur de la Société Saint-Vincent-de-Paul : l’amoureux, le mari, le père. Mais ces lettres permettent aussi de dévoiler la forte personnalité de sa femme et leur belle complémentarité pour marcher ensemble vers la sainteté.

Patrick Kervinec

KERANNA
L’histoire de sainte Anne d’Auray
RENÉ LE HONZEC
Éditions Ar Gedour, 2018, 48 pages, 15,90 €

René Le Honzec est bien connu des amateurs de bandes dessinées historiques, notamment pour son Histoire de Bretagne en dix volumes. Il nous propose aux éditions Ar Gedour un album sur Sainte-Anne d’Auray qui possède toutes les qualités des précédents : précision historique des faits, des dates, des descriptions, dessin vivant et riche de détails. Il s’agit bien sûr des apparitions de sainte Anne à Yvon Nicolazig et de la suite des événements, la chapelle, puis la basilique, le pèlerinage devenu l’un des plus importants de la chrétienté. Mais René Le Honzec évoque aussi le personnage de sainte Anne, et il brosse le contexte des apparitions, dans l’histoire de la France et de l’Europe. Sans oublier d’évoquer les basiliques dédiées à sainte Anne dans le monde. Une encyclopédie de sainte Anne en BD… À commander à Ar Gedour, 2, Lann Tremeler, 56300 Neulliac, ou sur le site : www.argedour.bzh (15,90 € + 5 € de port).

Yves Daoudal

© LA NEF n°310 Janvier 2019