Réflexion à propos de l’introduction d’un nouveau test de dépistage de la trisomie 21 qui devrait conduire à l’élimination systématique des bébés atteints, alors qu’on est déjà à 96 % !
La dernière « annonce » de l’année 2018 aura été le financement par la Sécurité sociale d’une nouvelle machine à trier les humains avant la naissance. En clair, il s’agit de la mise en œuvre d’un nième test de dépistage de la trisomie 21, toujours plus performant, présenté sous les auspices de la science et de la médecine, comme si l’avortement sélectif de la quasi-totalité de cette population n’était pas déjà une tragédie.
Dans mon livre (1), j’avais montré le glissement de certaines activités dites médicales vers des pratiques transhumanistes assumées, notamment dans les domaines du dépistage anténatal et de la procréation assistée. Ni scientifique, ni médicale et encore moins philanthropique, l’ambition du transhumanisme est sommaire : asseoir le marketing du surhomme sur une aversion pour le sous-homme. À cette fin il revendique l’usinage du vivant, soit pour le faire, le défaire, le refaire ou le parfaire. Faute d’être capable de produire des hommes augmentés, le transhumanisme s’enorgueillit d’éliminer des hommes diminués. Le ventre des femmes transformé en magasin à enfants certifiés sans malfaçons est une mine d’or. Telle est la genèse de ce nouveau test de la trisomie qui préfigure le sort d’autres caractéristiques repérables dans l’ADN fœtal.
Le Pr. Dennis Lo avait trouvé, en 1997, la présence de brins d’ADN du fœtus dans le sang maternel. De cette découverte on pouvait attendre des applications médicales. Mais un laboratoire américain en racheta les droits d’exploitation pour fabriquer un Google du tri génétique avec la trisomie 21 en produit d’appel. Le dépistage de cette anomalie chromosomique représentait, en effet, pour le laboratoire, « un mal nécessaire et une formidable opportunité de marché ». On retrouve les deux mamelles du transhumanisme que sont le scientisme et le marché. Présenter comme scientifiques ou médicales des applications douteuses, dérivées de découvertes honorables, dans le seul but de réaliser du profit. La moitié de l’humanité devient une clientèle captive systématiquement soumise à l’angoisse de donner naissance à un enfant handicapé, puis à la tentation de recourir au moyen le plus expéditif d’échapper au destin. L’enjeu financier était énorme avec un chiffre d’affaires évalué à 10 milliards de dollars au niveau mondial.
Le développement chaotique du nouveau test ne l’empêcha pas de pénétrer le marché européen avec de forts arguments commerciaux. Ce dépistage prénatal non invasif (DPNI) pour rechercher le chromosome 21 surnuméraire dans l’ADN fœtal circulant dans le sang maternel est dorénavant proposé à toutes les femmes enceintes dont le niveau de risque est compris entre 1/50 et 1/1000 (et non plus 1/250) à l’issue du dépistage par dosage des marqueurs sériques. Au système actuel qui prévoit un dépistage à 14 semaines et fiable dans 85 % des cas se rajoute une technique utilisable dès 10 semaines et fiable à 99 %. Elle devrait limiter le recours à l’amniocentèse qui reste toutefois nécessaire pour établir le diagnostic si le résultat de ce second test est positif. L’avortement plus précoce étant bien sûr présenté comme un progrès.
Une usine à gaz a donc été édifiée pour renforcer une politique de dépistage qui conduit déjà à l’élimination de 96 % des enfants trisomiques avant la naissance, ceci restant possible jusqu’au terme de la grossesse en application de la loi Veil. Que cherche-t-on sinon à atteindre la perfection d’une politique détestable ? Le DPNI est un dispositif qui a l’obsession de l’exhaustivité et la hantise de rater la cible. Se féliciter d’un procédé qui éliminera moins d’enfants sains par erreur mais tous les enfants handicapés par choix est un raffinement dans l’eugénisme. Il y aurait une thèse à faire sur la violence des propos tenus – dans une certaine intelligentsia – à l’encontre des 4 % d’enfants trisomiques survivant au massacre des innocents et qui ne s’explique que par la théorie du bouc émissaire de René Girard. D’où ces remords stériles d’âmes tourmentées qui appellent à « changer de regard » sur des êtres humains dont elles acceptent l’éradication sans sourciller.
Chez les pratiquants de la positive attitude, il est bien vu de ne pas parler d’eugénisme mais de risque d’eugénisme et de considérer en revanche tous les progrès accomplis dans la prise en charge du handicap. Mais il faut rappeler que, sauf avis contraire des parents ou défaillance de la machine à trier, il ne naît plus aujourd’hui d’enfants handicapés en France. Il existe un « ordre établi » en faveur de l’eugénisme, cette sémantique étant d’usage courant par ceux-là mêmes qui la mettent en œuvre.
Jean-Marie Le Méné
Président de la Fondation Jérôme Lejeune
(1) Jean-Marie Le Méné, Les premières victimes du transhumanisme, Pierre-Guillaume de Roux, 2016, 176 pages, 19,50 €.
© LA NEF n°311 Février 2019