Le général de Gaulle © Wikipedia

Allemagne et Rwanda

C’est un des plaisirs de cette chronique que d’engager des conversations avec des lecteurs qui me font l’amitié d’en commenter tel ou tel passage. Curieusement, c’est aux plus critiques que l’on est porté à répondre. Malgré une actualité internationale qui s’enflamme (notamment en Algérie, sujet explosif que nous suivrons de près), prenons aujourd’hui le temps de deux mises au point.
La première porte sur l’Allemagne, et le traité d’Aix-la-Chapelle signé en janvier, analysé dans ma dernière chronique. Un lecteur s’étonne de me voir si méfiant (« vous le gaulliste ! »), sur le couple franco-allemand dont le Général aurait fait, écrit-il, la clef de voûte de la politique étrangère de la Ve République. Belle occasion de dire que le premier déçu du fameux « couple » fut de Gaulle lui-même. Quelques mois après le traité de l’Élysée de 1963, voyant le Bundestag céder aux sirènes des États-Unis (et de Jean Monnet) le Général s’interrogeait devant Alain Peyerefitte sur « l’état politique » d’un pays dont les politiciens (les successeurs d’Adenauer) se conduisent, dit-il, « comme des cochons ». Alors que le grand dessein du traité de 1963 était de créer une Europe européenne pour contrer l’influence américaine, les États-Unis parvinrent à faire précéder le traité d’un préambule rappelant que la solidarité atlantique demeurait l’axe principal de la diplomatie allemande. Furieux, de Gaulle se lamente publiquement, en juillet 63 : « Les traités sont comme les jeunes filles et les roses ; ça dure ce que ça dure. Si le traité allemand n’était pas appliqué, ce ne serait pas le premier… »
Des ministres rendent compte des obstacles que multiplie le nouveau gouvernement allemand pour saboter l’application du traité ; le Général finit par exploser et lance, lors du Conseil des ministres du 14 novembre 1963 : « Les Allemands, il faut les envoyer promener, ce ne sera pas la première fois dans l’histoire ! » Et quand Georges Pompidou demande comment les contraindre à respecter le traité, il a cette boutade qui en dit long sur son courroux : « Par la guerre, comme d’habitude ! » En 1964, devant Alain Peyrefitte, il élabore tout haut sa politique de rechange : relancer la coopération franco-russe, qui restera toujours la hantise de Berlin – ce fut sans doute une des causes des déboires de François Fillon. La colère du Général grandit d’année en année contre Erhard accusé d’empocher auprès de tout le monde autant d’avantages qu’il pouvait sans jamais accorder de contreparties pour « revenir à l’Allemagne telle qu’elle était du temps d’Hitler » (sic !), et conclut : « Les Allemands, on ne peut pas compter sur eux. Ils avaient été mon grand espoir, ils sont mon grand désappointement » (1).
Ce désappointement fit que, dès 1965, il tourna le dos à l’Allemagne et réorienta la diplomatie française d’abord vers la Russie (son grand voyage russe date de juin 66), puis vers le tiers-monde et les non-alignés. Qu’on cesse donc de nous amuser avec ce couple éphémère que son initiateur révoqua il y a 55 ans ; et qu’on n’aille pas le faire cautionner le traité signé ce 22 janvier (le même jour que celui de 1963, mais pas à l’Élysée…), par lequel M. Macron donna tant de satisfactions à la Chancelière que celle-ci demande encore plus, déclarant dès le mois de mars qu’il lui semblait plus réaliste, plutôt que de créer un siège permanent pour l’Allemagne à l’ONU (ce à quoi Paris s’engageait bien naïvement dans le traité d’Aix-la-Chapelle), d’« européaniser » le siège français – ce qui revient rien moins qu’à le supprimer. Sa dauphine, Annegret Kramp en rajoute, demandant que Strasbourg, autre siège du Parlement européen, soit supprimé – et répondant vertement à la « Lettre aux Européens » du pauvre M. Macron qu’elle ne céderait pas la souveraineté allemande à « l’étatisme européen ».
Toujours la même tactique : à peine a-t-elle gagné des points, l’Allemagne en met d’autres sur la table, tout cela sous le prétexte d’un « couple » qui n’est qu’une invention de journalistes. Qui n’en est pas convaincu doit lire l’ouvrage de Coralie Delaume, Le couple franco-allemand n’existe pas (2), ou celui d’un jeune Allemand, Georg Blume, qui entend remettre la France à sa place, comparable à ses yeux à celle de la Pologne (3) ; il sera vite édifié.

Rwanda : la question du génocide
C’est avec plus de véhémence qu’un lecteur me reproche d’exonérer la France de toute culpabilité au Rwanda alors qu’« elle a soutenu le régime génocidaire d’Habyarimana sous couvert de francophonie » ; curieux reproche puisque ledit Habyarimana est mort avant le génocide (c’est d’ailleurs son assassinat, en Ouganda, qui fut le signal du génocide) et que la France fut, des années auparavant, d’autant plus fondée à le soutenir qu’il lui avait demandé de multiples coopérations, Paris obtenant aussi que ce que mon contradicteur suisse nomme son « gouvernement Hutu » (ethnie qui représente toute de même plus de 80 % de la population) s’ouvre à plusieurs ministres Tutsi – que Kagamé éliminera par la suite, d’ailleurs. Curieux aussi qu’il me prie de me renseigner (j’encourage vivement tous ceux qui s’intéressent au sujet de regarder ce qui se dit de Kagamé sur la toile où les articles documentés abondent) et qu’il m’oppose le général canadien Allaire, celui-là même qui, comme les généraux français, tel Didier Tauzin au témoignage irréfutable, regretta que les États-Unis aient empêché le Conseil de Sécurité d’autoriser la mission internationale d’agir. Curieux enfin d’invoquer, pour disculper les États-Unis, le repentir qu’a exprimé Bill Clinton sur ses fautes au Rwanda : qui a tué son voisin fait bien de s’en repentir ; mais cela ne signifie pas qu’il ne l’a pas tué.

Paul-Marie Coûteaux

(1) A. Peyrefitte, C’était de Gaulle, p. 304-305.
(2) Michalon, 2018.
(3) L’ami indésirable. La fin d’une histoire ?, Éditions Saint-Simon, 2019.

© LA NEF n°313 Avril 2019