Livres Mars 2019

CONTRE LE LIBÉRALISME
La société n’est pas un marché
ALAIN DE BENOIST
Éditions du Rochet, 2019, 348 pages, 19,90 €.


Alain de Benoist nous offre là son étude la plus achevée sur le libéralisme et la démocratie libérale. C’est un remarquable travail de synthèse d’une érudition toujours époustouflante et d’une clarté d’exposition qui rend ce livre tout simplement passionnant – certainement appelé à devenir une référence sur le sujet.

Le libéralisme peut avoir des formes multiples, mais quelles qu’en soient les variantes on y retrouve toujours, « d’une part une doctrine économique, qui tend à faire du marché autorégulateur le paradigme de tous les faits sociaux » et, « d’autre part, le libéralisme est une doctrine qui se fonde sur une anthropologie de type individualiste, c’est-à-dire qu’elle repose sur une conception de l’homme comme un être non fondamentalement social » (p. 53). Le libéralisme est une doctrine de la peur du pouvoir, par nature despotique ; il n’a donc de cesse de réduire le politique, en le soumettant notamment à l’économique ; il ne voit que deux échelons, l’humanité et l’individu, ignorant les peuples, les cultures, les territoires qui forment justement l’ossature du politique.

Dans deux chapitres remarquables, Alain de Benoist montre que le libéralisme s’oppose à la démocratie si l’on tient « que le principe politique de la démocratie n’est pas tant que la majorité décide, mais que le peuple soit souverain » (p. 249). Il est vrai qu’il y a un hiatus inévitable entre le principe de la représentation de la démocratie parlementaire qu’apprécie le libéralisme et la « volonté populaire », dont on voit bien qu’elle est de moins en moins prise en compte, d’où l’émergence du populisme et de la « démocratie illibérale » à laquelle notre auteur consacre des pages intéressantes, occasion pour lui de vanter la nécessité d’une démocratie participative ou organique. Nécessité vitale, en effet, si l’on ne veut pas que nos régimes creusent le fossé entre la « France d’en haut » et celle « d’en bas », notre démocratie représentative étant de moins en moins représentative, puisqu’elle consacre non pas la souveraineté du peuple, mais la garantie des droits de l’homme, lesquels, par leur multiplication jusqu’à l’absurde, finissent par dissoudre le politique et annihiler la démocratie.

Il y aurait beaucoup d’autres choses à dire sur cet ouvrage puissant, comme par exemple le lumineux chapitre consacré à la critique de Hayek ou encore celui sur le conservatisme avec le renouveau intellectuel qu’il connaît aujourd’hui.

Un dernier mot. Des chrétiens nous ont reproché de recommander des travaux d’Alain de Benoist, au prétexte qu’il est le fondateur de la Nouvelle Droite : curieux sectarisme à l’heure du dialogue tous azimuts ! Pourquoi se priver des réflexions d’un homme de haute culture sur des sujets sur lesquels, nous chrétiens, partageons très largement les mêmes analyses ? Nous ne jugeons ni les reins ni les cœurs, seulement de la justesse ou non des écrits que nous présentons. Et ce livre-là nous semble important et hautement recommandable.

Christophe Geffroy

LA PEUR ET LA LIBERTÉ
KEITH LOWE
Perrin, 2019, 636 pages, 27 €.

Les manières d’aborder l’histoire révèlent souvent ce qu’on attend d’elle. Longtemps, on a fait le procès de celle qui racontait l’événement ou les grandes figures, lui préférant alors une sorte de sociologie historique. Depuis, entre « roman national » et « École des Annales » de stricte observance, il semble que les historiens cherchent une sorte de tiers parti. Est-ce à cet équilibre, toujours difficile, sans cesse délicat, qu’est parvenu Keith Lowe ?

Cet Anglais, bientôt quinquagénaire, appartient à ces historiens qui abordent l’histoire d’une manière nouvelle, tentant de combiner les grands changements de sociétés et la présentation de destins individuels. Le dernier ouvrage de Keith Lowe, La Peur et la liberté, semble s’inscrire dans cette perspective.

C’est une évidence d’affirmer que la Seconde Guerre mondiale a profondément transformé le monde, les sociétés et les individus. Les crimes du nazisme, l’impressionnante résistance soviétique au rouleau compresseur allemand, le débarquement en Normandie ou la bombe atomique, et bien d’autres choses encore, ne constituent pas seulement des épisodes d’un conflit parmi d’autres. Ils ont aussi donné un visage à l’après-guerre, pour le meilleur et pour le pire.

Le pari de Keith Lowe a consisté à raconter à la fois les grands bouleversements et à les décrypter, parfois avec un relent d’air du temps (de notre temps !) mais aussi de présenter des destins individuels directement touchés par ces transformations à grande échelle. Si l’on suit la jeune Juive qui a fui son pays pour se réfugier en Angleterre et s’y établir définitivement, on découvre aussi l’examen de conscience du médecin japonais qui avait utilisé des prisonniers chinois pour des expérimentations scientifiques. Si l’on assiste à l’interrogation de l’ancien GI américain sur sa qualité de « héros », on redécouvre la belle figure de Tagashi Nagaï, ce catholique japonais dont toute la famille ou presque a péri sous l’effet de la bombe nucléaire. Il ne s’agit là que d’exemples de cas d’un livre qui en fourmille.

Philippe Maxence

FRÈRES CHRÉTIENS, LEVEZ-VOUS !
Un témoignage choc pour réveiller l’Occident
DIMITRI SMIRNOV
entretien avec Guillaume d’Alançon, Artège, 2018, 140 pages, 15 €

Collaborateur laïc de l’évêque de Bayonne, Guillaume d’Alançon a rassemblé dans cet essai simple et vigoureux les propos qu’il a recueillis d’un prêtre orthodoxe de Russie, Dimitri Smirnov, très engagé dans la ré-évangélisation de ses compatriotes victimes du marxisme soviétique qui les a asservis pendant des décennies et dont ils ont du mal à guérir malgré le regain du monachisme et le soutien du président Poutine. D. Smirnov évoque son enfance dans une famille profondément chrétienne, sa grand-mère francophile, son arrière-grand-père prêtre, fusillé pour ses convictions anticommunistes et canonisé comme martyr par son Église. De cet héritage résulte sans doute la forte personnalité qui émerge de ses réflexions sur le christianisme, « religion des audacieux et non des faibles » : défense de la foi, de la beauté, de la liturgie, de l’eucharistie comme sommet des sacrements qui réalise l’amour entre Dieu et l’homme, du mariage et de la famille ; combat contre l’avortement et l’euthanasie, l’immoralité, le mensonge et le culte de l’argent. En tout cela, Dimitri Smirnov tient un discours exigeant que l’on n’entend plus beaucoup en Occident où il observe avec regret le recul de la foi, le peu d’attrait que présente un christianisme dont les fidèles ne sont plus prêts à donner leur vie pour le Christ. Malgré ce contre-témoignage et l’héritage des divisions historiques, Dimitri Smirnov veut croire à la restauration de l’unité des chrétiens.

Annie Laurent

PADRE PIO
Vérités, mystères, controverses
YVES CHIRON
Tallandier, 2019, 284 pages, 20,90 €

Il ne s’agit pas d’une nouvelle biographie du Padre Pio mais d’une analyse, point par point, fine, méthodique et chronologique d’éléments saillants de sa vie. Stigmates, bilocation, guérisons miraculeuses, prophéties, brimades pontificales ou détournement de fonds… autant de sources d’interrogation, de contestation ou de dénigrement.

C’est une présentation factuelle et très documentée qui illustre les propos de l’auteur, laissant au lecteur sa liberté d’interprétation des faits lorsqu’il ne s’agit ni de dogmes de foi, ni d’entacher la conformité de la canonisation du Padre Pio.

Très vivant, ce livre fait découvrir combien la direction de l’entourage du Padre Pio par ses supérieurs fut parfois calamiteuse, dans un curieux microcosme de filles ou fils spirituels ou prétendus tels ; entourage parfois aussi bienveillant qu’inaptes à gérer les dons colossaux reçus ou… beaucoup moins bienveillant. C’est un petit monde, parfois étouffant et sûr de ses droits, au risque d’oublier l’obéissance, sur la personne de « son » capucin stigmatisé.

Les relations du Padre Pio avec les différents papes qui se succédèrent de son vivant, de Benoît XV à Paul VI, sont souvent présentées comme très houleuses et généralement vexatoires. C’est le grand intérêt de ce livre de reprendre de manière apaisée ces allégations, de comprendre ce qui a pu être interprété comme tel, de mesurer la difficulté de vérifier des informations souvent dénaturées, dans un sens ou dans un autre, par cet entourage bienveillant ou non, mais toujours pressé d’aider au discernement des Souverains Pontifes et compliquant par là même le travail d’appréciation des faits.

Comme c’est souvent le cas dans les hagiographies, le temps apporte de nouvelles lumières à la compréhension de la personnalité du Padre Pio canonisé par Jean-Paul II en 2002, pour ne dégager des controverses que la fécondité de son héritage.

Anne-Françoise Thès

LA FACE CACHÉE DE LA COMMUNE
HÉLÈNE LEWANDOWSKI
Cerf, 2018, 236 pages, 20 €

Avis, et qu’on se le dise, l’histoire étant toujours écrite par les vainqueurs, les destructions attribuées à la Commune de Paris (les Tuileries, le palais d’Orsay, siège du Conseil d’État et de la Cour des Comptes, l’Hôtel de Ville de Paris, le théâtre du Châtelet…) n’ont pas été ce que l’on croit ! Elles n’ont tout d’abord été que la conséquence du Paris d’Haussmann qui avait marginalisé le peuple, et de la militarisation de la capitale. Elles ont en outre été bien autant le fait des Versaillais que des Communards. Et puis ces ruines ont fait le bonheur de l’industrie naissante de la photographie, tout comme de celle du tourisme : pendant des mois la Ville n’a pas désempli de riches curieux venus de l’Europe entière se donner du frisson ! Surtout, la bourgeoisie y a largement trouvé son compte, empochant une généreuse indemnisation de ses biens détruits, avant de profiter des marchés de la reconstruction, qui permettait en outre de faire du neuf à la place du vieux, et du « républicain » à la place du « monarchique ». Sans que le style haussmannien ait changé, bien au contraire. Au total, l’émeute a permis d’accélérer la modernisation de Paris, jouant le rôle de l’incendie de Londres en 1666 ou du tremblement de terre de Lisbonne en 1755. De quoi se plaint-on ?

Jean-François Chemain

DE LA PERSE A L’IRAN
2500 ans d’histoire
ARDAVAN AMIR-ASLANI
L’Archipel, 2018, 206 pages, 18 €

Peu après son arrivée au pouvoir, le président américain Donald Trump (élu en 2016) s’est lancé dans une politique de méfiance et de confrontation avec l’Iran, dénonçant l’accord international sur le nucléaire conclu à Vienne en 2015 et imposant des sanctions au pays des ayatollahs. Il s’agit d’une diabolisation injuste, plaide l’auteur de cet essai, lui-même avocat et enseignant à l’École de guerre économique à Paris, car l’Iran ne doit pas être perçu seulement à travers la république islamique instaurée à Téhéran par Khomeyni en 1979.

Amir-Aslani s’attache donc à présenter en détail l’âme iranienne dans son identité véritable, à travers sa langue, son histoire, ses traditions, son apport considérable à la science et à l’art, dû largement à l’influence des savants chrétiens de Mésopotamie, comme il le reconnaît. Il rappelle notamment que l’iranité dépasse les frontières de l’État actuel. Envahie par les Arabes peu après la mort de Mahomet (632), la Perse s’islamisa lentement, sans pour autant renoncer à son héritage païen, notamment à la religion de Zoroastre adoptée des siècles auparavant par les divers empires (Parthes, Sassanides). Et c’est pour se distinguer de l’islam arabe qu’au XVIe siècle l’Iran adopta le chiisme né au VIIe siècle d’une rupture tragique avec le sunnisme, épisode dont Amir-Aslani rappelle les circonstances, tout en décrivant les profondes différences doctrinales qui opposent les deux branches principales de l’islam, la première ayant conservé de son passé une réelle aptitude à la créativité et à la mystique. « Le chiisme est une religion en perpétuelle évolution, quand le sunnisme est resté figé dans le temps », note-t-il, évoquant les progrès accomplis actuellement dans un Iran où les valeurs anciennes continuent d’imprégner la culture et la spiritualité, ce qui augure d’un renouveau à venir, inévitable selon l’auteur. Il importe donc à l’Occident de prendre acte des perspectives ainsi ouvertes.

Annie Laurent

LUX EX ORIENTE
PÈRE PAUL COCARD
DMM, 2018, 176 pages, 14,50 €

« Il conviendrait de revenir à la liturgie des Pères, “tournés vers le Seigneur”, pour mieux souligner le caractère théocentrique et non anthropocentrique du Culte divin. » Cette recommandation faite en 2011 par le cardinal Kurt Koch, président du Conseil pontifical pour la Promotion de l’unité des chrétiens, et reprise par l’abbé Claude Barthe dans sa préface, donne le ton à la démarche du Père Paul Cocard. Dans cet essai bien structuré, au ton convaincant, l’auteur, Frère de la Communauté Saint-Jean, insiste sur l’importance de la célébration ad orientem puisqu’il s’agit de prier vers le Christ, qui est la Lumière. Les principaux actes de la vie terrestre du Verbe incarné ont d’ailleurs l’Orient pour cadre et c’est de là que son retour est attendu par les chrétiens. C’est pourquoi l’Église a, dès le début, adopté cette pratique liturgique, qui concerne aussi le baptême et les funérailles. Pour le P. Cocard, l’adoption contemporaine des célébrations versus populum, qui s’est répandue après Vatican II, non sans rencontrer des oppositions, résulte en fait d’influences plus anciennes, telles que l’humanisme de la Renaissance et le protestantisme. Il décrit, pour les déplorer, les conséquences de cette pratique sur la piété des fidèles et des prêtres, tout en montrant les avantages spirituels pour les uns et les autres que présente la prière ad orientem, sans oublier son utilité dans l’évangélisation, surtout des juifs et des musulmans. Ce livre est un plaidoyer pour guérir de la « mondanité » qui s’est emparée du monde catholique.

Annie Laurent

LETTRES DE CAPTIVITÉ
THOMAS MORE
Nouvelle Cité, 2018, 176 pages, 17 €

Reprenons le parcours de cet avocat devenu au fil des ans ministre des finances, président de la Chambre des communes et enfin chancelier du roi d’Angleterre en 1529. Il a quatre enfants, dont une fille, Margaret Ropert avec qui il entretient des relations épistolaires. Il est emprisonné car il refuse de signer le serment d’allégeance à la nouvelle reine Anne Boleyn, puisque l’Église n’a pas reconnu la nullité du précédent mariage du roi Henri VIII. Il reste fidèle à l’Église catholique. Avec ces lettres, nous trouvons des écrits spirituels de haute tenue, une sensibilité profonde et un sens éthique à ses actes. Ce saint, canonisé en 1935, montre une indifférence, un abandon des richesses et honneurs de ce monde. Il veut plaire à Dieu plutôt qu’aux hommes.

François Dabezies

VIVRE LE NOTRE PÈRE
JOËL GUIBERT
Téqui, 2018, 216 pages, 16 €

Comme pour chacune de ses publications, le Père Joël Guibert offre une profonde méditation spirituelle et invite ici chaque croyant à Vivre le Notre Père. Aidé par une impressionnante culture qui lui permet de visiter Pères et docteurs de l’Église, notre auteur se penche sur cette prière connue dans le monde entier. D’où vient cette toute-puissance de Dieu ? Dieu peut-il tout pardonner ? Cette prière couvre d’une part le domaine divin par ses trois premières demandes, puis d’autre part le champ terrestre avec les quatre dernières suppliques. Cette prière fut, certes, difficile à entendre par les apôtres tant ils pensaient que cet abba (papa) se trouve éloigné du Dieu transcendant de l’Écriture. La puissance de ce texte a permis de convertir des philosophes marxistes convaincus comme Tatiana Goritcheva. Pour les croyants, la prière méditée dans cet ouvrage permet un approfondissement dans la spiritualité, par une unification intérieure, une plus grande liberté, une confiance en soi, une bienveillance pour les autres reconnus comme frères.

François Dabezies

MUSULMANS
Comprendre, rencontrer, aimer
HENRY FAUTRAD
Éditions Emmanuel, 2018, 218 pages, 16 €

Titulaire d’un master II en missiologie et anthropologie des religions, le Père Henry Fautrad est également délégué épiscopal pour le dialogue avec les musulmans dans le diocèse du Mans. Ses études et son expérience lui ont inspiré cet ouvrage dont le projet est avant tout pastoral. Pour préparer ses lecteurs à une rencontre authentique avec les musulmans, l’auteur s’attache à clarifier certaines notions telles que le rapport de l’Église à la Vérité ou l’évangélisation, soulignant, à partir de l’enseignement du Magistère, que « tout dialogue est en réalité missionnaire puisqu’il est le langage même de Dieu, dans sa pédagogie de rencontre avec l’humanité au long des siècles ».

Il s’agit d’une démarche qui s’adresse aux personnes (on ne dialogue pas avec un système ou même une religion), étant entendu que la fécondité de celle-ci nécessite chez le chrétien un solide enracinement dans sa propre religion ainsi qu’une prise en compte des différences doctrinales, anthropologiques et sociales entre le christianisme et l’islam. Le chrétien ne doit pas non plus s’interdire la liberté d’un regard critique sur ce qui est inacceptable dans l’islam. Le Père Fautrad consacre à ces questions des développements très justes et appréciables. Il fournit ensuite des conseils pour la pratique d’une « saine apologétique » et d’un témoignage paisible aptes à susciter la réflexion des musulmans. À cet égard, la réussite de l’accueil de jeunes musulmans dans les écoles catholiques doit reposer sur des exigences claires, précise l’auteur.

Dans le contexte actuel, où l’islam inquiète de plus en plus, il n’est pas facile de bien se situer comme chrétien dans la fidélité à l’Évangile. Dans sa préface, Mgr Jean-Marc Aveline, évêque auxiliaire de Marseille, voit dans cet ouvrage « un outil fort utile en vue de l’instauration d’un débat entre les catholiques à propos de nos relations avec les musulmans ». On ne peut que l’approuver, tant le sujet entraîne des polémiques non constructives.

Annie Laurent

LES HÉROS DE VENDÉE
JEAN-JOËL BREGEON
Cerf, 2019, 286 pages, 20 €

Spécialiste de l’histoire de la Révolution et de l’Empire, Jean-Joël Brégeon propose ici un ouvrage à la fois très clair et bien informé sur les guerres de Vendée et ses héros. On trouve d’abord une présentation générale du conflit (son cadre géographique, le contexte national et européen, les causes, les forces en présence, le déroulement chronologique « en quatre grandes séquences ») puis un aperçu chronologique. Suivent les portraits de neuf chefs vendéens, dans l’ordre de leur disparition – Cathelineau, Bonchamps, Lescure, d’Elbée, Talmont, La Rochejaquelein, Marigny, Stofflet, Charette – suivis, pour chacun, de courtes notices sur les chefs moins célèbres qui furent dans leur entourage. Jean-Joël Brégeon ne pouvait laisser dans l’ombre ceux qu’il appelle « les bourreaux de la Vendée ». Il a retenu six généraux et trois représentants en mission.

Enfin on trouvera une « Historiographie des guerres de Vendée ». Tâche presque impossible. L’auteur reconnaît lui-même : « les guerres de Vendée ont suscité une littérature débordante, autour de 50 000 références si on prend en compte les mémoires, les publications d’archives, les essais de fond, les ouvrages de vulgarisation, les articles d’érudition, d’autres destinés au grand public. » Pourtant il réussit à livrer non pas une froide bibliographie, mais un parcours commenté, qui sait distinguer « entre ce qui relève de l’histoire, et ce qui relève du fantasme ». On apprécie l’humour de l’auteur qui parle d’Albert Soboul, qui régna sur l’historiographie révolutionnaire pendant quelques décennies comme de « l’historien franco-soviétique Soboul » et sa réhabilitation des travaux d’Émile Gabory.

Yves Chiron

ÉMILE KELLER (1818-1909)
Le député du Syllabus !
PHILIPPE GIRARD
£Éditions du Sel, 2018, 220 pages, 19 €

Émile Keller aimait à se définir comme un « catholique libéral » ou comme « catholique et patriote », mais libéral dans sa bouche voulait dire défenseur des libertés, au premier rang celle de l’Église. En aucun cas il ne se rattachait au libéralisme philosophique ou doctrinal que les papes ont condamné depuis Grégoire XVI. Il appartient au contraire à ce catholicisme anti-libéral et contre-révolutionnaire qui s’est illustré tout au long du XIXe et du XXe siècles. Député dans les dernières années de l’Empire et sous la IIIe République, Keller fut bon orateur, défendit et illustra le Syllabus de Pie IX dans un ouvrage, fut très actif dans toutes les organisations de défense des catholiques (il fut notamment un des fondateurs de la Société Générale d’Éducation et d’Enseignement). Il protesta toute sa vie contre la séparation de l’Église et de l’École, contre la séparation de l’Église et de l’État et contre ce qu’il appelait la « séparation de l’Église et des affaires » (c’est-à-dire l’économie).

Philippe Girard, décédé en 2014, avait consacré à Keller plusieurs longs articles parus dans le Sel de la Terre. Ils sont rassemblés aujourd’hui, après révision et complément, dans un volume qui permet de redécouvrir cet homme politique catholique, qui désapprouva le Ralliement. Tel quel, malgré sa trame chronologique, l’ouvrage ne constitue pas une biographie complète. Le contexte historique et politique est parfois évoqué trop allusivement (ainsi n’est pas signalée la tentative d’Albert de Mun de constituer un Parti catholique au moment des élections de 1885, tentative à laquelle Keller assez inexplicablement s’opposa). En revanche, un des intérêts de l’ouvrage réside dans les très nombreuses annexes qui accompagnent chaque chapitre. Y sont publiés de larges extraits des discours, des écrits ou de la correspondance de Keller.

Yves Chiron

RACINATION
RÉMI SOULIÉ
Pierre-Guillaume de Roux, 2018, 210 pages, 23 €

Rémi Soulié, lecteur de Heidegger, Péguy ou Pierre Boutang, grand lecteur tout court, donne, avec Racination, son ouvrage le plus personnel, le plus intime. Un texte ancré dans la chair, celle de l’écrivain et celle de ce Rouergue qui fait racines en lui. Un ensemble de pensées, d’observations, de regards portés sur le concret de la région des origines, plongée cependant non déliée du travail intérieur : « Loin de constituer une assignation à résidence, l’enracinement désigne rien moins, pour les mortels, que l’identité de l’être et de l’habitation telle qu’Heidegger l’établit dans sa conférence de 1951, “Bâtir, habiter, penser”. » Racination est le livre enraciné d’un écrivain profondément enraciné, sur l’enracinement et le lieu de ses racines. Cela peut paraître étrange, dit ainsi ; c’est pourtant hautement révolutionnaire, et conservateur d’un même élan, un pied de nez à l’actuelle folie nomade et mondialisée. Soulié fait retour sur le Rouergue et sur lui-même et, ce faisant, nous entraîne dans un monde que, à tort, nous pourrions penser disparu. C’est une erreur, que les voyages et pensées de ce texte montrent ; ce qui semble refluer est justement ce qui est de retour, le réel : « On ne mesure sans doute pas, avant la République, ce que nous fit perdre un roi qui se déclara “Roi des Français” et non plus “Roi de France”, comme si un roi ne l’était pas aussi des sources et des forêts, des fées et des montagnes, des ciels et des chemins. »

Matthieu Baumier

LE TRITON NOIR
MICHAEL DOR
Salvator, 2018, 336 pages, 20 €

Ce « thriller » ne comporte ni cadavre ni criminel, mais bien une passionnante enquête menée par un sympathique ecclésiastique, très observateur, champion de judo de surcroît, et par son ami médecin, bon vivant et libre penseur. Avec eux, nous plongeons dans le monde de la musique métal et dans celui du tatouage dont on découvre, au fil des pages, que la sulfureuse réputation du premier est un peu usurpée tandis que le second n’est pas aussi innocent qu’il y paraît !

Une enquête bien ficelée où l’on trouve suspens, poursuite haletante, finesse d’observation et une dose d’invraisemblance inhérente au genre. Nuit blanche assurée. On ne la regrette pas.

Marie-Dominique Germain

L’IMPASSE DU SALUT
MAXIMILIEN FRICHE
Éditions Sans Escale, 2018, 248 pages, 15 €.

Après Superman, voici Renaud Manne, le personnage principal de L’impasse du salut. Renaud Manne n’est pas un super héros, mais il a l’infini en lui. Il le sait, c’est sa grandeur et sa misère au milieu des modernes, ses ennemis et ses semblables. Il illustre à merveille le mot de Bernanos : haïr à travers soi sa propre espèce, c’est cela l’enfer. À la différence des désabusés du roman contemporain, Manne croit en Dieu, au milieu d’un monde « vidé d’âme ». C’est un personnage de Houellebecq à qui la grâce n’a pas manqué : quand il fuit la « petite fête » de son départ en retraite forcée, c’est pour dire un chapelet aux toilettes.

La tentation de Manne est le mépris. Son rêve est d’être malgré tout un super héros qui domine et maîtrise. Les étapes de sa chute sont un appareil photo, une prostituée et sa voiture : volonté de possession et de toute-puissance, qui commence par un écran et s’achève par un meurtre qui le mène en prison. Heureuse prison, qui donne une chance à son âme habituée.

Alternant style télégraphique efficace, longues périodes lyriques et aphorismes bien sentis, Maximilien Friche signe un roman métaphysique ambitieux et prometteur : la tragédie de l’antimoderne en lutte contre sa haine du monde, d’autant plus tentante qu’elle est légitime.

Henri Quantin

© LA NEF n°312 Mars 2019