Dire que la condamnation du cardinal Barbarin par le tribunal correctionnel de Lyon était inattendue relève de l’euphémisme. Alors que chacun s’attendait, sur la foi des réquisitions du parquet, à la relaxe de l’archevêque de Lyon, la juridiction lyonnaise a créé une immense surprise en le déclarant coupable du délit de non-dénonciation d’agression sexuelle sur mineur, prévu à l’article 434-3 du Code pénal, et en lui infligeant une peine de six mois d’emprisonnement assortie du sursis.
Si ce jugement a eu un retentissement considérable au sein de l’Église de France et dans l’opinion publique, s’il a déjà conduit l’intéressé, malgré l’appel interjeté, à présenter sa démission au pape François, il reste que la position juridique adoptée par le tribunal ne laisse pas d’interroger. En effet, celui-ci a considéré que le délit était constitué alors 1) que l’auteur principal – l’abbé Preynat – n’a pas encore été jugé, de telle sorte que l’agression sexuelle n’est pas encore établie juridiquement ; 2) que le cardinal Barbarin a pris connaissance des faits à une date (juillet 2014) où la victime était, depuis longtemps, devenue majeure et aurait pu elle-même porter plainte ; 3) et que, en tout état de cause, à cette même date, le délit présumé reproché à l’abbé Preynat, survenu entre 1981 et 1986, était prescrit.
S’agissant en particulier de ce dernier point, la thèse défendue par la juridiction lyonnaise – la prescription du délit principal (l’agression sexuelle) n’empêche pas l’existence du délit accessoire (la non-dénonciation) – est loin de convaincre. En effet, ainsi que l’indique le chapitre du Code pénal dans lequel figure l’article 434-3, celui-ci a pour objet de sanctionner les « entraves à la justice », à savoir d’éviter que la non-dénonciation d’une agression sexuelle assure l’impunité à l’agresseur. Or, dans le cas où une personne prend connaissance d’une agression sexuelle à une date où, du fait de la prescription, cette agression ne peut plus faire l’objet d’une condamnation, il est difficile de comprendre comment la non-dénonciation pourrait faire entrave à la justice. En outre, la thèse du tribunal correctionnel de Lyon emporterait, si elle était confirmée, des conséquences incalculables, concernant non seulement tout évêque, mais également tout éducateur, enseignant, travailleur social, etc. Il suffirait, par exemple, qu’un homme parvenu à un certain âge (disons 70 ans) confie de manière précise à un membre de sa famille avoir été victime d’une agression sexuelle à l’âge de 10 ans (soit 60 ans auparavant…) pour que ce dernier soit tenu, sauf à encourir une sanction pénale, de dénoncer immédiatement ces faits à l’autorité judiciaire. Ainsi, au-delà même du jugement moral qu’il convient de porter sur la gestion de l’affaire Preynat par le cardinal Barbarin, il est à espérer que les juges d’appel donneront de la loi pénale l’interprétation qu’exige le bon sens. En tout cas, doit être saluée la décision du pape François, motivée par le principe de la présomption d’innocence, de ne pas accepter, en l’état, la démission proposée par le cardinal Barbarin.
Jean Bernard
© LA NEF n°313 Avril 2019