En annonçant, il y a plus de deux ans, qu’il se voulait le porteur d’un nouveau monde, et surtout, le liquidateur de l’ancien, Emmanuel Macron s’est inscrit dans la dynamique du progressisme, que notre époque a tendance à transformer en perspective obligatoire sur les choses de la cité. À l’entendre, la politique était simple : il y aurait d’un côté les sociétés ouvertes, de l’autre les sociétés fermées, les premières étant animées par la quête de la diversité, les autres étant tentées par le repli dans une homogénéité étouffante et réductrice. On a compris aussi, au fil des mois, que les premières correspondaient aux catégories sociales privilégiées par la mondialisation, et témoignant d’une grande capacité d’adaptation à un monde toujours en mouvement, alors que les secondes seraient celles des populations retardataires, enfermées dans un cadre national aussi périmé qu’étouffant. En gros, les gagnants aimeraient les premières, les perdants, les secondes.
Cette vision des choses, qui relève de la philosophie de l’histoire la plus militante, Emmanuel Macron s’y est accroché depuis son élection. En fait, il l’a même radicalisée comme on l’a vu à partir de 2018, quand dans la perspective des élections européennes à venir, Emmanuel Macron a cru diviser l’espace politique de la manière la plus conflictuelle qui soit, en brandissant le drapeau du progressisme post-national, auquel il opposait la lèpre populiste et nationaliste. C’était la nouvelle version de la peste brune qu’il était bien vu de dénoncer dans les années 1990 aux belles heures de la lutte contre l’extrême droite, dont on assimilait l’émergence au retour au fascisme, ce qui avait le grand avantage de transformer celui qui le dénonçait en résistant. Une telle alternative politique n’en est pas une. Face à la tentation totalitaire, tous les démocrates sincères sont appelés à se mobiliser. Emmanuel Macron le dira d’ailleurs dans le clip de campagne d’En Marche. Les électeurs n’auraient « pas le choix » de voter pour lui.
Le triomphe de l’avant-garde
Pour nos progressistes, la vie politique ne met pas en scène des philosophies contradictoires, s’affrontant par partis et programmes interposés. La démocratie, autrement dit, n’a pas pour vocation d’organiser de la manière la plus conforme à la concorde civique la diversité des courants politiques qui cherchent à gagner l’opinion. Elle aurait plutôt pour vocation de permettre aux forces de l’avenir de surgir en se débarrassant du bois mort venu du passé. L’avant-garde devrait triompher de l’arrière-garde. Quant à la population, qui a la mauvaise habitude de se montrer attachée à ses mœurs et coutumes, il serait nécessaire de la brusquer pour qu’elle apprenne à s’adapter à un monde perpétuellement en mouvement, en apprenant à l’aimer.
On le voit avec des débats aussi variés que l’immigration, la GPA, la théorie du genre ou l’éducation. Le nouveau monde auquel nous devrions prêter allégeance devrait aller jusqu’au bout de la dissolution des vieilles nations occidentales pour les convertir au modèle de la société multiculturelle. Il devrait aussi rompre le plus possible avec la logique de la filiation pour s’engager dans l’entreprise de la manipulation du vivant, comme s’il fallait désormais considérer comme une promesse radieuse la fabrication de l’humanité en laboratoire. Il devrait rompre avec la division sexuelle de l’humanité et se convertir aux cinquante nuances de genre, et même, à l’idéal d’une fluidité identitaire insaisissable. Il devrait transformer l’école pour rompre le rapport hiérarchique entre le maître et l’élève, et favoriser l’avènement d’une pédagogie égalitaire fondée sur les nouvelles technologies.
On serait tenté de dire qu’il est temps de se lever contre le parti du progressisme obligatoire. Si le progressisme a sa place dans la cité, il ne saurait prendre toute la place. Encore faut-il pour cela que le conservatisme prenne la sienne. Si le conservatisme a une fonction, dans le monde qui est le nôtre, c’est moins de défendre le monde d’hier dans ses formes précises que les permanences anthropologiques sur lesquelles repose toute société humaine bien construite. Le culte du mouvement perpétuel fait violence aux besoins fondamentaux de l’âme humaine – je parle essentiellement ici des besoins liés à enracinement, et aux repères collectifs, sans lesquels aucune société ne peut se projeter dans l’histoire. Aucune renaissance collective ne sera même envisageable s’ils ne sont pas placés au cœur de la cité.
Mathieu Bock-Côté
Mathieu Bock-Côté, docteur en sociologie, est chargé de cours à HEC Montréal et chroniqueur au Figaro. Il a publié notamment Le multiculturalisme comme religion politique (Cerf, 2016). En lien avec le sujet de cette chronique, Mathieu Bock-Côté vient de publier L’empire du politiquement correct (Cerf, 2019).
© LA NEF n°314 Mai 2019