Livres Avril 2019

J’AI TIRÉ SUR LE FIL DU MENSONGE ET TOUT EST VENU
PHILIPPE DE VILLIERS
Fayard, 2019, 416 pages, 23 €

Le titre quelque peu énigmatique de cet ouvrage est tiré d’une conversation de l’auteur avec Maurice Couve de Murville à propos de la construction européenne. Eh bien ! Philippe de Villiers a tiré sur le fil en allant patiemment fouiller dans des archives récemment déclassifiées et non exploitées, en Suisse (la Fondation Jean Monnet à Lausanne, véritable mine de renseignements), aux États-Unis, en Russie… Le résultat est un livre véritablement explosif qui, dans un système normalement constitué et non verrouillé par le politiquement correct, devrait susciter un large débat et, pour le moins, « interroger » la « construction européenne » ! En effet, en reprenant avec moult documents inédits la vie des « pères de l’Europe », Jean Monnet, Robert Schuman et Walter Hallstein, Philippe de Villers nous révèle des personnalités assez différentes des habituelles hagiographies et montre combien les origines de l’Europe sont éloignées des beaux idéaux que l’on n’a cessé de nous proclamer depuis plus de cinquante ans.

Il ressort que Monnet et Schuman ont un passé peu glorieux durant les deux guerres mondiales (ni l’un ni l’autre n’étaient résistants, plutôt proches de Vichy), tandis qu’Hallstein « a servi Hitler » comme « officier instructeur du nazisme » (p. 269). Le pire demeure Monnet qui est l’homme lige des Américains à un degré inouï, d’abord contre de Gaulle chef de la France libre qu’il haïssait – le qualifiant « d’ennemi du peuple français » ayant « le type parfait du discours hitlérien » (p. 112) –, puis dans toutes les étapes de la « construction européenne » durant laquelle il exécute littéralement les ordres venus de Washington ! Même ses Mémoires (1976) ont été commandés, payés et rédigés par un groupe d’historiens français sous l’autorité de la CIA pour mieux asseoir le mythe des origines de l’Europe !

Deux conséquences fondamentales sont à prendre en compte pour nous aujourd’hui : d’abord le fait que l’ADN de départ de la « construction européenne » était bien l’avènement d’une fédération européenne se substituant aux nations sur le modèle des États-Unis d’Amérique ; ensuite que le moteur de cette « construction » n’a cessé d’être le mensonge délibéré, cachant les objectifs ultimes, car ses promoteurs savaient que les peuples ne voulaient pas aller dans cette voie. Monnet et Hallstein, écrit Ph. De Villiers, « ne croient pas, ils ne croient plus à la volonté populaire. Ils se méfient de la politique, c’est-à-dire de l’humeur des peuples, de l’expression du sentiment national, qualifié de “nationalisme” » (p. 129).

Un livre clé à lire pour comprendre ce qu’est l’Europe et qui ne peut qu’inviter à la rebâtir sur d’autres bases, en toute transparence cette fois-ci et avec l’aval des peuples…

Christophe Geffroy

COMPRENDRE L’APOCALYPSE
ÉRICK AUDOUARD
Pierre-Guillaume de Roux, 2018, 110 pages, 16 €.

On connaît la phrase célèbre de Paul Valery : « Nous autres, civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles. » Écrite aux lendemains de la Première Guerre mondiale, elle révélait la prise de conscience de la fragilité des sociétés, née du constat de la mort donnée à l’échelle industrielle. Pour Érick Audouard, ce n’est plus seulement la civilisation qui risque de disparaître, mais plus largement l’espèce humaine.

Nous devons à ce jeune essayiste talentueux la découverte éblouie d’un écrivain hors norme, le prêtre jésuite argentin Leonardo Castellani. C’est à la lumière de celui-ci et des travaux de René Girard qu’il se penche aujourd’hui sur notre humanité comme on ausculte un malade en phase terminale. Et les nouvelles ne sont pas bonnes…

Autant le dire d’emblée : âmes sensibles, s’abstenir ! On ne saurait, en effet, recommander les alcools forts à n’importe quel estomac, ni les médications les plus vigoureuses à l’enrhumé de service. Mené au pas de charge, cet essai a de quoi effrayer les nouvelles rombières d’un catholicisme aseptisé, engoncé dans un humanisme de façade, qui prétend d’autant mieux embrasser l’autre joue qu’il a oublié jusqu’à la réalité de sa propre existence.

On a parlé à ce sujet de relativisme ; on a pointé aussi les effets de la modernité. On refuse la société de consommation et on vitupère contre la marchandisation du monde. Très bien ! À sa place et dans son ordre, tout cela est juste. Mais la vérité profonde qu’Érick Audouard exprime de manière radicale, c’est surtout que nous trahissons l’Évangile chaque matin en nous rasant. Il le dit en s’inspirant de l’exemple tragique de Castellani : s’il était anti-moderne, il était surtout anti-mondain. Au sens que l’Évangile donne à ce terme.

Il y a évidemment beaucoup d’autres aspects dans cet essai réjouissant. Ceux qui auront le courage de le lire, sans en partager forcément tous les attendus ou les conclusions, y trouveront matière à lucidité. Ce sera un bon début en ces temps de confusion.

Philippe Maxence

DERNIERS MOTS
FRANÇOIS FOUCART
Via Romana, 2018, 188 pages, 19 €

Les excellentes éditions Via Romana nous offrent un très beau livre de François Foucart, ancien chroniqueur judiciaire, et visiteur de prison, consacré aux « derniers mots » de condamnés à mort, au pied de l’échafaud, ou devant le peloton d’exécution. C’est le moment où la personnalité se révèle à nu. Jamais rien de banal. Certains criminels se montrent capables du plus sincère repentir (Eugène Viou : « j’ai mérité mon sort, je recommande mon âme à Dieu »), de pensées romantiques (Georges Gauchet), voire de sentiments mystiques (Jacques Fesch : « Dans cinq heures je verrai Jésus »), ou au contraire d’une attitude « crâne » (les « chauffeurs de la Drôme »), d’humour (Landru : « je ne suis ni fumeur, ni buveur, c’est mauvais pour la santé ! »), ou encore d’une parfaite décontraction (le docteur Petiot remettant sa pantoufle perdue sur les marches). Les exécutions « politiques » donnent lieu à bien des attitudes et dernières paroles édifiantes, dans lesquelles, loin du manichéisme convenu, l’auteur a le courage de réconcilier vainqueurs et vaincus, « gentils » et « méchants » de l’histoire officielle. Honoré d’Estienne d’Orves et Guy Môquet côtoient sans honte Joseph Darnand et Jean Bassompierre. Les premières pages, enfin, sont consacrées aux exécutions de Louis XVI, Marie-Antoinette et Madame Élisabeth : elles sont bouleversantes de noblesse, confirmant cet adage que le plus grand des savoir-vivre, c’est encore de savoir mourir.

Jean-François Chemain

L’ÉGLISE FACE A L’ISLAM
Entre naïveté et lucidité
JOACHIM VELIOCAS
Éditions de Paris/Max Chaleil, 2018, 238 pages, 17 €

Dans sa préface, le jésuite égyptien Henri Boulad, connu pour son langage clair sur l’islam, regrette que l’Église catholique d’aujourd’hui se garde d’aborder certaines questions sensibles dans son dialogue avec les musulmans. « Son refus de la confrontation sous prétexte de paix sociale ne résout strictement rien », note-t-il. C’est bien ce qui ressort des positions adoptées par tant d’évêques, de prêtres et de religieuses italiens et français répertoriés par Joachim Véliocas, déjà auteur de plusieurs enquêtes sur les mosquées et le rapport des pouvoirs publics avec l’islam. Les papes ne sont pas oubliés, Véliocas s’attardant surtout sur François et ses initiatives imprudentes en ce domaine.

Les Français sont particulièrement enclins à l’irénisme, à la complaisance, au déni (surtout face à la violence) et même aux concessions doctrinales. Certains soutiennent la construction de mosquées même si elles sont gérées par des imams islamistes ; d’autres cèdent aux musulmans leurs églises ou locaux diocésains ; d’autres encore considèrent le Coran comme une authentique « révélation divine » ou « voie de salut » et Mahomet comme un « prophète ». Les plus engagés dans ces voies sont les « professionnels du dialogue », entre autres les responsables du Service National des Relations avec les musulmans. Véliocas n’ignore pas les prélats lucides mais il ne range aucun Français dans cette catégorie, ce qui est dommage car peu à peu, sur ce sujet, le ton change au sein de l’épiscopat. À signaler les pages intéressantes relatives aux éditions Bayard, propriété des Assomptionnistes : leurs livres traitant de l’islam, systématiquement bienveillants, refusent toute approche critique de la doctrine musulmane.

Une lecture qui laisse perplexe sur l’état actuel de la théologie catholique…

Annie Laurent

LES VERTUS MORALES
PÈRE GARRIGOU-LAGRANGE
Quentin Moreau éditeur, 2019, 192 pages, 15 €

Réginald Garrigou-Lagrange (1877-1964), quitta à 20 ans la faculté de médecine pour entrer chez les dominicains avant de suivre, à 27 ans, les cours de Bergson à la Sorbonne et de rencontrer à cette occasion Jacques Maritain. À 28 ans, on l’envoie enseigner en Belgique et à 32 ans c’est à Rome qu’il part enseigner la théologie thomiste et la philosophie à l’Angelicum (l’Université pontificale Saint-Thomas-d’Aquin, l’ancien studium dominicain fondé en 1222).

Durant plus de 50 ans, ce grand adversaire du modernisme et ce lecteur plus que critique de la Nouvelle Théologie forma plusieurs générations de prêtres et de théologiens. Fervent défenseur du néothomisme et de la mystique de saint Jean de la Croix, il dirigea d’ailleurs la thèse d’un certain… Karol Wojtyła.

On ne peut donc que se réjouir d’une nouvelle réédition des œuvres de ce fin pédagogue et de ce grand styliste. L’éditeur belge Quentin Moreau publie ainsi des extraits des Trois âges de la vie intérieure, consacrés aux vertus morales et théologales et à leurs interactions, dans une très belle réédition. Cette synthèse présente le texte même de l’auteur et concentre sa démonstration en matière de philosophie morale avec intelligence et succès. Le lecteur y apprendra avec bénéfice que pour entrer dans la vie intérieure, « cette vie éternelle commencée dans l’obscurité de la foi », il lui faudra non seulement recevoir et garder la foi, l’espérance et la charité (vertus surnaturelles), mais aussi entraîner et renforcer ses vertus de prudence, justice, force et de tempérance. Elles-mêmes déclinée en vertus de religion, pénitence, obéissance, patience, humilité, douceur et chasteté (vertus naturelles). À (re)lire !

Yrieix Denis

LE SOMMEIL, AMI DE L’HOMME
MARYVONNE GASSE
Salvator, 2019, 142 pages, 15 €

Les pathologies liées au sommeil défectueux trouvent chez les Français un terrain dramatiquement propice, constate Maryvonne Gasse qui a elle-même beaucoup souffert d’insomnies, avant de parvenir à une heureuse sérénité en ce domaine vital pour l’équilibre humain dans ses dimensions physiques, psychiques et spirituelles. Son talent de journaliste soutenu par sa culture philosophique, anthropologique et biblique nous vaut cet essai qui aborde le sujet avec simplicité et profondeur. Pragmatique, l’auteur décrit les phases du sommeil, les effets positifs des rêves et les méthodes éprouvées pour parvenir à la paix nocturne. Surtout, elle propose d’accepter le mystère du sommeil comme étape essentielle dans la recréation quotidienne de l’être ; elle donne des repères pour apprendre à bien se connaître et à s’assumer en tant que personne raisonnable et fragile, docile aux lois de la nature, capable de s’opposer à l’homme rationnel, qui se vit comme immortel et voue un culte à la performance, si nuisible au cerveau et finalement propice à l’angoisse. Et puis, le sommeil n’est pas un vide : Dieu agit dans nos nuits, d’où l’avantage de s’abandonner à Lui le soir dans une prière confiante et émerveillée comme celle d’un enfant qui se sait aimé. Une très belle tirade de Charles Péguy agrémente ce petit livre dont la lecture est particulièrement bienfaisante en ces temps d’agitation perpétuelle.

Annie Laurent

LA FRANCE VENDUE A LA DECOUPE
LAURENT IZARD
L’Artilleur, 2019, 316 pages, 18 €

Laurent Izard raconte la triste histoire d’un pays qui perd des pans entiers de son territoire, qu’il s’agisse d’entreprises, de collectivités, de terres agricoles, d’un capital immobilier… Progressivement, d’autres nations investissent dans l’avenir de la France multiséculaire, si prolifique d’un point de vue artistique, historique et même économique. Il souligne son désinvestissement massif sur le long terme, d’autant plus qu’elle est très endettée et qu’elle aura beaucoup de peine à retrouver une réelle indépendance. Comme il le précise, le pouvoir n’appartient pas à celui qui demande de l’argent, mais à celui qui prête, ce qui aurait tendance à diviser le monde en deux catégories : ceux qui accaparent les richesses des autres nations et ceux qui s’en laissent déposséder.

Le livre est extrêmement bien documenté. Les exemples sont donnés en abondance, parfois un peu trop, jusqu’à minimiser l’espoir d’une prise de conscience pourtant esquissée : l’État français envisage des mesures pour préserver sa souveraineté, même si ces dernières resteront utopiques tant que le pays ne se sera pas libéré du poids de l’Union européenne.

Pierre Mayrant

LES MARTYRS D’OTRANTE
HERVE ROULLET
Éditions Hervé Roullet, 2018, 160 pages, 18 €

Le 14 août 1480, veille de l’Assomption, 813 hommes de plus de 15 ans furent décapités à Otrante par les Ottomans qui venaient de conquérir cette ville de 22 000 habitants située dans l’extrême sud de l’Italie, zone stratégique s’il en fut. Ces chrétiens avaient refusé de se soumettre à l’injonction d’un interprète des Turcs, prêtre apostat, qui les sommait de renier le Christ comme il l’avait fait lui-même. « Si le Christ était plus puissant que Mahomet, il ne vous aurait pas laissé prendre », leur dit-il pour les convaincre. Mais l’un des otages, Antonio Primaldo, simple tisserand, exhorta ses compagnons : « Le temps est désormais venu de combattre pour sauver nos âmes rachetées par Notre Seigneur. » Et tous, à l’unisson, offrirent ainsi leur vie, suscitant la conversion au christianisme de l’un des bourreaux qui fut à son tour assassiné par le pacha musulman.

Les martyrs furent béatifiés en 1771. Mais, malgré les nombreux faits surnaturels et miracles survenus dans leur sillage en Italie, le reste de l’Europe les avait oubliés jusqu’au pèlerinage que saint Jean-Paul II effectua à Otrante en 1980, pour le cinquième centenaire de ce martyre collectif, ouvrant ainsi la voie à la canonisation célébrée à Rome par le pape François en 2013. C’est cette histoire édifiante qu’a reconstituée l’écrivain Hervé Roullet en s’appuyant sur des sources authentiques, illustrant son livre d’un beau cahier iconographique. L’auteur situe l’événement dans le contexte de la résistance européenne aux avancées turques, retrace l’attitude des rois et des papes – où l’on voit Pie II inviter Mehmet II à se convertir au christianisme – jusqu’à la victoire de Lépante (1571) et termine son récit en tirant les leçons de cet admirable témoignage pour notre temps.

Annie Laurent

LE COURAGE DE LA PATERNITÉ
PÈRE LOUIS-MARIE DE BLIGNIERES
Sedes Sapientiae-DMM, 2018, 256 pages, 19,50 €

Il faut réagir face à une crise, et non se résigner en attendant la mort. Le Père Louis-Marie de Blignières est un réactionnaire. Il invite les hommes de notre temps au courage, à l’exercice de la vertu de pietas au regard de l’héritage reçu de nos parents et de notre patrie, à la transmission du meilleur de notre culture afin de la faire fructifier et, finalement, de construire « une chrétienté renouvelée » (cardinal Ratzinger). Il s’insurge contre le féminisme castrateur, contre les « maîtres du soupçon », contre le nihilisme de la postmodernité hédoniste et technocratique en proposant le courage d’être un homme et un père, un débiteur et un aventurier, un héritier et un serviteur. Il s’agit de s’engager, y compris en politique, dans un sursaut salvateur, grâce à la vertu de force. Car « c’est bien de faire des exposés sur la chrétienté mais c’est mieux de faire acte de chrétienté ». Ce livre s’adresse à ceux qui souhaitent « rejoindre l’insurrection des hommes libres ».

Abbé Laurent Spriet

SECRET MAÇONNIQUE
Ou vérité catholique
SERGE ABAD-GALLARDO
Artège, 2019, 360 pages, 19 €

Serge Abad-Gallardo a passé plus de vingt ans dans cette organisation en montant jusqu’au grade élevé de vénérable maître. Ce haut fonctionnaire retrouva la foi catholique de son enfance en 2012 et cessa à ses risques et périls de fréquenter les loges. Il donne en France des conférences qui connaissent un grand succès. Il veut montrer, au-delà des secrets, ce qu’il a découvert à l’ombre des loges en faisant la lumière sur leurs pratiques.

L’objectif du présent ouvrage est, d’une part, de dire ce que la franc-maçonnerie ne dit pas aux profanes et, d’autre part, de tenter de faire comprendre aux francs-maçons à quel point la persistance dans le secret leur est néfaste.

Il montre aussi à quel point il est incompatible pour un chrétien de suivre ces voies qui servent le démon, ainsi que l’affirme le titre d’un autre de ses livres.

Un outil riche en informations pour comprendre ce que les journalistes ne disent pas.

François Dabezies

PHYSIQUE THÉORIQUE ET RÉALITÉ
OLIVIER HENRI-ROUSSEAU
Presses Universitaires de Perpignan, 2018, 448 pages, 26 €

Le propos central de cet ouvrage est de montrer la pertinence des concepts métaphysiques aristotéliciens et thomistes au vu des dernières découvertes en sciences physiques (telles que la mécanique quantique, la théorie de la relativité générale, la théorie du big-bang, etc.). Pour ce faire, après quelques rappels philosophiques, l’auteur dresse un tableau complet de l’histoire des progrès des sciences physiques de l’Antiquité à notre époque, avant d’en déduire des conséquences métaphysiques. Ainsi, d’une science physique déterministe et sans cause finale, nous sommes passés à une physique non-déterministe qui retrouve la notion de cause finale. La démonstration est menée de manière très rigoureuse et il est vraiment dommage que l’auteur n’ait pas fait plus d’effort de vulgarisation, ce qui limite la diffusion de son livre à une minorité de lecteurs (très) cultivés (termes grecs et latins non traduits, concepts philosophiques présentés sans exemples, formules mathématiques de niveau grandes écoles d’ingénieurs…). Notons également que l’auteur n’aborde pas la question centrale de la nature même de nos modèles scientifiques : des propriétés de la réalité-en-soi (approche réaliste) ? Ou bien des constructions de notre esprit nous permettant d’interagir avec une réalité physique qui demeure inconnue en soi (approche constructiviste, dont Kant est le précurseur) ? Par ailleurs, le rappel des convictions philosophiques et religieuses des principaux artisans des progrès scientifiques depuis trois siècles est vraiment le bienvenu, ce rappel montrant une majorité de croyants judéo-chrétiens parmi eux, y compris à l’époque contemporaine, majorité dans laquelle les prêtres catholiques ne sont pas rares. Comme quoi la foi n’est nullement ennemie de la science.

Bruno Massy

TOUT PEUT CHANGER
ANDREA RICCARDI
Conversation avec Massimo Naro
Cerf, 2018, 382 pages, 22 €
LA FORCE DESARMÉE DE LA PAIX
ANDREA RICCARDI
Cerf, 2018, 126 pages, 15 €

En mai 1968, alors qu’une partie de la jeunesse d’Europe occidentale se rebellait contre son héritage, un Italien de 18 ans, Andrea Riccardi, inspiré par la parabole du bon Samaritain, se lançait dans une autre aventure : prendre soin des hommes blessés de notre temps. Ainsi naquit à Rome la communauté catholique de Sant’Egidio. À l’occasion de son cinquantième anniversaire, son fondateur, qui enseigne l’histoire de l’Église, revoit tout le chemin parcouru depuis lors. Tel est le dessein de sa riche conversation avec Massimo Naro, prêtre et professeur de théologie en Sicile.

Riccardi définit Sant’Egidio comme une communauté orante de laïcs qui, dans la prière, se tiennent à l’écoute de la Parole de Dieu pour discerner les événements et les rencontres où ils s’impliquent, en particulier auprès des pauvres, sans que cela résulte d’un choix idéologique. En ce temps marqué par la sécularisation et l’individualisme, il s’agit, dit-il, de redonner au christianisme sa « charge prophétique » et de favoriser un nouvel élan missionnaire au sein de l’Église, en écartant tout « prosélytisme militant ». Lucide sur l’état actuel du monde et les maux qui l’affectent, Riccardi insiste sur l’importance d’un enracinement intellectuel. « Il y a besoin d’une foi forte et humble, mais aussi d’une foi pensée. »

Mûrie par la réflexion et l’expérience, ainsi que par le soutien du pape Jean-Paul II, la vocation de Sant’Egidio, peu claire au départ, s’est précisée sur l’action en faveur de la paix pour laquelle elle intervient en différentes zones de conflits, parfois avec succès. Riccardi estime qu’il n’est ni intelligent, ni moral, et pas prudent non plus, de se désintéresser de la guerre. « Les chrétiens et leurs communautés possèdent une authentique force de réconciliation, à condition qu’ils regardent la réalité douloureuse en face et ne se cachent pas derrière un langage “ecclésialement correct” qui les conduirait en dehors de l’histoire. » Tel est le sujet du second livre, bâti pour l’essentiel à partir de réflexions sur la guerre en Syrie et ses répercussions néfastes en Europe.

Annie Laurent

ROMANS À SIGNALER…

BEAU BRUN TÉNÉBREUX
ANNE KURIAN
Quasar, 2019, 250 pages, 18 €

Anne Kurian s’est fait connaître l’an dernier par un premier roman sympathique, Le secret d’Emma M. Elle récidive ici avec Beau Brun Ténébreux dans un genre proche du précédent : une histoire d’amour a priori impossible pour des raisons inconnues du lecteur et de l’héroïne, Édith Stanley, jeune femme au tempérament vif et entier ne sachant pas dissimuler, personnalité aussi rayonnante qu’attachante, dont la vie bascule lorsque sa mère et sa sœur – son unique famille – disparaissent dans un crash aérien. Ce nouvel opus est une belle réussite, on ne le lâche pas tant il tient son lecteur en haleine et Anne Kurian émaille son texte de références littéraires, de Chesterton dans le précédent, de CS Lewis ici. Si l’histoire est plus simple que celle de son premier roman, ses personnages sont mieux fouillés et l’auteur sait distiller avec discrétion de belles leçons de vie. À recommander sans réserve.

Patrick Kervinec

UN PAQUEBOT POUR ORAN
GUILLAUME DE DIEULEVEULT
Vuibert, 2018, 256 pages, 19 €

Un beau jour d’automne, l’auteur embarque sur un vieux paquebot et traverse la Méditerranée pour Oran puis Alger ; ce voyage en mer lui inspire quelques réflexions sur l’histoire de la « mare nostrum » mais aussi quelques savoureuses descriptions de la vie à bord et de ses compagnons de voyage. Le séjour en Algérie ou plutôt cette errance dans Oran et Alger seront prétextes à des retours en arrière aussi dépassionnés que mélancoliques et surtout à de pittoresques descriptions de ces villes dont l’actuelle décrépitude ne parvient pas à masquer l’ancienne opulence ; au passage, il ne manque de saluer ni Montherlant ni surtout Albert Camus.

En apparence, une banale relation de voyage qui ne vous prend pas la tête, en réalité un délicieux petit livre plein de tendresse, d’humour et de nostalgie, aussi rafraîchissant que reposant.

Marie-Dominique Germain

LE DORMANT D’ÉPHÈSE
XAVIER ACCART
Tallandier, 2019, 334 pages, 19,90 €

Ce premier roman de Xavier Accart commence en 1903, en Bretagne, par un drame, à l’époque où le gouvernement expulsait par la force les congrégations. Il se termine à l’été 1975, à l’époque où la récente loi autorisant l’avortement est venue troubler les consciences.

Les personnages de ce roman – Renaud et Mari, Malques et Clara – sont animés de passions contradictoires, tout en ayant de profondes aspirations spirituelles. L’histoire traverse les générations, les époques et les pays, de la Bretagne à l’Égypte jusqu’à Éphèse. Il y a des rebondissements, des regrets, des rédemptions et des retrouvailles. L’interrogation sur la paternité et sur la filiation, qui court tout au long du récit, ne le rend pas, pour autant, didactique ou moralisant. C’est un récit bien mené, dans un style agréable, une traversée du siècle qui pourrait être adaptée au cinéma si le réalisateur avait le sens de l’intériorité et de ce qui est au-delà des apparences.

Yves Chiron

© LA NEF n°313 Avril 2019