La colombe symbolisant le Saint Essprit © Dnalor-Commons.wikimedia.org

Viens, Esprit Saint…

Voici le texte intégral de l’homélie prononcée par le cardinal Robert Sarah, préfet de la Congrégation pour le Culte divin et la Discipline des Sacrements, le dimanche de Pentecôte, 9 juin 2019, en la Cathédrale Saint-Bavon de Haarlem (Pays-Bas).

Chers Frères et Sœurs,

La solennité de la Pentecôte clôt le temps pascal. Aujourd’hui, nous fêtons le don de l’Esprit Saint aux Apôtres, réunis au Cénacle, avec Marie, la Mère de Jésus, qui devient alors la Mère de l’Eglise. Le Saint-Esprit transmet la Vie de Dieu, il vivifie, il éclaire et, par ses sept dons[1], il permet aux Apôtres et à nous tous, baptisés et confirmés, de prendre pleinement conscience d’être nous aussi fils de Dieu. Par la force du Saint-Esprit, notre intelligence et notre cœur s’ouvrent à une lumière nouvelle. Nous sommes introduits dans le mystère de Jésus, Fils de Dieu ; il nous est donné d’accueillir avec foi son enseignement, de comprendre pleinement la réalité concrète des Saintes Ecritures. Tous, nous avons été baptisés dans l’Esprit Saint et le feu. Par le baptême, Dieu notre Père a pris possession de notre vie, il nous a régénérés et incorporés à celle du Christ et nous a envoyé le Saint-Esprit pour que désormais il nous conduise, nous donne la vie nouvelle : la vie de Dieu. En effet, l’Ecriture nous enseigne que « le Seigneur nous a sauvés par le bain de la régénération et de la rénovation en l’Esprit Saint. Et cet Esprit, il l’a répandu sur nous à profusion, par Jésus-Christ, notre Sauveur, afin que, justifiés par la grâce du Christ, nous obtenions en héritage la vie éternelle »[2]. L’Esprit Saint est notre force, et aussi l’inspirateur et l’âme de notre prière. Il nous apprend à prier et il prie en nous. C’est pourquoi, exactement comme nous sommes réunis dans cette cathédrale, les Apôtres se trouvaient réunis en prière avec la Très Sainte Vierge Marie, la Mère de l’Eglise ; ils attendaient cet évènement que le Seigneur Jésus leur avait annoncé le jour de l’Ascension : « Vous allez recevoir une force quand le Saint-Esprit viendra sur vous ; vous serez alors mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie, et jusqu’aux extrémités de la terre »[3]. Aussitôt, une question s’était emparé de leur esprit, une question qui est encore la nôtre aujourd’hui : « Comment une poignée de douze pauvres pêcheurs, ˝qui étaient des gens sans instruction, ni culture ˝[4] allaient-ils trouver la force de proclamer l’Evangile jusqu’aux extrémités de la terre ? », et de nos jours : « Comment quelques familles chrétiennes, conduites par quelques prêtres et aidées d’un nombre restreint de religieux et de religieuses peuvent-ils être témoins de l’Evangile de la Vie au milieu d’une société dite « post-chrétienne », c’est-à-dire où Dieu est absent par la volonté de ceux qui la dirigent ? ». Autre question : « Comment les Apôtres pourraient-ils affronter la puissance de l’Empire romain alors à son apogée ? Comment proposer l’Evangile à une société et à une culture avide de « pain et de jeux », sans égard à la dignité humaine des esclaves ? », et de nos jours : « Comment quelques baptisés peuvent-ils régénérer une société placée sous la domination de l’argent et des plaisirs du monde ? Comment évangéliser une société qui rejette Dieu et ses enseignements, méprise le pauvre et le faible et fait l’apologie de la théorie du genre et du transhumanisme ? ». Et pourtant, fortifiés le jour de la Pentecôte par l’Esprit Saint, voici que Pierre, le chef des Apôtres, a ouvert toutes grandes les portes et les fenêtres du Cénacle, et, sans peur, il a prononcé la première homélie de l’Eglise naissante : on lit dans les Actes des Apôtres : « Pierre, debout avec les onze autres Apôtres, éleva la voix et leur fit cette déclaration : ˝Vous, Juifs, et vous tous qui résidez à Jérusalem, sachez bien ceci, prêtez l’oreille à mes paroles… Il arrivera dans les derniers jours, dit Dieu, que je répandrai mon Esprit sur toute créature : vos fils et vos filles prophétiseront, vos jeunes gens auront des visions, et vos anciens auront des songes. Même sur mes serviteurs et sur mes servantes, je répandrai mon Esprit en ces jours-là, et ils prophétiseront…Hommes d’Israël, écoutez les paroles que voici. Il s’agit de Jésus le Nazaréen, homme que Dieu a accrédité auprès de vous en accomplissant par lui des miracles, des prodiges et des signes au milieu de vous, comme vous le savez vous-mêmes. Cet homme, livré selon le dessein bien arrêté et la prescience de Dieu, vous l’avez supprimé en le clouant sur le bois par la main des impies. Mais Dieu l’a ressuscité en le délivrant des douleurs de la mort, car il n’était pas possible qu’elle le retienne en son pouvoir »[5]. Et bientôt l’Evangile va s’étendre jusqu’aux confins de l’Empire romain, et du sang des martyrs versé sur les ruines de ce monde décadent, gangrené par ses turpitudes, va naître une semence de chrétiens, prémices de l’Europe chrétienne. Le tableau de la société de cette époque est semblable à celui que nous pouvons dresser aujourd’hui. Dans l’ouvrage qui vient de paraître : Le soir approche et déjà le jour baisse, je déplore que l’homme occidental « n’ait pas confiance en Dieu »et que, pour lui, « Dieu est un concurrent qui limite sa liberté et qu’il pense n’être pleinement humain que lorsqu’il réussit à le mettre de côté ». Et j’ajoute que « l’homme contemporain vit avec le soupçon que l’amour de Dieu crée une dépendance et qu’il lui est nécessaire de se débarrasser de cette dépendance pour être pleinement lui-même »[6]. Or, ce que nous découvrons dans les sacrements du baptême et de la confirmation, que nous avons reçus, c’est que, au contraire, l’Esprit Saint fait de nous des fils bien-aimés du Père en Jésus-Christ, son Fils unique. Si le baptême, que la tradition chrétienne appelle « le porche de la vie dans l’Esprit Saint »[7], nous fait renaître « d’eau et d’Esprit Saint »[8] en nous faisant participer de façon sacramentelle à la mort et à la résurrection du Christ[9], le sacrement de la confirmation, quant à lui, nous fait pleinement participer à l’effusion de l’Esprit Saint de la part du Seigneur Ressuscité. Or, nous dit saint Paul : « Puisque nous sommes ses enfants, nous sommes aussi ses héritiers : héritiers de Dieu, héritiers avec le Christ, si du moins nous souffrons avec lui pour être avec lui dans la gloire »[10]. Cela signifie que, désormais, par l’Esprit Saint qui agit dans mon âme, je suis appelé dans le contexte actuel de recherche effrénée d’une liberté sans responsabilité, de déracinement perpétuel et de reniement du père, à redécouvrir que « la dignité de l’homme consiste fondamentalement à être un héritier. Qu’il est beau et libérateur de savoir que j’existe parce que j’ai été aimé ! Je suis le fruit d’une libre volonté de Dieu qui, en son éternité, a voulu mon existence… Hériter est la condition d’une vraie liberté »[11].

Mais il y a plus : par le baptême, nous avons été incorporés dans l’Eglise, le Corps mystique du Christ. La venue du Saint-Esprit, le jour de la Pentecôte, ne s’est pas limitée à une transformation purement intérieure de l’âme des Apôtres, en les rendant « sans peur et sans reproche », tel le chevalier Bayard ! En reposant sur les Apôtres, comme sur chacun de nous le jour de notre confirmation, le Saint-Esprit les a placés, et il nous place aujourd’hui, au centre de l’Église pour travailler selon la volonté de Jésus à sa construction et à son expansion jusqu’aux extrémités de la terre. Les Pères de l’Eglise voient dans le Saint-Esprit l’Ame de l’Église. L’âme, anima en latin, c’est ce qui permet à un corps de vivre. L’âme ordonne les différents organes en vue d’un but unique : la vie. Au moment de la mort, lorsque l’âme s’est retirée du corps, la vie s’éteint, et les organes se disloquent. Il en va de même pour l’Eglise. Le Saint-Esprit est dans son Cœur comme un souffle de vie. Il forge l’unité de la communauté des croyants et lui donne vie, telle l’âme humaine pour le corps. Par l’action de l’Esprit Saint, l’Eglise est devenue un Corps vivant, le Corps mystique du Christ[12]. Ce Corps nous en faisons partie. Or, trop souvent, nous succombons aux suggestions du Malin, qui est le Diviseur : esprit d’orgueil et de critique, esprit de contradiction et de discorde, esprit de commérage, d’amertume et de désunion… Les fruits de tels mauvais esprits sont manifestes : en effet, d’où proviennent la division dans l’Eglise, les guerres fratricides entre les nations ou à l’intérieur d’une même communauté nationale, ou dans les familles, sinon de l’appât du gain, l’amour excessif de l’argent, la jalousie, et l’absence totale du vrai amour dans les cœurs des hommes ? D’où vient la mort donnée volontairement à l’enfant dans le sein maternel, au malade et à la personne âgée que l’on juge sans valeur et inutile, sinon de l’aveuglement dans lequel nous a placés notre refus d’accueillir la lumière de l’Evangile ? Aujourd’hui, en cette solennité de la Pentecôte, le Saint-Esprit nous convoque au Cœur de l’Église. Demandons-lui la lumière et la vie qui viennent de Dieu. Comme sainte Thérèse de l’Enfant Jésus, demandons-lui la grâce d’aimer vraiment l’Eglise. Que chacun de nous puisse vraiment comprendre et dire comme sainte Thérèse de l’enfant Jésus : « La Charité me donna la clef de ma vocation. Je compris que si l’Eglise avait un corps, composé de différents membres, le plus nécessaire, le plus noble de tous ne lui manquait pas, je compris que l’Église avait un Cœur, et que ce Cœur était brûlant d’Amour. Je compris que l’Amour seul faisait agir les membres de l’Eglise, que si l’Amour venait à s’éteindre, les Apôtres n’annonceraient plus l’Evangile, les Martyrs refuseraient de verser leur sang… Je compris que l’amour renfermait toutes les vocations, que l’amour était tout, qu’il embrassait tous les temps et tous les lieux… en un mot, qu’il est éternel !… Alors, dans l’excès de ma joie délirante, je me suis écriée : O Jésus, mon Amour… ma vocation, enfin je l’ai trouvée, ma vocation, c’est l’Amour !… Oui j’ai trouvé ma place dans l’Eglise et cette place, ô mon Dieu, c’est vous qui me l’avez donnée… dans le Cœur de l’Eglise, ma Mère, je serai l’Amour… »[13]. Dans nos communautés chrétiennes, dans nos paroisses, dans nos familles, dans nos cœurs, l’Église n’est pas assez aimée : là est sans doute l’une des principales causes du manque de vocations sacerdotales et religieuses dans les pays occidentaux, y compris ici, aux Pays-Bas. Car on ne s’engage pas pour quelqu’un qu’on n’aime pas.

Unis à Marie, Siège de la Sagesse, Porte de la Miséricorde de Dieu et Cause de notre joie, avec tous les chrétiens du monde, redisons encore : Veni Sancte Spiritus. « Viens, Esprit Saint, en nos cœurs et envoie du haut du ciel un rayon de ta lumière…Viens, lumière de nos cœurs… Ô lumière bienheureuse, viens remplir jusqu’à l’intime le cœur de tous tes fidèles »

Amen.

Cardinal Robert Sarah


[1] Les sept dons du Saint-Esprit sont la sagesse, l’intelligence, le conseil, la force, la science, la piété et la crainte de Dieu, cf. Catéchisme de l’Eglise Catholique, n. 1831.

[2] Tt 3, 5-7.

[3] Ac 1, 8.

[4] Ac 4, 13.

[5] Ac 2, 14.17-18.22-24.

[6] Cardinal Robert Sarah, Le soir approche et déjà le jour baisse, Paris, Fayard, 2019, p. 190.

[7] Catéchisme de l’Eglise Catholique, n. 1213.

[8] Cf. Jn 3, 5.

[9] Cf. Rm 6, 1-11.

[10] Rm 8, 17.

[11] Cardinal Robert Sarah, op. cit., p. 191-192.

[12] Cf. Pie XII, encyclique Mystici Corporis Christi, 29 juin 1943.

[13] Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus, Manuscrits autobiographiques – Manuscrit B, 2v-3v.

© LA NEF le 20 juin 2019, exclusivité internet