Livres Juin 2019

UNE CONTRE-RÉVOLUTION CATHOLIQUE
Aux origines de La Manif pour tous
YANN RAISON DU CLEUZIOU
Seuil, 2019, 384 pages, 23 €

Yann Raison du Cleuziou s’est fait connaître par son intéressante étude Qui sont les cathos aujourd’hui ? Sociologie d’un monde divisé (Desclée de Brouwer, 2014). Ce nouvel essai s’inscrit dans la même veine et dans le même esprit. Il s’agit maintenant de passer en revue l’histoire récente du réveil de ce que l’auteur nomme les catholiques « observants » qui sont les plus conservateurs des pratiquants, les seuls aussi qui « parviennent mieux que les autres catholiques à perpétuer la foi d’une génération à une autre » (p. 17) et dont le groupe monte en puissance dans l’Église de France.

Pour ce faire, Yann Raison du Cleuziou, sans a priori idéologique marqué et avec des sources riches et variées, brosse un panorama de cette mouvance, des événements qui l’ont touchée et des débats qui l’ont agitée. Il remonte rapidement à la période qui suivit Humanae vitae (1968) pour arriver à la fin du siècle avec le combat contre le Pacs (1999), puis aux années 2000 qui forment le cœur de l’ouvrage, et ce afin d’expliquer les origines du succès de La Manif pour tous (LMPT). Il montre la vigueur des échanges dans ce monde catholique, aussi bien à propos de « l’affaire Vanneste » que des débats sur le « communautarisme chrétien », sur les écoles hors contrat, sur la Note politique de 2002 de la Congrégation pour la Doctrine de la foi et les « trois points non négociables », etc. Tout cela a préparé le terrain et les attaques contre Benoît XVI (affaire du préservatif…), ainsi que les événements culturels comme l’exposition du Piss Christ ou les pièces Golgota Picnic et Sur le concept du visage du fils de Dieu (Castellucci) ont créé un sentiment de « cathophobie » : « La Manif pour tous est l’aboutissement d’une entreprise de déconstruction de l’image que les médias construisent du catholicisme » (p. 191). LMPT est sorti de ce contexte quand il a fallu s’opposer au « mariage pour tous », même si ce n’était pas une mobilisation catholique au départ. L’auteur enchaîne avec la primaire qui a vu la large victoire de Fillon et la présidentielle de 2017, les débats sur l’identité et la place du christianisme, sur la menace de l’islam, pour conclure à un renouveau conservateur dont la dimension chrétienne est la matrice.

Il y a là une somme extrêmement fouillée et fort intéressante, bien qu’un peu décevante car trop sociologique et pas suffisamment analytique, des points discutables aussi mais que nous ne pouvons pas développer ici, il faudra bien trouver le temps d’y revenir.

Christophe Geffroy

LA LONGUE MARCHE DES CATHOLIQUES DE CHINE
YVES CHIRON
Artège, 2019, 334 pages, 17,90 €.

L’histoire des catholiques en Chine est une épopée extraordinaire au plein sens du terme, comme le montre ce livre remarquablement documenté et précis. L’Église locale mériterait d’ailleurs le titre d’« apostolique » s’il s’avérait que l’on parvienne à prouver de manière certaine que saint Thomas fut le premier évangélisateur d’un peuple héritier de Confucius. Aujourd’hui, à défaut de preuves historiques incontestables, on dispose d’une tradition orale qui remonte à l’an 500 et de découvertes archéologiques récentes ainsi que des pièces liturgiques du rite chaldéen datant du VIe siècle qui se réfèrent à saint Thomas. Si bien que l’on n’est plus en présence « d’une légende sans fondement », souligne l’auteur.

Longtemps « nestorien », séparé de l’Église d’Occident, le christianisme chinois a cédé la place au catholicisme romain grâce à des missionnaires de diverses congrégations (jésuites, franciscains, lazaristes, etc.). En 1685, la consécration du dominicain Grégoire Luo Wenzao comme premier évêque chinois répondait à l’une des préoccupations majeures de la papauté : établir une Église « indigène », dégagée de toute allégeance, réelle ou apparente, à des puissances étrangères, mais évidemment unie à Rome. Cela passa parfois par des concessions accordées aux prêtres chinois dans le domaine du culte.

Depuis l’avènement du régime communiste, la création par l’État chinois d’une Église « officielle » n’empêcha pas la permanence d’une Église « clandestine » restée fidèle au pape. Les persécutions ont toujours accompagné le parcours complexe de ce catholicisme. En 2000, à la suite de tant d’autres, 120 martyrs de Chine ont été canonisés par saint Jean-Paul II.

Annie Laurent

DÉSIR ET UNITÉ
La spiritualité augustinienne pour aujourd’hui
EMMANUEL-MARIE LE FÉBURE DU BUS
Tallandier, 2019, 218 pages 17,90 €

Le propos de l’auteur, Père Abbé des chanoines de l’abbaye Sainte-Marie de Lagrasse, est de « faire découvrir », en saint Augustin, « un homme dont la foi est “fraîche et actuelle”, une parole qui n’a guère vieilli, des écrits qui dévoilent l’actualité permanente de la foi reçue du Christ ». Cet ouvrage situe d’abord la vie d’Augustin à la fin de la civilisation romaine, l’évêque d’Hippone étant un « artisan de l’homme occidental ». Celui qui était un enfant trop doué, voulant le mal pour le mal – jouir non du fruit d’un larcin mais du larcin lui-même –, s’éprit de la sagesse grâce à Cicéron mais succomba au manichéisme qui avait l’avantage de justifier le péché en raison d’un principe extrinsèque à l’homme. S’il découvrit l’intériorité à travers le néoplatonisme, c’est l’expérience de sa propre pauvreté qui lui permit d’être rejoint par le Christ. Augustin décrit les responsabilités de sa charge épis­copale en des termes qui devraient inspirer quiconque exerce une autorité dans l’Église (chapitre 3). Le modèle d’un clergé monastique intéresse particulièrement le Père Abbé de chanoines réguliers.

La deuxième partie de l’ouvrage propose sept portes pour entrer dans la spiritualité augustinienne. L’accent est mis sur le désir du bonheur, qui s’exprime à travers une forme d’« inquiétude » et une quête ardente de la foi en vue de la compréhension. La force d’attraction de l’amour fait de l’auteur des Confessions non un introspectif mélancolique mais un contemplatif optimiste. L’unité de la personne et la communion ecclésiale sont fondées sur l’Unique qu’est le Christ. L’auteur laisse parler Augustin, ce qui fait de cet ouvrage un livre de méditation. Une des nombreuses valeurs ajoutées de ce livre est de relire Augustin à la lumière d’un grand admirateur d’Augustin : un certain J. Ratzinger-Benoît XVI !

Abbé Christian Gouyaud

DAVID LLOYD GEORGE
JAMES MC CEARNEY
Pierre-Guillaume de Roux, 2019, 264 pages, 25 €

Il faut d’abord se remémorer ces défilés triomphants, ces grandioses parades qui eurent lieu, sous la reine Victoria, en juin 1897, soixantième anniversaire de son avènement au trône, et marquèrent, devant tous les chefs, tous les représentants de ses dominions et colonies, groupés autour de la Couronne, l’apothéose de l’immense Empire britannique. Comme un dédain hautain s’applique parfois à écarter des gens grossiers ou incivils, le Jubilé de Diamant de la « veuve de Windsor », point culminant du règne, serait aussi l’inoubliable entre-soi de la puissance anglaise. Or, à ce moment déjà, siégeait aux Communes le jeune et fougueux David Lloyd George, élu dans le coin le plus reculé du pays de Galles et avide de notoriété autant que de reconnaissance. Son credo non-conformiste, hérité des puritains du XVIIe siècle, l’éloignait du torysme, parti de la suprématie anglicane. Engagé dans les rangs libéraux, nanti d’une bonne dose d’aigreur envers l’aristocratie, il s’érigea assez vite en coqueluche de leur fraction radicale au point d’oser prendre la ferveur patriotique à rebrousse-poil lors de la guerre des Boers. Toutefois, le jingoism, courant de pensée impérialiste et belliciste, maintenant en baisse, la fin de 1905 va voir Lloyd George accéder au gouvernement avec le portefeuille du Commerce puis, trois ans plus tard, avec le portefeuille des Finances, arme d’estoc et de taille quand s’en empare un malveillant. Bref, ayant présenté en 1909 son budget aux Chambres, et celui-ci, ultradémagogique, ayant été bloqué à la Chambre héréditaire, des élections se déroulèrent sur le thème : « Droit pour les Lords de rejeter un budget voté par les Communes. » Élections décevantes pour le parti libéral, dé­sormais sans majorité et contraint de quémander l’appui coûteux des nationalistes irlandais en faveur de ce sacré budget que les Lords, devenus prudents, laissèrent passer. La vindicte, cependant, ne les lâcha pas, et, menacée d’une humiliante et massive fournée extorquée au roi, leur Chambre dut avaler le Parliament Act du 11 août 1911 et n’être plus qu’une académie (blasonnée) des sciences politiques.

Lloyd George avait donc assouvi, contre la pairie, sa tenace rancœur. Propulsé, au mois de décembre 1916, au 10 Downing Street, et resté Premier ministre jusqu’en octobre 1922 (où la faillite électorale du parti libéral plonge le tout-puissant d’hier dans l’insignifiance), l’autoritarisme, l’amour de l’argent, les goûts de luxe, les frasques sexuelles, n’ont pas contribué à donner au bonhomme un éclairage bien flatteur.

Michel Toda

LES DEFIS CHINOIS
ÉRIC DE LA MAISONNEUVE
Éditions du Rocher, 2019, 338 pages, 19,90 €.

« La Chine a toute sa place dans le monde du XXIe siècle, à condition qu’elle y progresse elle-même de façon harmonieuse, ce qui ne sera rendu possible que si elle le fait en accord avec la communauté des nations. » Et la France pourrait contribuer, dans son propre intérêt, à la réussite du grand projet de développement – rien de moins qu’une nouvelle « route de la soie » – élaboré par le président chinois, Xi Jinping, assure l’auteur au terme de son ouvrage. Spécialiste averti de la Chine, E. de La Maisonneuve initie le lecteur à la complexité d’un système qui allie le confucianisme et le marxisme anti-occidentalistes à une pratique économique capitaliste. Un livre objectif pour comprendre en profondeur ce pays qui, tout à la fois inquiétant et fascinant, est désormais un acteur majeur du jeu international.

Annie Laurent

ÊTRE POSTMODERNE
MICHEL MAFFESOLI
Cerf, 2019, 250 pages, 19 €.

En son temps, Emmanuel Mounier s’était plu à annoncer le crépuscule de la civilisation chrétienne avec un essai au titre choc : Feu la chrétienté. De partout arrivent aujourd’hui des signaux qui nous annoncent la fin d’une autre époque, d’une autre ère, voire d’une autre civilisation, celle de la modernité ou, du moins, son épuisement.

Dans un livre étonnant, Être postmoderne, le sociologue Michel Maffesoli est pour sa part plus direct : « Certes, la modernité est lente à mourir, mais son agonie est inéluctable. » Dès lors, l’attention de l’intellectuel ne se porte plus sur ce qui est en train de disparaître sous nos yeux, mais sur ce qui advient.

L’ambition est certes plus facile à décider qu’à réaliser. À ce titre, le livre de Maffesoli apparaîtra en plusieurs endroits confus et partant dans des directions diverses. Pour autant, et presque pour des raisons annexes, son propos mérite vraiment le détour. D’abord parce que Maffesoli s’impose comme un esprit libre et cette liberté se manifeste par un style volontiers provocateur, porté par une plume qui n’est pas trempée dans de l’eau de rose. Ses références sont également étonnantes. Il cite volontiers Heidegger, son maître Julien Freund, son ami Baudrillard ou Edgard Morin, mais aussi saint Thomas d’Aquin, l’abbé de Tanoüarn, Maritain ou Gustave Thibon. Plus surprenant, Joseph de Maistre, dont pas un conservateur d’aujourd’hui n’oserait se réclamer, occupe ici une place privilégiée.

On ne prétendra évidemment pas résumer un tel livre. Disons simplement que le sociologue explore, à travers neuf chapitres, plusieurs éléments de ce qui constitue selon lui la « postmodernité », cette époque qui succède à la modernité et qui, sans être anti-moderne, indique « l’émergence d’un autre ordre des choses qui, au-delà ou en deçà du mythe progressiste rappelle la vivacité de la tradition ». Ce qu’il appelle plus loin, « la synergie de l’archaïque et du développement technologique ». Force est de constater qu’il y a bien quelque chose de cela dans le changement de paradigme que nous vivons aujourd’hui…

Philippe Maxence

AU SECOURS DES CHRÉTIENS D’ORIENT
CHARLOTTE D’ORNELLAS, entretien avec Charles de Meyer et Benjamin Blanchard
Via Romana, 2019, 128 pages, 10 €

Ce petit livre répond au besoin de faire mieux connaître l’association SOS Chrétiens d’Orient qui a vu le jour il y a six ans à l’initiative de deux jeunes Français, Charles de Meyer et Benjamin Blanchard. Au fil de l’entretien, mené par Charlotte d’Ornellas, journaliste à Valeurs actuelles, les deux fondateurs racontent cette aventure à laquelle ils se sont sentis appelés à Noël 2013. De la Syrie, terre des débuts, leur action s’est étendue à d’autres pays du Proche-Orient (Liban, Irak, Jordanie, Égypte) où ils se mettent au service des Églises, s’attachant à la reconstruction des lieux détruits et à la relance économique et éducative. Leur but est de maintenir la présence des chrétiens dans leur berceau d’origine, non pas en les enfermant dans des « réserves d’Indiens », mais en leur donnant les moyens de vivre leur foi auprès de toutes les populations. Le nombre croissant des donateurs et l’enthousiasme des volontaires, de plus en plus nombreux, attestent, aux yeux de Charles de Meyer et de Benjamin Blanchard, d’une nouvelle prise de conscience de la vocation de la France au Levant. C’est pourquoi ils insistent sur l’identité chrétienne de l’association, laquelle bénéficie d’un solide accompagnement spirituel. En France, SOS Chrétiens d’Orient n’est pourtant pas à l’abri de critiques, mais les deux responsables y répondent avec calme et sérieux, soutenus en cela par Marc Fromager, directeur d’Aide à l’Église en Détresse (AED), qui, dans sa préface, rend hommage à leurs engagements.

Annie Laurent

LA DICTATURE DES IDENTITÉS
LAURENT DUBREUIL
Gallimard/Le débat, 2019, 126 pages, 14,50 €

Professeur de l’université Cornell aux États-Unis, Laurent Dubreuil a publié une dizaine d’ouvrages parus outre-Atlantique ou en France, touchant à la littérature, aux sciences cognitives et à la philosophie. Ce nouvel essai est différent, Dubreuil donnant à lire un livre sur un sujet d’actualité qu’il nomme, à juste titre, « La dictature des identités ». De quoi s’agit-il ? De ce que nous voyons poindre progressivement, mais en accéléré, en France et en Europe, et qui a déjà envahi nombre de strates de la société américaine, des universités, où le phénomène est né, aux médias en passant par les tensions actuelles au sein du parti démocrate : nous ne serions et n’agirions plus qu’en tant que nous serions membres d’une catégorie (variable) d’humains, aux désirs fluctuants et croisés, comme « femme noire lesbienne féministe minoritaire descendante d’esclaves », « LGBT », devenu « LGBTQIA » et même maintenant, le phénomène se propageant plus vite que l’écriture, « LGBTQIA+ », le « + » désignant le fait de se dire ignorant (pour l’instant) du devenir de sa propre sexualité, une sexualité qui ne devrait rien à la nature mais tout à une construction sociale de type oppressif. Ainsi, notre être naturel et biologique n’aurait pas de réalité : on ne naît pas ce que l’on désire, en quelque sorte, on le devient ! Bien sûr, il faut un haut degré de confusion mentale collectif et personnel pour en arriver là, il faut aussi avoir érigé le Désir en idole indépassable. Le militantisme des minorités dites « identitaires », au sens ici évoqué, et non à son sens véritable de la défense de racines héritées, conduit selon l’auteur à un « despotisme démocratisé » où le pouvoir de surveillance des autres est aux mains de minorités connectées ultra-agissantes, minorités tentées par des sociétés totalisantes appréciant peu le mâle blanc hétérosexuel marié ou la féministe blanche et ses vieilles lubies de 68. Vu des États-Unis, l’horizon qui vient n’est pas réjouissant.

Matthieu Baumier

LE GRAND REMPLACEMENT
Réalité ou intox ?
JEAN-PAUL GOURÉVITCH
Pierre-Guillaume de Roux, 2019, 252 pages, 23 €

Remise en cause des droits historiques d’un peuple à son territoire ? Course hébétée vers la mort à laquelle le condamne un processus de substitution ininterrompu venu d’ailleurs ? Nous le voyons. Nous le déplorons. Et, pour permettre ou faciliter le phénomène, concevoir un malaxage idéologique et abolir cette vieille lune : l’âme nationale ! « Que les mœurs et l’esprit d’un peuple se transforment, se confondent avec ceux des autres, notait jadis Hugues Rebell ; ce peuple aura beau avoir un gouvernement, des frontières, on pourra le croire vivant comme cet homme dont l’assassin portait les habits et s’était fait le masque : en réalité, il n’aura plus d’existence. » Car l’égalité, au sein d’un pays que charpente une culture sui generis, entre lui et ce qui n’est pas lui, produit fatalement sa catalepsie. À l’avenant, entre citoyens et non-citoyens, l’égalité annihile la citoyenneté, qu’elle rend sans objet, et, a contrario, favorise le clampin du bout du monde, indifféremment à sa place partout sur le continent européen avec, en guise de balluchon, une jolie panoplie, mise à sa disposition, de secours et d’avantages divers.

Donc, en dépit des tentatives pour la nier, la farder ou la banaliser, l’immigration est là et ne cesse de croître. Si énorme, si considérable que l’écrivain Renaud Camus, usant d’une formule-choc, a nommé Grand Remplacement (de l’indigène par l’allogène) ce que nous vivons et subissons depuis maintenant plusieurs décennies. Bien entendu, on doit accuser la myopie des gouvernements, coupables d’avoir consenti à la fabrication d’une société multiculturelle émiettée en société multiconflictuelle. On doit s’opposer au climat de pensée répandu par les gros médias, praticiens chevronnés de la novlangue. On doit braver le discours intimidateur, lequel accapare vérité, morale, vertu, cyniquement changées en machine de guerre « remplaciste » contre la libre expression. Bref, on doit résister aux menaces, aux enfumages et aux tours de passe-passe statistiques. Tâche aussi harassante qu’indispensable !

Jean-Paul Gourévitch, pour sa part, expose et ne conclut pas. Ici, il a mis chacun en possession des documents, des chiffres, des analyses qui l’aideront à se forger une opinion réfléchie, voilà tout. Mais, à l’évidence, on y trouve de quoi se faire beaucoup de soucis.

Michel Toda

L’ERREUR ET L’ORGUEIL
Penseurs de la gauche moderne
ROGER SCRUTON
Éditions du Toucan/L’artilleur, 2019, 504 pages, 23 €

Roger Scruton est un des plus éminents penseurs du conservatisme anglo-saxon. Il n’a été traduit que très récemment en France (à l’exception d’une monographie consacrée à Spinoza en 2000). En 2016 avec De l’urgence d’être conservateur (L’artilleur), en 2018 avec Conservatisme (Albin Michel) et, enfin, en 2019 avec L’erreur et l’orgueil. Pourquoi se bouscule-t-on pour le traduire ? Parce que ce grand penseur, anobli par Élisabeth II, fut aussi un acteur engagé auprès des dissidents d’Europe de l’Est ? Parce qu’il est de la même stature que Chantal Delsol, Pierre Manent ou Philippe Bénéton ? C’est aussi que, depuis l’élection de David Cameron en 2010, la pensée conservatrice anglo-saxonne a prouvé trois choses : qu’elle était très riche ; qu’elle était traduisible en termes de politiques publiques ; et qu’elle pouvait directement influencer le politique, et même le porter au pouvoir. Ce qui n’est pas rien dans le désert où nous nous trouvons.

Le titre original de cette réédition (augmentée) d’un essai de 1985 aurait pu aussi se traduire ainsi : Idiots, imposteurs et pyromanes : les penseurs de la gauche moderne. Cette somme se rapproche un peu de l’exercice du théologien réfutateur d’hérésies. Plus de vingt auteurs sont analysés avec une grande finesse. Parfois l’on reste cependant sur sa faim. Mais la plupart du temps on est ébloui, quoique la lecture soit exigeante.

Selon Scruton, ces penseurs de gauche font figure de nihilistes stupides, d’orgueilleux ou d’aliénés, qui détruisent le bien et la civilisation au nom d’abstractions absurdes et méthodologiquement invalides. Cet essai est finalement une plongée dans un asile, au son des « interminables grommellements » de Sartre, Foucault, Jürgen Habermas et consorts.

Yrieix Denis

LA RÉALITÉ ET LE BIEN
Suivi de DE LA VÉRITÉ DES CHOSES
JOSEF PIEPER
Téqui, 2019, 250 pages, 18 €

Philosophe absent de nos manuels, Josef Pieper a pourtant traversé le XXe siècle, contribuant à diffuser une philosophie d’inspiration néo-thomiste. Nous avons nos Gilson et nos Maritain, que ferions-nous d’un Pieper ? C’est à peu près la réaction qu’eût le cardinal Journet quand il refusa la diffusion d’une traduction du penseur allemand, jugé trop « thomistisant ».

Les éditions Téqui rendent justice au philosophe en publiant son premier ouvrage, La réalité et le bien, dans lequel Pieper démontre l’identité du bien et du réel, introduisant le lecteur dans l’intimité de Thomas d’Aquin. Découlant de l’ontologie les principes d’une morale, réunissant la loi naturelle et la loi éternelle, Pieper insiste sur le rôle prépondérant de la raison pratique comme « lien qui relie le moral et la réalité ». En somme, le philosophe catholique cherchant à répondre au kantisme effréné affirme que la raison pratique « représente le fondement métaphysique et ontique de la morale chrétienne classique ».

Davantage qu’une restitution de la pensée de Thomas d’Aquin, les questions que se pose Pieper sont celles d’un philosophe aux prises avec son siècle, un siècle teinté des dernières lueurs d’un idéalisme allemand crépusculaire et d’une phénoménologie puissante. Comment retourner au réel ? Comment avoir foi en ce qui nous entoure, cette réalité est-elle vérité ?

Le second traité contenu dans cet ouvrage De la vérité des choses est plus ambitieux, il tâche de cerner la place de l’homme au sein du monde, dans ses actes non plus moraux mais épistémologiques. Connaître le réel pour connaître la vérité, et par conséquent pour connaître Dieu.

C’est là le chemin auquel Pieper nous invite presque un siècle après la rédaction de ces œuvres. Il s’agit maintenant de laisser cette pensée pénétrer notre quotidien afin de retrouver la place qui revient à l’homme en nous rappelant que « le monde des choses existantes est placé entre deux intellectus, le divin et l’humain. Et c’est en cela que réside, comme le sait la tradition de l’ontologie occidentale : la vérité des choses ».

Baudouin de Guillebon

ENQUÊTE SUR LA THÉORIE DU GENRE
ESTHER PIVET
Artège, 2019, 260 pages 14,90 €

L’enquête sur la théorie du genre d’Esther Pivet, vrai panorama de la question, est un livre rigoureux, fouillé et clair que chacun devrait avoir lu, en particulier ceux dont les enfants subissent ce que Laurent Dubreuil appelle « la dictature des identités » dans des universités assaillies de prétendus sociologues confondant leurs désirs avec la science. Le lecteur curieux ira consulter le programme de recherches de Science Po Paris dirigé depuis février 2019 par Najat Vallaud-Belkacem et consacré aux « études de genre », appelé ironiquement « Présage »…

Le livre sera par ailleurs l’occasion, pour ceux qui en ignorent l’existence de découvrir la richesse informative que constitue le site du collectif VigiGender, dont Esther Pivet est la coordonnatrice. Dictature des identités ? Effectivement. Au sens de ces volontés militantes confinant au sectarisme que l’on espérait disparues à la fin du siècle dernier et qui prétendent détenir une vérité qu’il faudrait imposer de force aux ignorants supposés que nous serions. Pour les militants du genre, comme pour ceux des autres minorités identitaires, persuadées que l’identité et la sexualité cela se construit et se choisit, chacun serait en droit de faire admettre sa lubie du moment à la collectivité. Ici, le lecteur saura ce dont on parle : le genre, « théorie » ou « études », la confusion entre identités et désirs, le faux nez des « études de genre », l’intrusion des associations minoritaires LGBT à l’école, les effets sur nombre d’enfants, la diffusion de la théorie dans toutes les strates de la société… Le tout appuyé sur des exemples précis, et en particulier sur des études scientifiques impossibles à qualifier d’extrémistes, comme font habituellement ceux qui refusent tout débat, montrant clairement combien la notion de genre est une duperie.

À lire de toute urgence, en gardant un œil sur les manuels scolaires de ses enfants dans lesquels, paraît-il, il n’y aurait rien de cela…

Matthieu Baumier

LA FACE CACHÉE DU SOCIALISME
JEAN-PIERRE DESCHODT
Cerf, 2019, 376 pages, 24 €

L’histoire du socialisme français au XIXe siècle a longtemps été considérée comme une forme de parcours initiatique conduisant inéluctablement au socialisme scientifique. Cette vision tronquée des historiens marxistes du XXe siècle a répandu la fausse idée que le combat contre le libéralisme était exclusivement celui de Marx, d’Engels et de leurs héritiers. Jean-Pierre Deschodt a voulu creuser plus loin en s’appuyant sur une méthode historiographique éprouvée mais rarement utilisée : l’histoire sémantique. Dans ce livre, il nous fait découvrir que le premier usage du mot « socialisme » était tenu par la contre-révolution à la fin du XVIIIe siècle.

Le socialisme de la première moitié du XIXe siècle s’est construit sur ces bases. Bien qu’authentiquement à gauche, il appuyait le constat d’une Révolution française destructrice de la cohésion sociale et de la protection des travailleurs, dès le vote en 1791 de la loi Le Chapelier contre les corporations. Pierre-Joseph Proudhon, fondateur du socialisme mutuelliste, n’est-il pas, avant d’être un grand admirateur de Feuerbach, un fervent lecteur de la Bible et de Bossuet ?

Cependant, Proudhon puis ses disciples eurent beaucoup de peine à faire valoir leurs idées devant le socialisme dit « collectiviste ». Les deux tendances se combattront dans la deuxième moitié du XIXe siècle, entre dissensions internes, schismes et créations de nombreux partis aux spécificités idéologiques à peine perceptibles. Seule la synthèse jaurésienne mettra fin à cet éparpillement en 1905, conduisant à la victoire du collectivisme. C’est l’un des mérites de ce livre d’avoir remis à l’honneur le socialisme proudhonien dont l’auteur estime qu’il pourrait bien ressusciter au XXIe siècle.

Pierre Mayrant

GUIDE DES SANCTUAIRES MARIAUX DE France
DOMINIQUE LE TOURNEAU
Artège, 2019, 650 pages, 24,90 €

Mgr Le Tourneau, prêtre de l’Opus Dei, nous offre là un guide exhaustif des 2900 sanctuaires mariaux classés par département. Les 140 principaux sites sont présentés avec un historique et une approche spirituelle, ainsi qu’avec tous les éléments pratiques indispensables. Un excellent guide.

Patrick Kervinec

OUF ! MAMAN PART AU COUVENT
STÉPHANIE COMBE
Quasar, 2019, 196 pages, 14 €

Journaliste à La Vie et elle-même jeune mère de famille de trois enfants, Stéphanie Combe nous fait le portrait de Clémentine, une Parisienne dans la même situation familiale que l’auteur. Toujours débordée entre les enfants, le mari, la maison et son travail, elle s’épuise et a l’impression de faire tout mal, de n’être à la hauteur dans aucun de ces domaines. Heureusement, elle s’est octroyée six jours de retraite dans une abbaye du sud de la France. L’auteur nous narre ces six jours qui vont voir notre héroïne se transformer peu à peu. En réalité, bien plus qu’un roman, c’est un véritable petit traité spirituel que nous offre là Stéphanie Combe. En effet, à travers les instructions du prêtre, les conseils des religieuses ou des autres retraitantes, l’auteur distille un magnifique vade-mecum de la vie spirituelle, non seulement pour mères de famille submergées, mais plus généralement pour les laïcs que nous sommes, engagés dans les affaires de ce monde qui tend à tout dévorer. C’est bien écrit, enlevé et, cerise sur le gâteau, plein d’humour et de finesse. Bref, un excellent petit livre à lire et à méditer.

Christophe Geffroy

LA PAROISSE ÉTAIT PRESQUE PARFAITE
ANNE KURIAN
Quasar, 2019, 176 pages, 13 €

Comment le Père Luc, un curé zélé, essaie de donner un nouvel élan missionnaire à sa paroisse ? Tel est le thème du nouveau roman d’Anne Kurian après Le secret d’Emma M. et Beau Brun Ténébreux. Samuel, un journaliste athée en mal d’article, beau-frère d’un fidèle du curé, se met à suivre cette expérience qui mettra du temps à aboutir dans une direction finalement imprévue au départ. Et d’hostile, Samuel, sans se convertir, finit par écrire un reportage élogieux sur cette paroisse attachante. C’est sympathique, mais un cran en dessous de ses deux précédents romans et, surtout, sans comparaison avec l’excellent Monsieur le curé fait sa crise (Quasar, 2016) de feu l’ami Jean Mercier.

Patrick Kervinec

© LA NEF n°315 Juin 2019