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Le Droit, arme de guerre des USA

Les États-Unis se servent du Droit pour déstabiliser les entreprises européennes. Explications.

La campagne électorale pour les présidentielles américaines de 2022 s’est ouverte fin juin. Au bout du chemin, il y a des conséquences fondamentales sur nos vies d’Européens, dans un contexte où les États-Unis continuent à dominer économiquement le monde, sans tenir compte de règles du jeu juridiques dont ils affirment pourtant la nécessité. Le chercheur associé à l’IRIS, par ailleurs chroniqueur sur France 24, Ali Laïdi, spécialiste de la « guerre économique », le montre après deux ans d’enquête sur l’extraterritorialité du Droit américain (1) : l’offensive juridique américaine permanente a pour but de vassaliser d’autres économies, à commencer par l’économie européenne, en prétendant moraliser les pratiques frauduleuses. L’essai vise juste car il s’appuie sur nombre de cas concrets où des entreprises sont menacées parce qu’elles ne respectent pas la loi américaine, loi qui devient ainsi de fait la loi du (plus fort) à l’échelle mondiale. L’exemple récent de Huawei est frappant. Pour le chercheur, nous sommes dans « une guerre économique froide », et dans cette guerre les États-Unis affirment leur puissance. Le fait n’est pas inédit : l’affrontement économique et politique entre puissances étant la base des relations entre ces mêmes puissances.

De la volonté de puissance dans le domaine du Droit
La particularité du Droit extraterritorial américain vient de cette volonté de projeter leur puissance à l’extérieur, obligeant toutes les entreprises du monde à respecter leurs lois. Nos « élites » semblent tomber de la lune et se sont tardivement aperçues que nous sommes soumis juridiquement aux États-Unis. L’auteur montre que nombre d’entreprises françaises se retrouvent amenées à payer des amendes faramineuses, après qu’elles aient eu l’obligation de prouver elles-mêmes leur culpabilité pour échapper à des sanctions plus lourdes. Les exemples ne manquent pas, à commencer par l’ancienne CGE et ses surgeons comme Alcatel ou Alstom. C’est toute l’industrie et au-delà toute l’économie française qui a été soumise, et l’est encore, au Droit américain, avec les conséquences humaines que cela induit. En face, l’Union Européenne a montré ce qu’elle fait le mieux : ne servir à rien. Résultat ? Les États-Unis déstabilisent les entreprises européennes par un jeu juridique sans tribunaux.

De l’utilité d’un certain libéralisme ?
Que le libéralisme dresse les hommes les uns contre les autres sur un plan économique, montant en épingle le désir individuel au détriment de la réalité de la personne humaine, est un fait. De même, que les États-Unis soient les chantres de l’extension de la vision libérale du monde et de l’humain à l’échelle planétaire, ce que nous appelons « mondialisation », y compris sur le plan du Droit, ne fait pas de doute. Pourtant, ces faits nous obligent-ils à une espèce de bonne conscience ou de naïveté antilibérale primaire ? Qu’on le veuille ou non, la réalité est claire : le monde dans lequel nous vivons est culturellement, philosophiquement et économiquement libéral. Les trois sont liés, bien sûr, affirmer le contraire n’aurait pas de sens. Les deux premiers vont par nature à l’encontre du christianisme. Le troisième peut, quant à lui, être envisagé comme un outil déjà là et dont il s’agirait de tenir compte, sauf à avoir cédé par avance et désespoir au possible de redonner sa dignité à l’être humain. Qu’est-ce à dire ? Que la mondialisation est un libéralisme devenu intégriste comme diverses formes religieuses ou non sont par le passé devenues intégristes. Il n’y a rien à espérer d’un intégrisme puisqu’il confond la tradition dans laquelle il s’inscrit avec des « vérités » humaines aux couleurs de sectes.
La mondialisation est un phénomène sectaire qui a ses gourous : regarder la figure des tenants du transhumanisme et de l’humanité 2.0, ou de LREM pour la France suffit à le percevoir. Repenser nos sociétés et la place de l’humain, chrétiennement enracinées, sauf posture intellectuelle loin du réel pragmatique, développer une pensée conservatrice repartant de là où nous en sommes donc, ne fera pas immédiatement fi du libéralisme. Si par libéralisme, nous entendons économie de marché ou économie sociale de marché, fondée sur la recherche du bien commun, dès l’échelon local, et non plus du profit individualiste maximalisé et mondialisé, pourquoi pas ? Sauf à rêver d’utopies révolutionnaires dont le passé a montré le degré de déshumanisation. Le reste est rapport de puissance.

Matthieu Baumier

(1) Ali Laïdi, Le Droit. Nouvelle arme économique, Actes Sud, 2019, 332 pages, 22 €.

© LA NEF n°316 Juillet-Août 2019