Du 6 au 27 octobre se tiendra à Rome le synode sur l’Amazonie. L’« instrument de travail », rendu public le 17 juin, a été l’objet de nombreuses critiques. Analyse des enjeux du synode.
C’est assurément la surprise qui a accueilli, l’an dernier, l’annonce de la convocation d’un synode pour l’Amazonie, qui aura lieu du 6 au 27 octobre 2019. Pourquoi – s’est-on interrogé – consacrer un synode à une région particulière, alors que la mondialisation tend à rendre transversaux les enjeux auxquels est confrontée l’Église ? Et pourquoi l’Amazonie en particulier, alors que cette région, quoique très étendue (7,8 millions de km²) et couvrant neuf pays différents (1), n’est peuplée que de quelques millions d’habitants ?
Une partielle réponse à cette question peut être recherchée dans l’Instrumentum laboris (instrument de travail) rédigé par le REPAM (Red Eclesial Pan-Amazónica) (2), puisque ce document, intitulé « Nouveaux chemins pour l’Église et pour une écologie intégrale », permet de mieux cerner les objectifs du synode.
Deux d’entre eux doivent être plus particulièrement évoqués ici : le premier – l’ordination des hommes mariés –, parce qu’il sera sans doute le plus commenté ; le second – faire de l’Amazonie un modèle pour l’Église –, parce qu’il inspire toutes les pages de l’Instrumentum laboris.
Objectifs du synode
L’ouverture de la prêtrise aux hommes mariés n’est pas, du moins pas en apparence, l’objectif principal du synode, mais il est assurément celui qui retiendra le plus l’attention. En tout cas, il est expressément mentionné par l’Instrumentum laboris, celui-ci invitant explicitement les pères synodaux à réfléchir à la possibilité de « procéder à l’ordination sacerdotale de personnes aînées, préférablement autochtones, respectées et acceptées par leur communauté, même si elles ont une famille constituée et stable, dans le but d’offrir les sacrements qui accompagnent et sanctionnent la vie chrétienne ».
Mais, à lire l’Instrumentum laboris, le synode vise un objectif bien plus considérable : il s’agit ni plus ni moins d’inviter l’ensemble de l’Église catholique à se mettre à l’écoute de l’Amazonie et à s’inspirer des sagesses des peuples de la région. Pourquoi ? Parce que l’Amazonie est un véritable « lieu théologique », un « lieu épiphanique », un lieu de la révélation de Dieu : à l’inverse des Églises occidentales dont le paradigme est trop souvent fondé sur une rupture (entre Dieu et la nature, entre les hommes et la nature), il n’existe pas, dans cette immense région périphérique, de séparation entre le cosmos, la divinité, la terre et ses habitants. Autrement dit, pour reprendre une formulation chère au pape François, « tout y est connecté ». Et cette sagesse ancestrale, cette « cosmovision », qui est elle-même un fruit de l’Esprit Saint, antérieur à la révélation chrétienne, doit devenir « un point de référence pour la mise en application d’un nouveau paradigme d’écologie intégrale ».
Violentes réactions
Comme il fallait s’y attendre, l’Instrumentum laboris a déclenché une polémique d’une rare violence, plus rude encore que celles auxquelles avaient donné lieu les précédents synodes sur la famille et sur la jeunesse. Et, comme si l’Allemagne était décidément condamnée à être, dans l’histoire, le lieu des grandes fractures de l’Église, il semble que l’épicentre des invectives échangées de part et d’autre soit situé dans l’aire germanique, pourtant éloignée à tous égards de l’Amazonie. Ainsi, ce sont des Allemands (ou des Autrichiens), tels le cardinal Kasper, Mgr Overbeck (évêque d’Essen), ou Mgr Erwin Kräutler (évêque émérite de Xingu, Brésil, et principal rédacteur de l’Instrumentum laboris), qui figurent parmi les soutiens les plus actifs du synode. Mais ce sont également des Allemands (ou des Suisses allemands) qui en sont les contempteurs les plus visibles, tels le cardinal Brandmüller, qui a parlé, à propos de l’Instrumentum laboris, d’« hérésie » et d’« apostasie », le cardinal Müller, Mgr Schneider, évêque auxiliaire d’Astana, ou encore Mgr Eleganti, évêque auxiliaire de Coire.
L’Instrumentum laboris n’aurait donné lieu à aucune controverse publique qu’il n’en soulèverait pas moins des enjeux d’une portée fondamentale, touchant la théologie du sacerdoce, la doctrine de la Révélation et la théologie politique.
Les enjeux
S’agissant du premier de ces enjeux (le sacerdoce ministériel), la question n’est plus vraiment de savoir si le synode débouchera sur la possibilité, en Amazonie, d’ordonner des hommes mariés, puisque des signes forts mettent en évidence qu’il s’agit là d’une intention du Saint-Père lui-même (3). Ainsi, il fait peu de doute que cette réforme sera entérinée à l’issue du synode. Restent de grandes incertitudes. D’abord, ladite réforme sera-t-elle, en raison de la pression exercée en ce sens, notamment par l’épiscopat allemand, étendue à toute l’Église latine ? Ensuite – et cette question est beaucoup plus délicate théologiquement –, le diaconat sera-t-il ouvert aux femmes, comme l’ont réclamé le groupe de travail du REPAM et Mgr Kräutler (4), au risque de provoquer un schisme (5) ? Enfin, le synode fera-t-il droit à la proposition de l’Instrumentum laboris – également très délicate théologiquement car en rapport avec la structure hiérarchique de l’Église – d’un découplage entre le pouvoir de gouvernement et le sacrement de l’Ordre ?
S’agissant de l’enjeu tenant à la doctrine de la Révélation, il est vrai que certaines formulations de l’Instrumentum laboris ne laissent pas de surprendre et exigeraient sans doute une clarification bienvenue. Tel est, par exemple, le cas lorsque le texte affirme que le territoire de l’Amazonie constitue une « source particulière de la révélation de Dieu », alors que, selon la constitution conciliaire Dei Verbum, la révélation est pleinement contenue dans l’Écriture Sainte et la Tradition. Il en va également des références répétées à la « Terre Mère », ou à la « connexion » qui existerait entre la terre, la divinité et les hommes, de telles formulations pouvant évoquer plus le panthéisme (qui postule la fusion entre la divinité et la création) que le christianisme (fondé sur la distinction entre l’une et l’autre). Il en va enfin de l’éloge appuyé et répété des religions autochtones, dont les aspects négatifs (infanticide, cannibalisme, sorcellerie) sont soigneusement tus et les aspects positifs décrits avec grande complaisance.
Quant à l’enjeu de théologie politique, l’Instrumentum laboris semble ouvrir grandes les portes de l’Église – c’est du moins la critique qui lui en est faite – à la théologie indienne et à l’éco-théologie, deux branches dérivées de la théologie de la libération, pour lesquelles le rôle historique de la Révolution appartient aux peuples indigènes et à la nature. Et c’est un fait que le texte, sans craindre de céder à un évident cléricalisme politique, dénonce à l’envi le « modèle culturel occidental » et invite à soutenir les « mouvements sociaux pour annoncer prophétiquement un programme de justice agraire », « l’agriculture biologique et agro-forestière », le modèle indien du « bien-vivre », « les marchés éco-solidaires, une consommation juste et une sobriété heureuse »…
Bien présomptueux celui qui prétendrait deviner ce qui ressortira de cet étonnant synode, tant les incertitudes le concernant restent nombreuses. Mais, s’il devait seulement en résulter l’ouverture de la prêtrise aux hommes mariés, cette réforme modifierait de manière profonde l’image de l’Église catholique latine, peut-être dans une mesure comparable à ce que le concile Vatican II a réalisé en son temps. En cela, Mgr Overbeck, représentant d’une Église allemande en faillite, aurait alors raison de dire : « rien ne sera plus comme avant. »
Jean Bernard
(1) Une partie du Brésil, la Bolivie, le Pérou, l’Équateur, la Colombie, le Venezuela, la Guyana, le Suriname et la Guyane française.
(2) Le REPAM, constitué en 2014, est un projet issu des neuf Églises de la région amazonienne, inspiré par le pape François et appuyé par la Conférence épiscopale d’Amérique latine.
(3) Dans un entretien récent, le cardinal Joao Braz de Aviz a déclaré que « l’impulsion à cet égard venait du pape François » (interview au journal paraguayen ABC Color, 10 juillet 2019).
(4) Mgr Kräutler a exprimé le souhait que des femmes deviennent « au moins diacres » et que, après, « on verra comment on peut aller de l’avant » (interview à la radio autrichienne ORF, 14 juillet 2019).
(5) Le 26 juillet 2019, le cardinal Müller a déclaré qu’« aucun synode – avec ou sans le pape –, aucun concile œcuménique, ou encore aucun pape, même parlant ex cathedra, ne pourrait rendre possible l’ordination des femmes comme évêques, prêtres ou diacres ». Et il a ajouté : « Nous ne reconnaîtrons pas ces ordinations. »
© LA NEF n°317 Septembre 2017