Père Sergio Ticozzi

L’Église en chine, un an après l’«Accord provisoire» de 2018

Le Père Sergio Ticozzi est un prêtre italien membre de l’Institut pontifical des Missions étrangères (PIME) qui l’a envoyé à Hong Kong en 1969. Il a depuis toujours résidé en Chine. Entretien.

La Nef – Pouvez-vous d’abord présenter aux lecteurs votre parcours de prêtre, membre du Pontificio Istituto Missioni Estere (PIME) de Milan. Quand avez-vous connu la Chine ? Quelle mission y avez-vous exercée ? Quelle est votre mission actuelle à Hong Kong ?
Père Sergio Ticozzi
– L’Institut Pontifical des Missions Étrangères, dont je suis membre, travaille dans la Mission de Hong Kong depuis 1858 et en a été responsable pendant un peu plus de cent ans. Après avoir été ordonné prêtre en 1968, mes supérieurs m’ont envoyé à Hong Kong et j’y suis arrivé l’année suivante après une année pour étudier l’anglais à Londres. La Mission de Hong Kong venait d’être confiée au clergé chinois en 1968. Les membres du PIME continuaient à faire œuvre d’évangélisation et à exercer leur ministère apostolique dans la pleine disponibilité à l’Église locale sous le premier évêque chinois, Mgr François Hsu. Ils restent encore à la disposition de l’évêque local. J’ai surtout travaillé en paroisse et dans le secteur scolaire comme enseignant et aumônier. Ces genres d’engagement sont encore actuellement ceux qu’exercent la majorité des pères du PIME, avec divers autres engagements dans les services sociaux, spécialement en faveur des handicapés.
Personnellement, je me suis rapidement intéressé à la réalité de la Chine continentale et de l’Église puisque le PIME y avait travaillé dans quatre diocèses avant les années 1950. J’ai essayé de rester en contact avec eux et j’ai également eu la possibilité de travailler en Chine continentale pendant sept ans dans un projet de coopération entre les gouvernements italien et chinois, puis comme traducteur. Depuis lors, je me suis toujours intéressé à la réalité de l’Église en Chine, un travail dans lequel je suis toujours engagé à l’Holy Spirit Study Centre de Hong Kong.

Quel bilan peut-on dresser de l’« Accord provisoire » entre la Chine et le Saint-Siège, un an après sa signature ?
Le contenu de l’Accord est secret et donc il n’est pas facile d’en faire un bilan objectif.
Concrètement, la légitimation des sept évêques jusque-là excommuniés a été positive, puisqu’elle a été voulue pour éviter de nouvelles ordinations épiscopales illégitimes et donc le danger d’un schisme ouvert. La concession de leur juridiction épiscopale a cependant causé un certain nombre de problèmes, en particulier pour Mgr Vincenzo Guo Xijin de Mindong et dans d’autres endroits à cause des conflits de juridiction.
Selon ce qui est dit au Vatican, l’Accord a traité déjà de la nomination des évêques, réservant l’ultime décision au pape. Le Saint-Père n’a cependant pas la possibilité de choisir librement les candidats, qui seront toujours proposés par les autorités chinoises. Qui plus est, jusqu’à présent, il n’y a pas eu d’ordinations épiscopales. Il n’y a eu que deux élections « démocratiques », chacune avec un seul candidat, élections qui avaient déjà été approuvées depuis des années par le Saint-Siège.
L’Accord, à cause de son contenu secret, est en outre exploité par les autorités chinoises pour poursuivre leur politique de contrôle et pour contraindre tous les catholiques, clergé et fidèles, à entrer dans le cadre « patriotique » et pour justifier les restrictions en vigueur.

Le Saint-Siège a publié le 28 juin dernier des Orientations pour le clergé en Chine. Elles traitent principalement de l’enregistrement auprès des autorités civiles qui est exigé de tout prêtre en Chine. C’est un texte important puisque le Saint-Siège autorise les prêtres à faire des restrictions par écrit ou oralement et « comprend et respecte le choix de ceux qui, en conscience, décident de ne pas pouvoir s’enregistrer dans les conditions présentes ». Ces directives, que vous avez été un des premiers à demander au Saint-Siège, vous semblent-elles suffisantes ?
Le Saint-Siège a finalement pris une position ! Ce document est sans aucun doute important et positif, parce que pour la première fois il traite de la situation concrète de l’Église en Chine et tient directement compte du problème de conscience qui a accablé de nombreux frères chinois depuis des années. Dans cette perspective, le Saint-Siège cherche à expliquer comment il faut comprendre la notion d’« indépendance » de l’Église catholique en Chine, c’est-à-dire « non pas dans un sens absolu, c’est-à-dire comme une séparation d’avec le pape et l’Église universelle, mais dans un sens relatif concernant la sphère politique ». Et, étant donné la nouvelle situation, il estime donc légitime une attitude nouvelle. Il laisse cependant la liberté de conscience des individus, en suggérant également des moyens concrets pour la sauvegarder, même s’il souligne que la clandestinité n’est pas la situation normale pour l’Église.
Le document, peut-être parce qu’il veut donner des Orientations pastorales pour le clergé, ne demande qu’indirectement aux autorités chinoises de tenir l’engagement pris et la « garantie de respecter la conscience et les convictions catholiques profondes des personnes concernées ». Mais le document ne traite pas du respect des droits humains des catholiques, ni ne mentionne les restrictions en vigueur sur les structures de l’Église et surtout sur la vie des catholiques, l’éducation religieuse de la jeunesse et les interférences indues au nom de la « sinisation ».
Le document donne donc l’impression de faire un discours quelque peu théorique, limité et optimiste. Mais c’est indubitablement un pas en avant pour clarifier l’ambiguïté dans laquelle se trouve l’Église en Chine et les rapports du Saint-Siège avec les autorités chinoises. On attend néanmoins d’autres interventions du Saint-Siège sur les restrictions contre l’Église déjà mentionnées, sur la structure démocratique imposée et surtout sur l’instrumentalisation de la religion à des fins politiques.

Quel va être, selon vous, le sort des évêques nommés et consacrés jusqu’au début des années 2000 sans l’accord du gouvernement. Peuvent-ils être reconnus par le gouvernement ?
Selon des représentants du Saint-Siège, cette requête a été formulée lors des négociations entre la Chine et le Vatican. Une solution simple serait que les autorités chinoises laissent travailler officiellement ces évêques sans leur demander d’adhérer à l’Association patriotique. Mais jusqu’à présent, le gouvernement chinois n’a rien fait de concret. L’installation officielle en janvier de Mgr Pierre Jin Lugang à Nanyang était une demande qui durait depuis environ deux ans. Néanmoins cette solution rencontre des obstacles de la part des responsables locaux en charge des affaires religieuses qui continuent à agir comme avant, selon leurs propres intérêts.

Même si les négociations entre le Saint-Siège et le gouvernement chinois se poursuivent, un des dangers principaux pour l’Église de Chine n’est-il pas la « sinisation » à laquelle le président Xi Jinping est très attaché et qu’il entend appliquer dans tous les domaines, y compris pour les religions ?
Je suis tout à fait d’accord. Sous le terme de « sinisation », on regroupe depuis 2015 toutes les mesures restrictives qui, parties des provinces du Jiangxi et du Henan, s’appliquent maintenant aussi dans le reste du pays. L’objectif du président Xi Jinping et des autorités chinoises est, à mon avis, d’obtenir le plein contrôle sur les religions, et donc l’élimination de tout secteur non officiel, faisant de l’Église une institution étatique et du clergé des fonctionnaires obéissants. Les préoccupations principales des autorités sont donc principalement l’élimination du clergé non officiel et le contrôle de l’éducation des jeunes de moins de 18 ans. Seule l’éducation athée est permise et promue.

Les grandes manifestations de Hong Kong contre le projet de loi sur l’extradition ont montré l’attachement au statut spécial dont bénéficie le territoire jusqu’en 2047. Mais n’est-ce pas aussi le signe d’un profond malaise dans la société hongkongaise ?
Il ne fait aucun doute que les récentes manifestations de protestation à Hong Kong sont un signe clair du mécontentement de la population à l’égard de l’administration publique actuelle. La population a profité du débat sur le projet de loi relatif à l’extradition pour manifester en grand nombre son mécontentement face aux ingérences indues de Pékin et à l’absence d’autonomie réelle et de démocratie. Ce sont surtout les jeunes et les étudiants qui ont été les porte-parole de la protestation, parce qu’ils ne voient pas d’avenir pour eux si ce mode d’administration continuait dans cette voie. Ces événements démontrent l’incapacité des responsables politiques à communiquer efficacement avec la population et, encore moins, à comprendre les besoins des nouvelles générations. Ils ne réalisent pas que le présent malaise de fond de la société de Hong Kong n’est pas seulement dû aux difficultés économiques consécutives à la « guerre commerciale » en cours entre les États-Unis et la Chine, mais exprime aussi les aspirations de tous à pouvoir mener librement leur propre vie sans une continuelle menace sur leur tête.

Propos recueillis et traduits de l’italien par Yves Chiron

© LA NEF n°317 Septembre 2019