Livres Juillet-Août 2019

L’ARCHIPEL FRANÇAIS
Naissance d’une nation multiple et divisée
JÉRÔME FOURQUET
Seuil, 2019, 384 pages, 22 €

C’est une véritable radiographie de la dislocation de la société française depuis une bonne vingtaine d’années que Jérôme Fourquet nous offre là. Cela rejoint très largement les conclusions des travaux de Christophe Guilluy, depuis Fractures françaises (2010) et La France périphérique (2014). Moins analytique que Guilluy, Fourquet, directeur du département Opinion à l’IFOP, a le mérite de fournir un très grand nombre de données statistiques et de tableaux variés qui accréditent sans discussion possible la thèse d’une France aujourd’hui fracturée, que l’auteur nomme « l’archipel français », comme des îles proches qui, bien que pouvant entretenir des liens les unes avec les autres, n’en sont pas moins autonomes, ne formant plus une nation une et indivisible structurée par un référentiel culturel commun.

À la base de cet effondrement et de cette fragmentation, il y a la disparition incroyablement rapide de la matrice « catholique-républicaine » qui formait le socle de la culture commune. Là-dessus, les chiffres présentés sont impressionnants ! Il y a ensuite la sécession des élites et la marginalisation progressive des catégories populaires, de la « France périphérique » si bien décrite par C. Guilluy. Et là, l’originalité est le travail réalisé par J. Fourquet sur l’analyse statistique des prénoms qui fournit des renseignements précieux, et montre notamment l’inquiétant phénomène de communautarisation de la société française, tout particulièrement en ce qui regarde l’islam, produit de l’immigration massive qui arrive en France depuis maintenant une quarantaine d’années. L’ouvrage se termine par l’examen cartographique de la victoire d’Emmanuel Macron à la présidentielle de 2017 qui confirme le diagnostic posé.

Un livre glaçant par la réalité qu’il montre et dont on voit mal comment la contester. J. Fourquet n’est pas un idéologue, il fournit chiffres et tableaux difficilement discutables. Son approche, néanmoins, purement statistique et sociologique, demeure assez figée et n’intègre pas des dynamiques qui échappent à ses outils, comme, par exemple, les réalités de la vie de foi des chrétiens d’aujourd’hui qui ne sont peut-être pas aussi morts que le laissent croire les sondages ou les statistiques.

Christophe Geffroy

ISLAMOPHOBIE
Intoxication idéologique
PHILIPPE D’IRIBARNE
Albin Michel, 2019, 232 pages, 19 €.

Soulignons-le d’emblée : ce livre revêt un intérêt majeur en ce qu’il propose enfin une analyse pertinente sur l’usage d’un concept moderne qui empoisonne le débat public autour de l’islam et de sa compatibilité avec la civilisation européenne. Au fil de ses pages, l’auteur, directeur de recherches au CNRS, montre comment l’islamophobie, condamnée jusqu’à l’ONU, résulte d’une logique de retournement idéologique.

À travers un procédé accusateur tendant à confondre toute critique de l’islam avec la haine ou le racisme (!) envers les musulmans, il s’agit d’occulter, voire de nier, ses réalités gênantes, y compris les atteintes à la liberté religieuse et le recours au terrorisme. Il s’agit en même temps d’entretenir à la fois une attitude d’auto-culpabilité des Occidentaux et de victimisation des musulmans, en particulier au sein des sociétés d’accueil. « C’est qu’il faut faire pénétrer dans les esprits une vision selon laquelle les musulmans seraient mal traités en tant que tels, en fonction d’un rejet général et aveugle de tout ce qui touche à l’islam », remarque Philippe d’Iribarne.

Les situations les plus courantes qu’il examine, telles que la prudence des employeurs au moment de l’embauche et le rejet que suscite la sujétion de la femme, notamment à travers le voile, montrent que ce n’est pas la croyance religieuse en tant que telle qui inspire la méfiance mais certains préceptes et comportements qui s’y réfèrent, puisque l’islam comporte aussi un ordre social et conquérant, lequel « fait bon marché des valeurs de liberté et d’égalité auxquelles l’Occident est attaché ».

Enfin, déplorant l’« islam imaginaire » véhiculé dans les milieux universitaires, médiatiques et politiques au nom d’un impératif moderne d’idéal universel qui interdit toute remise en cause de « l’affirmation d’égalité fondamentale des religions », ou même au sein de l’Église en Europe où l’on souligne l’apport bénéfique « des religions » dans la vie commune, Philippe d’Iribarne ose dire le mauvais service qui est ainsi rendu aux musulmans eux-mêmes par le mensonge inhérent au discours sur l’islamophobie : tout en freinant le mouvement d’inculturation ou d’émancipation d’une partie d’entre eux attachés à la liberté de pensée, on encourage les autres à construire une contre-société islamique.

L’Occident doit donc s’engager dans une démarche de vérité dans son rapport au monde de l’islam, conclut l’auteur dans une invitation courageuse qui mérite d’être entendue.

Annie Laurent

MADE IN LABO
De la procréation artificielle au transhumanisme
DOMINIQUE FOLSCHEID
Cerf, 2019, 512 pages, 24 €

Made in labo. De la procréation artificielle au transhumanisme est un essai stimulant et percutant, fouillé, tout en donnant nombre d’exemples liés à l’actualité. Il faut dire que ce sujet est une spécialité de son auteur, Dominique Folscheid, philosophe et codirecteur du Département d’éthique biomédicale du Collège des Bernardins. Le livre parvient entre nos mains en pleine période où le macronisme lance sa grande offensive en faveur de la PMA pour toutes les femmes, « couples de même sexe » et femmes seules. Ainsi que le souhaitait déjà Macron en 2017. Pour Folscheid il ne fait aucun doute que la PMA ainsi conçue est une étape supplémentaire dans la « crise anthropologique » que nous subissons, crise dont l’origine peut être datée de la naissance de Louise Brown, premier « bébé-éprouvette », en 1978. Avant cette date, « l’engendrement des enfants dépendait, par nécessité de nature, de la rencontre charnelle entre un homme et une femme ». Depuis, nous sommes entrés dans une nouvelle ère, avec ses prophètes et ses intellectuels ou scientifiques fous : « L’obstacle absolu que la procréation humaine opposait à tout projet de métamorphose de l’être humain en sa nature même a été levé. » L’heure est donc à une sorte de nouvelle spiritualité, dogmatique comme aucune ne l’a été, réfutant d’autant plus toute contradiction qu’elle se présente comme chantre du « progrès », une superstition prétendant réécrire ce qu’est un humain. Avec la PMA autorisée pour des raisons autres que médicales, annonçant la GPA, soit pour les autres « couples de même sexe », masculins, c’est tout un pan de nos limites qui est ébranlé. Au-delà du mur ? La génétique, l’humanité 2.0, les humains génétiquement modifiés, un humain devenu un banal végétal conçu sous OGM en somme. Voilà un essai clair et incisif, faisant le tour d’une question grave : à mettre entre toutes les mains, y compris si possible à l’entrée de toutes les églises.

Matthieu Baumier

POUR DIEU ET POUR LE ROI
MARIE-JOËLLE GUILLAUME
Perrin, 2019, 400 pages, 24 €

Ce beau livre est un vaste survol de l’histoire de France, allant du règne d’Henri III à celui de Louis XVI, à travers le portrait de douze grands prélats ayant servi l’État. Une histoire mouvementée et embrouillée (Guerres de Religion, Fronde, jansénisme, quiétisme, etc.) mais qui devient claire et passionnante sous la plume de Marie-Joëlle Guillaume. Il est frappant de constater que tous ces grands prélats (Bérulle, Richelieu, Bossuet, Fénelon…) ont un point commun : le respect de leur fonction et celui de leur souverain ; tous ont commencé leur carrière comme évêque et tous ont gouverné leur diocèse avec compétence, sagesse et charité, allant jusqu’à sacrifier tout ou partie de leurs revenus en cas de disette ou d’épidémie ; la plupart aussi ont su renoncer à leur charge, pourtant source de revenus, lorsque le roi les a appelés à son service particulier. Alors, tous ont su mettre leur compétence au service du royaume, avec des options différentes, évidemment, mais honnêtement.

Tous sont profondément convaincus de la noblesse du pouvoir que les souverains n’exercent que par délégation divine et pour le bonheur de leur peuple. « Le règne de Dieu est le principe du gouvernement des États, sans ce fondement, il n’y a pas de prince qui puisse bien régner ni d’État qui puisse être heureux », écrivait Richelieu dans son testament politique ; et Bossuet : « Vous devez considérer, sire, que le trône que vous occupez est à Dieu, que vous y tenez sa place et que vous devez y régner selon ses lois. » Tous ont su faire la part d’une saine laïcité et, dans l’exercice de leur fonction, rendre à César ce qui est à César, mais ne se privant pas de rappeler à qui de droit que tout pouvoir vient d’en haut.

Alliant la rigueur de l’historien à un style d’une grande limpidité, Marie-Joëlle Guillaume nous offre une étude de haute volée, une belle leçon d’art politique et un ouvrage passionnant.

Marie-Dominique Germain

LES ENIGMES DE L’HISTOIRE DU MONDE
JEAN-CHRISTIAN PETITFILS (dir.)
Perrin, 2019, 412 pages, 21 €

De l’existence de l’Atlantide à la survie de la princesse Anastasia de Russie, en passant par le Saint-Suaire de Turin ou la découverte de l’Amérique par les Vikings, cinq siècles avant Christophe Colombe, les énigmes historiques ne manquent pas, nourrissant depuis des années, parfois des siècles ou des millénaires, notre imaginaire et suscitant, régulièrement, des vocations d’enquêteurs. Les progrès de la science permettent parfois de rouvrir certains dossiers, sans, hélas, la plupart du temps, apporter d’élément décisif : ainsi, les récents tests d’ADN n’ont pas plus éclairci l’identité de Jack l’Éventreur que les expertises balistiques n’ont levé le voile sur les commanditaires du meurtre du président Kennedy ! L’intérêt de ce livre, coordonné par Jean-Christian Petitfils qui en signe deux chapitres, est multiple. Il nous permet d’abord de découvrir certains mystères dont on n’avait jamais entendu parler, tel celui de l’influence d’une gamine, qui n’avait pas 20 ans, sur les dernières années de Mao, ou encore la disparition du cadavre d’Hitler après son suicide. Il fait ensuite le point sur l’historiographie et les dernières recherches relatives à ceux qu’on connaît mieux. Des historiens chevronnés se sont en effet attelés aux vingt articles d’un livre aussi solide sur le fond que distrayant sur la forme. Ce passionnant ouvrage mérite autant le détour que Les énigmes de l’histoire de France, paru en 2018.

Jean-François Chemain

NINA SCHENK VON STAUFFENBERG, UN PORTRAIT
KONSTANZE VON SCHULTHESS
Syrtes-poche, 2019, 242 pages, 10 €.

Si l’on connaît aujourd’hui le nom du colonel von Stauffenberg, auteur de l’attentat contre Hitler le 20 juillet 1944, que sait-on de sa famille ? C’est certainement pour réparer en partie cette ignorance que sa fille Konstanze a voulu dresser le portrait de sa mère, Nina Schenk von Stauffenberg. Un portrait délicat, puisant aux meilleures sources, également remplie d’interrogations devant le destin si tragique de cette jeune femme.

Mariée jeune, Nina a pris rapidement la direction des affaires familiales en raison des absences fréquentes de son mari. Celui-ci est un brillant officier, promis aux plus hauts grades. S’il n’a pas été insensible aux discours d’Hitler, très vite, ce catholique, pétri de traditions et particulièrement cultivé, a pris ses distances avec le régime. Mieux : il s’est engagé de toutes ses forces pour l’abattre. Quand il s’agit de tuer Hitler en 1944, c’est finalement lui qui place la bombe. Hélas, l’échec de l’attentat scelle son destin et il est aussitôt fusillé.

Deux jours après l’attentat, sa femme est arrêtée puis déportée. Pour elle commence une odyssée tragique où elle va révéler des qualités de femme forte. Pour sauver ses enfants, elle a dû leur mentir sur l’action de son mari et dire qu’il s’est trompé. Elle-même cache combien elle était en accord avec lui dans son opposition au régime. Surtout, il lui faut vivre car elle est enceinte de l’auteur de ce livre. Emprisonnée, déportée en camp de concentration, elle accouche finalement dans les pires conditions.

Loin de tout féminisme contestataire, ce portrait d’une aristocrate allemande, permet de saisir combien les vertus cultivées ordinairement par ces familles ont permis l’éclosion de forts caractères et de personnalités vraiment libres, capables d’affronter un destin si contraire. Au-delà même du récit de la vie de sa mère, l’auteur le fait d’ailleurs remarquer indirectement en constatant qu’aucune épouse des conjurés de juillet 1944 ne s’est remariée. Peut-être parce que leur honneur avait aussi à voir avec la fidélité…

Philippe Maxence

CE MONDE QUI NOUS REND FOUS
Réflexion philosophique sur la santé mentale
HENRI HUDE
Éditions Mame, 2019, 264 pages, 22 €

On connaissait Henri Hude pour ses études de Bergson ou encore pour son ouvrage L’éthique des Décideurs, qui est un manuel à destination des responsables politiques et de tous ceux qui ont des responsabilités, un manuel d’aide à la prise de décision dans un monde sans réels repères éthiques.

Or, c’est en poursuivant son cheminement philosophique qu’Henri Hude entre, désormais, dans le champ paradoxal de la médecine et de la psyché contemporaines. Paradoxal, car là où grandit l’opulence, grandit aussi le malaise psychologique, la morbidité psychique. Hude nous invite, à travers huit méditations, à comprendre la source de nos angoisses, de nos fatigues et de nos dépressions, lots qui nous paraissent ordinaires, en les rapportant à des frustrations plus antérieures, plus profondes et plus fondamentales. Ainsi, écrit-il : « Cette frustration essentielle a deux pôles. Le premier, c’est la frustration qui consiste en la privation du bien, de l’absolu, de Dieu ; le second est la frustration du bonheur et de la dignité d’être homme et d’être “moi-même avec le bien”. »

La philosophie éclaire la psychanalyse et la psychiatrie, en témoignant du désir fondamental de l’homme au bien. Ce livre exigeant est donc un appel à un ancrage neuf de la raison, refusant toute sublimation illusoire pour retrouver la métaphysique. Alors, guérir la psyché permettrait de servir le bien commun, par le refus même de la négation de l’âme : l’homme ne quittera ses angoisses que lorsqu’il osera questionner les objets de la métaphysique.

Car la frustration primordiale est métaphysique, donc religieuse, et le nouvel humanisme, que Hude appelle de ses vœux, doit être un humanisme démocratique qui participe d’une religion de l’homme-Dieu, c’est-à-dire du Dieu fait homme pour que l’homme soit Dieu. Ainsi, au cœur de Ce monde qui nous rend fous, se trouve un appel à l’Église comme pilote de la Nef des fous, non pas menant les fous vers davantage de folie, mais guidant les décideurs vers une guérison de la folie. Qui d’autre que l’Église, en effet, pourrait manœuvrer cette Nef peinte par Jérôme Bosch et la guider à bon port ?

Baudouin de Guillebon

POUR L’AMOUR DE L’ÉGLISE
Mgr BERNARD FELLAY
Entretiens avec Robert Landers
Via Romana, 2019, 150 pages, 19 €

Mgr Bernard Fellay a été vingt-quatre ans Supérieur général de la Fraternité Saint-Pie X (FSPX), de 1994 à 2018. Une durée exceptionnellement longue qui en a fait un acteur de tout premier plan qui nous livre ici son témoignage et sa vision de l’Église. À la tête de la FSPX, il nous avait habitués à souffler le chaud et le froid avec une maîtrise certaine. Ici, en répondant aux questions sans complaisance de Robert Landers, il nous offre sa meilleure face, celle d’un homme avenant, serein, spirituel et sincèrement attaché à l’Église et au pape, ce qui ne cesse de laisser apparaître parfois une certaine schizophrénie entre cette proclamation d’attachement irréductible à la primauté de Pierre et à l’obéissance dans l’Église, tout en n’en faisant qu’à sa tête, justifiant une autonomie pour sa Fraternité qui n’a rien de catholique, persuadé d’être toujours dans le vrai envers et contre tous.

S’il y a des aspects sympathiques dans les réponses de Mgr Fellay, il faut avouer qu’il n’y a pas vraiment du nouveau dans sa dialectique anti-romaine et anti-Vatican II, même si ce n’est pas là-dessus que les entretiens portent principalement. Il est quand même quelque peu désespérant de voir que sur les sujets controversés soulevés par la FSPX, il n’y a aucune prise en compte de tout le travail théologique réalisé depuis Vatican II, on observe une incompréhension complète ou une curieuse ignorance de toutes les précisions fournies par Rome et les théologiens depuis quarante ans : un triste dialogue de sourds !

L’accord entre la FSPX et Rome, qui semblait envisageable il y a encore peu, paraît maintenant bien lointain : « Je crois que le processus sera lent, affirme Mgr Fellay. En outre il requerra de notre part beaucoup de prudence, car nous devons rester vigilants. […] Il est raisonnable de penser que durant une période assez longue, nous resterons une communauté à part avec ici et là des actes de collaboration ponctuelle » (p. 27).

Christophe Geffroy

DANS LE MONDE SANS ÊTRE DU MONDE
MICHEL GITTON
Artège, 2018, 264 pages, 16,90 €

Dans ce monde, chacun aime enfermer une idée dans un concept. Or, le message chrétien se compose d’éléments opposés, comme un paradoxe, pour rendre compte du surnaturel. Le Christ est pleinement homme et pleinement Dieu. Il faut tenir les deux ensemble. L’expression « la Vierge Mère » est ce que les spécialistes nomment un oxymore. Dieu est un en trois personnes. Quel mystère ! Le Christ en gloire reste présent sous l’apparence du pain. Il ne faut pas chercher à ressembler aux autres. Jean-Baptiste attirait au désert par son état de vie si différent. Dieu laisse à l’homme sa liberté tout en restant tout-puissant.

L’Écriture, dit l’auteur, est pleine de ces tensions qu’il ne faut pas commencer à réduire dans une unité factice. L’auteur, Michel Gitton, prêtre du diocèse de Paris, rassemble ses pensées en soixante-quinze textes assez courts. Il apporte avec des formules claires et simples une cohérence d’ensemble pour appréhender à frais nouveaux ces paradoxes qui ne sont pas des contradictions.

François Dabezies

HISTOIRE DE L’ISLAMISATION FRANÇAISE 1979-2019
COLLECTIF
Éditions de l’Artilleur, 2019, 688 pages, 25 €

C’est un « livre noir » de l’islamisation progressive qui s’est opérée en France que nous offre là cet éditeur courageux. Principalement factuel, il déroule, année après année, de 1979 à 2019, la somme des plus ou moins petits faits qui font peu à peu passer la France sous le régime de la charia, ou du moins certaines zones, notamment les fameux « territoires perdus de la République ». La somme des événements ici rappelés (concernant le vêtement, la nourriture, l’école, la laïcité, le statut de la femme, etc.), ainsi que les discours qui les ont accompagnés, montre indubitablement que la France cède pas à pas devant la pression des revendications de l’islam, et l’ensemble devient impressionnant, effrayant même tant notre lâcheté apparaît évidente. Un seul regret, l’aspect rigoureusement anonyme de cet ouvrage, et sans explication de l’éditeur. C’est bien dommage, car connaître les auteurs lui donnerait davantage de crédit.

Patrick Kervinec

PIE XII. UN PAPE POUR LA FRANCE
FREDERIC LE MOAL
Cerf, 2019, 416 pages, 24 €

Le titre et la couverture pourraient laisser croire à une biographie de Pie XII. Les deux sous-titres « Un pape pour la France. Enquête sur le conclave de 1939 » précisent davantage l’ambition du livre. S’appuyant essentiellement, et de façon très abondante, sur les archives diplomatiques des ambassadeurs de France, d’Italie et de Belgique auprès du Saint-Siège, Frédéric Le Moal livre une étude historique très riche. Le conclave de 1939 (le cardinal Pacelli a été élu dès le 3e scrutin) n’aurait pas suffi pour faire un livre. Le parti pris de prendre les choses très en amont se justifie pleinement. Le Moal montre comment le nom du cardinal Pacelli s’est imposé pour succéder à Pie XI. Il n’a guère eu de rivaux parmi les cardinaux. Si l’Allemagne et l’Italie étaient hostiles à la candidature Pacelli, les autres puissances européennes la soutenaient. Pacelli s’était fait connaître en France par ses voyages comme légat pontifical (en 1935 et en 1937).

Mais décisive aussi pour l’élection rapide de Pacelli a été son action comme secrétaire d’État à partir de 1930. On est étonné que Le Moal n’ait pas utilisé les très abondants comptes rendus (Fogli di udienza) que le cardinal Pacelli rédigeait après chacune de ses audiences avec Pie XI. Les deux premières années – 1930 et 1931 – ont été éditées en 2014. On y apprend beaucoup de choses sur l’action diplomatique de Pie XI et les raisons de cette action. En revanche Le Moal montre bien qu’avec l’élection de Pie XII, « rien ne changea sur le fond » (anticommunisme, hostilité au nazisme) mais qu’il y eut une volonté d’apaisement : « avec l’Allemagne baisse des tensions afin d’éviter une persécution à grande échelle » et sauver l’Église allemande ; « avec l’Italie efforts tous azimuts pour briser la dynamique favorable à l’Axe et l’offensive anticléricale ». Cette politique, acceptée par la France et la Grande-Bretagne en 1939, sera de plus en plus critiquée par la suite.

Yves Chiron

LE MOINE ET LA COMTESSE
PATRICK HALA ED.
Les Éditions de Solesmes, 2019, 292 pages, 13,90 €.

L’abbé Guéranger, qui a 28 ans et a commencé à restaurer le monachisme bénédictin à Solesmes, et Madame Swetchine, comtesse d’origine russe, convertie au catholicisme en 1815, se sont rencontrés à Paris en 1833. Le futur moine y venait recueillir des fonds pour l’ancien prieuré mauriste où il était à peine en train de s’installer. La correspondance qu’ils vont échanger pendant vingt ans est éditée avec soin, présentée et très richement annotée par Dom Patrick Hala. 107 lettres entre 1833 et 1854 qui offrent un triple intérêt. Elles montrent la difficile renaissance du monachisme (Dom Guéranger tient au nom « Bénédictins de la Congrégation de France »). Elles sont aussi une mine de renseignements et de jugements sur le « réveil » catholique dans la première moitié du XIXe siècle, dont le salon de Mme Swetchine est un des hauts lieux. Et aussi elles sont le témoignage d’une grande amitié spirituelle entre deux âmes.

Dom Guéranger, ultramontain et antilibéral, ferraille à l’occasion contre ceux qui sont enclins à faire des concessions intellectuelles. Ainsi en 1839, contre Lacordaire qui, dans le Mémoire pour le rétablissement en France de l’Ordre des frères prêcheurs, minimise le rôle des Dominicains dans l’Inquisition. En d’autres circonstances, Dom Guéranger donne des explications théologiques. À Mme Swetchine qui a composé des Litanies du saint Évangile où elle réduit la Transfiguration à une allégorie du pécheur converti, Dom Guéranger écrit : « Je vous avoue que j’aime mieux voir dans le mystère de la Transfiguration la manifestation anticipée de la gloire de l’homme-Dieu après sa résurrection ; ou bien encore une vue de notre humanité glorifiée en lui et montrée à l’homme pour lui donner courage, comme aux apôtres ; un éclair du ciel, un rayon égaré qui étonne notre regard tout en donnant l’éveil à notre cœur. »

Yves Chiron

LE PRÉFET EST MORT
OLIVIER DE BEAUCOUDREY
L’Harmattan, 2019, 170 pages 18 €

1955 : le temps s’écoule paisiblement et harmonieusement à Buffalo City, petite bourgade d’Afrique australe. L’arrivée du préfet avec un projet controversé dans sa poche semble fissurer ce paysage idyllique ; son décès – mort naturelle ou assassinat ? – est un révélateur : tous les habitants, chien compris, auraient eu une bonne raison d’en finir avec ce personnage somme toute peu recommandable. Voilà une intrigue joliment ficelée dans cette Afrique bien connue de l’auteur et qu’il nous fait découvrir au travers de ses pittoresques protagonistes.

Anne-Françoise Thès

HISTOIRE D’UN LARRON
De Katmandou au Golgotha
DANIEL BARZIC
Daniel Barzic, 2018, 354 pages, 20,99 €

Très jeune, comme trop d’adolescents laissés à eux-mêmes, l’auteur a commencé à se droguer, puis à dealer : argent facilement gagné et tout aussi facilement dépensé, voyage initiatique en Inde et trafic de drogue de plus en plus rémunérateur et puis brusquement la chute et la prison ! Cette plongée dans des mondes inconnus peut faire réfléchir à la rapidité de la dégringolade, à la spirale qui s’ensuit, jusqu’au brutal engloutissement dans l’univers carcéral. Mais Dieu veille, pour Daniel la conversion suivra la chute grâce au Père Aubry, aumônier de la prison de Bois d’Arcy, admirable figure de prêtre, dévoré du désir de redonner l’espérance à tous ces pauvres larrons. Ce témoignage écrit avec « les tripes » est souvent dur et heurtera certains, mais il est riche d’enseignements et d’espérance.

Marie-Dominique Germain

L’ESPÉRANCE DU RETOUR
ÉLISABETH BOURGOIS
Cerf, 2019, 200 pages, 18 €

Élisabeth Bourgois, avec son grand talent de narratrice, nous raconte ici l’histoire récente et vraie du petit Wassim, né dans une famille aisée originaire d’Oran et atteint d’une leucémie. Pour les parents, profondément unis et soutenus par l’amour de leur parentèle, commence alors un long chemin de croix. La pauvreté des services hospitaliers entrave lourdement les soins nécessaires et l’enfant va de rechute en rechute, mais, à aucun moment, les parents ne baisseront les bras et ils finiront, après moult démarches, par le faire hospitaliser au CHU de Rouen. D’autres épreuves accableront à nouveau cette admirable famille.

Ce récit souligne les différences abyssales entre les services hospitaliers des pays pauvres et ceux de nos pays européens avec toute la qualité des relations humaines qui en découlent. Ces jeunes parents algériens musulmans délivrent un magnifique témoignage d’amour et de foi. Un beau livre et une belle leçon d’espérance.

Marie-Dominique Germain

© LA NEF n°316 Juillet-Août 2019