SNU : la fraternité sans famille

Comme le mariage et la PMA « pour tous », le Service National Universel (SNU) est un de ces champignons hallucinogènes qui envahissent désormais les sous-bois de la vie politique française. Les décrire constitue un véritable défi au bon sens ; les absorber donne le vertige.
Rappel : en juin 2019, 2000 jeunes volontaires SNU, garçons et filles, âgés de 15 ou 16 ans, ont effectué, en dehors de leurs 13 départements d’origine, un séjour de cohésion de 15 jours, consacré à des activités collectives, des séances de formation et des bilans personnels. Depuis, ils ont déjà commencé à accomplir ou accompliront durant l’année scolaire 2019-2020 une mission d’intérêt général de 15 jours auprès de l’État, de collectivités ou d’associations au service du public. Enfin jusqu’à l’âge de 25 ans, ils pourront prolonger cette mission sous la forme d’un engagement de 3 mois à 1 an.
Cette « fusée à trois étages » est le modèle lilliputien d’un énorme missile qui devrait prendre son envol en 2026 – ou avant – et qui sera 400 fois plus gros puisqu’il devrait concerner 700 000 à 800 000 jeunes par an. Et, au lieu d’embarquer des volontaires dans les deux premiers étages, il embarquera des conscrits, contraints et forcés.
Malgré ses dimensions minuscules, l’opération de juin a suscité une avalanche d’informations et de commentaires dans les médias et sur les réseaux sociaux. Une bataille de communication s’est immédiatement installée, non sans raison : alors que la création de ce service national obligatoire soulève de lourdes questions de principe, elle n’a fait l’objet d’aucune délibération du Parlement, elle n’a été précédée d’aucun débat politique.
Le fait d’imposer à des citoyens, quel que soit leur âge, un séjour en milieu fermé, même limité à 15 jours, constitue une atteinte à la liberté fondamentale d’aller et venir garantie par la Constitution. Des exceptions sont admises lorsque sont en cause, par exemple, le maintien de l’ordre public ou les besoins de la Défense nationale ou l’obligation scolaire. Or le gouvernement a donné l’impression de naviguer à vue sur la véritable nature du SNU : on a vu des images de jeunes en uniforme chantant la Marseillaise, levant les couleurs, marchant en rangs, mais sans armes et sans pas cadencé ; on a vu aussi des jeunes dans des salles de classe, parfois dans des locaux de l’enseignement privé, mais, pour ceux qui l’auraient souhaité, privés de messe le dimanche. Ainsi le SNU aurait une coloration militaire mais une nature civile, il prolongerait l’obligation scolaire mais ignorerait le principe constitutionnel de la liberté de l’enseignement.
On a vu aussi des jeunes sur des brancards, frappés d’insolation, et l’on s’est rappelé alors que ces jeunes étaient encore des mineurs, relevant de la responsabilité de leurs parents, conformément au Code civil et aux conventions internationales.
La vérité est que, puisque le SNU constitue un nouveau type de contrainte pour les citoyens, le Parlement, sous le contrôle du Conseil constitutionnel, aurait dû en définir les objectifs, les limites, les modalités avant le lancement de l’opération du mois de juin. Le calendrier parlementaire, notamment celui de la révision constitutionnelle, ayant pris du retard, le gouvernement aurait été sage d’attendre. Or, au contraire, il a toujours présenté cette opération, qui sera suivie d’autres, comme un « test » du futur dispositif, et non une « expérimentation » – voulant dire par là que l’éventualité d’un abandon du SNU en cas de résultats insatisfaisants était exclue a priori.
La raison invoquée pour cette obstination est le respect d’une promesse du candidat E. Macron lors de la campagne présidentielle de 2017 ; mais celle-ci était de créer « un service national universel obligatoire, sous encadrement militaire, pour dispenser une formation élémentaire sur la défense ».
Le gouvernement s’est abrité aussi derrière le fait que la loi française connaît déjà l’existence d’un service national universel. Celui-ci contient tous les ingrédients du SNU 2019 (service civique et service militaire, obligation et volontariat) : mais ils ne sont jamais assemblés pour former un service à la fois civique et militaire ou un volontariat obligatoire. Le SNU 2019 n’est donc pas seulement illisible, il est illégal. Et l’on en vient à se demander ce que cache toute cette confusion.
La réponse est dans la définition du SNU donnée par le gouvernement : « Le moment où la République dit à notre jeunesse que la voie de l’engagement pour les autres est la plus sûre manière de se réaliser soi-même. »
Le SNU est une leçon de morale donnée par l’État aux enfants – et bien sûr aussi aux parents, ces mauvais éducateurs ! Il y a du Vincent Peillon dans le SNU de M. Macron.

Claude de Martel

© LA NEF n°317 Septembre 2019