G.K. Chesterton (1874-1936) © Wikipedia.

Le paradoxe Chesterton

Né en 1989, Camille Dalmas est journaliste. Co-fondateur de la revue Limite, il publie avec Le paradoxe Chesterton son premier essai. Entretien.

La Nef – On constate un regain d’intérêt pour Chesterton. Est-ce un épiphénomène éditorial ou une lame de fond ?
Camille Dalmas
– Ni l’un ni l’autre, à mon avis ! Aujourd’hui, Chesterton est souvent soit rangé dans la rubrique des écrivains excentriques (ce qu’il n’est clairement pas) ou dans celles des conservateurs (ce qui l’aurait fait bondir). Il est aussi souvent cantonné à quelques citations, parfois comprises à l’envers. C’est donc qu’il est souvent commenté par des gens qui ne le lisent pas.
Néanmoins, Chesterton connaît un petit public de vrais passionnés en France qui lui donne une place dans nos librairies, et la traduction progressive de son œuvre foisonnante en est un indice sûr.
Quant aux raisons profondes de ce succès d’estime, il est propre à la pertinence et subtilité de la critique chestertonienne du monde moderne. Ses intuitions politiques, économiques ou artistiques sont toujours aussi remarquables aujourd’hui, plus de 80 ans après sa mort.

Chesterton est un écrivain catholique. Mais faut-il pour autant être catholique pour le lire ?
Non, de la même façon qu’il n’est pas nécessaire d’être catholique pour être un bon ami. Et, de plus, penser de la sorte serait devoir affronter un déroutant paradoxe : l’œuvre de Chesterton est éminemment catholique mais elle est a été écrite par un non-catholique pour les trois quarts : l’auteur ne s’est en effet converti qu’en 1922.

Vous racontez que Chesterton s’est distingué comme caricaturiste, journaliste, romancier, poète, essayiste… Était-ce donc un génie ou bien un dilettante ?
C’était une sorte de Gargantua des arts et des lettres, capable d’écrire tout le temps et sur tous les sujets, avec un goût certain pour le contre-pied. Mais il en était ainsi principalement parce que Chesterton n’avait aucun problème à passer pour une dilettante devant les esprits sérieux de son temps.

Est-ce que la défense de la démocratie, de la justice sociale et de la foi que vous dépeignez chez lui peut véritablement faire des émules en France ?
Chesterton est inspirant, et pas uniquement par ses idées qu’on peut rassembler sous la bannière du courant distributiste, famille de pensée dont il est le principal représentant et qui mériterait d’inspirer non seulement notre jeunesse, mais aussi leurs parents et grands-parents. Mais si Chesterton est nécessaire aujourd’hui, c’est pour sa façon de voir le monde autour de lui, cette capacité à retourner tous les problèmes pour les voir sous un autre angle.

Que pourrait-il penser de notre époque et de l’Église aujourd’hui ?
C’est une question difficile, mais indispensable : Chesterton serait probablement terrifié par nos renoncements à nombre de libertés, par l’envahissement technologique de nos vies, par la médiocrité de nos démocraties… Mais il chercherait probablement des solutions et mieux, en trouverait. Et il en irait peut-être aussi de même pour l’Église.

Selon vous, Chesterton aurait-il manifesté le 6 octobre contre la PMA, drapeau en main ?
Pour le coup, je ne sais pas ! Ce qui est certain, c’est qu’il aurait bien entendu combattu la PMA et la GPA de toute son âme. La question de l’enfance est le point sensible de l’œuvre de Chesterton. Le fait notamment qu’il n’a pu avoir d’enfants avec sa chère épouse Frances l’a rendu suprêmement vigilant face aux excès de nos sociétés sur ce sujet, particulièrement quand il s’est positionné avant tout comme l’adversaire de l’eugénisme de son temps.

Chesterton était-il donc un réactionnaire ou un conservateur ?
Ni l’un ni l’autre mais c’est une affaire plus complexe qu’il n’y paraît. Il honnissait les conservateurs anglais qui empêchaient, selon lui, de corriger les erreurs commises par les progressistes. Quant à le désigner comme un réactionnaire, c’est là encore difficile : son amour du passé était pour lui une source d’inspiration et donc pas tellement une nostalgie d’un âge d’or qu’il faudrait restaurer. La clé de sa pensée politique est sa fameuse « barrière » : si je souhaite ôter une barrière qui se dresse sur une route, Chesterton ne me laissera pas faire tant que je n’aurai pas expliqué pourquoi elle se trouve là. Voilà un principe politique de prudence, vertu aristotélicienne par excellence, qui inclut la tradition intelligemment tout en permettant de sortir du courant néfaste du progrès – et de son inenvisageable remontée.

Propos recueillis par Yrieix Denis

Camille Dalmas, Le paradoxe Chesterton, L’Escargot, coll. Vraiment Alternatifs, 2019, 124 pages, 10 €.

© LA NEF n°319 Novembre 2019