MARIE MÈRE DE MEMOIRE
PIERRE PERRIER
Éditions du Jubilé, 2019, 340 pages, 16 €
La science exégétique traditionnelle se heurte depuis l’avènement des sciences historiques à la cohérence des propos tenus et affirmés dans la Bible. Certains tenants de l’historico-critique vont même jusqu’à mettre en doute l’historicité des propos du Christ. D’autres affirment qu’il faut tenir la véracité en faisant confiance dans la Tradition donnée par l’Église sans donner des explications bien claires sur l’origine de la mise en place de ses « écrits » durant les temps apostoliques.
Pierre Perrier avec d’autres auteurs (Frédéric Guigain ou Jean-François Froger) travaillent depuis plus de vingt ans sur une autre approche qui renouvelle la mise en place de la Tradition des Saintes Écritures. Se basant sur la tradition orale en lien avec le corpus des Églises orientales qui semblent-ils ne sont pas passés par le grec mais directement par la langue du Christ, l’araméen (la Pshytta), ces auteurs nous ouvrent de nouvelles perspectives de compréhension de la manière dont a été transmise la Parole de Dieu.
Dans cet opus, Pierre Perrier nous fait découvrir le rôle déterminant d’un petit groupe de juifs, « le petit reste », préparé par Dieu attendant l’accomplissement des prophéties données par Gabriel au prophète Daniel (ch 9). Marie, la future Mère du Christ tient un rôle primordial dans l’œuvre salvifique, comme nous le savons mais certainement pas de la manière à laquelle nous le pensons. Préparée lors de son enfance à Nazareth puis au Temple, fiancée à un prince héritier du sud, formant Jésus à la plus grande sagesse de son temps, recueillant les enseignements sur la miséricorde et les premiers témoignages de la Passion et de la Résurrection sont les actes peu ou pas connues de la Vierge Marie dans notre formation.
Les sceptiques face à cette approche « originale » risquent de ne pas être convaincus car l’auteur a fait le choix judicieux de ne pas présenter ces sources qui doivent faire l’objet d’un autre livre. En tout cas, ce livre doit être présenté à nos frères protestants car il démontre l’action fondamentale de Marie dans l’élaboration des Saintes Écritures. Surprenant et rafraîchissant pour une nouvelle lecture de la parole.
Abbé Emmanuel Gil
CROIS OU MEURS !
Histoire incorrecte de la Révolution française
CLAUDE QUÉTEL
Tallandier/Perrin, 2019, 510 pages, 21,90
€
Les histoires de la Révolution française ne manquent pas : une de plus, pourriez-vous penser ! Eh bien non ! ce livre, s’il n’apporte rien de nouveau sur le plan historiographique, présente une vue d’ensemble passionnante de cette période (1789-1799), fidèle à son sous-titre d’être une « histoire incorrecte », tant la Révolution charrie derrière elle une « légende dorée » et demeure un bastion indéboulonnable d’un certain mythe républicain. Ce n’est d’ailleurs pas le moindre intérêt de cet ouvrage que de présenter en annexe une histoire des histoires de la Révolution qui montre bien comment s’est élaboré ce mythe dès après les années 1830 avec, en point d’orgue, le travail de Michelet au milieu du XIXe siècle.
On lit, sous la plume de Claude Quétel, l’enchaînement des événements comme un roman, depuis l’incapacité de la monarchie à entamer quelque réforme de fond, jusqu’à la mise en place de la mécanique révolutionnaire qui finit par tout balayer sur son passage, éliminant un a à un tous ses protagonistes, les extrémistes d’hier devenus les modérés d’aujourd’hui, jusqu’à l’avènement de la Terreur, aboutissement logique d’un mouvement que seule une main de fer aurait pu arrêter – ce dont Louis XVI était totalement incapable. S’il est mort dignement en grand chrétien, son incurie et son incompétence portent une lourde responsabilité face à ce désastre qui aurait pu être évité.
Autre point fort de ce livre, Claude Quétel nous brosse de savoureux portraits des protagonistes : la faiblesse de Louis XVI, on l’a vu, la désinvolture de son entourage, mais surtout la figure des principaux révolutionnaires, personnages pour la plupart repoussants, ivres de mots et de sang, prêts à tout pour satisfaire leur idéologie démagogique, ne reculant devant aucun massacre.
Finalement, ce qui ressort de cette lecture est bien que la Révolution fut une calamité pour la France : certes, des réformes substantielles étaient absolument nécessaires et la Révolution en a accompli certaines, mais elle a surtout précipité le pays dans la guerre civile et une durable division, et l’a fait reculer pour un bon moment, à tel point qu’il n’a jamais retrouvé le rang qu’il avait auparavant. Un livre qui contribue utilement à détruire un mythe.
Christophe Geffroy
LES INCANDESCENTES
Simone Weil, Maria Zambrano, Cristina Campo
ÉLISABETH BART
Pierre-Guillaume de Roux, 2019, 236
pages, 23 €
L’ambition de cet ouvrage est à la hauteur des femmes dont il traite, et ne souffre d’aucune faiblesse. Plutôt que de nous donner le récit de la vie de ces trois « flammes incandescentes », l’une française, l’une italienne et l’autre espagnole, Élisabeth Bart nous invite à suivre l’itinéraire spirituel de trois destinées qui, à la manière des astres, ont traversé le XXe siècle. De cette triade, le lecteur apprendra des liens jusqu’alors inconnus, des tissages et des inspirations communes, des communions mystiques autour de l’œuvre de saint Jean de la Croix, de Pythagore ou encore de Dante. Femmes de lettres, « penseuses » préoccupées par la vie, la poésie et la Vérité, toutes trois ont connu les souffrances de la guerre mais, quasi évanescentes, sont passées de la terre au ciel et du ciel à la terre, par la seule grâce de leurs prières et de leur plume.
Riche, débordant de références, de citations, laissant la parole plutôt qu’opprimant et cloisonnant ces figures, cet ouvrage d’Élisabeth Bart peut bousculer au premier abord par sa densité, mais à l’image des transports mystiques, il faut accepter de se perdre pour être bien enivré et saisir intensément ce témoignage littéraire. On l’aura compris, ce livre est exigeant philosophiquement, littérairement et religieusement, mais il ne pouvait en être autrement, afin de rendre hommage à ces « trois femmes souveraines de leur destin, liées par leur quête de la Vérité, cependant, dont les écrits viennent d’une expérience charnelle et spirituelle extrêmement singulière, et de ce fait, universelle, silencieuses en ce sens qu’elles nous parlent depuis l’autre côté du miroir, comme les fous de Shakespeare ou de Velazquez ».
Baudouin de Guillebon
LA MESSE PERPÉTUELLE
Une Apocalypse de l’Amour
PÈRE FRANÇOIS MAROT
Téqui, 2019, 228 pages, 18 €
Cet ouvrage développe une histoire fouillée de l’Église vue du côté de la célébration de la messe. Les premiers Pères de L’Église, puis les Docteurs et les papes ont bien étudié la sacralité de la messe, où chaque fois, c’est la mort et la Résurrection du Christ qui s’opère. L’histoire retient la solution de continuité à la suite du dernier concile, après presque deux millénaires de tradition commune, l’auteur se plaçant dans l’esprit du cardinal Ratzinger et du cardinal Sarah. Claire Ferchaud (1896-1972), une humble fille paysanne de Vendée, sans culture, écrivit des lettres avec la justesse et la profondeur des plus grands mystiques. Elle tirait tout son savoir de Dieu lui-même. « La sainte messe, c’est ma vie : 350 000 messes par 24 heures, quatre élévations par seconde, qui s’y unit s’en empare ! » Nous voici conviés à notre tour à respirer au rythme de la respiration eucharistique de Jésus.
François Dabezies
TOUT EST ACCOMPLI
YANNICK HAENEL, FRANÇOIS MEYRONNIS ET VALENTIN RETZ
Grasset, 2019, 360 pages, 22 €
Tout est accompli, un titre ambigu qui peut autant, avant lecture, être perçu comme positif ou négatif à l’image de son propos, l’époque dans laquelle nous vivons étant en effet époque difficile à cerner. Le trio d’écrivains Haenel, Meyronnis et Retz s’y attelle dans le cadre d’une œuvre collective qui dépasse amplement cet essai, œuvre publiée chez Gallimard, avec l’adoubement de Philippe Sollers dans sa collection « L’infini ». C’est, ou ce fut, ses parutions se faisant rares, l’objet de la passionnante revue Ligne de Risque dont une partie des numéros a d’ailleurs été rééditée en anthologie chez Gallimard. Une aventure collective qui dure depuis plus de 20 ans, du moins pour ses deux fondateurs, Haenel (Cercle, 2007 ; Jan Karski, 2009), et Meyronnis (L’Axe du Néant, 2003), le premier plutôt romancier, le second plutôt philosophe, ensuite rejoints par Valentin Retz (Grand Art, 2008) et son écriture dont le cœur est une quête poétique de l’athanor intérieur des anciens alchimistes. Une chose qui ne peut que frapper pour qui s’intéresse de longue date aux travaux de ce trio, ce qui est le cas de l’auteur de cette recension, lecteur de Ligne de Risque et des livres des protagonistes, c’est la richesse et la confrontation volontaire des influences, impossibles à toutes citer, depuis Heidegger – sans doute la lecture d’origine la plus forte de leur travail, un Heidegger dont personne ne saisit encore vraiment l’importance fondamentale de la pensée – jusqu’à des questions « ésotériques » sérieuses, autour du judaïsme par exemple, en passant par les grandes théologies chrétiennes et juives, sans oublier la littérature, le Véda ou les pensées chinoises… pour justement comprendre ce à quoi (et pourquoi) l’homme est confronté, en particulier avec le transhumanisme. C’est ainsi d’une profonde méditation dont il s’agit, et c’est cela qui en fait une revue qui aura marqué notre époque intellectuelle. De ces années de travaux, il ressort une œuvre collective qui tente d’appréhender le monde contemporain et, avec Tout est accompli, de répondre à cette question : « dans quelle époque vivons-nous ? », sachant que la pensée des auteurs ne nage pas en plein optimisme, étant depuis toujours préoccupée par la question du nihilisme : « Nous sommes effectivement rendus à un moment historique où la société elle-même est devenue un déchet, comme d’ailleurs l’avenir, et surtout nos vies aux prises avec l’oppression des nouveaux moyens cybernétiques. Modelées par ces derniers, elles semblent toujours plus fausses et désespérées. » C’est ici que l’influence de Heidegger et des conséquences du dogme actuel de « la mort de Dieu » jouent à plein : « Les Temps modernes avaient mis l’“Homme” en position de souveraineté en lieu et place de Dieu. Mais l’ “Homme” est supplanté à son tour par quelque chose de plus puissant : la virtualisation du monde […]. Voilà l’émergence du Dispositif, qui contrôle à partir du virtuel tout ce qui existe. » Tandis que peu à peu nous nous effaçons au profit d’une image.
Matthieu Baumier
CHESTERTON FACE AU PROTESTANTISME
WOJCIECH GOLONKA
Via Romana, 2019, 126 pages, 17 €.
Faut-il encore parler de Chesterton ? Depuis quelques années, les livres de cet écrivain anglais, particulièrement connu pour quelques essais et la création (littéraire) d’un prêtre détective, n’ont pas cessé d’être publiés. Les problèmes soulevés par la mondialisation ont également redonné une certaine actualité à ses idées dans le domaine social et économique.
Mais Chesterton n’est-il au fond qu’un amuseur, jonglant avec les paradoxes, un polémiste redoutable, un romancier provocateur ou un penseur bien décidé à prendre au sérieux les recommandations pontificales en matière sociale ? L’embêtant avec lui tient au fait qu’il a beaucoup écrit et qu’il a illustré tous les domaines ou presque de la littérature.
Dans un livre récent, Wojciech Golonka, déjà auteur d’une thèse sur Chesterton, s’est intéressé aux écrits de ce dernier à propos du protestantisme. Pourquoi la Réforme, plus particulièrement ? Il y a eu bien sûr les 500 ans du mouvement lancé par Luther, qui a donné comme un coup de pouce à cette étude. Plus profondément, il y a la place que certaines idées protestantes et un tour d’esprit puisé dans la Réforme recueille dans des franges du catholicisme.
Né unitarien, Chesterton a bien connu le protestantisme anglais, en adhérant à certains courants anglicans avant de parvenir pleinement à la foi catholique. Il a grandi dans une atmosphère religieuse et culturelle baignée au plan national par le protestantisme et l’esprit de la Réforme. Bon connaisseur de l’écrivain, Wojciech Golonka est allé puiser dans son œuvre pour en extraire des passages significatifs sur le protestantisme. Selon un plan pédagogique, il les présente et les commente, donnant à comprendre à travers Chesterton ce qu’est réellement le protestantisme. Mais, au fond, il ne s’agit là que d’une face de ce vaste sujet. Et la face la plus sombre ! En contrepoint brille le beau soleil du catholicisme, dans sa vérité pleine et entière. Nous avons trop tendance à l’oublier aujourd’hui. C’est un bon moyen d’y revenir.
Philippe Maxence
LE NON DU PEUPLE
GABRIEL ROBIN ET BENJAMIN DEMESLAY
Cerf, 2019, 354 pages, 25 €
Des traités de Westphalie à la crise des Gilets jaunes, de l’élection d’Emmanuel Macron à l’intelligence artificielle, du cinéma de Jacques Audiard aux souveraino-souverainistes, de Donald Trump à la création de Daesh ; Gabriel Robin et Benjamin Demeslay brossent le vaste panorama d’un monde et d’une France en constantes mutations. Ces mutations n’étant d’ailleurs elles-mêmes pas exemptes de contradictions. Mais, se refusant à un simple constat, même argumenté et étayé, qui ferait passer cet essai pour un fils bâtard du Suicide Français, les deux essayistes s’attachent à esquisser des solutions pour que la France et l’Europe renouent avec le fil de leur destin.
Celui-ci ne peut que passer par la puissance et l’indépendance. Et pour cela, Gabriel Robin et Benjamin Demeslay n’hésitent pas à tailler en pièces les recettes miracles censées régler d’un coup de baguette magique tous les problèmes que rencontre la société française. Ni le conservatisme, ni le populisme, ni même la disruption macronienne n’échappent à leurs critiques. De même, ils ne craignent pas de remettre en cause certaines analyses bien installées dans le paysage intellectuel et médiatique français, que ce soit sur la « France périphérique » ou sur l’immigration.
Ouvrage fouillé, foisonnant, Le Non du Peuple pose et surtout tente de répondre à une question essentielle : à ce « Non », exprimé tant dans les urnes que dans la rue, sur le net ou même dans une certaine culture, quelle doit être la réponse des élites ? Rassembler. Recoller les morceaux entre plusieurs France qui se regardent chaque jour un peu plus en chiens de faïence. Empêcher à tout prix la partition probablement sanglante, sûrement fatale, qui achèverait tragiquement une histoire vieille de quinze siècles. C’est la seule réponse qui vaille.
Emmanuel de Gestas
RECOMPOSITION
ALEXANDRE DEVECCHIO
Cerf, 2019, 304 pages, 19 €
Journaliste au Figaro et au Figaro Magazine, rédacteur en chef d’un FigaroVox qui ne craint pas la langue de bois politique, en particulier quant aux dangers de l’islamisation, Alexandre Devecchio avait publié un essai remarqué, Les Nouveaux enfants du siècle, en 2016, essai qui a imposé sa voix dans le débat public. Cette même voix revient avec Recomposition, essai stimulant où l’auteur interroge le moment politique pour le moins fascinant que nous vivons : sommes-nous témoins et partie prenante d’une époque de désagrégation, ainsi qu’aime à le répéter la majorité des médias français, pays qui n’a pas de véritable média de grande ampleur d’opposition à la culture progressiste, ou bien assistons-nous à une véritable reconstruction, au centre de laquelle peuples et souveraineté reprennent leurs droits ? De ce moment encore incertain, les mots « populisme », « droite », « démocratie illibérale », « conservatisme », « souverainisme » sont des éléments majeurs. Une des grandes qualités de cet essai est de penser la recomposition en cours à l’échelle du monde et de montrer points communs et divergences au sein du « nouveau monde populiste ». Une autre est de dire clairement en quoi l’islamisation en cours et le libéralisme techno-marchand sont de vraies menaces totalitaires : Devecchio refuse le parallélisme entre notre époque et les années 30, expliquant que les difficultés de la démocratie libérale proviennent avant tout de ses propres choix politiques et économiques.
Matthieu Baumier
MISSION
PÈRE BERNARD KINVI avec Tigrane Yegavian
Cerf, 2019, 224 pages, 18 €
Le Père B. Kinvi, camillien, officie à Bossemptélé, petit village au nord-ouest de la Centre-Afrique. Il nous offre un très beau et très émouvant témoignage sur les récents et dramatiques événements survenus dans son pays d’adoption. Avec un langage très simple, dépouillé de tout sensationnel, il nous raconte les cruels affrontements entre deux partis révolutionnaires, la vengeance engendrant la vengeance. Au milieu de cela, les pères camilliens essaient de préserver l’essentiel, c’est-à-dire la mission et l’hôpital, ce qui n’empêchera pas certains de ces partisans sans foi ni loi de faire brutalement irruption, armés de Kalachnikov, dans les salles de soins, menaçant tout le monde. Le Père Kinvi, quant à lui, la peur au ventre mais le chapelet à la main, n’hésitera pas à affronter les responsables de ces horreurs pour tenter de calmer le jeu, ce à quoi il parviendra en partie. C’est avec beaucoup d’émotion qu’il raconte la visite du pape François et l’espérance qu’elle a suscitée parmi ces populations si douloureusement éprouvées. Ce récit bouleversant, écrit avec beaucoup d’humilité, devrait nous faire réfléchir sur le calvaire vécu par nombre de nos frères africains (ou autres) et plus profondément sur la force inouïe de la foi et de l’espérance de leur clergé.
Marie-Dominique Germain
FILS DE LUMIÈRE EN TEMPS D’ÉPREUVE
Propos d’un moine pour demeurer unis dans l’adversité
DOM SAMUEL
Artège, 2019, 206 pages, 16, 50 €
« Un regard lucide sur nos actes est indispensable car c’est cette conscience vraie et humble qui aide à ne pas reproduire les erreurs du passé. » L’auteur, moine depuis trente-cinq ans, pointe ici les dérives qui, à partir des années 1960 et autour du concile Vatican II, ont entraîné les sociétés occidentales de culture chrétienne sur la voie d’un chaos dont elles peinent à se relever. Lui-même revient de loin, selon son propre aveu, puisqu’il expérimenta dans sa jeunesse « une vie de bâton de chaise » avant d’être touché par « la grâce d’une conversion foudroyante » et de se consacrer à Dieu dans l’Ordre cistercien-trappiste. Après des débuts à Sept-Fons, dans le Bourbonnais, où il bénéficia des cours du célèbre Père Jérôme, il participa à la fondation de Novy Dvur, près de Prague, dont il est l’abbé depuis 2002.
C’est donc pétri d’une riche expérience personnelle ainsi que des enseignements de la Bible, de saint Benoît et d’autres saints, sans oublier les Pères du désert, que Dom Samuel livre ses réflexions sur le combat spirituel et la pratique des vertus, nécessaires pour remédier aux maux de notre temps (il faut reconnaître la présence agissante du mal, souligne-t-il), vivre sainement en société et favoriser une paix authentique. Pour relever ces défis, humilité et foi, vérité et charité ne peuvent être dissociées. L’auteur insiste sur la confiance envers l’Église et l’esprit d’unité. Tout cela est abordé dans un style concret, empreint de simplicité, d’équilibre, de franchise et même d’humour. Une précieuse leçon de sagesse.
Annie Laurent
THÉORIE DE LA DICTATURE
MICHEL ONFRAY
Robert Laffont, 2019, 234 pages, 20 €
Depuis son récit de retraite à la Trappe, Michel Onfray semble s’être acquis les faveurs de la droite conservatrice, et même des catholiques. Pourtant, l’homme n’a pas changé, sa pensée n’a pas évolué, il incarne toujours ce que Rémi Lélian appelait « la raison du vide » (Michel Onfray, la raison du vide, Pierre-Guillaume de Roux, 2017). Tout, dans cette Théorie de la dictature, respire la pensée réduite, pour ne pas dire détruite, résumée à de telles simplicités qu’elles apparaissent comme des évidences.
Michel Onfray est un plaisantin, au sens premier du terme : il veut plaire, hier aux athées, aujourd’hui aux conservateurs, demain peut-être à la nouvelle gauche. Le contenu de l’ouvrage se résume en quelques mots : le capitalisme tend vers la dictature, les communistes n’étaient pas tous résistants, Orwell est un grand écrivain, l’Europe est contre les Gilets jaunes, BHL n’est pas un philosophe mais un insoupçonnable usurpateur qui pratique le copinage avec les élites. Liens Youtube à l’appui, Michel Onfray poursuit une pensée, non la sienne, qui lui semble être la plus réactionnaire, rebelle et disruptive. Il dresse des listes de noms, de pays, d’ennemis à écarter, et celui qui sait tout ne prend plus la peine de citer ses sources. Comme d’autres avant lui, il peut affirmer à son tour : « Certes, j’ai raison, c’est écrit dans mon livre ».
Cependant, il faut reconnaître un mérite à ce nouvel Aristote – les époques produisent des philosophes qui leur ressemblent –, c’est la volonté de catégoriser. Et parmi les sept catégories qu’il dessine, constatant la désespérance contemporaine, il nous a semblé reconnaître le portrait, non de la dictature présupposée, mais celui-là même du raisonneur du vide : détruire la liberté, c’est-à-dire uniformiser l’opinion, appauvrir la langue, abolir la vérité, supprimer l’histoire, nier la nature, propager la haine, aspirer à l’Empire. Michel Onfray tombe sous toutes ces catégories, il suffit pour le comprendre de se plonger, en apnée, dans le maquis de ses cent ouvrages, devenant ainsi le propagateur de cette dictature qu’il dénonce.
Espérons que, dans les années à venir, le philosophe prolixe retienne la première leçon de la Trappe : le silence. Qu’il nous épargne ainsi ses vaticinations, ou il ne restera bientôt plus aucune opinion politique valable puisque Michel Onfray les aura toutes empruntées.
Baudouin de Guillebon
LES CALIFES MAUDITS. LA DÉCHIRURE
HELA OUARDI
Albin Michel, 2019, 234 pages, 19 €
Déjà remarquée pour l’audace de son premier livre, Les derniers jours de Muhammad, Hela Ouardi, professeur de littérature française à l’Université de Tunis, poursuit son travail d’investigation sur l’histoire des premiers temps de l’islam. Les incohérences troublantes qui entouraient les circonstances de la mort du « prophète » arabe trouvent ici leur suite logique. Avec ce nouvel ouvrage, l’auteur inaugure une série consacrée aux quatre premiers Califes qui ont régné de 632 à 661. Ces compagnons de Mahomet, auxquels la tradition musulmane confère une exemplarité en les désignant comme les « bien guidés », n’ont pourtant pas eu des comportements édifiants. H. Ouardi met fort bien en évidence les haines, les calculs, les bassesses et les violences internes qui ont prévalu durant cette période fondatrice.
Au cœur du récit, émerge une figure féminine, celle de Fatima, fille de Mahomet et mariée à Ali, cousin de ce dernier, qui occupera le quatrième siège califal. Spoliée de son héritage et maltraitée, ulcérée par les manœuvres autour de la succession de son père dont elle est témoin, elle recourt à la malédiction, annonçant, versets du Coran à l’appui, les divisions ataviques qui depuis lors caractérisent le monde musulman, en particulier entre sunnisme et chiisme, mais pas seulement.
La forme choisie par H. Ouardi peut surprendre : son récit a en effet l’allure d’une mise en scène. Mais, comme elle l’indique elle-même, il ne s’agit pas d’une fiction. « Je n’ai fait que rassembler les morceaux éparpillés pour en faire des scènes et des portraits vivants, reliés par le fil d’une narration chronologique suivie. » Elle prend d’ailleurs soin de mentionner les références précises des sources réelles qui étayent sa démonstration. Les savants musulmans suivront-ils la voie ouverte par cette pionnière ? On attend maintenant les prochains volumes avec impatience.
Annie Laurent
ACTUALITÉ DE CHARLES MAURRAS
AXEL TISSERAND
Préface d’Yves Floucat, Téqui, 2019, 454
pages, 24 €
Notoire homme de plume, de surcroît académicien, Émile Henriot, qui avait amicalement correspondu, entre 1950 et 1952, avec Maurras incarcéré, observait, au lendemain de sa mort, que « ce conseiller de violence et ce meneur de faction » était aussi le « prosateur incomparable » du Chemin de Paradis et d’Anthinea. Bizarrerie ? Singularité ? En tout cas, cherchant à comprendre le destin hors norme du Martégal, Henriot ajoutait : « Une des raisons de son action sur tant de jeunes qui ne demandaient qu’à suivre un maître péremptoire et habile en dialectique aura été de savoir très logiquement justifier ce qu’il affirmait et qui relevait souvent autant du sentiment que de la raison. » Au risque de susciter, chez ces disciples, une trop petite certitude ? De leur insuffler une trop petite espérance ? Imposées, celles-ci, par tout un appareil démonstratif dont la vérité, particulière, fragmentaire, devait aboutir à ce résultat ? André Chamson, lançant l’attaque en 1927 (dans L’Homme contre l’histoire), lui, de souche cévenole et protestante mais né à Nîmes et attaché à la Provence, peut-être voulut-il, un peu, exorciser une ombre de tentation. N’empêche qu’alors, aux environs de la Sorbonne et de la rue Soufflot, nombre d’étudiants ou, comme Chamson, d’ex-étudiants, se dérobaient tenacement à l’influence maurrassienne.
Mais laissons nos apostilles (qui ne sont pas des vétilles !) et disons la forte impression tirée du livre d’Axel Tisserand. D’ailleurs, la rare compétence de l’auteur sur le sujet embrassé, les travaux méritoires que, sur ce même sujet, il a dirigés ou auxquels il a contribués, les excellentes éditions critiques qu’il a produites, cela le désignait, de la façon la plus naturelle, pour l’écrire… et pour nous impressionner sans nous étonner. Une des meilleures introductions à l’œuvre de Charles Maurras, estime son préfacier. On le croit. Bien entendu, malgré la dextérité, l’adresse, la précision des analyses, malgré la vigueur des éclaircissements nécessaires, la légende noire construite autour de la personne de Maurras et l’image en forme de diable abusivement répandue subsisteront. Et après ?
Michel Toda
JOHN BRADBURN
Une vie
DIDIER RANCE
Salvator, 2019, 176 pages, 16 €
Il y a sept ans, Didier Rance nous avait offert une biographie substantielle et passionnante de John Bradburn (cf. La Nef n°236 avril 2012). Il récidive ici avec un texte beaucoup plus condensé qui permettra à tous de découvrir la vie extraordinaire de cet Anglais, fils de pasteur, né en 1921, soldat pendant toute la Seconde Guerre mondiale, traumatisé par ses horreurs et converti au catholicisme en 1947. Là commence une vie errante de troubadour de Dieu, poète et contemplatif vivant au jour le jour sans trouver sa voie, jusqu’au jour où, devenu tertiaire franciscain, il débarque dans le village des lépreux de Mtemwa en Rhodésie (devenue Zimbabwe). C’est là qu’il est assassiné par des guérilleros noirs en 1979. Son procès de béatification est en cours.
Patrick Kervinec
SAINT FRANÇOIS D’ASSISE
Diacre DIDIER RANCE
Artège/Lethielleux, 2019, 152 pages, 126
€
Didier Rance, ancien directeur de l’AED, est diacre et franciscain séculier : tout le poussait à s’intéresser à saint François d’Assise, ce grand saint qui ne fut jamais prêtre. Il ne s’agit pas là d’une énième vie du poverello, mais plutôt d’une enquête sur le diaconat, d’abord en s’intéressant à ce qu’était le diaconat du temps de François et avant lui et, ensuite, sur ce qu’il est devenu depuis Vatican II qui l’a remis en avant. Pour notre auteur, il y a une notable convergence entre ce qu’a vécu saint François en son temps (même s’il n’a pas eu d’influence sur ce ministère, cet aspect du saint ayant peu été développé) et ce que l’Église attend des diacres aujourd’hui.
Patrick Kervinec
ENTERRE LA PAROLE
suivi de LA NUIT PHŒNIX,
GWEN GARNIER-DUGUY
Éditions de Corlevour, 2019, 142 pages,
17 €
Il faut imaginer le poète breton Gwen Garnier-Duguy, regard perdu vers l’horizon de l’océan Atlantique, le long du Finistère. Les poètes véritables sont souvent enracinés et tenus par une terre, un roc, qui les façonne. Ceux de l’océan sont protégés par Marie, comme les marins. Ils n’ont pas à témoigner du bruit ambiant, ils sont à l’intérieur des choses (« Il y a le miracle d’appartenir à la forêt »), sans quoi, au vu des temps dans lesquels nous plongeons, ces poètes bénéficieraient d’une écoute attentive, en lieu et place des imbéciles qui occupent le temps de réflexion et de vie disponible de chacun de nous. Ils sont plus nombreux qu’on ne le croit, les poètes véritables, en France. Ils vivent cachés ou presque, en attendant. La poésie est sœur de la patience, porteuse d’optimisme, conscience que le temps présent est déjà derrière nous. En quoi elle est sacrée, et c’est cela que sentent les poètes authentiques – la sacralité de l’acte poétique. De cela, les deux parties du récent recueil de Gwen Garnier-Duguy portent témoignage : le lecteur passe d’Enterre la parole à La nuit phœnix, des catacombes, puis du tombeau, à la renaissance (« ne laisse pas le poème mourir en toi »). Construisant peu à peu une œuvre, imposant sa voix, Gwen Garnier-Duguy publie ainsi son quatrième ensemble de poèmes. Il a aussi beaucoup donné aux autres poètes, quand il créa et dirigea la revue alors hebdomadaire de poésie Recours au Poème, en sa première version centrée sur « la poésie des profondeurs », celle de l’étincelle qui vit en nous. Lire un poète authentique, ce n’est jamais anodin. Un poète d’une terre telle que la Bretagne encore moins.
Matthieu Baumier
© LA NEF n°318 Octobre 2019