La nouvelle loi bioéthique, la quatrième après celles de 1994, 2004 et 2011, a été adoptée à l’Assemblée après des dizaines d’heures de débat et 4600 amendements, le 15 octobre dernier, avec 357 votes favorables, 114 défavorables et 74 abstentions. Le texte sera devant le Sénat en décembre.
Censée être adaptée aux « problèmes éthiques et aux questions de société soulevés par les progrès de la connaissance dans les domaines de la biologie, de la médecine et de la santé », la loi bioéthique concerne des domaines variés : l’extension de l’assistance médicale à la procréation (AMP ou PMA) aux couples lesbiens et aux femmes célibataires, le régime du don et de la conservation des gamètes, l’accès aux origines des donneurs-tiers de gamètes, la chaîne du don d’organe, les tests génétiques et les recherches sur les cellules-souches embryonnaires.
Un concours d’énormités
Le législateur s’est emparé de ces sujets disparates avec l’ambition d’éviter un « moins-disant éthique ». La maladresse de la formule, qui suggère au contraire que le législateur est dépourvu de cette sage finesse qui fait la solidité d’une philosophie morale cohérente et aboutie, a de quoi faire sourire. Mais gageons que les rapporteurs songeaient à poser la France comme modèle d’équilibre, en opposition à la Chine, où la manipulation du génome est plus libéralisée et à l’Inde où la GPA est couramment pratiquée.
Les débats à l’Assemblée auront cependant été l’occasion d’entendre des énormités de la part des défenseurs de la loi : Aurore Bergé a tenu à rassurer l’ensemble des Français à propos de la perpétuation de leur droit à « concevoir des enfants de façon charnelle ». La boutade, qui se voulait comique, cache pourtant la chute préoccupante de la fertilité des couples, notamment la qualité des gamètes masculins en baisse depuis 40 ans, et qui explique pour une part qu’actuellement la PMA représente 3 % des naissances au sein des foyers hétérosexuels.
De son côté, le député UDI Philippe Vigier, par un prétendu amour des femmes, a appelé à « traquer, oui traquer, les embryons porteurs d’anomalies chromosomiques ». Cette déclaration, somme toute abominable pour tous les enfants porteurs du gène et relevant d’un pur eugénisme (certaines vies ne méritant pas d’être vécues), n’a pourtant pas valu à son auteur d’être exclu du débat.
Des prémisses aux implications absurdes
Ailleurs, c’est la ministre de la santé, Agnès Buzyn, qui s’est fendue d’une formule exemplaire : « En rien un donneur de gamètes n’est un père », et défendait l’idée curieuse qu’un père était uniquement « une fonction symbolique » que pouvait très bien assumer une femme ; pour elle, ce n’est plus le fait de donner naissance à un enfant qui fait de la femme une mère, mais celui d’avoir un projet d’enfant. Il est vrai qu’au Canada, en 2015, Stefonknee Wolscht, un transgenre de 52 ans a pu être adopté par un couple généreux, et assumer cette double fonction symbolique que constitue le fait d’être « une petite fille de 6 ans ». Dans sa précédente « fonction symbolique », il était marié depuis 23 ans et père de 7 enfants.
Mais ces rôles de père et mère, et de petites filles, d’où viennent-ils donc ? D’une loi naturelle ou de l’arbitraire de la coutume ? Quelle que soit la position du législateur sur la question, on ne manquera pas de constater le glissement existentialiste de l’éthique qu’il a opéré en soubassement de sa loi, et qui implique des prémisses aux conséquences absurdes.
Si la nature humaine n’obéit en effet à nulle autre loi qu’à celle du choix et de la volonté, et si, ni le sexe, ni le gamète, ni l’accouchement ne font une mère, pourquoi donc refuser le droit à des hommes célibataires d’accéder à la GPA et d’être « des mères célibataires » comme toutes les autres ? C’est en se prévalant de cette optique « constructiviste » qu’un député s’est d’ailleurs ému que le gouvernement en reste à une conception duelle du couple, au détriment d’une définition plus large (le « trouple » serait une façon comme les autres de mener sa vie maritale et d’élever des enfants).
Une loi réactionnaire ?
Pour le journaliste de La Croix Loup Besmond de Senneville deux lignes ont émergé au sein de la majorité (1). Une ligne majoritaire, en phase avec le gouvernement, et une ligne « plus libertaire, minoritaire mais très active », défendue par le député Jean-Louis Touraine, co-rapporteur du texte. Ce dernier défendait par exemple la « PMA post-mortem » ou encore l’accès des hommes transgenres à la PMA (deux propositions rejetées).
Le gouvernement fait donc figure de conservateur face à cette minorité progressiste, qui s’imagine sûrement déjà être la majorité de demain, lorsque le peuple français se souviendra avec effroi les limites réactionnaires de la loi défendue par « la femme symbolique » Agnès Buzyn.
Le Gouvernement prévoit que l’extension de la PMA concerne 2000 couples, de femmes célibataires et de femmes lesbiennes, pour un coût supplémentaire de 15 millions d’euros à charge de l’Assurance maladie. La Cour des comptes alertait récemment à propos du déficit de la Sécurité sociale (5 milliards d’euros), tandis que de nombreuses associations de défenses des malades dénonçaient dans une tribune l’extension de la PMA comme une « source d’inégalité envers les malades », dans l’attribution des ressources et préconisaient plutôt de « réserver les ressources de l’assurance maladie à la prise en charge des maladies ».
Yrieix Denis
(1) « Lois de bioéthique, les quatre leçons à tirer d’un mois de débat », La Croix, 10 octobre 2019.
© LA NEF n°319 Novembre 2019