Indiens d'Amazonie © Pixabay

Synode Amazonie : nouvelle « querelle des rites » ?

À l’heure où ce numéro était achevé, le synode sur l’Amazonie se poursuivait et le document final n’était pas connu. Nous devrons y revenir, mais vous proposons déjà une petite réflexion sur cet événement.

Espéré par les uns autant que redouté par les autres, le synode sur l’Amazonie, qui s’est tenu à Rome du 6 au 27 octobre 2019, a assurément tenu ses promesses en fait de nouveautés théologiques et de polémiques médiatiques. Si le recul manque pour tirer un bilan de cet événement, qui donnera vraisemblablement lieu, dans les mois à venir, à une exhortation post-synodale, il est néanmoins possible de retenir quelques impressions, d’oser une prédiction et de proposer une grille de compréhension.
S’agissant des impressions, celles-ci ont été d’abord celles de la rencontre inédite, dans une unité de temps et de lieu, de ces deux mondes apparemment si éloignés que sont la Rome baroque et la forêt amazonienne. Et il est vrai que la présence, dans la basilique Saint-Pierre, d’indigènes portant vêtements et parures traditionnels a pu témoigner de l’universalité du message évangélique et de l’ouverture de l’Église catholique au meilleur de chaque culture. Mais à ces impressions positives se sont mêlées d’autres, plus déroutantes. En vrac : une assemblée synodale applaudissant à tout rompre l’autorisation de laisser tomber la soutane ; une communication extérieure sévèrement contrôlée ; une cérémonie dans les jardins du Vatican, au cours de laquelle certains participants se sont agenouillés devant des statues représentant, selon certains, la déesse andine de la fertilité (Pachamama) ; ces mêmes statues dérobées et jetées dans le Tibre par des fidèles scandalisés ; une affiche installée dans une église romaine et montrant, sous le titre « tout est connecté », une femme indigène allaitant un animal ; un « pacte » conclu dans les Catacombes de Sainte-Domitille, par lequel une quarantaine de cardinaux et d’évêques se sont engagés à défendre « l’alliance de Dieu avec toute la création » et « l’option préférentielle pour les pauvres » ainsi qu’à « réduire la production de déchets et l’utilisation des plastiques »…
Passons maintenant à la prédiction qu’il est possible, sans grand risque, d’émettre : le synode conduira à la décision d’ouvrir la prêtrise aux hommes mariés dans cette région de l’Amazonie. Évoquée avec faveur par le pape avant même l’ouverture du synode et défendue par la majorité des pères synodaux, cette réforme sera la plus commentée, car elle contribuera, dans le cas probable où elle s’étendrait à toute l’Église latine, à modifier profondément le visage de celle-ci. Les motifs avancés pour justifier cette véritable rupture dans l’histoire du catholicisme demeurent toutefois équivoques : s’agit-il de pallier le manque de prêtres dans une région où 70 % à 80 % des paroisses en sont dépourvues ? Ou se justifie-t-elle par la crise que connaît le célibat ecclésiastique (1) ? Reste enfin brûlante la question de l’accès des femmes au diaconat, premier degré du sacrement de l’ordre, ouvertement souhaité par la moitié des groupes de travail du synode. Il n’est toutefois pas certain que le pape François accède à un tel vœu, tant cette réforme ferait courir à l’Église un risque de schisme (2) et compromettrait tout rapprochement avec l’Orthodoxie. Une voie médiane pourrait être retenue, telle la reconnaissance, pour des femmes ayant reçu une formation à cet effet, d’un ministère non ordonné de la parole, de la célébration des mariages, ainsi que de l’accompagnement des malades et des mourants.

Références à l’Inde et à la Chine
Osons, enfin, une grille de compréhension de ce synode si atypique, que le pape François a lui-même suggérée dans son discours introductif : « Quand l’Église oublie comment elle doit aborder un peuple, c’est qu’elle n’a pas été inculturée. Combien d’échecs regrettons-nous aujourd’hui ? Pensez à De Nobili en Inde, à Ricci en Chine, et à bien d’autres ? » Par ces références explicites aux célèbres jésuites qui, aux XVIIe et XVIIIe siècles, ont défendu l’adaptation du message chrétien aux cultures extra-européennes et l’ouverture aux rites locaux, avant d’être condamnés par Rome, le synode – qui a d’ailleurs proposé l’introduction d’un rite amazonien – pourrait également être vu comme un nouvel épisode de la fameuse « querelle des rites », épisode cette fois-ci remporté par la compagnie de Jésus.

Jean Bernard

(1) Mgr Kräutler, ancien évêque de Xingu (Brésil) et principal rédacteur de l’Instrumentum laboris, a peut-être fourni la véritable clé d’explication de cette réforme : « Il n’y a pas d’autre possibilité, les peuples indigènes ne comprennent pas le célibat… Ils ne peuvent pas comprendre qu’un homme n’ait pas de femme, qui s’occupe de la maison, etc. »
(2) Le 26 juillet 2019, le cardinal Müller a déclaré qu’« aucun synode – avec ou sans le pape –, aucun concile œcuménique, ou encore aucun pape, même parlant ex cathedra, pourrait rendre possible l’ordination des femmes comme évêques, prêtres ou diacres ». Et il a ajouté : « Nous ne reconnaîtrons pas ces ordinations. »

© LA NEF n°319 Novembre 2019