Père Olivier N'Guyen

Réflexion sur le célibat sacerdotal

Alors que le synode pour l’Amazonie vient de s’ouvrir à Rome le 6 octobre dernier, une des propositions de l’Instrumentum laboris fait controverse en ouvrant la question de « savoir, si, pour les zones les plus reculées de la région, il ne serait pas possible de procéder à l’ordination sacerdotale de personnes ainées, même si elles ont une famille constituée et stable, dans le but de garantir la possibilité d’offrir des sacrements ». A n’en pas douter, cette proposition quoique courte dans un document de travail très conséquent suscitera un débat théologique large parmi les trois cents participants, ouvre et a déjà ouvert des prises de position antagonistes au cœur de l’Eglise. Car les conclusions du synode à ce sujet pour une église particulière lointaine pourraient bien ouvrir une même voie dans différents diocèses latins qui, particulièrement en Europe, vivent des situations pastorales similaires.

Nous faisons pleinement confiance au discernement du pape et aux membres du synode composé de nombreux évêques, de théologiens compétents, de représentants significatifs et éminents de la vie de l’Eglise, de conseillers divers pour répondre à cette question. Comme prêtre et ayant charge de formation théologique et philosophique sur des étudiants d’un niveau universitaire, voici ce que je répondrai si on m’en donnait l’opportunité.

Nature prophétique du célibat ecclésiastique :

Réinterrogeons-nous tout d’abord sur la nature du célibat ecclésiastique. Si cette pratique est présentée principalement comme une discipline dans l’Eglise, que veut dire au fond le terme de discipline ? Et d’où vient-il ? Le terme vient de la même racine que disciple, c’est-à-dire d’un nom qui qualifie une personne qui veut marcher fermement vers la sainteté à la suite du Christ. Si le terme a pris une connotation moralisante un peu négative, il exprime avant tout un choix intérieur profond pleinement assumé en raison de la perception de son caractère libérateur. La discipline du célibat caractérise ainsi ce dernier comme un chemin privilégié et positif de sanctification. Pourtant, présenter la pratique du célibat comme disciplinaire veut bien dire que cette pratique est d’abord une option morale pour les prêtres et n’apparait pas en soi comme une disposition fondamentale pour l’exercice de leur ministère. Est-ce juste de parler du célibat principalement sous l’angle de la morale ? Les termes d’analyse sont confus. Il ne faut pas amalgamer les expressions nature du célibat et nature de la pratique du célibat.  Il est très juste de dire que dans l’Eglise latine, la pratique du célibat est de nature disciplinaire, se situant dès lors comme un chemin moral particulier proposé pour favoriser la sainteté du ministère, mais il est faux de dire que la nature du célibat est disciplinaire. Aussi, si la pratique du célibat est un moyen de sainteté en tant que discipline, sa nature se situe à un autre niveau.

Il est clair que le célibat revêt une valeur théologique importante. Si le Christ a souffert jusqu’à mourir sur la croix, c’est pour nous « laisser un modèle afin que nous suivions ses traces » [1] dit l’apôtre Pierre. Dans cette perspective, le célibat est un message ou encore un signe : ainsi la recommandation du célibat sacerdotal serait une convenance pour exprimer symboliquement le don total du Christ. Le sens du célibat sacerdotal, en première approche, serait donc une parole symbolique pour exprimer de la manière la plus forte qui soit le don total de Jésus.

Mais nous n’avons pas encore atteint la nature plus exacte du célibat pour essayer de comprendre sa dimension de nécessité au cœur de la vie de l’Eglise. La parole de Dieu nous parle de celui-ci comme d’un acte prophétique. Lorsqu’ Ezéchiel se voit retirer son épouse, « la joie de ses yeux »[2], c’est pour sceller une parole prophétique annonçant la prochaine profanation du sanctuaire qui était la joie du peuple ; également, Jérémie « ne prend pas femme »[3] pour authentifier sa parole prophétique que le royaume de Juda est sur le point de tomber. Et de même, dans l’Apocalypse, la célébration du cantique nouveau annonçant de manière imminente les cieux nouveaux, se fait par un chœur de personnes vierges[4]. Le célibat apparait ainsi bibliquement comme un geste prophétique. Or, il faut remonter à la notion même de parole prophétique pour comprendre quelle est la portée du célibat et à qui au fond il pourrait convenir le mieux. Un geste ou une parole prophétique est un acte qui porte en lui-même sa force d’accomplissement si bien que ce qu’il annonce ne peut pas ne pas s’accomplir. Lorsqu’Ezéchiel et Jérémie s’engagent dans le célibat, c’est pour exprimer prophétiquement que vient bientôt un temps indéfectible où le temple, figuré par leur épouse, disparaitra. Par contraste, dans l’alliance nouvelle, le célibat exprime l’attitude de veille de ceux qui attendent le retour de l’époux qui est le Christ. Si le célibat est ainsi de nature prophétique, il n’exprime pas seulement le don total du Christ sur la croix, mais un royaume eschatologique à venir où l’union de chaque âme au Christ sera première et où la relation conjugale n’a plus de sens puisqu’il n’y aura plus de procréation. Or, la prophétie fait partie de la vie même de l’Eglise, spécialement celle qui concerne la fin des temps. De plus, Jésus annonce cette forme d’état de vie comme un signe caractérisant le nouveau royaume de Dieu : « il y a des eunuques qui se sont rendus tels à cause du Royaume des cieux »[5]  affirme-t-il. Autrement dit, le fait que certaines personnes soient célibataires n’est pas d’abord une option humaine mais un appel clair du Seigneur pour exprimer un royaume qui vient.

Selon sa nature, le célibat apparait ainsi d’abord bibliquement comme prophétique et en tant que pratique comme une option disciplinaire privilégiée.

Ainsi, des questions se posent : Qui peut porter un tel appel ?  Le célibat est-il seulement d’ordre charismatique si bien qu’il pourrait être vécu seulement à partir de la grâce baptismale ou ne doit-il pas être associé à un don particulier ?  Pour Dieu, à qui convient-il le mieux d’accorder ce don dans l’Eglise ?

Continuons notre réflexion. La Bible présente aussi l’Eglise dans son mystère essentiel de virginité. Elle la compare à une femme qui se réserve pour son Epoux. S’adressant à l’Eglise de Corinthe, Paul affirme : « je vous ai fiancé à un époux unique, comme une vierge pure à présenter au Christ »[6]. Le peuple de l’ancien testament était présenté comme « Vierge d’Israël »[7] attendant une consommation à venir alors que la tradition spirituelle a voulu voir dans l’épouse du cantique des cantiques, une figure de chaque âme appelée à être « immaculée »[8] dans l’Epoux. Cette qualification de virginité porte ainsi une signification eschatologique essentielle. Elle figure ainsi concrètement l’appel à la sainteté qui repose sur l’Eglise et constitue ce message prophétique qu’elle sera toujours plus disponible à l’Esprit de Dieu et au Christ en vue de noces éternelles à venir.

Ainsi, si d’une part, la virginité du cœur exprime bibliquement et idéalement la promesse d’un Royaume nouveau à venir et si d’autre part ce Royaume est l’accomplissement de l’Eglise, sa finalité la plus profonde, le célibat pour le Royaume apparait dans toute sa splendeur comme ce qui peut caractériser la nature la plus essentielle de l’Eglise comme « commencement du Royaume »[9].  En tant que hauts représentants de l’Eglise, les évêques et les prêtres sont, d’une manière première, appelés à vivre de ce signe fondamental du célibat. Il y a ici nous semble-t-il plus qu’un argument de convenance. Par eux, de la manière la plus lisible qui soit à travers la confiance que l’on place dans leur autorité, la promesse de noces éternelles à venir est clairement signifiée au cœur de l’Eglise.

Le fondement du sacerdoce ministériel : une participation à l’amour exclusif du Fils pour le Père rejaillissant en désir de don total.

Il convient maintenant de nous rappeler que le sacerdoce est un don de Dieu que Jésus confie au soir du Jeudi Saint en associant ses apôtres au repas pascal. Il leur donne ce soir-là une grâce d’union à sa passion qui les configure en puissance à son propre sacerdoce. De fait, après la Pentecôte, nous voyons les apôtres agir et parler au nom du Christ lui-même, comme s’Il était là à travers eux. Aussi le sacerdoce des prêtres est-il uni d’une manière vitale au sacerdoce du Christ. Et si dans l’Eglise nous parlons du sacrement de l’ordre, c’est qu’en lui, quelque chose de la divinité du Christ s’exprime. En effet, comme nous l’introduit Saint Thomas d’Aquin[10] et le confirment des théologiens comme Zundel[11] et Congar[12], il n’y a qu’un seul grand sacrement : celui de l’humanité du Christ par laquelle s’exprime Sa divinité. C’est bien par cette humanité sainte de Jésus qu’on peut toucher sa nature divine. Là est le fond du mystère de l’union hypostatique, là est le fond de la doctrine des sacrements. Le divin se manifeste et se donne dans le sensible.

Aussi, affirmer que le sacerdoce est un sacrement, c’est dire que la vie du prêtre elle-même est empreinte de ce grand mystère de l’humanité sainte du Christ. Il n’est pas seulement dispensateur des sacrements, son cœur lui-même possède une dimension sacramentelle dans lequel se vit, par le don de l’onction de l’ordination, quelque chose des sentiments mêmes du Christ. Par le don de l’ordination, le cœur sacerdotal reçoit une certaine configuration en puissance et en acte au cœur du Christ.

Or, dans le cœur de Jésus se vit une dimension principielle qu’Il donne en partage par grâce à ceux qu’Il veut toujours plus configurer à Lui. Au fond de son cœur vit cette exclusivité d’amour pour le Père pétrie de « fin silence ». Ce qui fonde ainsi essentiellement le sacerdoce du Christ et donc sa dimension sacramentelle, c’est cette qualité d’union et de rapport intime au Père qui rejaillit dans tous ses actes humains en don de soi. Contemplant « l’amour dans sa source » [13], le Fils se fait tout amour pour son Père et pour nous. Ainsi, par l’ordination, le prêtre est non seulement configuré au Christ dans l’exercice des sacrements mais il l’est également, certes dans une moindre mesure, à travers les virtualités déposées dans son humanité, spécialement par cette vertu d’amour exclusif pour le Père.  Le célibat sacerdotal exprime ainsi cette radicalité d’union du cœur de Jésus à son Père que le prêtre reçoit en héritage. Si le cœur de Jésus est uni au Père à travers l’exercice de son ministère, il l’est d’abord dans ce « fin silence » où il n’y a pas d’autre place que Lui. C’est bien cette dimension de prière vers le Père au cœur de l’humanité de Jésus qui attirait tant les âmes à Lui.

Dans cette perspective, le célibat est un don sacramentel enracinant chez le prêtre un désir de ne vouloir appartenir à personne sinon à Dieu. Est-ce seulement un don en puissance, qui peut ou pas être accueilli par choix délibéré, ou n’est-ce pas plutôt comparable à ce que les métaphysiciens appellent une puissance active au sens où la graine du désir du don radical est déjà donnée et aspire telle une grâce accueillie appelant la grâce, à un accomplissement ? En raison de l’amour débordant du Fils vers le Père, ce don apparaitrait plutôt analogiquement semblable à une puissance active :  il appartient au prêtre de l’accueillir et de le laisser fructifier par la confiance qu’il met en lui.

Aussi faut-il placer le célibat sacerdotal, non pas d’abord du côté de la vertu de continence, qui ne laisse pas apparaitre le célibat comme fondamentalement lié au sacerdoce, mais bien d’abord du côté de cette vertu qu’on pourrait appeler de « sinuspatrisibilité », c’est-à-dire de capacité à demeurer dans le sein du Père. Sinus est la forme latine du mot sein, le suffixe ibilité exprime la nature de vertu de cette attitude, alors que le terme patris, génitif latin, exprime l’origine. Par cette vertu qui lui est donné, plus le cœur du prêtre est attaché au Père éternel, demeurant dans son sein, plus le célibat devient pour lui comme un désir profond de son cœur et une aspiration co-naturelle. Et c’est parce qu’il est ordonné à cette exclusivité de relation au Père, dans ce « vers le Père » dont parle le prologue de Saint Jean au sujet du Verbe, que le prêtre est ordonné au salut des hommes.

La nature du célibat sacerdotal apparait dans cette perspective comme profondément christologique, comme directement rattachée à la relation si étroite qui unit le Fils éternel au Père.

On peut dès lors comprendre pourquoi le célibat sacerdotal est également de nature prophétique, pourquoi il exprime un accomplissement à venir de l’ordre de la création car cet amour « virginal » du Fils vers le Père est lui-même une parole éternelle qui imbibe toute l’histoire des hommes et veut l’orienter vers son origine fondamentale.

Le célibat sacerdotal est ainsi d’abord de nature profondément théologique, puis prophétique et enfin disciplinaire en tant que pratique.  Il n’est pas seulement expression du mystère de la croix mais il s’enracine dans une vertu donnée en partage, rejaillissement de cette qualité de relation du Fils éternel vers son Père. Dans le don de l’ordination est contenue cette grâce. Parce que le prêtre est seulement cause instrumentale dans l’exercice des sacrements, il n’est pas impossible, que des hommes mariés puissent recevoir ce don de l’ordination sacerdotale. Mais ils recevront en même temps cette grâce au fond d’eux-mêmes de ne vouloir être toujours plus qu’à Dieu seul sans intermédiaire. N’y a-t-il pas ici une source de tension avec le sacrement du mariage qui exige une pleine disposition de cœur de chaque conjoint ?  Peut-on prendre le risque de mettre potentiellement en difficulté des couples ?  C’est parce que le sacerdoce est un don venant de la surabondance du Christ qu’il peut théoriquement être octroyé à des hommes mariés, matures dans la foi, cette surabondance dépassant par don de grâce dans les sacrements les limites d’un cœur qui n’est pas pleinement sans partage. Mais selon la compréhension métaphysique traditionnelle du rapport matière/forme, à une forme donnée ( le sacrement de l’ordre), s’enracinant telle que nous l’avons vue dans cette vertu intime d’union du Fils au Père,  convient une matière idéale. Celle-ci est censée refléter son essence et être en mesure de la laisser se déployer de manière optimale. Le choix délibéré d’une liberté humaine totalement disponible pour le Royaume ne permet-il pas au mieux la réalisation de ces deux caractéristiques attendues ?[14]

La foi est absolument nécessaire pour une réception fructueuse des sacrements et une vie morale chrétienne épanouie. 

Saint Paul, en tête de l’épître aux Romains nous rappelle bien que c’est la foi qui sauve : « l’Evangile est force de Dieu pour le salut de tout croyant »[15] affirme-t-il. C’est d’ailleurs la thèse de tout l’épitre de rappeler l’importance de cet acte intérieur de foi pour la croissance de la vie spirituelle. Cela nous aide à comprendre que les sacrements de l’Eglise sont là pour accompagner un chemin de foi en vue de la sanctification des fidèles. La réception fructueuse des sacrements nécessite elle-même une vie de foi dans la valeur de la parole de Dieu et de cet amour que Dieu nous porte. La pratique sacramentelle régulière aide à faire un pas de plus dans la vie de foi et concerne plutôt la seconde étape de la vie spirituelle après l’accueil, par la foi, dans son cœur du nom de Jésus sauveur.

Ce qui manque d’abord dans nos régions concernées par le manque de prêtres, c’est cette première annonce s’accompagnant d’un chemin catéchétique où peut progresser la foi par la « dispensation » de la parole de Dieu. Ici, tout le peuple de Dieu est concerné par cette responsabilité de commencer à former des disciples. Ce n’est pas la proposition d’une pratique sacramentelle régulière, notamment par le sacrement de la réconciliation et de l’eucharistie qui va initier ce chemin de foi alors que rien de la vie de Jésus n’est encore connu. Cette dernière vivifiera un cœur qui aura déjà été illuminé par la parole de Dieu. Comment le peuple de Dieu peut-il se réveiller alors pour répondre à cet appel d’annoncer la foi et d’accompagner des disciples ? Ceux qui ont reçu la charge du ministère sacramentel ne pourront jamais remplacer ceux qui côtoient le plus les personnes loin de l’Eglise et qui sont à même de pouvoir initier un chemin de foi grâce à une confiance établie dans une relation personnelle.

De plus, l’épître aux Romains est clairement structuré en deux parties montrant le grand mouvement de la foi dans son rapport à une vie morale chrétienne pleinement épanouie. Après la contemplation de la « richesse, de la sagesse et de la science de Dieu », phrase clôturant la finale de la première partie de l’épitre (Romains 1 à 11), le chrétien est invité « à s’offrir lui-même en sacrifice vivant, saint, agréable à Dieu »[16]. La structuration d’une vie de foi précède ainsi l’appel à vivre des exigences de la sainteté divine. Et le baptême est présenté comme permettant de vivre cette transition d’un homme ancien vers une vie renouvelée dans le Christ. Il est ainsi explicité, au chapitre 6, peu avant cette séparation nette de l’épitre entre le chapitre 11 et 12, comme un « ensevelissement dans la mort »[17] du Christ afin de « recevoir la vie nouvelle de Dieu »[18].  De même, l’épitre aux Corinthiens commence par une présentation doctrinale invitant à la foi et poursuit à partir du chapitre 5 pour relever les exigences de la vie chrétienne par le baptême. L’eucharistie est présentée plus loin comme le repas du Seigneur auquel doit prendre part ceux qui ont vraiment conscience d’être unis dans la charité au corps tout entier de l’Eglise[19]. L’eucharistie apparait ainsi comme la nourriture céleste de ceux qui sont déjà impliqués fortement dans la vie ecclésiale. Sans la foi, il n’y a pas de plein déploiement d’une vie morale dans l’Esprit ni une réception fructueuse des sacrements.

Cette perspective du plan de l’épître aux Romains nous permet de nous réinterroger sur les causes profondes du manque de vocations dans les régions déchristianisées. La crise des vocations n’est-elle pas d’abord le reflet d’une crise de la foi du peuple de Dieu dans son ensemble ? Dans certains pays où la foi est forte, comme le Vietnam ou dans d’autres pays d’Asie ou d’Afrique, le célibat n’est pas remis en question car il y a plus de vocations que de places dans les séminaires. Si l’on veut des prêtres, ne faut-il pas demander d’abord au Seigneur le don de la conversion dans nos familles ? La vocation sacerdotale  peut s’épanouir plus facilement dans des familles où les parents, par la foi et la prière accueillent d’une manière vivante la parole de Dieu et les sacrements. Ne faut-il pas aussi demander avec foi, assurance et esprit de sacrifice, le don de vocations ? Nos jeunes ne doivent-ils pas également avoir plus de foi dans la beauté et la grandeur de cette vocation ? Ne faut-il pas également une plus grande foi dans la puissance des sacrements de l’eucharistie et de la réconciliation ?

Il est véridique que les sacrements font grandir la foi et que le prêtre reste indispensable dans l’ensemble du processus de conversion et de sanctification notamment en raison des sacrements qu’il peut offrir. Il est également vrai que la célébration du mystère eucharistique est source de grâce et de foi dans les fidèles et dans l’ensemble du corps de l’Eglise. Mais sans une foi vivante dans la parole de Dieu et la puissance des sacrements, sans une profonde conversion de cœur, on court le risque de transformer la vie chrétienne en une pratique sacramentelle toute extérieure. On court le risque d’être dans une attitude de consommation des sacrements au lieu de les voir comme des dons complètement gratuits. Le manque de présence régulière d’un prêtre, quoique grandement dommageable, peut d’un autre côté solliciter une vie de foi plus grande au sein de la communauté appelée à se prendre en main, développer un amour plus responsable de la parole de Dieu, faire grandir le désir des sacrements et contribuer à ne jamais se les approprier.

Le ministère sacerdotal, un don à demander à genoux.

On peut comprendre pourquoi certaines églises aient accepté que certains hommes mariés deviennent prêtre en raison de circonstances exceptionnelles. Je pense à l’église maronite, qui au cœur des persécutions a permis que dans les montagnes reculées certains hommes mûrs exercent le ministère de l’eucharistie. Ou encore aux églises orientales rattachées à partir du XVIème siècle à Rome qui leur a permis de garder leurs coutumes issues de périodes où elles étaient indépendantes. A circonstances exceptionnelles, pour des communautés chrétiennes orientales, l’exercice du sacerdoce par des hommes mariés ne vient pas dénaturer la signification profonde du célibat au cœur du rite latin.

Notre sentiment d’impuissance face au manque de prêtres ne constitue-t-il pas un signe que tout prêtre se reçoit d’abord comme un don de Dieu ? Pour appeler des jeunes à la vocation sacerdotale, il faut susciter chez eux de grands idéaux et donner une image claire du sacerdoce que brouillent aujourd’hui les messages qui tendent à désacraliser la figure du prêtre. Sacraliser outre mesure la figure du prêtre est une attitude inappropriée mais attention à ne pas séculariser le sacerdoce, ce qui saperait la structure même de l’Eglise.

Si le célibat sacerdotal est compris et vécu dans toute sa richesse théologique, prophétique et disciplinaire, il ne manquera pas d’attirer des jeunes à la prêtrise et de fortifier le ministère sacerdotal par la puissance de vie qu’il contient. Par don de la grâce divine, il contribuera à une joie profonde de l’âme, comme je peux le vivre actuellement car il n’y a pas de plus grand désir et de bonheur pour l’homme que de se tenir de manière exclusive en face du Père pour être envoyé dans le monde au service du salut des hommes.

Père Olivier Nguyen*

*Prêtre du diocèse de Fréjus-Toulon et directeur de l’Institut Alliance Plantatio : www.plantatio.org


[1] 1 Pierre 2,21.

[2] Ez 24,16.

[3] Jér 16,2.

[4] Ap 14,4.

[5] Mat 19,12.

[6] 2 Co 11,2

[7] Jér 31,4 ; 31,21.

[8] Eph 5,27.

[9] LG n°3.

[10] IIIa, q2,a6 ou IIIa, q19, a1.

[11]  » C’est une humanité-hostie, une humanité-sacrement, une humanité qui, dans tout ce qu’elle fait, dans tout ce qu’elle est, dans tout ce qu’elle dit, témoigne toujours de la divinité en qui elle subsiste et jamais d’elle-même  » affirme Zundel ( Cf. Conférence de retraite donnée à Ghazir aux franciscaines de Lons-le-Saunier le 6 août 1959)

[12] Y. CONGAR, Un peuple messianique, Brescia 1976, p. 28

[13] Vatican 2, Ad Gentes, n°2.

[14] Il semble que c’est la manière dont Dieu a organisé avec sagesse le rapport forme-matière pour chaque réalité crée qui permet de répondre plus profondément à la question sur le lien entre sacerdoce et célibat. Si l’on comprend bien que le sensible, dans tout ce que Dieu a fait,  n’est pas un simple accident mais est du côté de la substance ( Cf. Fabro et Hans André), révélant ainsi les intelligibles qui la déterminent tout en favorisant l’acte même de la substance pour laquelle la réalité crée est faite, on mesure combien dans le cosmos, la matière est étroitement unie à la forme comme si la répartition de la matière était par elle-même une sorte de figure de la forme et son agencement précis, le vecteur idéal de son déploiement. La matière porte ainsi une double fonction de révélation de la forme et de canal de son activité. Si le sacerdoce est bien une réalité ontologique, un « logos » tout particulier dans le cœur de Dieu, une « species », une forme au sens métaphysique du terme, la matière en mesure de la porter ne peut être un simple instrument ou réceptacle. Elle doit être en mesure de révéler son essence et de la laisser se déployer. Dans l’ordre du sensible, il n’y a pas plus signifiant que le célibat chez un homme pour exprimer l’exclusivité d’amour du Fils au Père. Il n’y a rien de plus potentiel qu’un cœur qui a décidé d’être tout à Dieu pour accueillir cet amour du Fils vers le Père qui cherche à se déployer dans les baptisés. C’est bien parce que l’onction du sacerdoce est principalement une onction dans cette vie intime du Fils vers le Père que le célibat sacerdotal apparait comme une volonté divine préférentielle.

[15] Rom 1,16.

[16] Rom 12,1.

[17] Rom 6,4.

[18] Ibid.

[19] Paul parle de l’invitation « à discerner le corps ». Rom 12,29.

© LA NEF le 5 novembre 2019, exclusivité internet