Les deux mères et la poupée ventriloque

Faisons un exercice de religion-fiction. Imaginons un évangile du progrès relatant la présidence de M. Emmanuel Macon. On y lira peut-être ceci :

« Généalogie de la loi PMA pour toutes née la troisième année de la présidence de M. Macron [sauf accident] : M. Maurice Godelier, anthropologue, conçut tout seul en 2004 les « Métamorphoses de la parenté » (Fayard) ; les « Métamorphoses de la parenté » fécondèrent Mmes Irène Théry, sociologue, et Anne-Marie Leroyer, juriste, qui en 2014, après la loi Taubira de 2013, conçurent « Filiation, origines et parentalité » (Odile Jacob) ; « Filiations, origines et parentalité » fécondèrent Mmes Agnès Buzin et Nicole Belloubet, ministres, qui conçurent en 2019 le projet de loi PMA pour toutes. »

Il suffit, pour s’assurer de l’exactitude de cette généalogie, de lire l’étude d’impact du projet de loi présenté par les deux ministres : la « nécessité de légiférer » (point 2.1) se trouve exclusivement justifiée, sur le plan anthropologique, par trois références à l’ouvrage de Mmes Théry et Leroyer. Or le seul chapitre anthropologique de cet ouvrage, le premier chapitre intitulé « De l’ordre matrimonial au démariage, un autre récit du changement familial » s’appuie seulement sur 13 références, dont 8 auto-citations, 2 références à des féministes, 2 à des juristes « naturalistes » et 1 à Maurice Godelier, salué comme le promoteur du « renouveau contemporain de l’anthropologie ».

En résumé, un entre-soi de spécialistes qui ne peut manquer de surprendre, s’agissant de personnalités formées à l’école de Claude Lévi-Strauss (1908-2009), qui avait décelé dans la prohibition de l’inceste le fondement de l’anthropologie moderne ! Mais tout s’explique car, en fait, cet entre-soi est idéologique.

Maurice Godelier, né en 1934, anthropologue de renommée mondiale, s’est en effet illustré par une impulsion nouvelle qu’il a donnée à sa discipline scientifique, une sorte de « troisième voie pour l’anthropologie ». Les premiers anthropologues, au XIXème et au début du XXème avaient orienté leurs recherches vers la construction d’une histoire de l’humanité, depuis les hommes préhistoriques jusqu’aux temps modernes. Mais leur ambition « évolutionniste » se heurtait à l’insuffisance des découvertes paléontologiques. En réaction contre les dérives de l’imagination de ses prédécesseurs, Lévi-Strauss prit le parti radicalement inverse de rechercher, en s’appuyant notamment sur l’étude des peuplades dites « primitives », des invariants structurels dans l’esprit et le comportement de tous les humains, quel que soit le stade de développement de leur civilisation. Et il prit les terminologies de parenté comme premier objet de ses études. Mais son approche totalement abstraite parut à son tour insuffisante pour rendre compte de l’extraordinaire diversité des sociétés humaines, y compris les sociétés occidentales contemporaines.

Inspiré par le marxisme, Godelier entreprit à la fois de développer une vision concrète de l’être humain, notamment sur le plan sexuel, et de réhabiliter la notion d’évolution de l’humanité. Entre les deux plans, celui de l’individu et celui de la société, il conçut l’idée d’interactions permanentes, sur le modèle dialectique des relations entre infrastructures et superstructures dans la théorie marxiste. Et selon lui, ces relations passent notamment par la sexualité, qualifiée de poupée ventriloque qui « non seulement parle de l’ordre qui règne dans la société, mais dit que cet ordre doit continuer à régner ». Et cet ordre est naturellement celui de l’oppression des femmes par les hommes. Ainsi, l’anthropologie de Godelier débouche sur un appel à la révolution féministe, la lutte des genres prend la relève de la lutte des classes.

L’évangile du progrès selon Maurice Godelier serait donc l’annonce de la mort de la poupée ventriloque, tuée par le progrès social. Alors, pour se réconforter d’avoir deux mères et pas de père inscrits sur son acte de naissance un enfant pourra se vanter d’être le fruit d’un « mouvement d’intégration sociale profonde des relations homosexuelles » entre ses deux mères (Leroyer et Théry, p. 59).

Quand la confection des lois devient le champ clos de discussions entre experts politisés, les citoyens n’ont plus rien à dire. Le débat est impossible, comme on l’a vu. Mais le vrai progrès ne serait-il pas dans le retour au simple bon sens ?  Gardons confiance.

Claude de Martel

© LA NEF le 16 novembre 2019, exclusivité internet