Retour sur la question du voile

ÉDITORIAL

Des mères voilées accompagnant des enfants lors de sorties scolaires, un gouvernement divisé sur la manière de réagir, un élu RN demandant la sortie d’une femme voilée présente au conseil régional de Bourgogne, et voici la question du voile à nouveau sur le devant de la scène. Et à nouveau, notre impuissance à endiguer la visibilité de plus en plus étendue et revendicative de l’islam en France est patente.

C’est une vieille affaire puisqu’elle remonte à trente ans, à l’automne 1989 précisément, avec l’exclusion du collège de Creil de deux élèves musulmanes qui avaient refusé d’enlever leur voile. Il faudra attendre 2004 pour que l’État légifère et interdise à l’école publique tout signe manifestant ostensiblement une appartenance religieuse, visant donc aussi bien le christianisme et le judaïsme (pourtant l’un et l’autre étrangers à tout problème) que l’islam. Il y a eu ensuite la loi anti-burqa de 2010… mais tout cet arsenal semble finalement peu efficace (1).

Certes, il faut reconnaître que le juste traitement de l’islam dans un pays de tradition chrétienne et démocratique, dès lors où il atteint certaines proportions, est tout sauf simple. Mais peut-être éviterait-on au moins les échecs les plus cuisants si nous commencions par prendre la mesure de ce qu’est réellement l’islam, sans nullement chercher à le diaboliser, mais sans l’irénisme non plus qui caractérise la vision de ceux qui légifèrent à côté de la plaque depuis trente ans et plus.

Connaître l’islam

Fondamentalement, l’islam n’est pas une « religion » au sens où nous l’entendons pour le christianisme (2) : il est plus que cela, ne connaît pas la distinction du temporel et du spirituel (« Rendez à César… ») et, par la charia, englobe tous les aspects de la vie des musulmans (culturels, sociaux, moraux…). Minoritaires dans une société aux valeurs affirmées, ils se plient aux lois, respectent la fermeté appuyée sur une force juste. Mais lorsque leur nombre augmente, au point de devenir majoritaires dans certains quartiers, et que le tissu d’accueil est lui-même en déliquescence, incapable de proposer une alternative à leur communautarisme, alors ils revendiquent toujours plus ce que commande la charia. L’islam s’étend d’abord par la pratique des mœurs qu’il impose.

C’est dans ce contexte qu’il faut appréhender la question du voile. Évidemment, pour beaucoup de celles qui le portent, il est plus qu’un vêtement, le signe bien visible et revendiqué de l’appartenance à l’Oumma. Et pour nombre d’entre elles, sans doute l’ont-elles choisi ou accepté librement. Mais, dans ce milieu communautariste fermé, quelle liberté pour celles qui ne veulent pas le porter ? De même, plus généralement et plus gravement encore, quelle liberté pour les musulmans qui veulent s’émanciper de l’islam, le quitter, se convertir au christianisme ?

L’interprétation du Coran

Là est le vrai problème qui a sa source dans le Coran lui-même : c’est le Coran qui contient des versets appelant à la violence contre les juifs et les chrétiens, qui leur impose le statut de dhimmi, qui relègue la femme à un statut inférieur… Le voile est ici certes très symbolique mais somme toute secondaire, il agit comme un effet d’une situation non maîtrisée, mais il n’en est pas la cause. Il est au demeurant paradoxal que l’État veuille, d’un côté, empêcher les femmes de se voiler et, d’un autre, permette qu’elles se dénudent sous nos yeux dans des campagnes publicitaires qui la ramènent au rang de vulgaire objet de plaisir.

Il est enfin absurde, en raison du problème spécifique que pose l’islam, de mettre toutes les religions sur le même plan, d’ignorer le rôle historique du christianisme en Europe et d’avoir une vision quelque peu sectaire de la laïcité en interdisant tout signe religieux dans l’espace public, comme si les religions, a priori suspectes, n’avaient aucune dimension sociale. Faudra-t-il interdire demain aux religieuses de sortir dans la rue en habit ?

L’islam est confronté à un problème qui exige des musulmans le courage de voir la réalité en face, sans esquive, et d’affronter la question fondamentale de l’interprétation du Coran, seule façon de réformer leur religion et de lui permettre d’être « intégrable » dans nos sociétés occidentales. Nier les difficultés intrinsèques à l’islam empêche cette réforme nécessaire et n’aide pas les musulmans courageux qui y travaillent.

Mais cela n’est pas suffisant si nous-mêmes ne nous réformons pas aussi : si nous n’avons à offrir aux musulmans qu’une société matérialiste, consumériste et sans Dieu, reniant ses propres racines, sa culture et déconstruisant un à un tous les repères anthropologiques les plus attestés, alors pourquoi feraient-ils l’effort de se réformer eux-mêmes ?

Christophe Geffroy

(1) En France, la loi réglait le cas de la burqa ou du voile intégral avant même la loi de 2010, puisqu’il est interdit d’avoir le visage masqué dans l’espace public, il suffisait de faire respecter cette loi.
(2) Cf. Annie Laurent, L’islam pour tous ceux qui veulent en parler (mais ne le connaissent pas encore), Artège, 2017.

© LA NEF n°319 Novembre 2019