Le cardinal Gerhard Ludwig Muller © AdobeStock

Le renouveau viendra des saints

Le cardinal Gerhard Ludwig Müller, théologien dogmatique, a été évêque de Ratisbonne (2002-2012), en Allemagne, puis préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la foi de 2012 à 2017. Il a été chargé par Benoît XVI de l’édition de ses œuvres complètes. Il nous parle ici du synode sur l’Amazonie et de la situation de l’Église en Allemagne. Entretien exclusif.

La Nef – Le synode sur l’Amazonie vient de s’achever : quel bilan en tirez-vous ?
Cardinal Müller
– Un synode est une assemblée d’évêques appelés à témoigner de l’Évangile en leur qualité de successeurs des apôtres. Or, s’agissant de thèmes comme le climat ou la protection de l’environnement, qui relèvent des sciences empiriques et donnent lieu à des décisions politiques selon « l’autonomie des réalités terrestres » (Vatican II, Gaudium et spes, 36), le Magistère ne peut que proposer des principes éthiques, et non prescrire des solutions pratiques. Jésus n’exhorte pas les disciples à discerner « les signes du futur à partir de la pluie, du vent et des nuages », mais à prendre une décision en faveur ou contre Dieu, en croyant en Lui. « Hypocrites ! Vous savez interpréter l’aspect de la terre et du ciel ; mais ce moment-ci, pourquoi ne savez-vous pas l’interpréter ? » (Lc 12, 56). Lorsqu’on tire le bilan d’une assemblée ecclésiale, le critère doit être de savoir si, par le message qui en ressort, le Christ, seul Sauveur du monde, est entré plus clairement dans la conscience des chrétiens.

Vous avez indiqué à plusieurs reprises que le synode sur l’Amazonie répondait à un « agenda européen », en particulier à un « agenda allemand » : qu’entendez-vous par là ?
Les thèmes développés lors du synode sur l’Amazonie sont identiques à ceux du « processus synodal » engagé par l’Église allemande, qui se déroule sous la direction de la Conférence épiscopale allemande et du Comité central des catholiques allemands (ZdK). En Amérique latine, où, au cours des cinquante dernières années, l’Église catholique a perdu près de la moitié de ses membres au profit des sectes protestantes et des mouvements évangéliques, l’accent doit être mis sur une nouvelle évangélisation. Parallèlement, depuis 1990, en Allemagne, 8 millions de protestants et 5 millions de catholiques ont quitté l’Église. Ce n’est que par la proclamation et le témoignage que nous pourrons reconquérir ces personnes au Christ et non par des changements structurels comme l’exigent les médias éloignés de la foi. Les partisans de la laïcité, qui sont très loin de Dieu, préféreront toujours une Église faible et divisée à une Église unie dans la foi, l’espérance et la charité. Ils n’accepteront l’Église que s’ils peuvent l’intégrer à leur propre agenda en faveur d’une « société ouverte », que si elle se plie à la volonté de richissimes fondations qui promeuvent l’avortement et l’euthanasie au prétexte de sauver l’environnement des conséquences de la surpopulation. En aucun cas, le Vatican ne devrait accepter des dons provenant de ces fondations, puisque leur versement est soumis à des conditions incompatibles avec l’éthique chrétienne.

Pensez-vous que le synode sur l’Amazonie – qui a d’ailleurs proposé l’introduction d’un rite amazonien – puisse également être vu comme un nouvel épisode de la fameuse « querelle des rites », épisode cette fois-ci remporté par les jésuites ?
La « querelle des rites », qui a concerné la Chine du XVIIe siècle, est intervenue dans un contexte historiquement et théologiquement différent de celui que nous connaissons en Amazonie. S’agissant de la question générale des rites, il importe de rappeler que ce sont seulement les sacrements en leur substance qui sont confiés à l’autorité de l’Église. Les prêtres ne transmettent pas eux-mêmes la grâce des sacrements, ils sont seulement chargés d’administrer les sacrements porteurs de grâce. Autrement dit, l’autorité ecclésiastique n’a compétence que sur la forme liturgique. Les différents rites de l’Église catholique n’ont pas été inventés par une commission papale dans un bureau quelconque, mais remontent loin dans la tradition apostolique. Quant à l’Amérique latine, elle appartient au rite latin. Ici, les mentalités locales, les chants et les coutumes populaires peuvent être intégrés sans changer le rite lui-même ou en créer un nouveau.
Surtout, les rites n’ont rien à voir avec les idées païennes. Abuser du thème de l’inculturation pour introduire le syncrétisme constituerait un abus blasphématoire de la part de l’autorité ecclésiale. Pourtant, aujourd’hui, celui qui rappelle que cette autorité est soumise à des lois fondées sur le Christ est accusé de s’opposer au pape, et ce par les partisans d’une « autre Église ». Au lieu de s’efforcer de fonder scientifiquement leur point de vue, ces derniers préfèrent disqualifier les objections formulées par des théologiens compétents et même par des évêques et des cardinaux comme émanant d’ultraconservateurs et d’opposants au pape. Une telle manière de procéder est la contrepartie de cet anti-intellectualisme mené au nom d’une pastorale de la complaisance. J’observe que ces personnes sont les mêmes qui, sous les pontificats de Jean-Paul II et de Benoît XVI, non seulement critiquaient telle ou telle décision pontificale, mais remettaient en cause le fondement même de la papauté comme étant une institution de droit divin. Les hérétiques d’hier qui, aujourd’hui, se présentent comme les champions de l’orthodoxie font penser aux Ariens qui, sous la protection de l’empereur romain, avaient excommunié comme hérétiques et schismatiques les chrétiens qui se voulaient fidèles aux décisions du concile de Nicée (325).

Selon toute vraisemblance, le synode donnera lieu à l’ouverture de la prêtrise aux hommes mariés dans la région de l’Amazonie : que pensez-vous de cette réforme que, semble-t-il, en 1992 vous paraissiez appeler de vos vœux ?
Il existe une possibilité de dispense du célibat sacerdotal pour les anciens pasteurs luthériens et anglicans devenus catholiques. Et, au nom de ce bien éminent qu’est l’unité des chrétiens, l’Église a toujours reconnu la pratique de l’ordination des hommes mariés dans les Églises orthodoxes ainsi que dans les Églises catholiques de rite oriental. Toutefois, les réflexions que j’ai pu développer à telle ou telle période ne sauraient servir de prétexte aux principaux opposants au célibat. D’ailleurs, il serait appréciable que ces derniers puissent citer mes déclarations sur la foi catholique avec autant de ferveur…
En fait, même s’il existe des exceptions individuelles légitimes, le célibat reste intérieurement lié au sacerdoce. Il ne s’agit pas d’une simple règle disciplinaire qui pourrait être abolie par une décision du pape. Les conciles d’Elvire et de Carthage II ainsi que de nombreuses déclarations des papes à partir du IIIe siècle ont imposé la continence aux prêtres, évêques et diacres. Plus tard, l’Église latine décidera d’ordonner seulement ceux qui ont renoncé au mariage dès le début. Les raisons à la base de cette décision sont de nature christologique, parce que le Christ, au nom duquel les prêtres exercent leur ministère, a vécu le célibat pour le royaume des cieux (Mt 19, 12). Enfin, en Orient même, il existe une grande tradition de monachisme et le futur évêque ne peut être choisi que parmi les moines célibataires.

Pensez-vous que cette réforme restera cantonnée à l’Amazonie ?
Par authentique réforme de l’Église, il nous faudrait entendre un renouveau de la foi dans le Christ. Or, ce renouveau est précisément le contraire de l’adaptation à un monde éloigné de la foi, et qui tient pour folie l’indissolubilité du mariage, les conseils évangéliques de pauvreté, d’obéissance et de chasteté, l’abstinence prénuptiale, le mariage de l’homme et de la femme, car il ne peut comprendre l’absolue nouveauté que le Christ a apportée. L’homme terrestre pense à la manière terrestre, l’homme spirituel juge selon l’Esprit de Dieu. « Nous n’avons pas reçu l’Esprit du monde, mais l’Esprit qui vient de Dieu, afin que nous sachions ce qui nous a été donné par Dieu » (1 Co 2, 12).

Le synode n’a pas proposé l’ordination diaconale des femmes, mais le pape a demandé que l’on continue à examiner le dossier historique et on se dirige quand même vers des « ministères féminins », terme quelque peu ambigu en la matière : que cela vous inspire-t-il ?
Il ne pourra jamais être procédé à l’ordination de femmes comme évêques, prêtres et diacres. Cette impossibilité, qui est inscrite dans la nature même du sacrement de l’ordination (le prêtre représente, d’une certaine manière, le Christ, époux de l’Église), a été rappelée par le Magistère avec la plus grande force contraignante comme étant un article de foi. Ainsi, apparaît superflue toute nouvelle étude portant sur la possibilité de conférer l’ordination sacerdotale (dans ses trois degrés), car les données de l’histoire, qui sont généralement bien accessibles, ne permettent en aucun cas de militer en faveur de cette possibilité.
En revanche, les ministères ecclésiaux (par opposition aux ministères ordonnés du diacre, du prêtre et de l’évêque) peuvent être exercés de manière égale par les femmes et les hommes, à temps plein ou à temps partiel. Il en va ainsi du lectorat ou de l’acolyte (les enfants de chœur). À ce sujet, il serait d’ailleurs bénéfique que les laïcs qui exercent, à temps plein, ce type de ministère reçoivent une bénédiction spéciale du prêtre ou de l’évêque.

Dans votre livre Römische Begegnungen (Roman Encounters), tout juste publié, vous faites explicitement référence à la « mafia de Saint-Gall », ce groupe de prélats qui, avant l’élection du pape François, ont milité en faveur de l’adaptation du message de l’Église aux valeurs et aux mœurs du monde moderne : avez-vous été, avant 2013, témoin de l’activité de ce groupe ? et ne craignez-vous pas que de pointer ainsi un tel groupe ne vous fasse accuser d’une vision « complotiste » des choses ?
J’observe que cette expression « mafia de Saint-Gall » ne vient pas de moi, mais d’un cardinal qui faisait justement partie de ce groupe de prélats. D’ailleurs, la question de savoir s’il a existé des accords secrets et des complots ne m’intéresse pas. Reste que, chez certains, la conviction s’est imposée que, après deux papes « conservateurs » (Jean-Paul II et Benoît XVI), le temps était venu d’avoir un pape « progressiste ». Or, une telle conviction est le signe d’une faillite de la pensée théologique, la marque d’une grave violation du principe même de la papauté, qui doit servir l’unité de l’Église dans la vérité révélée et qui ne doit donc jamais être l’instrument de mouvements idéologiques et politiques. Car « conservateur » et « progressiste » sont des concepts politiques et idéologiques. L’important, c’est d’être en accord avec le Christ et de diffuser son enseignement, non de recevoir les louanges d’une société qui ne veut rien savoir de Dieu. Regardez donc les moyens immoraux dont usent une politique machiavélique et une propagande diffamatoire : les cardinaux, les évêques, les prêtres et les laïcs fidèles à la doctrine sont maltraités par ceux-là mêmes qui disent : « maintenant, nous sommes au pouvoir et nous allons éliminer les Wojtyliens et les Ratzingeriens ». Comme elle est terrible à regarder, cette « belle et nouvelle Église » (en référence à Orwell), constituée de catholiques sécularisés se disant eux-mêmes « progressistes » et « réformateurs » !

Au mois de février 2019, vous avez publié un « manifeste de la foi », qui fait l’objet aujourd’hui d’un documentaire vidéo. Quels événements ont motivé un tel geste ?
Une telle initiative n’appelle aucune justification ! Dans la défense de la foi, tous les évêques sont égaux et les cardinaux de la Sainte Église romaine ont une responsabilité particulière, en communion avec le Successeur de Pierre. Or, aujourd’hui, on ne peut ignorer la confusion que les « progressistes » autoproclamés ont provoquée dans l’Église. Le « Manifeste de la Foi » correspond au Catéchisme de l’Église catholique et suit la ligne intérieure du Credo qui a fondé notre baptême (Trinité, Incarnation, sacramentalité de l’Église, les sept sacrements, l’unité de foi et de vie, l’espérance en la communion éternelle avec Dieu).

Dans la déclaration commune publiée le 4 février 2019 par le pape François et l’imam d’Al-Azhar Ahmed al Tayeb, il est indiqué que « le pluralisme et les diversités de religion, de couleur, de sexe, de race et de langue sont une sage volonté divine, par laquelle Dieu a créé les êtres humains » : comment donner de cette phrase une interprétation qui soit conforme avec le Magistère de l’Église ?
Ce qui est étrange dans cette phrase, c’est la combinaison d’éléments hétérogènes appartenant à des ordres radicalement distincts. La différence de couleur de peau ne joue aucun rôle et quiconque entendrait exercer une discrimination fondée sur cette différence (sous la forme du racisme) ne serait qu’un crétin moralement dépravé et mentalement corrompu. En revanche, l’appartenance ethnique et la langue relèvent de l’ordre de la culture telle qu’elle se développe historiquement.
L’unité de l’homme et de la femme en tant qu’êtres humains et leur complémentarité (leur polarité) sont fondamentales pour l’humanité dans l’ordre de la nature et dans le domaine de la grâce (le mariage comme sacrement, la tâche du père et de la mère dans la médiation des valeurs humaines et la foi surnaturelle dans l’éducation au Christ). La « religion » est une vertu morale qui appartient à la nature spirituelle et morale de l’homme et qui vise à adorer Dieu en tant que Créateur. Cela doit être distingué des « religions » historiques qui, d’un point de vue chrétien, sont une préparation à la rencontre avec le Christ et qui doivent rendre possible l’accueil de son Évangile (Ac 14, 16 ; 17, 23). Nous, chrétiens, nous ne connaissons la volonté de Dieu que par le Christ, qui nous enseigne à prier le Père céleste : que ta volonté soit faite. Ce que Dieu veut, c’est notre sanctification et que tous les hommes parviennent à la connaissance de la vérité et soient sauvés par l’unique médiateur qui nous conduit au Dieu unique (cf. 1 Tm 2, 4s.), c’est-à-dire par l’homme Jésus-Christ, le Verbe de Dieu fait chair (Jn 1, 14-18).
Il est bien que le pape ait réaffirmé avec un haut représentant de l’islam (comme l’avait déjà fait Benoît XVI à Ratisbonne en 2006) que l’usage de la force physique et de la contrainte spirituelle contredit diamétralement la compréhension chrétienne et islamique de Dieu, que nous confessons les uns et les autres comme le Dieu unique et créateur de tous les hommes dans la foi.
Mais il est clair que, pour nous chrétiens, il ne saurait y avoir un Dieu double, d’une part celui d’une foi générale et naturelle, commune à tous, et d’autre part celui de l’autocommunication historique en Jésus-Christ. Nous ne pouvons pas non plus prier avec les musulmans, comme s’il y avait un autre Dieu que le Dieu trinitaire. Nous, chrétiens, prions toujours et exclusivement Dieu le Père par le Christ, son Fils unique, dans l’Esprit Saint (Rm 8,15). La foi en la Trinité et en l’Incarnation ainsi que l’effusion eschatologique de l’Esprit Saint ne sont pas seulement des thèmes réservés à certains théologiens spécialisés, mais ils constituent l’essence de la foi par laquelle nous sommes justifiés et atteignons la félicité éternelle.

Comment jugez-vous la situation de l’Église catholique en Allemagne et notamment le « chemin synodal » en cours ?
En 2018, 220 000 catholiques ont quitté l’Église, leur mère dans la foi. Seuls 10 % des catholiques baptisés se conforment, chaque dimanche et jour de fête, au commandement de Jésus et au précepte de l’Église de rendre grâce à Dieu par le Christ, à travers l’Eucharistie, pour leur salut. De rendre grâce aussi d’avoir été appelés à la vie éternelle et au bonheur en Dieu, parce qu’ils ont été libérés du péché et de la mort grâce à l’offrande d’amour du Christ sur la croix. Beaucoup d’hommes et de femmes sont mariés sans accorder quelque importance que ce soit à la bénédiction de Dieu dans le sacrement, et sans reconnaître la sainte obligation de faire de leurs enfants des fils et des filles de Dieu par le baptême. Ce dont nous avons besoin, c’est de mystagogie et de catéchèse portant sur les fondements de la foi. Croire que, en parlant de « prêtresses » et de « diaconesses », on pourrait échapper à la pression de la société est un non-sens et est contre-productif. Ce n’est pas une dilution de la morale sexuelle qui est nécessaire, mais la prise de conscience que la sexualité en tant qu’homme ou femme est un don de Dieu et qu’elle ne peut être une bénédiction que si elle est vécue conformément à la loi de l’amour et au don réciproque total. Les millions d’euros gaspillés pour faire fonctionner les centres de conseil conjugal et couvrir leurs frais de voyage, d’hébergement et de publicité seraient mieux investis dans les jardins d’enfants et les hôpitaux ou dans les retraites spirituelles. Un renouveau de l’Église viendra des saints, et non des dirigeants et des hommes qui manipulent habilement leur agenda. Jusqu’à présent, le processus synodal en Allemagne n’a produit comme fruits que discorde entre évêques et invectives entre prêtres et laïcs. Et il a offert aux médias le spectacle d’une Église qui se déchire et dont on voudrait bientôt prédire la chute. Au-delà de l’apparente fidélité manifestée habituellement envers le pape François, il est surprenant que le souci qu’il a d’une nouvelle évangélisation centrée sur le Christ ait été balayé sans égards

Ne conviendrait-il pas de renoncer à l’impôt d’Église, compte tenu des effets pervers qu’il entraîne ? Par ailleurs, un catholique fidèle au Magistère commet-il un péché si, ne souhaitant plus contribuer financièrement à une Église allemande dont il conteste l’actuelle évolution, il demande à sortir de ce système ?
L’impôt d’Église est la contribution que chaque catholique (ou chaque protestant ou autre croyant), en Allemagne, est tenu de verser à son Église ou à sa communauté religieuse et philosophique en fonction de son revenu réel. Elle doit être distinguée de l’aide financière que l’État accorde aux institutions ecclésiastiques caritatives et de celle qu’il verse à l’Église en compensation de la spoliation des biens ecclésiastiques intervenue lors de la sécularisation de 1803. Pour revenir à l’impôt d’Église, si un fidèle quitte celle-ci à seule fin d’économiser de l’argent et d’échapper ainsi à la contribution qu’il doit aux services de la communauté, il commet un péché assurément plus grand que le fidèle qui quitte l’Église après avoir abandonné en conscience la foi catholique. Reste que c’est un grand dommage de voir certains évêques allemands et la conférence épiscopale utiliser les fonds provenant des fidèles pour poursuivre des buts qui vont à l’encontre de la foi de l’Église ou pour mener une politique personnelle. Nous ne devrions pas nous croire autorisés, parce que l’Allemagne verse des sommes d’argent importantes au Vatican, d’exiger du pape des concessions en contrepartie, à savoir qu’il ferme les yeux sur le ministère d’unité dans la vérité qui est le sien, et qu’il laisse faire tous ceux qui cherchent à bâtir une autre Église allemande, une Église laïcisée. Le fait que, il y a 500 ans, les princes allemands aient utilisé l’argent des indulgences comme moyen d’échange avec Rome pour que des évêques soient autorisés à occuper deux ou trois évêchés à la fois devrait être un avertissement pour nous tous. Le prix à payer – la moitié de l’Europe a rompu avec le Successeur de Pierre – a été trop élevé. Cette terrible expérience de la division de l’Église pendant la période de la Réforme devrait tous nous inciter à réfléchir à cette leçon et à nous montrer prudent dans l’utilisation de l’argent. Même à Rome, on devrait comprendre que la vérité de la foi et l’unité de l’Église sont plus importantes que l’obtention de finances. Après tout, Pierre, dont la tâche est de fortifier ses frères dans la foi, était le premier des apôtres tandis que Judas venait en dernier. On lui a confié les finances et ça a mal tourné. Pierre s’est converti après avoir renié son Seigneur, tandis que Judas, une fois trahi Jésus, n’a pas retrouvé le chemin vers le Dieu miséricordieux et qui pardonne.

Nous vivons dans l’Église une période troublée : quelle doit être l’attitude du simple fidèle catholique quelque peu déstabilisé par les « ouvertures » de l’actuel pontificat ?
Notre tâche est de prier pour le Saint-Père, de lui accorder toute notre confiance et notre bienveillance, parce qu’il est un frère chrétien et notre maître suprême dans la foi. En revanche, c’est faire fausse route que de vouer un culte populiste au pape, en l’absence de tout esprit critique, comme si celui-ci était une célébrité de ce monde. Notre foi s’adresse non pas à une personne humaine, mais seulement à Dieu, Père, Fils et Saint-Esprit. Nous croyons dans et avec la communauté de l’Église, qui a reçu de Dieu tous les charismes et les ministères nécessaires. Les fidèles ne doivent pas s’élever au-dessus des pasteurs qui leur sont donnés par Dieu ni chercher à obtenir le pouvoir à la seule fin de transformer l’Église de la maison de Dieu en une « maison de commerce » (Jn 2, 16). Les pasteurs, qui sont les ministres de l’Église, doivent se préoccuper du salut et du bien-être des fidèles. L’Église est centrée sur le Christ. Il est notre seul maître et Seigneur. Mais les évêques et le pape, en tant que successeurs des apôtres, sont investis de l’autorité du Christ pour nous enseigner la vérité du Christ et nous conduire, en bons pasteurs, par l’exemple, sur le chemin du salut : « Ses disciples se rappelèrent qu’il est écrit : L’amour de ta maison fera mon tourment » (Jn 2,17 ; Ps 69,10).

Propos recueillis et traduits de l’allemand par Jean Bernard

© LA NEF n°320 Décembre 2019