Puisque, quand c’est flou, il y a un loup, permettez-moi de me lancer à la chasse au canis lupus du système de retraites. Comme toute traque celle-ci commence en fixant les objectifs et les moyens. Posons le principe que tout travailleur, s’il a travaillé toute sa vie, a droit à une retraite permettant de vivre dignement jusqu’à la fin de sa vie. Pour financer celle-ci, existe deux grands systèmes, la capitalisation et la répartition.
La capitalisation est un système individuel ou l’actif d’aujourd’hui épargne en vue de sa propre retraite, ses cotisations font l’objet de placements financiers avec un rendement lié à l’évolution des marchés financiers et des taux d’intérêt. La personne prend un risque qu’en théorie elle assume seul. Risque d’insuffisamment cotiser ou risque de voir réduit à néant ses efforts d’épargne du fait de mauvais placements.
Avec la répartition, les cotisations versées par les actifs au titre de l’assurance vieillesse servent à payer les pensions des retraités. Contrairement à un régime individuel, la répartition pose un principe de solidarité entre les générations, il affirme l’existence d’un corps social et d’une coresponsabilité. Si l’on croit en la nation et à l’importance d’un destin collectif, ce système est bien préférable.
Soutenir la natalité et donc la famille
Mais il faut être logique, le choix de la répartition doit s’accompagner d’une politique familiale active visant à maintenir un taux de natalité dynamique. La grande absente de notre débat sur les retraites est bien la politique familiale, alors que la famille est le socle sur lequel repose la société : la soutenir est un devoir et une nécessité.
Concernant le système français, il est à noter que notre dispositif de solidarité entre les générations peut être complété par des dispositifs de retraite par capitalisation ce qui allie juste solidarité et légitime individualité.
Le président de la République, dans une des grandes envolées médiatiques dont il a le secret, a déclaré que 42 régimes différents c’était beaucoup trop et qu’un seul régime unique pour tous était gage de simplicité, de transparence et de justice. C’est beau mais inexact. Pourquoi ? Simplement par ignorance ou déni de la réalité. Il est par exemple légitime que les militaires, les pompiers et les policiers aient des régimes dérogatoires. Il est tout aussi légitime que les personnes ayant réellement effectué des tâches particulièrement pénibles et usantes puissent bénéficier de droits à la retraite avant les autres.
Certains régimes bénéficiaires veulent garder leur autonomie, comme ceux des avocats ou des professions médicales. Ces régimes correspondent à une histoire, pourquoi vouloir les rayer d’un coup de plume ?
Reste les régimes spéciaux, principalement RATP et SNCF. Depuis des décennies, par facilité et lâcheté les gouvernements successifs ont laissé ces systèmes creuser leur déficit. À compter du 1er janvier 2020, les salariés de la SNCF ne seront plus recrutés au statut, conséquence le nombre de cotisants ne va faire que baisser alors que celui des ayants droit continuera d’augmenter. Quand le premier ministre déclare vouloir confier la gestion de ce sabordage aux partenaires sociaux, c’est tout simplement fuir ses responsabilités.
La machine à boniment
Pour ma part, je ne vois aucune raison pour que le comptable de la SNCF soit mieux ou plus mal traité que le comptable de la CFTC. Par contre, les personnes ayant réellement effectué des tâches pénibles, travail de nuit, sacrifice de dimanches et jours fériés par exemple, doivent bénéficier d’un système dérogatoire. D’où l’importance d’avoir réglé le problème de la pénibilité en amont.
Quand un salarié signe un contrat de travail, c’est un engagement réciproque avec des droits et des devoirs. Les employés sous régime spécial ont signé un tel engagement : si, comme pour les salariés du privé, leurs contrats peuvent évoluer, ils ne peuvent être rayés de la carte d’un revers jupitérien. Cette logique de bon sens et de justice doit être la même pour les fonctionnaires.
Le plus grand reproche que je ferai au projet gouvernemental est la dissimulation derrière la machine à boniment. Affirmer que personne n’y perdra dans le nouveau système est inexact. Affirmer que le passage des 25 meilleures années à 42 ans serait sans conséquence est une aberration, les grands perdants étant les mères de famille. Aujourd’hui, si elles ont travaillé 25 ans, il n’y a pas d’incidence sur leur retraite, demain il leur faudra avoir travaillé 42 ans pour bénéficier d’une retraite à taux plein.
Enfin, ma critique de la bouillabaisse gouvernementale ne va pas sans reconnaître que le vieillissement de la population demande un effort supplémentaire pour financer les retraites, encore faut-il que l’effort soit réellement effectué avec simplicité, transparence et justice comme nous l’a affirmé un certain Emmanuel Macron.
Joseph Thouvenel
Joseph Thouvenel est secrétaire confédéral de la CFTC et vient de publier CFTC 100 ans de syndicalisme chrétien et après ?, Téqui, 2019, 144 pages, 13 €.
© LA NEF n°321 janvier 2020