Le boum du marketing religieux

Marketing et Église catholique font-ils bon ménage ? Les acteurs ecclésiaux s’emparent de plus en plus de ces méthodes efficaces, mais n’y a-t-il pas un risque de confondre croyants et consommateurs ?

C’était il y a un an. Le site internet de la Fraternité Saint-Vincent Ferrier à Chémeré-le-Roi était essentiellement tourné autour de la construction de l’église conventuelle, de l’hôtellerie et du cloître de la communauté. Pour soutenir l’effort financier de cet important chantier, les religieux avaient lancé une vaste campagne de communication afin de susciter la générosité de bienheureux donateurs. Newsletters, campagnes You Tube, publicités de pleine page dans de prestigieuses publications, insertion de plis dans les journaux, relations presse… La campagne était intitulée : « Des pierres qui prêchent ». Ces religieux sont loin d’être les seuls à recourir au marketing : à Puimisson, la Fraternité Saint-Joseph avait lancé quelques années auparavant une campagne similaire, « Si j’avais un marteau… », pour la construction de son église et de son cloître. Les exemples ne manquent pas, sans même parler des campagnes des diocèses pour le denier du culte. Pourquoi une telle appropriation des méthodes du marketing par des œuvres d’Église ?

Des donateurs trop sollicités ?
Le marketing consiste à étudier et à influencer les besoins et les comportements du consommateur. Les méthodes sont aujourd’hui beaucoup plus accessibles et efficaces grâce au digital. La possibilité du don en ligne est une force dont s’emparent aujourd’hui les acteurs de l’Église – la quête dématérialisée en est un exemple frappant. Les objectifs sont divers : des congrégations veulent recueillir des dons pour bâtir, des écoles d’évangélisation veulent recruter des étudiants, des paroisses veulent remplir leurs églises le dimanche, des communautés cherchent à attirer pour leurs retraites spirituelles, etc. Les donateurs potentiels sont de plus en plus sollicités, par courrier et surtout maintenant par mail, pour soutenir ces œuvres d’Église. Les institutions ecclésiales feraient-elles aussi commerce de leurs données ? Face à l’utilisation des nouvelles technologies qui facilitent la connaissance du profil des fidèles, quelles sont les limites à poser pour ne pas en faire de simples clients ? Question de déontologie dont la réponse n’est pas évidente !
L’attrait du marketing par l’Église peut se comprendre. Le manque de fidèles se fait cruellement sentir, occasionnant des baisses de recettes parfois dramatiques. Même si la contribution des fidèles au denier du culte demeure officiellement « obligatoire », elle ne suffit plus avec la quête dominicale, d’où la nécessité de trouver d’autres ressources financières. Ce qui pose la question de la légitimité de ces méthodes « commerciales » pour des fins religieuses. Là aussi, la réponse n’est pas évidente.

Les dangers du consumérisme
Dans l’Église, néanmoins, le marketing n’est pas utilisé qu’à des fins financières, mais aussi en vue de l’évangélisation. Là aussi, les exemples sont nombreux. On peut citer, entre autres, les groupes de Pop louange comme Hopen ou Glorious. Les CD vendus sont des produits marketing extrêmement élaborés, destinés à une cible très précise : la jeunesse chrétienne. En témoigne l’album de Glorious sorti à Noël 2018 reprenant en version pop les chants traditionnels de la Nativité de Jésus. Moyen peut-être efficace pour permettre aux enfants et adolescents de garder la foi par le biais de la variété. Tout l’enjeu est alors de ne pas franchir certaines limites, comme celle de substituer cette musique de concert aux chants liturgiques lors de la messe.
Quand le marketing s’empare de la religion, le risque est alors de prendre le croyant pour un consommateur de la foi et d’assimiler celle-ci à un produit consommable. Les arguments donnés peuvent très facilement être considérés comme la continuité du discours religieux sur un terrain essentiellement profane, d’autant plus que la majorité des argumentaires marketing sont rédigés par des professionnels laïcs, rarement par des hommes de foi avertis. En effet, au mieux des laïcs engagés investissent le chantier de la communication, au pire on fait appel à des agences de communication. Ce peut être très efficace, mais la frontière entre message religieux et argument de vente est ténue. L’objectif n’est pas de se passer du marketing, mais bien de poser des limites à son usage, de sorte que cette pratique n’entraîne pas le catholicisme dans une logique consumériste. Pas évident !

Pierre Mayrant

© LA NEF n°321 Janvier 2020