ÉCRITS SPIRITUELS DU MOYEN ÂGE
Textes traduits, présentés et annotés par Cédric Giraud
La Pléiade/Gallimard, 2019, 1210 pages, 58 € jusqu’au 31 mars et 63 € ensuite
Si vous le pouvez, n’hésitez pas à vous procurer l’un des derniers volumes de la célèbre « Bibliothèque de La Pléiade », les Écrits spirituels du Moyen Âge (1). Et si les moyens vous manquent, demandez que l’on vous l’offre. Vous me direz que la saison des cadeaux est passée et qu’il est toujours délicat de réclamer un présent plutôt qu’un autre. Malgré tout, essayez ! Ou, troquez votre dernière babiole électronique ou votre prochain restaurant contre ce volume.
Du XIe au XVe siècle, d’Anselme de Cantorbéry à Thomas a Kempis, en passant par saint Bernard, Hugues de Saint-Victor, Guillaume de Saint-Thierry, saint Bonaventure ou saint Thomas d’Aquin (et d’autres encore), cet ouvrage réunit des textes qui ont particulièrement marqué la vie spirituelle de l’ère médiévale jusqu’à déboucher sur l’apparition de la devotio moderna.
Paradoxalement, ce volume est le fruit d’un travail universitaire, mené avec rigueur, dans le but de permettre à nos contemporains de découvrir les richesses de leur héritage. Sa visée n’est donc pas spécifiquement spirituelle ni apologétique, même si au passage, Cédric Giraud, le maître d’œuvre, s’en prend à la fausse spiritualité moderne née du développement personnel. Nombre de clercs actuels pourraient s’en inspirer.
L’un des intérêts de ce volume, outre la qualité des textes proposés, lesquels ont tous bénéficié d’une nouvelle traduction, tient à la compréhension qu’il donne d’une évolution dans la spiritualité de l’Occident.
Au XIe siècle, Anselme de Cantorbéry fut en effet à l’origine d’une « révolution » (probablement à son corps défendant) en proposant un recueil de prières et de méditations, un genre appelé à un grand succès et à un énorme développement, surtout quand il débordera la frontière des cloîtres. Jusque-là les moines s’appuyaient sur la lecture de la Bible, les psaumes et les ouvrages des grands commentateurs. Désormais, avec ces recueils, une autre ère commence et elle va façonner, jusqu’à Vatican II, une grande partie de la vie spirituelle des catholiques occidentaux.
Philippe Maxence
LA RELIGION FRANÇAISE
JEAN-FRANÇOIS COLOSIMO
Cerf, 2019, 394 pages, 20 €
La laïcité est de plus en plus présente dans le débat public : que ce soit sur le burkini, sur les crèches de Noël dans l’espace public, ou encore sur le concept d’islamophobie. Mais entre les républicains « laïcards », défenseurs sourcilleux de la neutralité religieuse de l’État, et les religieux identitaires fascinés par le modèle libéral et « so inclusive » du sécularisme anglo-saxon, personne ne parle la même langue. C’est toute la nécessité de l’ouvrage de Jean-François Colosimo : expliquer ce qu’est la laïcité.
Celle-ci procède d’une histoire, et c’est cette histoire des rapports, souvent tortueux, entre le spirituel et le temporel, qui fonde la vision spécifiquement française d’envisager les liens, ou même l’absence de ceux-ci, entre État et religions. Du baptême de Clovis à l’affaire du voile de Creil, de l’Attentat d’Anagni aux dragonnades, du concordat de Bologne à celui de 1801, des guerres de Religion à l’Édit de Nantes, et de la Constitution civile du clergé à la loi de 1905 : l’histoire de France est, pour Colosimo, une tension permanente entre les deux souverainetés, temporelle et spirituelle.
Mais au-delà de cette tension constante, tout l’intérêt de l’analyse repose sur la mise en exergue des spécificités bien françaises de notre laïcité. Comme, par exemple, les fondements de celle-ci, qui trouve son origine dans la conception franque puis française de la monarchie. Cette monarchie, dès Clovis, se considère comme l’héritière de la royauté davidique, c’est-à-dire choisie par Dieu. Ce qui a pour effet de conforter les rois de France dans l’idée que la souveraineté temporelle leur est dévolue, et qu’ils ne sauraient l’assujettir au pouvoir spirituel incarné par la papauté. La distinction, qui n’est pas l’engloutissement comme le fut l’anglicanisme britannique, a permis à la monarchie capétienne de garder son indépendance vis-à-vis de Rome sans briser le lien de la catholicité.
La République naissante, volontiers présentée comme la génitrice de l’athéisme de masse, est loin d’être exempte de toute religiosité. Si le culte de la Raison ou de l’Être suprême doit remplacer le catholicisme ancestral, la mystique républicaine reprendra à son compte tant les principes chrétiens de liberté, d’égalité et de fraternité, que l’universalisme catholikos. Et la loi de 1905 viendra parachever cette œuvre en séparant le temporel du spirituel, libérant le second de la tutelle du premier. Comme deux rails qui iraient dans la même direction, à condition de ne jamais se toucher.
Emmanuel de Gestas
RÉAPPRENDRE À VIVRE
Mémoires de guerre
ALOYSIUS PAPPERT
Salvator, 2019, 142 pages, 15 €
Cet ouvrage est le troisième et dernier tome des aventures d’un jeune officier allemand pendant et après la Seconde Guerre mondiale. Les deux premiers, présentés dans ces colonnes, décrivaient l’un les années de guerre, l’autre la captivité chez les Soviétiques. Celui-ci relate les premiers mois de la reconstruction de l’Allemagne, dans la zone occupée par les États-Unis. Beaucoup plus court, et en apparence moins palpitant que les précédents, il n’en constitue pas moins un témoignage édifiant sur le basculement de l’Allemagne, et derrière elle de l’Europe, dans la sphère d’influence américaine. Les Yankees sont des occupants débonnaires, avec qui le jeune officier sympathise immédiatement. On est heureux de la paix retrouvée, on est en vie quand tant ne le sont plus (on compte les innombrables morts), on mange à sa faim, on s’amuse, entre matchs de football et soirées dansantes sur des rythmes nouveaux venus d’outre-Atlantique. Un matérialisme pesant succède aux années d’héroïsme : alors que le jeune soldat, pris dans les affres des combats et des camps soviétiques, évoquait sa foi à chaque page, il n’en est désormais presque plus question. L’auteur en est-il conscient ? Celui qui s’apprête à émigrer aux États-Unis se retrouve en parfaite osmose avec l’occupant de son pays, qui vient pourtant d’en raser les villes sous des tapis de bombes (Dresde : 200 000 morts ; Hambourg : 80 000 morts…). L’Allemagne, brisée, mutilée, est maintenant anesthésiée. Et même si la cause pour laquelle s’est battu l’auteur pendant cinq ans était insoutenable, le lecteur en vient à regretter que sa défaite ait à ce point éteint, au moins en apparence, la flamme qui brûlait en lui.
Jean-François Chemain
L’ESPRIT MALIN DU CAPITALISME
PIERRE-YVES GOMEZ
Desclée de Brouwer, 2019, 300 pages, 17,90 €
Enseignant-chercheur à l’EM Lyon où il dirige l’Institut français du gouvernement des entreprises, Pierre-Yves Gomez étudie la façon dont nous concevons le travail, sa place dans la démocratie et le sens que nous lui accordons dans nos sociétés modernes. L’esprit malin du capitalisme, son dernier ouvrage, part d’un constat simple mais déterminant : « On reporte sur l’être humain la critique à l’encontre du système qui liquide les humains. »
Perte de sens du travail, crises successives, accumulations des dettes financières, privées, sociales (retraites), écologiques, mirages de la digitalisation sont autant de maux qu’un manque de recul et d’honnêteté intellectuelle rejette trop vite sur quelques acteurs, ou sur l’humaine nature elle-même, nous condamnant à l’incompréhension et à un antihumanisme primaire.
En disciple revendiqué de René Girard, Pierre-Yves Gomez propose au contraire « d’énoncer » et « d’analyser », plutôt que de céder aux idéologies, en faisant la généalogie du « capitalisme spéculatif », qu’il voit naître dans les années 1970 avec la promulgation par le président des États-Unis Gérald Ford (1974-1977), de la loi ERISA qui transforma les caisses de retraite des entreprises en organismes financiers autonomes.
Ce petit « mouvement tellurique sous-terrain » eut « un effet cosmique », par effet de compétition internationale. La concentration du capital, la mondialisation des flux (45 % du capital des grandes entreprises françaises sont détenus par des capitaux étrangers) et l’intensification des capitalisations boursières (la Bourse de Paris représentait 15 % du PIB en 1970 et 100 % du PIB en 2018), en sont les conséquences directes aujourd’hui.
Mais, si ce capitalisme spéculatif, qui a transformé les mentalités et les pratiques de son aîné vertueux, le capitalisme accumulatif, a bâti un véritable « labyrinthe », nous ne sommes pas pour autant condamnés à cette fuite en-avant spéculative qui accumule les dettes en poursuivant un avenir chimérique. C’est dans la « réalité matérielle de l’économie », dans le sens et l’utilité du travail lui-même et de ses stratégies quotidiennes, insiste l’auteur, qu’on peut trouver les véritables moyens d’une émancipation collective.
Yrieix Denis
LES CATHOLIQUES EN FRANCE DE 1789 À NOS JOURS
DENIS PELLETIER
Albin Michel, 2019, 350 pages, 22 €
S’interroger sur la place et l’influence des catholiques devenus minoritaires dans une société jadis chrétienne est aujourd’hui un sujet fort débattu. Et rien ne vaut une étude historique sur le temps long pour y voir plus clair. À cet égard, l’essai de Denis Pelletier apporte une réelle contribution sur cette question, à une heure où le catholicisme est finalement si mal connu par nombre de nos contemporains baignant dans un sécularisme qui tend à effacer toute référence religieuse. L’histoire du christianisme en France, de la Révolution à nos jours, est riche et complexe. Notre auteur, qui se présente d’emblée comme « détaché de la croyance depuis de nombreuses années », montre de l’empathie envers l’Église et un souci de compréhension louable, même si l’on sent bien que sa tendance penche du côté des chrétiens de gauche. Ce qui est plus gênant est qu’il est étranger à sa doctrine et à son anthropologie, aux raisons profondes qui les fondent, si bien que lorsque l’on arrive aux débats actuels si clivants, il se range à l’idée dominante (chez les non-chrétiens) que la seule façon de redresser l’Église réside dans l’alignement de sa morale sur celle du monde ! C’est quelque peu agaçant et l’on pense alors à un ouvrage comme celui d’Adrien Dansette, Histoire religieuse de la France contemporaine (Flammarion, 1948-1951), tellement plus riche et instructif pour la période 1789-1939…
Christophe Geffroy
MINORITÉS D’ORIENT
LES OUBLIÉS DE L’HISTOIRE
TIGRANE YÉGAVIAN
Éditions du Rocher, 2019, 228 pages, 14,90 €
Fort de son héritage bariolé, entre Orient et Occident, Tigrane Yégavian peint un tableau engagé du Proche-Orient, éclatant de vivacité et de réalisme. Il replace les minorités dans leur contexte historique et géopolitique, démêlant l’émotionnel du factuel afin d’éclairer sur l’urgence de la situation de ces oubliés de l’Histoire. Tigrane Yégavian part d’un constat simple et alarmant : nous avons une image bien trop floue du Proche-Orient. Par un coup de pinceau plein d’entrain, à la limite de la provocation, l’auteur redessine les contours de ces minorités oubliées, de ces héritages négligés plus ou moins consciemment. Pour lui, les sursauts momentanés de compassion ne sont pas suffisants. Il faut se ré-emparer du débat, le « séculariser » et ainsi faciliter le dialogue dans une véritable manœuvre de ré-information. L’auteur s’attaque du coup à des mythes, tel que le rôle joué par la France, ou des faits qui font écho à l’actualité, abordant entre autres le mythe du Kurdistan terre de refuge des minorités. Il dénonce l’indifférence, les analogies détachées du réel et la compassion passive de nos sociétés, n’estimant cependant pas que le salut se fera par les armes. Pour lui, la solution se trouve en partie dans la diaspora, son réseau, la réappropriation de son patrimoine, couplée à une remise à niveau politique globale. Par exemple, que le chrétien arabe ne soit plus désigné comme « minorité » mais perçu comme une « nuance », une des facettes d’un peuple éclectique. Le combat résiderait alors dans la perception de ces minorités tant par leurs terres d’accueil que par l’Occident. En offrant ce nouvel éclairage historique, entre démystification et ré-information, Tigrane Yégavian ouvre un débat qu’il espère salutaire pour ces Minorités d’Orient.
Clémence Candelier
MÉMOIRES
Tribun du peuple
JEAN-MARIE LE PEN
Éditions Muller, 2019, 560 pages, 24,90 €
Jean-Marie Le Pen a été un acteur important de la vie politique française, aussi la seconde partie de ses Mémoires, qui relate sa vie politique, a-t-elle un réel intérêt historique. La précision et la rigueur n’étant toutefois pas son fort, sans doute faut-il recevoir sa version de certains faits avec prudence. Il n’empêche que c’est toute notre histoire politique contemporaine qui défile, vue par un acteur engagé qui ne s’encombre pas de politiquement correct. La création et l’extension du Front National occupent évidemment une place centrale, ainsi que tous les déchirements et séparations qui l’ont marqué. Celles concernant sa propre famille, avec Marine notamment, sont d’autant plus tristes que l’on perçoit peu d’amour de part et d’autre. Il revient aussi longuement sur les scandales qu’il a régulièrement provoqués, comme « le point de détail » : il se pose systématiquement en victime des médias sans émettre le moindre regret et sans même avoir compris en quoi de tels propos étaient déplacés et choquants. On comprend, dès lors, pourquoi le souci de « dédiabolisation » de son parti ne le tourmentait pas ! Tout cela se lit facilement, mais il en ressort que Le Pen apparaît davantage comme un tribun et chef de clan quelque peu mégalomaniaque que comme un homme d’État ayant l’envergure et la hauteur nécessaire pour gouverner un pays.
Patrick Kervinec
INTELLIGENCE ARTIFICIELLE
La nouvelle barbarie
MARIE DAVID ET CEDRIC SAUVIAT
Éditions du Rocher, 2019, 308 pages, 18,90 €
Présentée comme un progrès inéluctable par ceux qui en tirent tant de bénéfices, les GAFA pour ne citer qu’eux, l’Intelligence Artificielle (IA) s’impose déjà dans notre quotidien. Les deux auteurs, tous deux ingénieurs diplômés de l’École Polytechnique, veulent alerter des conséquences de ce développement effréné, aussi déresponsabilisant que déstabilisant, d’une technologie in-humaine.
Après une étude historique passionnante et démystifiante, ce livre apporte des réponses très documentées sur cette innovation, ses rouages cachés, ses finalités inavouées enveloppées de discours lénifiants ou autres prétextes pseudo-éthiques de bon aloi, la déshumanisation de notre société, la tentation transhumaniste. Les auteurs soulignent la lucidité du pape François sur toutes ces conséquences qu’il a dénoncées vigoureusement dans plusieurs paragraphes de son encyclique Laudato si, fermeté qu’ils opposent au « mol appel (des évêques français) à une vigilance globalement bienveillante envers l’IA » : peut-être pour nous chrétiens une injonction à participer de manière éclairée à ce débat crucial.
Anne-Françoise Thès
MON PRÉCIEUX !
PHILIPPE VERDIN
Cerf, 2019, 180 pages, 18 €
Le P. Philippe Verdin, dominicain, analyse ici la dimension chrétienne et mythologique de l’œuvre de Tolkien. Sa postérité relancée au début des années 2000 grâce au cinéaste Peter Jackson montre à quel point le grand auteur anglais a marqué et influencé des générations. Il a mis en lumière à travers ses récits un large éventail de valeurs chrétiennes, ce dont personne ne parle plus vraiment, ses principaux héritiers, les auteurs de Fantasy tels que Georges R.R. Martin (Game of Thrones), ayant tendance à transformer l’œuvre mythologique d’essence biblique en œuvre païenne.
Le P. Philippe Verdin s’attache à redécouvrir la dimension catholique du monde de Tolkien, comment Dieu se révèle progressivement à travers les personnages. L’ouvrage a le mérite d’être progressif, de laisser au lecteur le temps de comprendre et d’admettre la catholicité de l’auteur ; il est, par ailleurs, une excellente vulgarisation, malgré certaines complexités théologiques. À faire lire aux passionnés de Tolkien, et tout particulièrement à ceux qui n’ont pas pris la mesure de sa dimension chrétienne.
Pierre Mayrant
QUAND ROME INVENTAIT LE POPULISME
RAPHAËL DOAN
Cerf, 2019, 176 pages, 19 €
Établie en 510 avant J-C, marquée en 494 par une fameuse sécession de la plèbe à l’issue de laquelle apparut le tribunat (ayant pour fonction d’assurer sa défense), la République romaine n’a certes pas échappé aux dissensions intestines et, vers la fin, son exceptionnelle énergie dominatrice prit l’habitude de se tourner contre elle-même. Oligarchie sous surveillance donc, où une élite dirigeante (on parle d’optimates) accapare les magistratures et forme le sénat, quasi-maître de la politique extérieure, mais doit composer avec la masse des citoyens, d’ailleurs pourvus de droits individuels assez étendus. Cependant, l’épisode des Gracques (Tiberius, élevé au tribunat en 133, puis Caius, son jeune frère, porté à cette même charge en 123-122), tous deux victimes généreuses d’une fureur meurtrière, allait faire voir la palpable émergence du conflit entre hautes classes et bas peuple, entre riches et pauvres. Ainsi, tribun en 119 et, en 107, devenu consul, premier des populares à détenir l’autorité suprême, Marius, vainqueur des Teutons et des Cimbres, se flatte d’avoir l’oreille du vulgaire. Il fut surtout irrésolu au forum et, par ambition stérile, ouvrit l’ère des guerres civiles et des proscriptions sanglantes. Car face à lui, « homme nouveau » appuyé sur ses fidèles soldats, un autre personnage non moins terrible, non moins bon chef militaire, incarnait le camp aristocratique. Également massacreur émérite, revêtu du titre légal de dictateur, Sylla effacerait les traces du rival détesté (mort en 86), rendrait le pouvoir aux grands et se retirerait en 79 son œuvre accomplie.
Vite éboulée cette œuvre. Vite recommencés le désordre et les violences. Vite réitérées les exigences des classes inférieures. Cela offrit encore à des généraux auréolés de gloire, Pompée d’abord, et bientôt Jules César, l’occasion de pousser leurs affaires. Plus talentueux, plus chanceux, César, d’origine patricienne à l’image de nombreux meneurs populaires, évinça Pompée, le battit à Pharsale et, de 49 à 44, date où il tomba sous les poignards, gouverna en souverain absolu. L’avènement réussi d’Octave, son fils adoptif, honoré, l’an 27, du cognomen d’augustus, l’installation, applaudie par la plèbe, saluée par le corps des vétérans, du principat tout-puissant, le vieux système cher aux optimates, malgré ses vaines résistances, était en train de périr devant les césariens, qui, nous montre et nous explique Raphaël Doan, auront su réaliser et dépasser le programme des populares.
Michel Toda
À MOI LA GLOIRE
FABRICE HADJADJ
Salvador, 2019, 160 pages, 15 €
Le philosophe Fabrice Hadjadj ne craint pas les paradoxes dont notre foi est remplie. S’il existe bien une gloire des héros, elle se trouve chantée par la gloire des poètes. Autrement dit la parole suit l’action. Car la gloire humaine est paradoxale. L’artiste salue face aux applaudissements des spectateurs. Une gloire n’existe que si elle est reconnue. Mais plus il s’élève, plus cet homme sait combien tout ne vient pas de lui. Il se sait vulnérable et ne reproduira peut-être pas le même exploit demain. À vaincre sans péril, on triomphe sans gloire.
Pour adhérer à la gloire du ciel, il faut savoir reconnaître celle qui se trouve sur terre. En termes chrétiens, s’il faut méditer la croix du Seigneur, c’est en sachant qu’il est ressuscité. La gloire de la terre prépare celle du ciel.
François Dabezies
AMBROISE, ROME ET MILAN (364-395)
Naissance de l’Empire romain-chrétien et fin du paganisme politique
MARTA SORDI
Éditions Certamen, 2019, 94 pages, 12 €
Marta Sordi nous donne ici une nouvelle étude fort instructive sur la période charnière de la fin du IVe siècle, qui vit un Empire romain encore païen, mais dirigé déjà, depuis Constantin, par des empereurs presque tous chrétiens, adhérer effectivement au christianisme avec Théodose le Grand. Un saint exemplaire de l’époque joue un rôle clé dans cette transformation : Ambroise, évêque de Milan, dont la pensée politique est analysée en détail par l’auteur. Cette pensée est caractérisée par un double refus : refus de participer au financement ou à la reconnaissance officielle des cultes païens ou hérétiques chrétiens, et refus de persécution de ces mêmes païens et hérétiques au nom d’un principe de liberté de conscience qui n’est pas remis en cause avec le triomphe du catholicisme. Bref, une excellente étude qui se lit d’une traite !
Bruno Massy
TRÉSORS SPIRITUELS DES CHRÉTIENS D’ORIENT ET D’OCCIDENT
Pour prier chaque jour de l’année
PÈRE MARTIN DE LA RONCIÈRE
Artège, 2019, 688 pages, 22,90 €
Merveilleux ouvrage que celui-ci, que l’on a nommé à bien juste titre « trésor spirituel ». Rappelant que « la bonne lecture est nécessaire à la vie de l’âme » (Jean XXIII), le Père de La Roncière propose dans cet ouvrage (qui est « le fruit de sept années de travail »), un texte pour chaque jour de l’année liturgique, parmi les meilleurs de la tradition chrétienne (avant et après les schismes).
L’auteur, chanoine régulier de Saint-Victor « a œuvré pour l’unité des chrétiens en Roumanie et en France ». Pour autant, nulle trace ici d’un irénique ou fade œcuménisme. C’est réellement l’esprit de la Tradition qui lie ces textes entre eux, c’est le meilleur qui les rassemble. Le bienheureux Newman et saint Paul VI, saint Augustin et saint Séraphim de Sarov, sainte Dorothée et saint Bénédict, pour ne citer qu’eux, seront d’un vigoureux secours et d’une ardente consolation pour toutes les âmes qui marchent sur ce chemin de crête, tout à la fois difficile et joyeux, surnaturel et très concret, qu’est celui de la perfection.
Yrieix Denis
L’ARGENT, MAÎTRE OU SERVITEUR ?
PIERRE DE LAUZUN
Mame, 2019, 192 pages, 16,90 €
La tension inhérente au juste rapport que le chrétien doit trouver avec l’argent se double de l’impossibilité, pour toute conscience voulant vivre en cohérence avec sa foi, de se reposer de cette tension, en l’absence de réponse simple. L’auteur se propose pourtant d’en donner une dans son dernier opus, synthétique, accessible et cohérent. Rappelant la récurrence des thèmes économiques dans les paraboles évangéliques pour illustrer le Royaume des Cieux, justification a priori de la vie économique subordonnée à « la destination universelle des biens » en Dieu, Lauzun s’emploie à expliciter l’exigence chrétienne vis-à-vis de la richesse, en s’appuyant sur les grands textes de la doctrine sociale de l’Église, puis en décline des préceptes moraux dans les grandes composantes de l’usage de l’argent que sont la consommation, l’investissement et le don.
« L’argent, maître ou serviteur ? » La réponse de l’ancien haut fonctionnaire et banquier tient essentiellement dans la thèse classique, « mauvais maître, bon serviteur ». Thèse limitée pour plusieurs raisons. D’abord, parce que le Christ, en instituant une rivalité entre Dieu et l’argent dans sa maxime célèbre, a révélé la spiritualisation de celui-ci, voire sa personnification (Mammon), et donc son autonomie. Ainsi, l’argent a ses lois propres qui s’imposent à ceux qui l’utilisent et qui le servent en l’utilisant, à proportion de la possession. Ensuite, parce que l’argent, dont l’existence infondée provient d’un acte de foi collectif unanime, est devenu le référent absolu et l’unique dénominateur commun d’un monde relativiste qui rejette l’Absolu. Enfin, parce que le détachement, prôné par Lauzun comme la juste attitude vis-à-vis des richesses, suppose, à une époque où désormais toute existence sociale est tributaire de l’argent, et où il n’est quasiment plus aucun bien qui ne puisse s’acquérir sans lui, un degré d’héroïsme dans la sainteté qui dépasse la dialectique du maître et du serviteur, et qui confine à la folie-en-Christ.
Alexis de Guillebon
LIBRES REFLEXIONS SUR LA PEINE DE MORT
JEAN-LOUIS HAROUEL
Desclée de Brouwer, 2019, 208 pages, 18 €
Après l’abolition, en 1981, de la peine de mort dans notre pays, après le Protocole additionnel n° 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, adopté en 1983, qui affirme que « nul ne peut être condamné à une telle peine ni exécuté » (suivi, en 2002, par le Protocole additionnel n° 13 gommant son possible maintien en « temps de guerre ou de danger imminent de guerre »), ladite abolition, dont se pomponnent depuis 2007 les textes constitutionnels de la République française, est désormais à l’abri, croit-on, de tout retour en arrière. Cependant, pour le professeur Harouel, défenseur opiniâtre d’une thèse aujourd’hui décriée, en certains cas extrêmes, la peine de mort, à condition d’exclure absolument l’éventualité d’une erreur judiciaire, apparaît toujours comme la solution la plus conforme à l’intérêt de la société et aussi à l’idée d’humanité. Clef de voûte d’un système pénal fondé sur les deux principes de réparation et d’expiation, sa simple présence dans la loi, rappelle-t-il couvrait toutes les autres peines, « douces par comparaison ».
Devons-nous, ici, évoquer le christianisme et l’histoire de l’Église ? Parce qu’elle suppose l’absence de continuum entre le monde terrestre et un monde céleste à la perfection inimitable, la disjonction (fondamentale) du politique et du religieux, au sein de l’Europe réputée chrétienne, s’étendait aux souverainetés ecclésiastiques. Si donc les tribunaux d’Église ne pouvaient prononcer une sentence de mort, les princes-évêques d’Allemagne, par exemple, ou le pape-roi, disposaient chez eux de juridictions séculières habilitées à remplir cette tâche. Et qui, certes, ne la négligeaient pas… Oh ! beaucoup de temps s’est écoulé. Beaucoup de choses ont changé, y compris dans l’Église. D’ailleurs, l’an 2018, l’actuel pontife romain, impatient de s’aligner, note Jean-Louis Harouel, sur le bon ton contemporain, a proclamé haut et fort le caractère inadmissible d’une peine à laquelle, quand il s’agit de l’ordre public, acquiesçait la tradition apostolique.
Petit ajout : Bonald, jadis, inquiet du matérialisme en train de gagner les esprits, observait que, « ne voyant rien pour l’homme après cette vie », il craignait, en l’en privant, de lui infliger « un malheur sans compensation », bref, « de lui tout ôter en lui ôtant l’existence présente ». Remarque (destinée aux clercs et aux laïcs) à retenir et à méditer.
Michel Toda
© LA NEF n°321 janvier 2020