Jacob Rees-Mogg © Chris McAndrew-Commons.wikimedia.org

Un paroissien peu ordinaire

Proche conseiller de Boris Johnson, leader de la Chambre des Communes, Jacob Rees-Mogg est un conservateur original, catholique convaincu. Portrait d’une personnalité méconnue des Français.

Ignoré totalement des Français, aussi mince et discret que son chef, Boris Johnson, est flamboyant et encombrant, il est de ces Anglais que l’on finirait par admirer. Jacob Rees-Mogg n’est pas né avec une cuillère d’argent dans la bouche. C’est une bonne part l’argenterie qui a été déposée dans son berceau. Son père est un d’un influent journaliste britannique, rédacteur en chef du Times, éditeur et proche des cercles de pouvoir. Après un passage à Eton et de brillantes études à Oxford (Trinity College), son fils accomplit une carrière dans la finance internationale où il acquiert une énorme fortune.

Membre du parti conservateur depuis l’âge de raison, actionnaire actif depuis celui de dix, libéral en économie, admirateur inconditionnel de Margaret Thatcher, adversaire de la peine de mort, le personnage ne manque pas de sel. Il a surtout été, comme « hard brexiter » de la première heure aux côtés de Boris Johnson, son camarade de collège, l’un des artisans les plus efficaces du « leave ». Il avait même été question un moment qu’il devienne le chef des Tories. Il est aujourd’hui leader de la Chambre des Com­munes, l’un des personnages les plus importants du royaume, surtout après le raz-de-marée conservateur des dernières élections. Ceci malgré les poux qu’on lui a cherché dans la tête aux dernières heures de la campagne. Probablement pour lui faire payer son succès. Il n’y a pas de petites mesquineries inutiles dans le monde médiatique, face à un adversaire résolu.

Pourquoi évoquer cette figure ?
Pourquoi évoquer cette figure dans La Nef ? Pour son excentricité, tout à fait banale outre-Manche ? Pour avoir battu le record du mot le plus long jamais utilisé dans un débat parlementaire : « floccinaucinihilipilification » (cherchez la définition vous-mêmes) ou raconté la bataille d’Azincourt dans tous ses détails, pour prolonger hors limites un débat (cela s’appelle « flibuster », localement) ? Pour être devenu la bête noire des féministes locales ? Il a en effet répondu qu’il ne changeait pas les langes de ses enfants par le motif sans appel que la nurse de ceux-ci (qui fut la sienne) le lui interdisait, en raison de son incompétence. Pour avoir cloué le bec de l’opposition dans sa circonscription en prouvant qu’il ne circulait pas en Bentley, mais modestement en Mercedes ? Bref, pour être, en chair et en os, un personnage directement sorti des romans de P. G. Woodhouse, dont il est un fan ?
Rien de tout cela. Pour une raison beaucoup plus valable.

De fortes convictions
J’ai en effet oublié de mentionner une qualité essentielle : fils d’un père catholique qui l’a beaucoup influencé, il assume son héritage. Être catholique au royaume de sa Gracieuse Majesté peut être considéré comme une excentricité supplémentaire, ou comme une sorte de trahison inconsciente, surtout dans la haute société. Quand on est fidèle du pape de Rome, on est pauvre et on est prié de le demeurer en s’excusant. Et ce n’est pas un catholique pour rire. Marié en « rite ordinaire latin » à la cathédrale anglicane de Canterbury, père de six enfants, dont le dernier est prénommé Sixtus, il défend ses convictions avec un flegme et une solidité incroyables. Il a été, au Parlement, l’un des opposants les plus farouches au « mariage pour tous », au point d’y acquérir une part de sa célébrité. Il faut l’avoir vu, dans plusieurs débats télévisés, face à la hargne (le mot est faible) des journalistes chiens de garde. Sans se départir jamais d’un calme olympien, et d’un humour inimitable, il réussit l’exploit de laisser ses agresseurs (il n’y a pas d’autres mots) sans voix. Sa botte secrète ? Après avoir inlassablement répété d’une voix douce qu’il tenait l’enseignement de l’Église catholique pour la seule vérité en la matière, que la définition du mariage appartenait à l’Église et pas au Parlement, mais avant toute chose qu’étant du pays qui avait inventé la liberté de conscience, il ne voyait pas au nom de quoi il changerait de convictions.
On notera avec un certain embarras qu’il fut l’un des administrateurs de l’Hôpital Saint-Jean-Sainte Élisabeth, à Londres, priés par le cardinal Murphy-O’Connor, archevêque de Westminster, de démissionner après l’adoption d’un règlement intérieur interdisant les pratiques contraires à l’enseignement de l’Église en matière éthique, comme l’avortement et la chirurgie de changement de sexe…
Il est vraiment de ces « maudits Anglais » que l’on adore.

Abbé Hervé Benoît

© LA NEF n°322 Février 2020