Le cardinal Philippe Barbarin © MEDEF-Commons.wikimedia.org

Procès Barbarin et Preynat : quel bilan ?

Après la relaxe du cardinal Barbarin en appel et le procès Preynat, quel bilan tirer ?

L’affaire Preynat-Barbarin s’achemine vers son épilogue pénal. Enfin, serait-on tenté de dire, tant les remugles soulevés par l’évocation, lors des audiences lyonnaises, des forfaits commis par Bernard Preynat et de l’inertie de la hiérarchie ecclésiastique a plongé l’Église de France dans un état de sidération dont elle n’est pas encore sortie.
Tout d’abord, le 30 janvier 2020, la cour d’appel de Lyon, infirmant le raisonnement juridique hasardeux des juges de première instance, a prononcé la relaxe du cardinal Barbarin du délit de non-dénonciation d’agression sexuelle sur mineur, après avoir constaté, d’accord avec l’avocat général, que les éléments constitutifs de l’infrac­tion n’étaient pas réunis. Absence d’élément matériel, puisqu’il ne saurait y avoir infraction lorsque, comme en l’occurrence, la personne a été informée de l’existence d’une agression sexuelle à une date où la victime de celle-ci était devenue majeure et où, au surplus, l’agression sexuelle était elle-même prescrite. Absence d’élément matériel, car, de l’aveu même d’une des victimes, le cardinal avait encouragé celle-ci à engager une procédure pénale à l’encontre de Bernard Preynat et à trouver d’autres victimes afin qu’elles puissent elles-mêmes porter plainte.

Ne pas se focaliser sur ces verdicts
Par ailleurs, le 16 mars prochain, le tribunal correctionnel de Lyon rendra son verdict – sans doute d’une grande sévérité – dans la procédure ouverte contre Bernard Preynat. Si les débats judiciaires ont jeté une lumière crue sur le nombre de victimes de l’ancien prêtre (peut-être une centaine), ils ont également mis en évidence la grande complexité des personnalités de type pédophile : « Il y a [chez le pédophile] une zone refuge, comme une caverne dans laquelle il va s’installer avec les victimes. Dès qu’il sort de l’excitation sexuelle et de cette caverne, il peut manifester beaucoup de réelles attentions pour les enfants et les adultes d’ailleurs » (1). De l’audience, il restera, entre autres images, celle d’un homme vieilli et malade, lui-même victime d’agressions sexuelles durant son enfance, et qui a eu cette phrase lourde devant le tribunal : « Ma vie a été un drame, pour moi, pour mes victimes, pour l’Église, pour la société. »
L’erreur serait toutefois, à l’heure du bilan, de se focaliser sur ces deux verdicts, car elle conduirait à ignorer le ressort profond de toute cette affaire, à savoir la colère ressentie par les victimes du Père Preynat – et, plus généralement, par les fidèles catholiques et l’opinion publique – à l’idée que la hiérarchie catholique lyonnaise, pourtant informée de ses méfaits, a maintenu le prêtre dans ses fonctions sacerdotales. C’est d’ailleurs ce que la cour d’appel de Lyon a elle-même souligné : « Ce qui motivait [X] et [Y] au moment des démarches qu’ils avaient entreprises auprès du cardinal Barbarin, ce n’était pas que celui-ci porte plainte contre Bernard Preynat, mais que cette autorité ecclésiastique retire immédiatement le prêtre de l’exercice de son ministère. »
Certaines des causes à l’origine de l’inaction de la hiérarchie catholique sont aujourd’hui bien connues : climat de tolérance envers la pédophilie, qui, après Mai 1968, a infusé dans la société française et contaminé certaines franges de l’Église de France (2) ; ignorance de la gravité des traumatismes causés par une agression sexuelle ; ou encore faiblesses structurelles et persistantes de la justice canonique pénale. Reste enfin la grande difficulté humaine dans laquelle s’est trouvée la hiérarchie, comme en témoigne, entre bien d’autres documents, un courriel adressé par un prêtre au cardinal Barbarin pour lui rendre compte de ses rencontres avec Bernard Preynat et l’une des victimes : « J’ai rencontré Bernard le 12 mai 2015… À propos des cinq messes de premières communions à venir, je lui parle de mon inquiétude quant aux dires des personnes qui évoquent le passé… Je n’ai pas eu la force de demander à Bernard de ne pas les célébrer. Il m’a dit qu’il veillera à ne pas se mettre sur les photos… J’ai rencontré Alexandre Hezez le 15 mai 2015. Il souhaite que le père Preynat cesse son ministère non seulement en paroisse mais aussi de prêtre : pour lui, que le père Preynat célèbre la messe est un scandale. »

Jean Bernard

(1) Dr Mathieu Lacambre, psychiatre, La Croix, 13 janvier 2020.
(2) Dans une « Lettre ouverte à la Commission de révision du Code pénal pour la révision de certains textes régissant les rapports entre adultes et mineurs » (Le Monde, 23 mai 1977), Françoise Dolto, alors chroniqueuse dans un hebdomadaire chrétien d’actualité, n’hésitait pas à signer une pétition appelant à l’« abrogation » ou à la « modification profonde » des délits d’incitation de mineur à la débauche, de détournement de mineur et même d’attentat à la pudeur sans violence sur mineur.

© LA NEF n°323 Mars 2020