Mgr Patrick Le Gal © DR

Conseil avisé pour un temps de détresse

Plus de messes publiques, plus de communion sacramentelle pour la plupart des fidèles : une aubaine songeront certains, grande misère penseront la plupart. D’autres encore y verront une occasion de mieux mesurer ce don inestimable que nous a laissé le Seigneur.

Dans cette situation d’épreuve bien des personnes – prêtres ou fidèles laïcs – ingénieuses et dévouées ont cherché des idées pour pallier cette impossibilité de se réunir autour de la table eucharistique en raison des risques de contagion : valeureuses suggestions via les moyens actuels de communication sociale ou simples gadgets d’un moment. Rien de définitivement consolatif cependant.

M’est alors revenue en mémoire une réflexion de Marthe Robin lue il y a bien des années dans son journal en date du 4 avril 1930 [1]. Marthe réfléchissait sur le caractère essentiel de l’oraison dans la vie du chrétien, essentiel notamment pour vivre avec fruit les sacrements et particulièrement la communion eucharistique. Elle écrivait :

Si l’on me demandait : que vaut-il mieux faire : l’oraison ou la sainte communion ? Les deux sont vivement à conseiller. Mais s’il faut porter une préférence, je crois que je répondrais l’oraison, car l’oraison est une disposition et une préparation immédiate à la sainte communion. La communion fréquente est un conseil, l’oraison est un divin précepte : « Priez, priez sans cesse », dit Jésus. Or il est difficile de bien prier et de prier sans cesse si le cœur ne se remplit pas de bonnes, de saintes pensées, fruits de la méditation… Quelqu’un a dit : on trouve des chrétiens qui communient tous les jours et qui sont en état de péché mortel. Mais on ne trouve jamais une âme qui fasse « oraison » tous les jours et qui demeure dans le péché.

C’est dit avec les mots de Marthe et la sensibilité spirituelle de son temps, mais la pensée est nette et nourrie de réminiscences évangéliques [2] ou pauliniennes [3] qui lui donnent sa force. Marthe, évidemment, ne pensait pas au contexte que nous connaissons avec la pandémie en cours qui contraint la population à se reclure strictement. Son propos est autre mais il peut nous offrir – à le bien méditer – une piste heureuse de conversion.

Pour Marthe, selon la pensée de Thérèse d’Avila qu’elle connaît et cite volontiers, « l’oraison est un intime commerce d’amitié où l’on s’entretient souvent seul à seul avec ce Dieu dont on se sait aimé » [4]. Si nous désirons entrer dans ce doux « commerce d’amitié » avec le Christ-Jésus qui trouve assurément son sommet ici-bas dans la communion eucharistique, comment négligerions-nous de faire oraison ? Bien sûr il y a misère à ne pouvoir communier sacramentellement et à être privés de la célébration de la messe avec toute la communauté réunie, cependant, l’oraison nous offre déjà quelque peu cette communion avec le Christ à travers les liens de cet « intime commerce d’amitié ».

Comprenons bien, la réflexion de Marthe ne nous conduit pas, dans la détresse présente, à une médiocre consolation ; elle nous invite à une vive conversion : ne rien négliger de ce qu’il nous est loisible de vivre aujourd’hui, pour être capable de donner sens et pleine fécondité spirituelle à ce que nous pourrons à nouveau vivre demain quand l’épidémie cessera. Aujourd’hui, demain et toujours l’oraison, intime commerce d’amitié qui est déjà comme un avant-goût de la communion au Corps et du Sang du Seigneur.

                                                                                   Mgr Patrick Le Gal
Evêque auxiliaire de Lyon


[1] Le journal de Marthe Robin est disponible en librairie et également sur internet avec index et références.
[2] Cf. Luc 18, 1 & 21, 36 : « Restez éveillés et priez sans cesse… »
[3] Sur la prière sans cesse, cf. 1Th 5,16 : « Soyez toujours dans la joie et priez sans cesse… » et sur l’eucharistie, cf. 1 Co 11, 29.
[4] Cf Thérèse d’Avila, vie par elle-même, chap. VIII. Marthe connaissait la pensée de la grande Thérèse tout comme celle de Thérèse de Lisieux qu’elle cite également dans son journal.

© LA NEF le 23 mars 2020, exclusivité internet