Soljénitsyne avec H. Böll en 1974 © Wikipedia

Soljénitsyne : le cheminement d’un prophète

Alexandre Soljénitsyne n’a pas eu une vie, mais un destin. Il a éprouvé le sentiment d’être appelé, et toute son existence a été consacrée à essayer de répondre à cet appel. Né dans une société où l’histoire envahissait tout recoin de vie personnelle, il a fait de son destin celui de tout un pays.

La Russie soviétique, dite aussi URSS, fut un régime totalitaire. Un régime totalitaire est celui où toute séparation est abolie entre la sphère privée et la sphère publique, entre l’intime et l’histoire – l’histoire envahissant l’intime. Chacun est mobilisé par le régime, l’individu est en état de guerre permanente. Toute la société et toutes ses activités étaient subordonnées au Parti-Etat et à son idéologie. La violence était inouïe, inopposable. Que faire pour se protéger d’une possible arrestation ? Rien, car l’arrestation n’avait presque jamais de lien avec une quelconque culpabilité personnelle.

La Russie soviétique fut aussi dite le pays du mensonge déconcertant. Tout était renversé : dès sa naissance, les soviets (conseils ouvriers et paysans) avaient été éliminés par l’étroite oligarchie du Parti communiste ; les émeutes ouvrières et paysannes réprimées dans le sang par la soi-disant « avant-garde de la classe ouvrière » ; on n’arrêtait pas les « ennemis du peuple », étaient les ennemis du peuple ceux qui étaient arrêtés ; la délation et le mensonge étaient encouragés et récompensés. Chaque citoyen d’URSS devait être un informateur, avait-on lancé pour slogan au vingtième anniversaire de la police politique, le NKVD (futur KGB). L’intelligentsia fut vite laminée : la moitié de l’intelligentsia dut émigrer, de nombreux poètes et écrivains furent tués, envoyés dans les camps (parmi eux, Mandelstam est un cas célèbre), d’autres interdits (Akhmatova, Boulgakov) ; par revanche les écrivaillons entraient à l’Union des Écrivains ; les talentueux qui acceptaient de collaborer étouffèrent leur talent. Les campagnes furent détruites par la collectivisation, les paysans déracinés, l’Ukraine, riche de blé, affamée. Combien de prêtres furent fusillés ou déportés dans les premiers camps ! Combien d’églises furent saccagées ! Ce fut la guerre à la tradition, la guerre au passé. Une catastrophe.

Après la catastrophe

Quand Soljénitsyne naît, en décembre 1918, c’est la pleine guerre civile. Les bolcheviks ont accompli un coup d’État le 7 novembre 1917 (25 octobre ancien style), et depuis un territoire réduit à l’ancienne Moscovie, lutte sur tous les fronts, contre les armées blanches de Wrangel, de Denikine, de Koltchak, contre des régiments internationaux, français, anglais, tchèques. Avec peu de moyens, Lénine parvient à la victoire. C’est qu’il possède des outils ferrés de discipline : l’Armée rouge organisée par Trotski, la Tchéka, police politique de Dzerjinski, et le Parti, paré de l’aura de la Révolution de février et dont l’ordre attire sans cesse de nouveaux membres. Terreur, famine, épidémies : la Russie sort saignée de la guerre civile, mais non encore épuisée.

Quand l’écrivain Soljénitsyne naît, en 1945, année de son arrestation, le régime a déjà connu quinze millions de morts. Ses années de goulag jusqu’à la mort de Staline en 1953 sont celles de l’apogée des camps. Elles sont celles aussi de l’apogée de la puissance soviétique, présente de Tallinn à Sakhaline, des forêts de la Carélie aux steppes de l’Asie centrale, et occupant la moitié de l’Europe.

La mort de Staline soulage le Parti qui avait été dominé par la peur et les purges. Après l’assassinat du dernier collaborateur de Staline, Lavrenti Béria, le Parti revient à un gouvernement plus collégial. Khrouchtchev officialise cette politique en 1956 en dénonçant « le culte de la personnalité » de Staline et les crimes de ce dernier contre le Parti. Les victimes de Staline sont réhabilitées, et les prisonniers condamnés à un exil perpétuel dans les confins soviétiques rentrent.

Quand Soljénitsyne, après trois ans d’exil au Kazakhstan, peut rentrer en Russie d’Europe en 1956 avec ses premiers manuscrits dans la valise, il arrive après la catastrophe.

Il va lui donner sens.

La Route

Il a commencé par écrire de la poésie. Sa première œuvre achevée – mais longtemps restée inédite – est écrite en vers et s’appelle La Route. Son arrestation inattendue, apparentée à un malheur, a vite trouvé une explication : sa correspondance avec un ami d’enfance, alors qu’ils étaient tous les deux officiers en guerre, a été lue par la police politique. Ils y critiquaient la politique de « Moustache » (Staline), notamment selon des critères esthétiques. Il y avait donc une certaine « raison » à son arrestation, même si huit années de camp et la relégation à perpétuité pour une histoire de lettres sont disproportionnés. Mais en prison, il a rencontré une multitude d’hommes arrêtés pour des raisons absurdes. Leurs vies contredisaient l’idéologie du Parti : les « ennemis de classe » étaient de fait de toutes conditions, de toutes convictions. L’ennemi de classe se confondait avec le peuple.

Des histoires de leurs vies naissait une autre histoire, une réalité qui le passionnait. Le jeune léniniste qu’il était a dû se défaire de ses absolus et réfléchir à son passé. Bien qu’élevé par sa mère dans la religion orthodoxe, à l’adolescence il avait renié cette éducation pour mieux s’intégrer à la société soviétique, et avait étudié avec ferveur les grands auteurs : Marx, Engels, Lénine. Il en était devenu un disciple convaincu. Il avait cru à la révolution mondiale, l’avait désirée. Il s’apercevait, en écrivant La Route, qu’il avait été aveugle aux vies écrasées par le régime qui le séduisait ; des membres de sa famille et des amis avaient été arrêtés et déportés, il le savait, et pourtant cela ne l’avait pas empêché de croire au régime, ni de justifier ses victimes : dura lex, sed lex. Et cela avait été si facile parce que son caractère s’y prêtait – un fanatique, son immense volonté méprisait autrui et il préférait des abstractions absolutisées à l’humaine incertitude.

Sa culpabilité naissant, il considérait autrement son malheur. N’y avait-il pas une raison supérieure qui voulait qu’il fût en prison ? Aurait-il découvert, sans ce malheur, la réalité de ce qui se passait dans son pays ? Non, il aurait continué à croire au mensonge et à s’incliner devant ses crimes. Son impatience et sa volonté étaient humiliées, il apprenait à considérer les autres, il apprenait la douceur, l’acceptation de ce qui arrive. Ce malheur était un bien. Il en fera tout le sujet de son roman Le Premier Cercle. « Bénie sois-tu prison ! » s’écrie Nerjine qui y découvre la liberté spirituelle et vainc sa peur en acceptant de quitter la prison-laboratoire privilégiée pour replonger dans le monde des camps et des « travaux généraux ».

La souffrance est un bien : rédemptrice, elle apprend que « la frontière entre le mal et le bien passe dans le cœur de chaque homme » et non entre les classes (ni entre quelque catégorie que ce soit). Elle est aussi significative : le malheur d’apparence injuste se révèle être un avertissement – tu t’es éloigné de la voie du Bien, ressaisis-toi ! Avertissement donné par Dieu, un Dieu providentiel qui intervient dans la vie de l’homme, et auquel Soljénitsyne a définitivement cru après avoir guéri d’une tumeur cancéreuse qui le condamnait à mort, peu après sa sortie des camps. Dans la foi de l’écrivain, le nom de Jésus Christ est peu cité, et le rôle principal est tenu par Dieu, un Dieu personnel qui lui, est très présent, envoie des signes, assigne une mission.

Un destin parmi d’autres

Ces huit années d’enfermement qui lui ont été volées, Soljénitsyne se les est réappropriées en leur découvrant/donnant sens. L’arrestation l’a sauvé de sa prison idéologique, elle lui a dévoilé la réalité soviétique et a libéré sa pensée ; et s’il est sorti vivant des camps, alors que tant d’autres y ont péri, s’il a guéri du cancer, c’est pour remplir un devoir envers ces victimes du régime dont il tenait peu compte dans sa jeunesse.

Depuis son enfance, il se sentait appelé à écrire. La défaite russe à la bataille des Lacs de Mazurie en 1914 le fascinait ; il y voyait un symbole de l’effondrement du régime tsariste, l’annonce de la Révolution imminente qu’il voulait comprendre. Ce serait une recherche historique à accomplir par la littérature : le Guerre et Paix de Tolstoï l’inspirait. Écrire était aussi le désir de retrouver la Russie d’un père dont il était orphelin : il était mort en pleine guerre civile (mais en raison d’un accident), et Soljénitsyne s’interrogeait sur le parti que son père eût choisi s’il avait survécu. Enfin, le léniniste qu’il était alors voyait dans la politique de Staline une distorsion de la Révolution ; son travail d’écrivain historien sur cette époque fondatrice lui permettrait d’en découvrir les causes et, peut-être, les remèdes à apporter. Il avait commencé quelques chapitres. Puis la guerre et l’arrestation avaient arrêté ce travail.

Sorti des camps, revenu d’exil, les œuvres qui s’imposaient au nouvel écrivain étaient autres qu’une histoire de la Révolution. Mais elles n’y étaient pas tout à fait étrangères. Il s’agissait toujours de comprendre son époque. Simplement, ce qu’il cherchait avant à trouver dans des archives, dans des livres, la vie le lui avait offert sur un plateau : des dizaines de vies d’hommes avaient croisé la sienne et lui donnaient un matériau dont il n’aurait seulement pu rêver, un point de vue sur la Révolution que seul il n’aurait jamais trouvé. Écrire sur ces hommes était faire œuvre non seulement de témoin, mais d’historien ; son malheur personnel était un des nombreux malheurs personnels qui composaient une catastrophe collective. Ils étaient vingt-huit millions à être passés par les travaux forcés entre 1928 et 1953, années du règne personnel de Staline.[1] Et ainsi qu’il avait donné sens à son malheur personnel, il allait donner sens à la catastrophe.

Toutes ses œuvres, même les plus autobiographiques de ses débuts, mêlent son destin à celui de la Russie personnifié par de nombreux personnages dont les routes croisent la sienne. Le peuple souffrant – c’est Ivan Denissovitch, héros éponyme de la nouvelle qui a fait la gloire de Soljénitsyne en 1962. Ses œuvres scandent une recherche continue de ce sens à déchiffrer, ce sens qui existe – c’est sa certitude. La Providence a envoyé un message aux Russes.

Soljénitsyne faisait acte de prophétisme. C’est dans l’Archipel du Goulag que cet acte est le plus évident : au-delà d’une histoire du système des camps en URSS et d’un martyrologe, c’est un appel à un renouvellement moral de chacun et par conséquent du peuple dans son ensemble, par la reconnaissance du mal accompli et le repentir, le ressaisissement de soi par le Bien et le combat pour la justice. Des lamentations couvrent de nombreuses pages : si chacun avait résisté à la violence bolchevique en refusant de dénoncer un ami, de signer de fausses déclarations, bref de collaborer pour se garantir la vie, ou le confort, si chacun avait eu une idée plus haute de ce qu’est une vie vivable, le régime n’eût jamais tenu tant d’années, il n’eût jamais fait périr tant de personnes. L’Archipel était écrit par un coupable qui, sur de nombreuses pages, confessait ses propres fautes, ses propres aveuglements. Il y donnait/découvrait sens à la catastrophe soviétique comme il avait découvert/donné sens à sa propre vie : c’était véritablement retrouver la signification profonde du prophétisme judaïque – la rationalisation de ce qui paraît absurde. Il y a une raison supérieure qui éclaire ce qui semble à nous si opaque. La Russie elle-même s’est détournée de Dieu et pour cette raison elle a subi le châtiment de la Révolution qui l’a terrassée. Lui est en charge de lui apprendre pourquoi elle a souffert au XXème siècle et comment elle peut se relever, de l’appeler à le faire et à se repentir : l’Archipel n’avait pas d’autre fonction.

Pas de prophète en son pays ?

Le prophétisme imprègne fortement d’autres œuvres : l’Archipel a été écrit entre 1963 et 1968, mais Soljénitsyne retenait sa publication, et cet aspect s’est d’abord révélé dans des lettres et des articles où il intervenait publiquement sur des sujets littéraire, religieux ou social. C’est par ces œuvres-là que ses contemporains russes ont éprouvé la force d’entraînement de Soljénitsyne directement issue de son prophétisme : il ne s’agissait pas, fondamentalement, de lutter pour un droit de l’individu à s’exprimer, par exemple, mais un appel à chacun de ne pas renoncer à sa liberté et à sa responsabilité morales. Ainsi de sa lettre au Congrès contre la censure et l’auto-censure ; puis de la lettre au Patriarche de Moscou Pimène. Devenu sous l’influence de sa seconde femme plus proche de l’Église orthodoxe, le croyant Soljénitsyne inspiré par Dieu rappelait ses devoirs jusqu’au patriarche. Il lui reprochait amèrement de souhaiter que les enfants des orthodoxes étrangers (émigrés) fussent élevés dans la foi sans par un seul mot montrer qu’il se préoccupait de l’éducation religieuse des orthodoxes en URSS. Le rôle de l’Église n’était pas tout entier dans sa sauvegarde comme institution temporelle (par le modus vivendi avec le Kremlin), l’institution temporelle n’avait de sens que si elle remplissait sa mission évangélique et témoignait de la résurrection du Christ et du salut du monde. « Ne nous laissez pas supposer, ne nous forcez pas à croire que pour le clergé de l’Église russe, l’autorité terrestre est plus haute que l’autorité céleste, la responsabilité terrestre plus terrifiante que la responsabilité devant Dieu », écrivait-il. Cette lettre a scandalisé les milieux religieux. Beaucoup de prêtres, même ceux qui évoluaient dans le milieu dissident, ont peu apprécié sa liberté de ton ; l’écrivain ne comprenait pas la complexité des affaires religieuses. Pourtant, à force de compromissions, l’Église perdait sa raison d’être. Soljénitsyne comprenait le nécessaire compromis avec les affaires du monde, mais rappelait la tout aussi nécessaire limite à ce compromis sans laquelle le tout perdait le sens.

Le souffle prophétique traverse aussi les pages du Chêne et le Veau, son livre des batailles, relation en léger différé de sa lutte contre le pouvoir soviétique. Cette relation vise avant tout à comprendre et à montrer comment concrètement un individu peut se libérer du mensonge idéologique et retrouver sa liberté morale, et donc sa réelle liberté d’agir. Cet exemple est universalisé dans Ne pas vivre dans le mensonge, article programmatique sur la résistance à l’État totalitaire. Chacun étant plus ou moins responsable de l’installation et de la survie du régime, à chacun de contribuer à sa chute en refusant de participer à ce qui fait sa force : l’idéologie, qui veut que l’État soviétique soit socialiste, et que le socialisme soit le stade ultime de l’Histoire. C’est cela que Soljénitsyne appelle le mensonge, relais de la violence. Combien de lecteurs clandestins de ces œuvres clandestines furent bouleversés et décidèrent de changer radicalement leur vie ? Il est impossible de les compter. Mais les témoignages qui peuvent se lire dans les mémoires, les journaux intimes publiés depuis montrent qu’ils furent nombreux.

Limite du prophétisme

Cet article est paru (clandestinement) peu avant son arrestation en février 1974, et juste après la publication de l’Archipel du Goulag à Paris. L’Archipel, bien que s’adressant aux Soviétiques, et même avant tout aux Russes, fut d’abord largement lu à l’étranger. Vendu à des millions d’exemplaires, traduit en une trentaine de langues, il contribua puissamment à la perte du régime soviétique car il détruisait le cœur de sa puissance : son rayonnement idéologique dans le monde entier. Parmi les élites, certains reconnurent leur culpabilité à avoir soutenu un tel régime, et furent totalement retournés ; la fonction prophétique les avait touchés. Mais en URSS même, c’était le silence. Des copies furent introduites clandestinement, recopiées à la machine, mises en circulation dans des milieux restreints. La prison attendait ceux qui étaient surpris à le lire, ou déjà à le détenir. Et l’Archipel ne put pas jouer ce rôle de retournement à l’échelle de tout un peuple qui ne se libéra pas lui-même du communisme soviétique. Etait-ce une illusion de croire qu’il aurait pu jouer ce rôle ? En 1990 enfin l’Archipel trouvait ses lecteurs ; mais quelle en fut la réception, comment fut-il lu ? Les études manquent sur ce sujet. Il est certain en tout cas qu’il n’y eut pas l’ébranlement moral que visait Soljénitsyne.

C’est peu de temps après la fin de l’Union soviétique en 1991 que Soljénitsyne a terminé l’œuvre de sa vie, commencée dans sa jeunesse, et reprise seulement en 1969 : la Roue Rouge, des milliers de pages sur la Révolution de février 1917 et ses origines. Conçue pour aller jusqu’en 1922, c’est-à-dire après la victoire définitive des bolcheviks sur les armées blanches, l’écrasement des révoltes paysannes (les Verts) et celle de Cronstadt, l’œuvre s’arrête en avril 1917 quand Lénine rentre en Russie après un long exil en Europe et qu’il n’est qu’un leader parmi d’autres. Le sort du pays serait-il à cette époque déjà réglé ? Pour celui qui connaît la suite de l’histoire, et surtout pour qui la Catastrophe est un châtiment divin, la conclusion est tentante. Pourtant, Soljénitsyne, de par son tempérament optimiste et volontariste, de par aussi l’exemple de sa vie, croit profondément en l’action humaine. Aussi scrute-t-il les étapes angoissantes qui ont mené, petit à petit, la Russie à sa perte. La voie se rétrécissait mais peu à peu, et plus elle allait se rétrécissant, plus l’action positive, contre les bolcheviks, était difficile mais elle restait toujours possible. La contradiction majeure sur laquelle il a bâti La Roue Rouge, connaissance de la victoire finale des bolcheviks et description à longueur des pages des possibilités qui auraient pu éviter à la Russie la Catastrophe est présente dès le premier tome, Août 14. La Roue Rouge tourne autour du trou noir de l’avenir bolchevik. Épopée au conditionnel passé, elle est celle infiniment triste des erreurs, des fautes et des regrets.

Elle est aussi l’épopée de la lutte en Soljénitsyne de l’écrivain et du prophète ! Car cette idée du châtiment divin ne l’a pas quitté : la Russie a souffert pour s’être éloignée de Dieu, c’est-à-dire pour avoir abandonné son être réel, ses traditions, sa « vieille foi », pour des idées occidentales.

La Russie que regrette Soljénitsyne est une Russie mythique. Le mot « regret » est important : il n’a jamais souhaité l’imposer, il sait plus ou moins qu’elle est hors d’atteinte. Elle a animé toute sa vie, avec elle il a survécu et voulu faire revivre son peuple épuisé par un cruel XXème siècle.

Véronique Hallereau


[1] Cf. Anne Applebaum, Une histoire du Goulag.

Véronique Hallereau a consacré un mémoire d’histoire à la médiatisation de Soljénitsyne à la télévision française, disponible sur son site internet (http://vhallereau.net/) et a signé un portrait littéraire de l’écrivain Soljénitsyne, un destin (L’Œuvre, 2010). Elle a également participé au catalogue de l’exposition, Soljénitsyne, un écrivain en lutte avec son siècle, aux éditions des Syrtes, exposition présentée à la mairie du Vème arrondissement de Paris jusqu’au 8 janvier 2019.

Chronologie

11 décembre 1918 : naissance de Soljénitsyne, orphelin de père octobre 41 : mobilisation

9 février 1945 : arrestation pour avoir critiqué Staline dans sa correspondance

9 février 1953 : libéré des camps, exilé au Kazakhstan

fin 1953 -1954 : sauvé in extremis d’une tumeur cancéreuse déclarée au camp

1956 : retour d’exil en Russie

1962 : publication d’Une journée d’Ivan Denissovitch, sur autorisation de Khrouchtchev

1965 : saisie d’une partie de ses archives par le KGB

1967 : lettre au Congrès des Écrivains contre la censure, alors que Soljénitsyne ne peut déjà plus publier depuis un an : début de sa lutte ouverte relatée dans Le Chêne et le Veau. La lettre sera lue au Congrès des Écrivains de Prague, cause indirecte du Printemps.

1968 : publication à l’étranger du Premier Cercle  et du Pavillon des Cancéreux 

1970 : prix Nobel de littérature (grâce notamment à François Mauriac)

1972 : lettre au Patriarche Pimène

décembre 1973 : parution de l’Archipel du Goulag en russe à Paris

13 février 1974 : seconde arrestation puis expulsion de Soljénitsyne en RFA. Il est déchu de sa citoyenneté.

1974-1976 : période d’interventions dans les médias, voyages en Europe et en Amérique

1976 : s’installe aux Etats-Unis, dans le Vermont

1978 : discours de Harvard

1983 : publication du premier tome remanié de la Roue Rouge, Août 14

1989 : début de la parution de l’Archipel du Goulag à Moscou

1991 : sa citoyenneté lui est restituée par Gorbatchev. Soutient (officieusement) Eltsine.

1993 : dernière tournée en Europe. Discours de Vendée, rencontre avec le pape Jean-Paul II.

27 mai 1994 : retour en Russie par Magadane, capitale de la Kolyma, et Vladivostok. Traversée du pays en train jusqu’à Moscou, rencontre Eltsine qui l’a déçu.

2001-2002 : parution de Deux cents ans ensemble sur les Juifs en Russie.

2006 : début de la publication de ses œuvres complètes en trente volumes

2007 : accepte la médaille du Kremlin que lui remet le président Poutine ; critique l’absence de démocratie en Russie.

© LA NEF n°188 Décembre 2007, mis en ligne le 31 mars 2020