Philosophe, Doyen-Fondateur de l’IPC, André Clément nous a quittés pour rejoindre la maison du Père, le 27 mars 2020. Hommage.
Né le 15 avril 1930 fils de Marcel, Louis, Joseph Clément et de Lucienne, Émilie, Julienne Kop, André Clément est le frère cadet de Marcel Clément écrivain, philosophe, spécialiste de la Doctrine sociale de l’Église et directeur de l’Homme Nouveau.
Très bon élève au Collège Stanislas (Paris), il entreprend des études de philosophie en Sorbonne malgré la réticence de son père à le voir embrasser les mêmes études que son fils aîné. Sur les conseils de Marthe Robin, il se rend, en 1949, au Canada, plus précisément à l’Université Laval au Québec, pour y suivre sa formation et y rejoindre son frère qui y est déjà professeur et conférencier. À l’issue de ses études, il reviendra en France où il créera, en 1969, l’Institut de Philosophie Comparée (dit IPC) avec un petit groupe de neuf étudiants.
André Clément, disciple
C’est par l’enseignement de Charles de Koninck, de Monseigneur Maurice Dionne et d’autres professeurs à l’Université Laval qu’André Clément se met dans les pas de saint Thomas d’Aquin. Dans cette même université, il découvre plus à fond le Docteur Angélique et il se met à son écoute en développant les qualités de tout disciple : Être bienveillant, savoir écouter, être docile[1]. Après une licence sur « L’immensité de Dieu », ce sera sa thèse de philosophie, en 1954, portant sur « Le hasard chez Lévy Bruhl et la critique qu’en fit Bergson » qui lui donnera le titre de docteur en philosophie.
Après un service militaire dans l’armée de l’air à Caen puis à Rochefort en tant que Sous-Lieutenant (après des E.O.R.), il rejoint son frère en 1957 au Centre Français de Sociologie que ce dernier a créé dans la Drôme. Jusqu’en 1962, il en assumera la direction tout comme l’enseignement, puis suivra le transfert de ce Centre dans l’Isère, tout proche de Marthe Robin et du père Finet.
Le 2 août 1960, André Clément épouse Marie-Claude Mollard. Ils auront cinq enfants : Marie-Laure, Thierry, Agnès, François-Xavier et Thomas.
En octobre 1962, il est appelé à la direction d’une entreprise à Castelnaudary (dans l’Aude), puis débute, l’année suivante, une collaboration avec les Compagnons du Devoir du Tour de France (Collège des Métiers).
Ces différents postes et formations préparent André Clément à fonder l’IPC et à en devenir le premier Doyen. Il y fera œuvre de vrai disciple tant sur le plan philosophique que par les rencontres qui seront les siennes et les expériences vécues. Informé et nourri par le réel, André Clément sera le disciple d’Aristote et surtout de Saint Thomas d’Aquin qu’il étudiera toute sa vie avec passion.
André Clément, un maître
En 1969, grâce à ses qualités d’enseignant et de chef d’entreprise, il crée, avec toute une équipe de professeurs : Marcel Clément, le chanoine Roger Verneaux, Jacques de Monléon, Aline Lizotte… l’Institut de Philosophie Comparée (IPC). Si les débuts sont difficiles, ils parviennent, la Foi chevillée au corps à attirer de plus en plus d’étudiants et à leur fournir une formation intellectuelle complète. Beaucoup leur seront redevables d’avoir su tirer le meilleur d’eux-mêmes : cette soif de vérité et de sagesse qui le faisait agir, et qu’il leur a transmise.
De cela, nous pouvons témoigner. Il a été un maître pour nous.
Quelles sont les qualités nécessaires pour être un bon maître ?
Tout d’abord, pour transmettre des connaissances, il faut les posséder. C’est-à-dire, non seulement les avoir correctement reçues et appréhendées mais aussi les approfondir constamment et savoir les ordonner en vue de les transmettre (saint Thomas ne dit-il pas, à la suite d’Aristote, que « le propre du sage est d’ordonner »).
Cela ne saurait suffire si le maître n’a pas d’abord beaucoup d’amour pour les jeunes qui lui sont confiés au fil des années. André Clément n’en manquait pas, comme pour le suivi de ceux-ci lorsqu’ils étaient lancés dans leur vie adulte. Il avait le culte de l’amitié vraie et sincère. Mais le vrai maître doit aussi avoir surtout un sens inné et éprouvé de la pédagogie. Or André Clément en avait : par exemple, ses cours sur « le travail intellectuel » préparés avec une extrême précision. Il nous livrait ses conseils de pédagogie nourris aux enseignements les plus précis de saint Thomas (la Q. XI des Questions disputées intitulée De Magistro) ou enrichi par son expérience auprès des Compagnons du Devoir comme aux découvertes de l’Anthropologie du Geste de Marcel Jousse. Une vraie « manuductio », « conduire par la main » comme il aimait à dire.
Avec son équipe, tout au long des années, il développe une pédagogie originale organisée autour des quatre chaires que sont la logique, la philosophie de la nature, de la philosophie morale et politique et la métaphysique. Tout cela dans un Architectonisme du savoir[2], c’est-à-dire un ordre des connaissances qui s’appuie sur des modes de procéder bien spécifiques. Ainsi, par exemple, nous ne pouvons bien évidemment pas aborder les questions de philosophie de la nature avec la même méthode que les questions d’ordre moral ou politique. Ainsi des mots phares sont lumières pour notre intelligence. Ceux déjà cités de « maître et disciple », des « qualités du disciple », d’« architectonisme du savoir », de « mode de procéder », mais aussi de « prudence », de « devoir d’état », du « sens de l’homme », de « question de la finalité », des « quatre causes »… Ces mots sont chers à André Clément dont il aimait approfondir la signification. Ce que recherchent les philosophes réalistes, dans une perspective de « philosophie comparée » c’est-à-dire qui se laisse nourrir par le réel (1er sens) mais qui n’hésite pas à se comparer aux autres philosophies, philosophes (2ème sens) afin d’être bien amarrée aux besoins contemporains de l’intelligence dans les questions scientifiques, psychologiques, sociologiques… « Transmettre aux autres la vérité contemplée » selon la devise de la Faculté.
André Clément, apôtre
Il serait impossible de clore cet hommage sans témoigner de la force spirituelle qui l’a animé toute sa vie. Transmise par ses parents, renforcée par Marthe Robin et sa rencontre avec de fervents prêtres (particulièrement les bénédictins dont il fut très proche) : sa foi en Jésus-Christ et en Dieu fut, pour lui, source de toute vie et de tout amour.
Oui, André Clément fut un incontestable apôtre.
Être apôtre, c’est avoir une vocation, être appelé. À l’apôtre, le Christ procure l’audace, celle qui permet de ne pas être effrayé, d’aller de l’avant vers la vérité, même s’il faut être à contre-courant de certaines réalités de son époque (tel fut le cas après Mai 1968 avec la création de cette Faculté). Être apôtre, c’est avoir reçu la Pentecôte de Dieu et de la vivre chaque jour. La prière quotidienne fut la nourriture d’André Clément et de Marie-Claude, son épouse, toujours à ses côtés, jusqu’à la fin.
Être apôtre, c’est aussi accepter de renoncer à soi-même et transmettre à un moment donné ce que l’on a reçu. Il a su ainsi porter son attention à d’autres œuvres comme le travail philosophique avec Jean-Baptiste Echivard, donner des cours au séminaire de Gricigliano en Italie, ou des conférences …
Tout au long de sa vie, André Clément a pu compter sur un certain nombre de personnes : ses parents, son frère, Marcel, bien sûr, à qui il vouait beaucoup d’amour, tout comme à son épouse, Marie-Claude et à leurs cinq enfants. Marthe Robin a été « son fil rouge » pour toute grande décision avec son épouse Marie-Claude. Saint Jean-Paul II, rencontré entre autres en 1991 avec des professeurs de la Faculté et une quarantaine d’étudiants, qui lui donne la mission : « Soyez aux avant-postes de la réflexion fondamentale sur tous les sujets liés à l’enseignement social », mais aussi Jérôme Lejeune et son épouse, François Michelin, le père Labaky et bien d’autres… Nous ne saurions oublier sa grande dévotion à La Très Sainte Vierge Marie, Mère de toute Espérance et de toute Vie.
Ainsi pourrons-nous dire qu’André Clément a fait rayonner la pensée chrétienne, la philosophie de Thomas d’Aquin et la réflexion réaliste en ces temps troublés du XXe et du XXIe siècle. Il nous a montré que, aussi loin de s’opposer, foi et raison se complètent harmonieusement pour nous conduire, par l’intelligence et le cœur, vers Celui qui est Vérité et Vie.
Nous lui sommes à jamais redevables et reconnaissants de cet enseignement qu’il nous a transmis comme serviteur de son Seigneur en fidélité vivante à Rome et comme apôtre de l’Espérance.
Par son dynamisme, son enthousiasme, son enseignement clair, précis, concret, il restera dans notre cœur et notre âme un maître, un frère dans le Christ, un ami.
Merci, Monsieur André Clément pour cette espérance que vous nous avez dévoilée, arrimée de façon indéfectible au Christ et par l’intercession de Marie, Mère et Reine du Ciel et par la voix de Son Vicaire sur terre.
Michel Bouillon
[1] André CLEMENT: La sagesse de Thomas d’Aquin, NEL, pp. 120 à 165.
[2] Article essentiel d’André Clément dans les Cahiers de la Faculté Libre de Philosophie Comparée.
© LA NEF, le 3 avril 2020, exclusivité internet