Fabrice Hadjadj aux Bernardins le 8 février 2020 © Aude Géant

La génération Laudato Si’ se rassemble aux Bernardins

Depuis Laudato Si’, les chrétiens ont pris conscience de l’importance des questions écologiques. Plusieurs centaines de jeunes professionnels se sont réunis au collège des Bernardins pour réfléchir sur ce thème cher au pape François. Reportage.

« La crise écologique est un appel à une profonde conversion intérieure. […] Vivre la vocation de protecteurs de l’œuvre de Dieu […] n’est pas quelque chose d’optionnel ni un aspect secondaire dans l’expérience chrétienne », affirmait le pape François dans l’encyclique Laudato Si’.[1] Message reçu cinq sur cinq par près de 250 jeunes de 20 à 35 ans, qui se rassemblaient les 8 et 9 février derniers, à l’initiative du diocèse de Paris, pour réfléchir à cette conversion.

L’évènement, intitulé « Quelle écologie intégrale ? A l’écoute de la clameur de la terre et de la clameur des pauvres », avait pour cadre le prestigieux collège des Bernardins, au cœur de Paris. C’est le troisième week-end de ce genre que le diocèse organise autour de la doctrine sociale de l’Église, à destination des jeunes professionnels. Les deux éditions précédentes, en mai 2017 et en juin 2018, portaient respectivement sur « Le sens du travail » et « L’engagement dans la cité ».

Ambiance studieuse

Le samedi se consacrait à cerner la notion d’écologie intégrale. À la conférence introductive de l’économiste Elena Lasida, succédait un débat entre le philosophe et mathématicien Olivier Rey et l’ethnologue Xavier Ricard Lanata. Les deux intervenants s’accordaient à dénoncer un certain humanisme désajusté qui conduit l’homme à s’exalter, manipulant son environnement à des fins utilitaristes.

Tous deux condamnaient les courants écologistes radicaux qui voient en l’homme un ennemi de la nature ; il est au contraire nécessaire, selon eux, de renouer avec le vivant, qui cohabite avec l’homme dans une même Création. En fin d’après-midi, le philosophe Fabrice Hadjadj soulignait la responsabilité de l’anthropocentrisme moderne dans le rapport biaisé que l’humanité entretient aujourd’hui avec la Création. Pointant l’insuffisance des réponses technocratiques à la crise écologique, il appelait à sortir radicalement de ce paradigme en retrouvant le sens de la culture, de la pratique et du savoir-faire. Il est selon lui insuffisant de moraliser la technique : « La technologie produit un monde pulsionnel, rappelait-il. Ce n’est pas de morale dont nous manquons, c’est de mœurs. »

Entre-temps, les participants avaient l’occasion de réfléchir, en équipes d’une quinzaine de personnes, autour de passages clés de Laudato Si’, ainsi qu’à divers ateliers concrétisant les réflexions évoquées. Par groupes de trente à quarante personnes, ils choisissaient deux thèmes parmi la dizaine d’ateliers proposés, comme la crise migratoire avec le journaliste Pierre Jova, la responsabilité économique et sociale des entreprises avec l’entrepreneur et ancien officier Patrice Valantin, ou encore l’agriculture et le rapport à la terre avec le cultivateur Florent Gaujart.

Encourager la conversion écologique

Le lendemain, les participants étaient invités à réfléchir sur les modalités concrètes de la conversion écologique. Une première conférence du père Olric de Gélis, formateur des séminaristes de la Communauté de l’Emmanuel, se penchait sur la forme que doit prendre cette conversion. Le prêtre rappelait que, s’il est principalement adressé aux chrétiens, l’appel à la conversion écologique contenu dans Laudato Si’ se destine également aux non-chrétiens. L’encyclique est une porte d’entrée vers le message du Christ, notamment à travers les vertus de la contemplation et de l’hospitalité, qui peuvent servir de point de rencontre entre les chrétiens et les courants écologiques profanes. Après un deuxième temps d’échange en équipes, une table ronde réunissait l’ancien militaire et collaborateur de la Fondation Hulot Ghislain Gomart, l’urbaniste et consultante Marie-Hélène Lafage et la gestionnaire de patrimoine Marie-Noëlle de Pembroke, pour témoigner de l’impact de leur conversion écologique sur leur parcours professionnel. Une messe à Saint-Louis-en-l’Île clôturait ce roboratif week-end.

Pour Vianney Berlizot, dirigeant l’équipe d’organisation du week-end, cette démarche de conversion écologique est indispensable. « On entend beaucoup les catholiques sur les problématiques spirituelles et humaines, comme la bioéthique et la défense de la vie, mais beaucoup moins sur les questions sociales et environnementales. », expliquait-il. « Nous essayons donc de déclencher une conversion écologique personnelle et la prise d’engagements concrets par les participants. »

L’un des objectifs majeurs du week-end était d’ailleurs de faciliter l’engagement en présentant diverses initiatives promouvant l’écologie intégrale : parcours Zachée et Bâtisseurs pour la formation doctrinale, revue Limite pour l’approfondissement intellectuel, café solidaire Le Dorothy, pour les initiatives sociales… Le père Benoît Aubert, qui pilotait le projet pour le diocèse de Paris, se réjouissait de ce foisonnement : « Le week-end rassemble à la fois des jeunes qui travaillent toute l’année sur la doctrine sociale de l’Église et des “électrons libres”, qui peuvent en rejoindre d’autres et approfondir leur foi dans le Christ et leur engagement pour l’écologie intégrale. Si nous parvenons à susciter cette volonté d’approfondissement, le week-end aura porté de beaux fruits. »

De la réflexion à l’action

Parmi les participants, la volonté d’agir était palpable, et les discussions allaient bon train. Principal point d’achoppement : si tous s’accordaient sur la nécessité urgente d’apporter une réponse à la crise écologique, les moyens d’y parvenir posaient question. « Le rôle du système économique actuel et de la technologie fait débat, confirmait Guillaume, jeune trentenaire participant au week-end. Les temps d’équipe ont révélé une profonde division entre ceux qui remettaient radicalement en question le paradigme actuel, et ceux qui estimaient qu’une simple réorientation peut suffire. » Bien que le week-end ait insisté sur le caractère personnel de la conversion écologique, l’appel du pape François à une conversion communautaire résonnait dans tous les esprits. C’est la forme de cette dernière qui posait question.

Autre défi : le rayonnement, alors que la vaste majorité des participants était issue de paroisses parisiennes bien achalandées. Comment faire le lien avec les catholiques du reste de la France ? Yolaine, 33 ans, confirmait que tout reste à faire à Argenteuil, d’où elle est originaire et où elle s’est investie dans les élections municipales. Elle insistait sur la nécessité d’élargir l’évènement, en particulier grâce au maillage des diocèses, pour faire connaître les différentes initiatives présentées. « Nous réfléchissons aux manières de rendre l’évènement attractif, notamment pour les catholiques vivant en banlieue », indiquait Vianney Berlizot, conscient du risque de l’entre-soi. « Mais ces derniers sont moins attirés par la dimension de formation. Nous essayons de proposer d’autres formes d’implication : cette année, nous avons organisé une veillée de prière qui a eu beaucoup de succès et a permis d’ouvrir le week-end à d’autres publics. » Faute de pouvoir agrandir le collège des Bernardins, les podcasts des différentes interventions ont été mis en ligne pour en faire bénéficier une audience plus large.

L’initiative a déjà fait des émules au-delà des frontières françaises. Venu de Bruxelles avec quelques compatriotes, Robert, 33 ans, était enthousiasmé par la profondeur des réflexions et des débats : « En Belgique, des initiatives existent, mais il s’agit surtout de témoignages. À de rares exceptions près, les fondements théoriques sont négligés. Nous manquons d’une base doctrinale sur laquelle nous appuyer, et l’Église belge ne répond pas complètement à ce besoin. » Conquis par le dynamisme communicatif de leurs voisins d’outre-Quiévrain, le groupe de jeunes Belges songeait à organiser à Bruxelles une manifestation similaire. Les fruits de ce week-end mettront sans doute plusieurs mois à apparaître, mais une chose est certaine : la parole du pape François n’est pas tombée sur un sol pierreux.

Arnaud Fabre


[1] Laudato Si’, §217.

© LA NEF le 29 avril 2020, exclusivité internet