La crise du Covid permet à tous de repenser non seulement la place du numérique dans l’éducation du XXIe siècle mais surtout les fondements de notre école elle-même. Il serait plus que dommage de laisser passer cette occasion de refondation. Jusqu’à présent, les parents, mal vus de l’institution scolaire, étaient tolérés plus que désirés ou respectés par les enseignants leur déniant généralement toute compétence dans l’instruction. Pire, à l’heure de la sociologie triomphante, on les accusait d’être la cause des inégalités de résultats à l’école. Or, pendant la période de confinement, la pratique de l’école à la maison a conduit les professeurs, nolens volens, à déléguer aux parents l’enseignement des connaissances. Quelle révolution copernicienne ! Ainsi les parents regagnent de précieux galons, qui sont de nature à rééquilibrer utilement la relation parents-professeurs pour le plus grand bien de l’enfant.
Les bases non acquises
Mais il y a plus. Lors de « l’école à la maison forcée », nombre de parents ont pu se pencher comme jamais sur la scolarité de leurs enfants et découvrir avec effarement la maîtrise défaillante des connaissances fondamentales, la vacuité prétentieuse ou déprimante de nombre d’exercices ou de supports de cours, l’absence de préoccupation éducative dans l’organisation des apprentissages. Vont-ils oser renvoyer leurs enfants à l’école façon Éducation nationale sans état d’âme, maintenant qu’ils ont vu la réalité de la situation ? La dégringolade de la France dans les classements PISA devient soudain cruellement concrète. Les bases des apprentissages sont tout simplement branlantes : la règle de trois est inconnue chez le lycéen, l’accord sujet/verbe semble un Everest, la lecture est un repoussoir pour 70 % des collégiens… Alors n’est-ce pas le moment pour les associations de parents d’élèves de s’intéresser à autre chose qu’à la cantine ou aux sorties scolaires et de poser des exigences quant aux savoirs enseignés ? De fonder de nouvelles écoles libres ou de reprendre le contrôle des écoles existantes ?
Autre ingrédient majeur du relèvement éducatif, la mobilisation de tous pour l’éducation des enfants. Le ministre Blanquer a créé le label « Nation apprenante » pour marquer les contenus audio ou vidéo pouvant concourir à l’acquisition des programmes scolaires. Ainsi radios et télévisions publiques cherchent à prêter main-forte à l’Éducation nationale. Ce n’est pas trop tôt ! Il faut aller bien plus loin encore et mobiliser l’ensemble des acteurs publics et privés pour créer un environnement propice à l’éducation, qui doit être une cause nationale fédératrice. On nous parle à l’envi d’« économie de la connaissance », mais aucune traduction concrète ne s’ensuit. Règne le chacun pour soi. Nous n’avons aucune conscience d’un devoir collectif de nous éduquer sans cesse les uns les autres et d’atteindre un haut niveau d’éducation. Il en va tout autrement dans certains pays d’Asie. Le seul but commun que les politiques français arrivent à formuler est de réduire les inégalités sociales par l’école. La France ne redeviendra pas une nation d’éducation et de culture tant que nous ne valoriserons pas dans le discours et dans les faits le savoir et l’éducation tout au long de la vie. Certes, logiciels, expos à La Villette, livres de littérature jeunesse se multiplient, correspondant à un marché lucratif. Mais qui se préoccupe vraiment de l’efficacité de cet effort éducatif désordonné ? L’enfant, prétexte de cette débauche d’activités éducatives périscolaires, est dispersé par ces offres ludiques auxquelles manque cruellement un enseignement explicite et systématique, et qui désertent le cœur : apprentissage profond, ancrage structuré et ordonné des savoirs, et surtout formation de sa personnalité sur les plans psychologique, spirituel, civique… L’État ne protège pas davantage les enfants des entreprises lucratives avilissantes : sites pornographiques, séries débilitantes à fort effet addictif, réseaux sociaux chronophages et déstabilisants pour des personnalités en mal de reconnaissance que sont structurellement les adolescents…
Une occasion inespérée de réforme
La crise du Covid, si elle est évidemment dramatique, offre une occasion inespérée de changer cela, et d’impulser un effort éducatif national. Chaque acteur social devra se demander comment y contribuer : développement des stages, des postes en apprentissage, des concours, des émissions ou activités éducatives… L’éducation doit devenir une obsession collective. À nous notamment de revaloriser dans le discours mais aussi financièrement les métiers du savoir comme le professorat ou la recherche. Empruntons sans scrupule à la culture juive qui valorise tellement l’étude dont elle fait une condition sine qua non de la pleine humanité. Après cette irruption du tragique dans notre société, ne nous autorisons pas à reprendre notre vie comme si de rien n’était. Reprenons l’éducation en main !
Anne Coffinier
Présidente de Créer son école et d’EducFrance
anne@educfrance.org
© LA NEF n°324-325 Avril-Mai 2020