Krzysztof Penderecki est mort chez lui à Cracovie, le 29 mars, « des suites d’une longue maladie ». Il avait 86 ans.
Il s’est d’abord fait connaître au tout début des années 60 comme un des chefs de file de l’avant-garde, participant à la vogue et à la vague de la musique atonale postsérielle, qui était en train de devenir la seule reconnue par l’intelligentsia européenne. Il est d’ailleurs intéressant de réécouter ces œuvres aujourd’hui, car elles sont d’une puissance de conception qui tranche avec le tout-venant de la musique atonale.
Penderecki est donc devenu célèbre très vite dans le milieu musical. Mais en 1966 est créée sa Passion selon saint Luc, et toute l’intelligentsia de crier à la trahison. Du jour au lendemain il est voué aux gémonies par les institutions qui gouvernent la musique contemporaine. L’œuvre est pourtant presque entièrement atonale, et elle multiplie les effets sonores de la « musique contemporaine », mais le compositeur reprend les codes de la Passion, d’une façon qui l’inscrit dans la tradition des grands oratorios depuis Bach.
Joseph Ratzinger, dans un texte sur le Vendredi Saint écrit en 1973 et publié en 2014 en tête du volume VI/2 de ses œuvres complètes, a fait observer que dans les Passions de Bach « le terrible événement du Vendredi Saint est immergé dans une beauté transfigurée et transfigurante », celle de Pâques. Si la Résurrection n’y figure pas, « dans leur solennité limpide, elles vivent de la certitude du jour de Pâques, de la certitude de l’espérance qui ne s’estompe pas, même dans la nuit de la mort ». Mais la Passion de Penderecki est le « Vendredi Saint du XXe siècle » : « Le visage de l’homme est raillé, couvert de crachats, frappé par l’homme lui-même. La “tête couverte de sang et de blessures, pleine de douleur et de moqueries” nous regarde à travers les chambres à gaz d’Auschwitz », depuis les villages dévastés du Vietnam, des bidonvilles du tiers-monde, des camps de concentration communistes… « Elle nous regarde avec un réalisme qui se moque de toute transfiguration esthétique. »
Imperméable aux critiques qui s’abattent, Penderecki va poursuivre son évolution vers ce qu’on a appelé le « nouveau romantisme », ou un post-romantisme rétrograde selon ses détracteurs. Ce qu’il montre de façon radicale dans le Songe de Jacob et la 2e Symphonie. Puis dans ces chefs-d’œuvre que sont le 1er Concerto pour violon et le 2e Concerto pour violoncelle.
L’œuvre la plus importante des années 1980 est son Requiem polonais. Appelé ainsi non parce qu’il serait en polonais (il est en latin), mais parce qu’y est introduite la Supplication polonaise Swiety Boze. C’est une somme de l’art de Penderecki à cette époque, à partir de pièces préexistantes : le Lacrimosa en hommage aux morts de Solidarnosc à Gdansk, l’Agnus Dei composé à la mort du cardinal Wyszynski en 1981 et interprété à ses obsèques. Et le caractère tragique de la musique de Penderecki ne pouvait s’exprimer au plus degré que dans une messe des morts…
Mais dans la décennie suivante son langage va évoluer de nouveau. Les incessantes déplorations en descentes chromatiques cèdent la place à l’affirmation toujours aussi puissante, mais tranquille, de la foi, dans une lumière inattendue. Celle de la Résurrection qui est venue apporter la sérénité confiante, aurait pu dire Joseph Ratzinger. Cela culmine dans son Credo, une œuvre de près d’une heure, avec un beau thème récurrent qui s’inscrit dans la mémoire. Il est composé pour grand orchestre, chœurs et solistes comme la Passion ou le Requiem, et là encore Penderecki entremêle au texte d’autres textes liturgiques, qui viennent illustrer les différents articles du Credo. Pour le mélomane catholique c’est une merveille à détailler.
Les dernières œuvres de Penderecki montrent une ultime évolution : la lumière qui baigne les œuvres en allège la texture, et le compositeur se fait presque impressionniste. Ainsi dans sa 8e Symphonie, sous-titrée Chants de l’éphémère, suite de lieder sur des poèmes célébrant les arbres et les jardins (Penderecki avait fait du parc de sa maison le plus grand arboretum de Pologne et l’un des plus beaux d’Europe), et sa dernière partition importante, autre suite de lieder avec orchestre, mystérieusement intitulée Une mer de rêves souffle sur moi, et sous-titrée : « Chants songeurs et nostalgiques »…
Fait unique dans l’histoire du disque : les enregistrements de référence des œuvres de Penderecki sont les moins chères : chez Naxos.
Hervé Pennven
© LA NEF n°324-325 Avril-Mai 2020