L’AUDACE DE L’ÉVANGILE
Un évêque au cœur de la France rurale
Mgr JEAN-PHILIPPE NAULT
Artège, 2020, 134 pages, 14 €
Lorsqu’il est arrivé à la tête du diocèse de Digne en 2015, Mgr Nault, alors âgé de 49 ans, était le plus jeune évêque de France. Sa formation d’ingénieur agronome semble l’avoir préparé à cette mission dans les Alpes de Haute-Provence, pays de Giono, où il est heureux de découvrir « la grâce particulière du monde rural et de sa sagesse paysanne ». Le diocèse est pauvre et déchristianisé, il manque de prêtres, sa géographie compliquée et enclavée ne facilite pas les rencontres, mais il est l’héritier d’une histoire chrétienne très ancienne dont il a conservé certaines traces. En outre, le contact quotidien avec la terre, donc avec la Création, lieu de confrontation avec le réel, semble propice à accueillir la rencontre avec le Créateur. C’est en s’appuyant sur ces atouts que Mgr Nault, clairement conscient de ses responsabilités et des défis qu’il est appelé à relever, s’est lancé d’emblée dans l’aventure stimulante de la nouvelle évangélisation.
À travers ce livre-témoignage, empreint d’une belle simplicité et d’une profonde espérance, le jeune évêque, qui se réfère souvent au saint Curé d’Ars (il fut recteur de son sanctuaire pendant 12 ans), confie ses convictions et présente sa vision pastorale. Son objectif est de permettre à tous de vivre une rencontre authentique avec le Christ dans la perspective de la vie éternelle. « Réparer l’Église » : cet impératif souvent mis en avant aujourd’hui lui inspire une très intéressante réflexion. La conversion de chaque baptisé-confirmé (il insiste à lier les deux sacrements de l’initiation chrétienne) doit primer la réorganisation de l’institution, sous peine d’aggraver le cléricalisme car, rappelle-t-il, l’Église étant d’abord une réalité spirituelle, les structures, certes nécessaires, ne doivent être conçues que comme des moyens au service de sa vocation. Quant à la synodalité dont il est souvent question, Mgr Nault invite à ne pas la confondre avec une « démocratie humaine ». Autrement dit, chaque vocation doit être considérée pour ce qu’elle est appelée à offrir à l’Église. Rompre la solitude des prêtres, valoriser le célibat sacerdotal en tant que don, promouvoir la vie paroissiale et les « essentiels » de la vie chrétienne sont au cœur de ses préoccupations.
Ce programme se réalise et rayonne à partir d’un « lieu-source », situé en un endroit accessible à tous, où Mgr Nault a installé son évêché et qu’il place sous la garde du Christ Miséricordieux, convaincu qu’il s’agit là d’une grâce spéciale accordée à l’Église de notre temps. La lecture de cet essai donne du baume au cœur par les perspectives de jours meilleurs pour le catholicisme français qu’il annonce.
Annie Laurent
NOUVELLE GÉOPOLITIQUE DE L’ART CONTEMPORAIN
AUDE DE KERROS
Eyrolles, 2019, 262 pages, 24,90 €
Le dernier ouvrage qu’Aude de Kerros consacre à l’art contemporain international (ACI) est si foisonnant qu’il est difficile d’en rendre compte en quelques lignes. Retenons que l’ACI est au départ une arme de la guerre froide, fabriquée de toutes pièces par les Américains pour contrer la séduction de l’URSS dans le domaine artistique, avec l’aide de musées et de collectionneurs patriotes prêts à l’acheter pour en faire monter artificiellement le cours, et en faire un rentable objet de placement (8 %). Il est, après la fin de celle-ci, devenu un instrument du soft power états-uniens mondial. Transgressif, subversif, négateur de toute culture enracinée, mais aussi kitch et divertissant, il n’a pas de valeur intrinsèque, seulement un prix résultant d’un processus de cooptation par des réseaux, des institutions, des foires, des musées, des médias, un marché, de plus en plus interconnectés. « Personne n’aime l’art contemporain, il n’est apprécié que par les millionnaires. » L’ACI est un « lieu de fabrication de l’idéologie dominante », un « réceptacle des préoccupations sociétales », un « temple de la vertu ». Son ennemi est désormais devenu tout ce qui porte des valeurs liées au talent, au beau, aux civilisations enracinées, principalement les arts chinois et russe qui, après des décennies de totalitarisme, refusent de se mettre au service d’une propagande. L’AC les ignore, les exclut, les humilie comme porteurs de valeurs « par essence criminelles ».
Jean-François Chemain
AUX SOURCES DU MALAISE IDENTITAIRE FRANÇAIS
PAUL-FRANÇOIS PAOLI
L’Artilleur, 2020, 220 pages, 18 €
La référence aux droits de l’homme, de nos jours quasi exclusive, et servie à tout propos, peut-elle fonder l’identité de la France ? Évidemment non, car un principe devenu le lot partageable d’une foule d’États grands ou petits ne saurait la distinguer d’autrui. Il y faut d’abord des manières de vivre et de s’exprimer qui lui appartiennent et mettent en avant son individualité, choses, en somme, très concrètes et sans rapport avec l’idéologie. Par malheur, de plus en plus on s’acharne à le nier. Ou l’on ne s’en soucie pas. Aux yeux de beaucoup, qui voient dans les nations autant de fictions périmées, les valeurs universalistes de la République suffisent à nous définir. Et donc, autochtones ou étrangers, occupants ou survenants, aucune importance. Naguère corps de familles vivantes, la France, nouveau terrain vague, se ramène irrésistiblement à un simple rendez-vous de gens dénués de traits communs, à un espace posthistorique amputé de ses traditions culturelles et privé du droit à être soi-même. Cette déliquescence du sentiment national, annonciatrice manifeste de la fin des réalités nationales, Paul-François Paoli, bien sûr, la combat. Avec vigueur. Avec talent. Mais la situation est si grave, si compromise…
Michel Toda
DÉNI FRANÇAIS
Notre histoire secrète des liaisons franco-arabes
PIERRE VERMEREN
Albin Michel, 2019, 290 pages, 19, 90 €
Historien et professeur à la Sorbonne, normalien, spécialiste des mondes arabe et berbère, Pierre Vermeren a publié un livre choc en 2019, La France qui déclasse (Tallandier). Son nouvel essai, Déni Français, notre histoire secrète des liaisons franco-arabes, est du même tonneau.
Le livre est organisé en trois grandes parties : « L’idéologie du déni », où l’auteur montre les origines de la ruine de notre politique arabe, détaillant de manière passionnante les reculs de notre diplomatie sur fond de jeu des services secrets ; « La mécanique du déni », qui insiste sur la corruption et le clientélisme généralisés de nos « élites » ; et « Le déni extérieur et intérieur » où Vermeren pose une question fondamentale : « La guerre d’Algérie est-elle vraiment finie ? » La question comporte sa réponse négative : la guerre d’Algérie n’est pas terminée, elle se poursuit de façon discrète sur le territoire français. C’est d’une poudrière dont il s’agit tant le conflit larvé, pas réellement éteint, quoiqu’ayant changé de forme, a maintenant lieu avec la complicité de nombre de personnalités, que l’on pense aux élus du 93, à un syndicat comme Sud-Rail ou encore à des médias tels que celui d’Aude Lancelin, QG. Sans oublier nombre de gouvernants. Ce que ne veulent pas voir les nombreux amis de certains pays tels que le Qatar, les Emirats Arabes Unis ou l’Arabie Saoudite ! Que l’islam n’est pas une religion comme les autres mais un ensemble totalisant où culture, religion, politique, économie et société sont inséparables. Ces aspects ne sont ni évolutifs, ni adaptables, pas plus négociables.
C’est ce déni de la réalité de l’islam associé à celui de l’échec de nos politiques arabes qui fait de la France le pays ayant eu le plus de combattants dans les rangs de l’État islamique, devant nombre de pays arabes. Pierre Vermeren nous montre en quoi et comment les « élites » qui nous gouvernent sont sous l’influence des milieux islamiques. Un livre sérieux, remettant les choses en ordre, à ne rater sous aucun prétexte.
Matthieu Baumier
VERT DRAGON
PHILIPPE BARTHELET
Pierre-Guillaume de Roux, 2019, 218 pages, 25 €.
Il y a bien longtemps que plus personne ne se soucie vraiment de la langue française. On ne reviendra pas ici sur les qualités que, naguère, on lui prêtait : langue subtile, langue précise. À vrai dire, plutôt que de gémir et de se plaindre, il convient d’aller chercher notre bonheur là où elle subsiste vraiment, aux endroits secrets où elle se niche.
Depuis plusieurs années, Philippe Barthelet propose ainsi un « Roman de la langue », commencé chez divers éditeurs et continué avec courage aux éditions Pierre-Guillaume de Roux. Il en est aujourd’hui à son septième et dernier volume, lequel sous le titre de Vert Dragon rassemble (si j’ai bien compris) ses ultimes chroniques données au micro de France Culture, avant d’en être remercié par feu David Kessler, en 2006.
Je sais que le recueil de chroniques est un genre qui ne se porte pas vraiment bien aujourd’hui. Notre époque réclame à tout prix du neuf, de l’inédit, de la surprise là où les Anciens n’accordaient de l’importance qu’à la patine, à la permanence, à ce qui avait fait ses preuves.
Ses preuves ? Philippe Barthelet n’a assurément pas besoin de les fournir, ni d’étaler ses distinctions comme d’autres communiquent sur leur dernier coup. Cet amoureux de notre langue est aussi un homme d’esprit, l’un n’allant d’ailleurs pas sans l’autre. Cet homme d’esprit se révèle à chaque page un homme de culture. C’est-à-dire un humaniste perdu dans l’époque de Macron. Tout est dit !
Comme il se doit, ces chroniques suivent le rythme des parutions de l’époque, de livres oubliés, d’auteurs parfois inconnus, d’événements aujourd’hui enfouis dans les coins obscurs de nos mémoires. Mais c’est justement la raison même pour laquelle il faut les lire. Non pas au titre du souvenir, mais à celui de l’esprit. Car, derrière ces « accidents », comme disait Aristote, subsiste la substance même du propos de l’auteur, qui étant inactuel se révèle toujours d’une profonde actualité. Pas celle qui passe, mais celle qui touche à l’esprit. À ce titre, Vert Dragon est un véritable festival auquel il faut se rendre. Sans conditions…
Philippe Maxence
L’EUCHARISTIE
SAINT THOMAS D’AQUIN – CAJETAN
Introduction du R.P. Philippe Margelidon, traduction du Fr. André Aniorté, Éditions Sainte-Madeleine, 2020, 804 pages, 65 €
Le Frère Aniorté poursuit son remarquable travail de bénédictin. Après avoir traduit en français les questions disputées De veritate et De potentia, il nous offre une traduction « plus fidèle et plus littérale » des Questions 73-83 de la IIIa Pars de la Somme de théologie. Il est difficile d’octroyer à ce traité de l’Eucharistie une place de choix dans la Somme de théologie dans la mesure où toutes les parties convergent vers l’harmonie de la cathédrale gothique de la doctrine sacrée. Le soubassement métaphysique de la substance – les arcs-boutants – permet d’entrer dans l’intelligence de la rosace de la présence réelle, qui requiert la lumière de la foi pour aller au-delà de l’opacité extérieure des accidents. Une des originalités de cette édition bilingue tient dans l’insertion du commentaire – pour la première fois traduit – de Cajetan. Thomas de Vio (1469-1534), qui prit le nom de Cajetan et ferrailla contre Luther, y excelle et met ses dons de controversiste au service de l’interprétation de l’Aquinate. Comme le souligne pertinemment le P. Margelidon, saint Thomas n’est aucunement rationaliste mais s’attache à rendre compte de la vérité de la Parole de Dieu, en l’occurrence du réalisme de la parole consécratoire : « ceci est mon corps ». Comme la liturgie est un lieu théologique éminent, les éditeurs ont intégré l’office du Saint Sacrement composé par saint Thomas – qui avait été mis en concurrence avec saint Bonaventure par le pape Urbain IV. La doctrine eucharistique de Thomas fut « canonisée » par le Christ lui-même qui se révéla à son disciple en ces termes : « Thomas, tu as bien écrit du sacrement de mon corps. »
Abbé Christian Gouyaud
LES TRAITRES
IVAN RIOUFOL
Pierre-Guillaume de Roux, 2019, 180 pages, 18 €
Déplorer les malheurs du temps est encore permis. Rendre explicites nos motifs d’alarme au spectacle des vilenies qui salissent, par exemple, le corps de la magistrature semble l’être beaucoup moins. N’importe. Disons tra la la et allons droit au but. Car ces vilenies, des juges les commettent sciemment. On doit donc savoir où ils s’activent. Eh bien, entre autres lieux, au tribunal correctionnel de Gap, lequel a infligé six mois de prison ferme et de fortes amendes à plusieurs jeunes gens, pour avoir improvisé, au printemps 2018, sur le col de l’Échelle, voie de passage des clandestins, une protection symbolique de la frontière avec l’Italie. Ainsi, défendre l’espace national, acte punissable ! En faciliter, d’une manière persévérante, l’envahissement, comme certain scélérat de la vallée de la Roya, bénéficiaire de véritables trésors de mansuétude, actes édifiants ! Une telle attitude, on l’a compris, exprime l’adhésion à un monde cosmopolite assis sur les seuls droits d’individus interchangeables aux cultures équivalentes, à un monde postnational et multiethnique dont les règles, par définition, doivent tenir compte des très nombreux tard venus, maghrébins, subsahariens ou proche-orientaux, souvent ombrageux et querelleurs, et que l’avenir, ici, destine à peser toujours plus lourd.
Cela, les gens de pouvoir le savent. Mais ils s’en tamponnent le coquillard. Pour cette « palanquée d’imbéciles heureux », le bonheur collectif, le caractère satisfaisant d’une situation, ne s’appréhendent qu’à travers les chiffres de l’économie et les statistiques. Dès lors, face au communautarisme en train de morceler la nation, aux constants flux migratoires en train d’asphyxier la société, ils trouvent expédient de masquer leur impuissance, d’oublier leur couardise, en jouant les thuriféraires de l’enchanteresse diversité. Pauvre, infiniment pauvre manœuvre qui les ravale, accuse l’impitoyable Ivan Rioufol, au rang des « professionnels de la tromperie » et, chose pire, des « sagouins diplômés ».
Michel Toda
LA GRANDE INVASION DES GAULES 407-409
IAROSLAV LEBEDYNSKY
Éditions Lemme, 2019, 108 pages, 17,90 €
Iaroslav Lebedynsky est un spécialiste reconnu de l’histoire des peuples de la steppe eurasiatique (Sarmates, Alains, Scythes, etc.). Il nous donne ici une étude synthétique de la grande invasion des Gaules, qui débute en 407, par différents peuples germaniques et iraniens, essentiellement, les Suèves, les Alains et les Vandales. Cette invasion, par le chaos politique qu’elle engendre, sera une cause déterminante de la chute de l’Empire romain d’Occident. Les ouvrages de la collection « Illustoria » des Éditions Lemme, destinés à un large public, sont généralement très bien faits, alliant clarté de l’exposé à des illustrations bien choisies, et ce volume en témoigne. Signalons du même auteur, dans la même collection, sur un thème voisin, La campagne d’Attila en Gaule : 451 ap. J.-C.
Bruno Massy
UNE FEMME SYRIENNE
Entretiens avec Ayssar Midani
HUGUETTE PEROL
Les impliqués éditions, 2019, 104 pages, 12,50 €
À travers le portrait d’une Syrienne, Ayssar Midani, rencontrée à Paris, Huguette Pérol propose un regard pertinent et réaliste sur les événements tragiques qui secouent la Syrie depuis 2011. Son interlocutrice, née à Damas en 1945 au sein d’une famille aisée de confession musulmane, a appris le français très jeune grâce à sa scolarisation chez les Sœurs franciscaines. Emigrée à Paris, où elle poursuivit ses études universitaires à partir de 1967, elle n’a jamais renoncé à son pays natal, suivant de près les bouleversements politiques survenus dans tout le Proche-Orient, à commencer par la question palestinienne. Depuis une dizaine d’années, A. Midani partage son temps entre Paris et Damas, afin d’expliquer à ceux qui veulent l’entendre les enjeux véritables qui se cachent derrière la révolte contre le régime syrien et que la diplomatie française, ainsi que nos médias, aveuglés, ont été incapables de saisir, condamnant Bachar El-Assad à un échec certain. A. Midani témoigne aussi de l’étonnante capacité du peuple syrien, dans ses composantes chrétienne et musulmane, à résister à l’anéantissement. Dans sa simplicité, ce témoignage mérite d’être lu et apprécié.
Annie Laurent
AUGUSTE MARCEAU
Le missionnaire des missionnaires
AGNÈS BROT
Saint-Léger Éditions, 2019, 218 pages, 16 €
Quelle étonnante, édifiante et stupéfiante aventure nous relate ce petit livre ! Auguste Marceau (le propre neveu du général de sinistre mémoire en Vendée) fait une brillante carrière comme officier de la marine royale ; il est renommé autant pour ses indéniables compétences que pour son détestable caractère doublé d’un anticléricalisme virulent. Après un long chemin, il se convertit avec toute la fougue et l’intransigeance que pouvait laisser prévoir sa nature… Nous sommes alors en pleine période d’expansion des missions, au milieu du XIXe siècle, et pour les généreux apôtres, les voyages ne sont pas de tout repos : aux dangers inhérents à la navigation au long cours, il faut ajouter, pour ces prêtres, le mépris, les brimades parfois des équipages, sans compter la sensation d’abandon une fois arrivé dans le pays à évangéliser, manquant de tout et ne voyant un bateau qu’après de longs mois de solitude.
Dans la tête de notre Auguste va alors germer l’idée d’un bateau-monastère au service des missions. Il rencontre providentiellement un certain Marziou, homme d’affaires et armateur qui poursuit le même but ou peu s’en faut, et ainsi est lancé le trois-mâts L’Arche d’Alliance commandé par Marceau et qui cabotera pendant près de quatre ans d’une île à l’autre du Pacifique pour essayer de subvenir aux besoins des missionnaires. Les épreuves ne manqueront pas, la compétence du commandant mise au service de sa foi et de son immense amour de la Sainte Vierge en viendront à bout.
Agnès Brot nous conte tout cela de façon si vivante que, par moments, on croirait presque lire le récit évangélique de la tempête apaisée ou les avatars des voyages pauliniens !
Marie-Dominique Germain
MYSTÈRE ET MINISTÈRE DE LA FEMME
LOUIS BOUYER
Ad Solem, 2019, 120 pages, 14 €
Dans le legs précieux dont l’Église a hérité de Louis Bouyer, ancien pasteur luthérien devenu l’un des plus éminents théologiens catholiques du XXe siècle, son essai sur la femme mérite la plus grande attention par les éclairages qu’il apporte à une question aujourd’hui trop dévoyée.
L’égalité entre les sexes n’est plus comprise dans son sens authentique comme le montre l’idéologie féministe qui va jusqu’à préconiser l’ordination sacerdotale des femmes. Égalitarisme, similitude, interchangeabilité ont remplacé l’égalité en dignité fondée sur la complémentarité des vocations telle qu’elle a été voulue par le Créateur. Il s’agit de promouvoir « un effacement aussi radical que possible entre l’homme et la femme », souligne Bouyer, et ceci jusque dans certains milieux ecclésiaux où la virginité consacrée n’est plus comprise. La femme n’acquerrait ainsi sa dignité qu’en se masculinisant et en rejetant sa maternité naturelle et spirituelle. Mais serait-elle encore femme et que fait-on de son mystère ?
Ces dévoiements résultent de l’oubli ou de la méconnaissance des enseignements bibliques auxquels l’auteur apporte des développements d’une profonde richesse, montrant comment la femme est étroitement associée au dessein salvifique d’un Dieu qui s’est incarné en l’une d’elles, réservant à d’autres le privilège d’être parmi les premiers témoins de la Résurrection et d’entraîner les apôtres dans la foi. La réédition de cet ouvrage, d’abord publié en 1976, doit être accueillie avec reconnaissance.
Annie Laurent
« QUI EST TU MON FILS ? »
La vie prophétique de Jacob et de Rachel (Gn 25-35)
PÈRE ALBERT-MARIE CRIGNON
Cerf, collection Lectio divina, 2019, 472 pages, 29 €
Ce livre est le fruit d’une thèse de doctorat en théologie biblique. Le Père Albert-Marie Crignon, membre de la Fraternité Saint-Vincent-Ferrier (Chémeré-le-Roi), nous fait remarquer que Notre Seigneur a dit que la Loi (c’est-à-dire « la Torah » ou encore les cinq premiers livres de la Bible) a prophétisé (cf. Mt 11, 13) et donc qu’elle a annoncé sa venue. Elle le fait surtout à travers des personnages bibliques qui sont des « types », des « figures » du Christ. Parmi eux se trouve Jacob à qui son père Isaac pose la question « qui es-tu mon fils ? » et à qui il répond « je suis ton premier né ». Intrigué par cette affirmation, le P. Crignon s’est posé la question : une lecture en profondeur du sens littéral ne permettrait-elle pas de découvrir la vérité prophétique cachée sous ce qui sonne d’abord comme un mensonge ? Les auteurs inspirés de l’Ancien Testament n’avaient-ils pas déjà une certaine conscience qu’il y a bien, dans cette parole et dans toute la vie de Jacob, l’annonce d’un Fils qui sera le véritable Premier-né, le fils béni en qui beaucoup d’autres seront bénis ? Il apparaît, au terme de l’enquête, que les Pères de l’Église n’ont pas « plaqué » extrinsèquement une interprétation typologique sur le texte : elle se trouve dans le texte et un travail scientifique moderne le montre. Ce faisant l’auteur réduit le fossé qui sépare, pour certains de nos jours, l’exégèse moderne de l’exégèse patristique. « La Bible est une, parce que, étant faite de beaucoup de paroles, elle ne vise au fond, à dire qu’une seule Parole, une Parole qui est aussi un Fils » (p 39) ; « la Bible se donne à lire comme un livre, et non comme un ensemble de textes disparates regroupés artificiellement sous une même couverture » (p 433). La lecture de ce travail théologique n’est pas réservée à des théologiens de métier. Elle peut convenir à tous ceux qui souhaitent mieux connaître l’enracinement de la foi en Jésus-Christ dans le livre de la Genèse et dans bien d’autres passages de l’Ancien Testament.
Abbé Laurent Spriet
À SIGNALER :
– Œuvres complètes, XVI 1959-1961, Charles Journet, Lethielleux, 2019, 800 pages, 45 €. Poursuite de l’édition des œuvres complètes du grand théologien suisse avec, dans ce volume, notamment, les merveilleux Entretiens sur la grâce, le Petit catéchisme sur l’Église et l’excellent Petit catéchisme sur la messe.
– Œuvres complètes X. Les églises particulières dans l’Église universelle suivi de La maternité de l’Église, Henri de Lubac, Cerf, 2019, 410 pages, 34 €. Idem pour le célèbre jésuite, avec de nombreux articles et inédits qui révèlent la clairvoyance de cet immense théologien face aux crises à venir.
– Le dictionnaire des populismes, Olivier Dard, Christophe Boutin, Frédéric Rouvillois (dir.), Cerf, 2019, 1214 pages, 30 €. Un travail sérieux et exhaustif, sans langue de bois, pour quiconque s’intéresse ou s’interroge sur le populisme ou plutôt les populismes.
– Publie ma gloire ! Paroles de la Vierge Marie, Guy Barrey avec la participation de l’abbé Michel Corteville, préface de Mgr Dominique Rey, Via Romana, 2019, 534 pages, 29 €. Un travail de bénédictin qui rassemble les messages de Marie lors de ses apparitions (reconnues).
– Marie et la France. Un lien extraordinaire à redécouvrir, MDN productions, 2019, 64 pages, 7,80 €. Cette plaquette, éditée par l’association « Marie de Nazareth », relate les nombreuses interventions divines ou mariales dans l’histoire de France. Elle montre en particulier que chaque fois que la France a été fidèle à la foi, elle a connu des périodes de prospérité intérieure et de rayonnement extérieur et, qu’à l’inverse, chaque fois qu’elle s’est montrée infidèle, les choses ont mal tourné.
Patrick Kervinec
© LA NEF n°323 Mars 2020