Mathieu Bock-Côté

Vers le contrôle de l’information

La volonté affichée du gouvernement français de créer, en pleine crise de la Covid-19, un site triant entre les articles de presse recommandés et ceux relevant des « fausses nouvelles » en a fait bondir plusieurs. Ne tentait-il pas ainsi de créer quelque chose comme un Ministère de la Vérité, concrétisant par là l’intuition de George Orwell dans 1984 ? Il a dû reculer, d’ailleurs.
Cette initiative n’était pourtant pas surprenante.
Un peu de mémoire aurait suffi pour rappeler qu’au printemps 2018, il avait déjà manifesté son intention de faire voter une loi sur les fake news, qui avait en quelque sorte la vocation de créer une version officiellement certifiée du réel. Le contexte était tout autre : marquée par la victoire du Brexit et celle de Donald Trump en 2016, l’intelligentsia progressiste en était venue à expliquer la défaite de son camp par la prolifération de fausses nouvelles dans les démocraties occidentales.
Pour les uns, la chose s’expliquait par la crise de l’information entraînée par l’émergence des réseaux sociaux, pour les autres, par l’action malveillante d’une puissance étrangère cherchant à tromper l’opinion publique, généralement la Russie de Poutine. Mais dans tous les cas, une certitude dominait : c’est parce qu’ils auraient été mal informés que les peuples auraient mal voté.
Si on leur avait présenté adéquatement les faits, ils auraient bien voté, en respectant le sens de l’histoire, sans se laisser entraîner par de vilains démagogues sur les chemins maudits du populisme. L’idée que les peuples se seraient notamment révoltés contre un récit médiatique lyssenkiste de plus en plus étranger à la réalité et idéologiquement trafiqué, cherchant à tout prix à maintenir le grand récit de la diversité heureuse, ne semblait même pas considérée.
Il fallait d’ailleurs envisager ouvertement le bannissement de l’espace public des intellectuels et commentateurs parvenus à s’y inscrire en proposant une vision du monde ouvertement critique du régime diversitaire et exprimant des préoccupations qui étaient jusqu’alors relayées principalement par les partis contestataires.
Les polémiques à répétition engendrées par le système médiatique, désignant à la vindicte publique certains contrevenants idéologiques qu’il fallait sanctionner ouvertement, se multiplièrent. On pouvait y voir une forme de reconduction de l’antique ostracisme dans les paramètres du régime diversitaire.
La méthode est toujours la même : il s’agit d’étiqueter de telle manière une figure publique qu’elle soit désormais considérée comme un paria, et il sera bien vu de se demander à répétition s’il n’est pas nécessaire de l’expulser des grands médias, puisqu’elle est accusée d’intoxiquer et de contaminer un pauvre peuple crédule avec ses idées rances. C’est un empoisonneur idéologique.
Car lorsque le régime diversitaire n’accuse pas ses contradicteurs de propager des fake news, il leur reproche plutôt de tenir des propos haineux – la haine consistant à tenir un discours ouvertement critique du progressisme et de ses différentes innovations sociétales. Le progressisme ou la haine, telle serait l’alternative dans laquelle nous serions enfermés.
Mais quand l’étiquetage ne suffit plus, la loi s’impose.
Ce n’est pas d’hier que les lois censées combattre les discours « haineux » existent, mais elles se sont indéniablement radicalisées ces dernières années en étendant sans cesse leur domaine d’application, par exemple en interdisant tout appel public à la « discrimination », ce qui fait sourire quand on garde en tête la définition ubuesque que donne de la « discrimination » le régime diversitaire. La lutte contre les propos « haineux » cherche en fait à criminaliser la pensée dissidente, à l’extrême-droitiser, pour en faire une résurgence du fascisme, l’adversaire politique étant transformé en ennemi de l’humanité.
C’est en ayant ces considérations en tête qu’on comprendra mieux les différentes lois qui entendent domestiquer la parole publique, surtout sur les réseaux sociaux, où le système médiatique parvient moins facilement à imposer ses interdictions qu’ailleurs. Il s’agit, pour le régime diversitaire, de reprendre le contrôle du récit collectif et de resserrer considérablement les conditions d’accès à l’espace public en institutionnalisant une forme d’inquisition permanente juridiquement appuyée.
Car qui contrôle l’espace du dicible contrôle ceux du pensable : à tout le moins, il pourra mieux s’adonner à un travail de rééducation des mentalités. On y reconnaîtra la tentation totalitaire du régime diversitaire.

Mathieu Bock-Côté

Universitaire et intellectuel québécois, Mathieu Bock-Côté est chroniqueur au Figaro et l’auteur notamment de Le multiculturalisme comme religion politique (Cerf, 2016) et L’empire du politiquement correct (Cerf, 2019).

© LA NEF n°326 Juin 2020