Après Covid : reconstruire ? (3)

Dans la Bible, la purification peut prendre une tournure tout à fait inattendue, tellement surprenante que peu s’en préoccupent (de la purification) et s’installe dans l’avenir prometteur de l’après. Cette tournure est la pandémie : « Mais la septième année, ce sera un sabbat, un sabbat solennel pour la terre, un sabbat pour le Seigneur » (Lv 25,4). Le sabbat pour la terre est une interruption qui atteint toute la terre, une abstention obligée qui s’impose à tous les humains, un coup d’arrêt des activités rémunératrices ou intéressantes à l’échelon mondial. Précisément ce que le covid-19 nous a imposé, presque à tous !

Lors de la création en sept jours, le Seigneur Dieu a institué chaque 7e jour le sabbat. C’est comme si chaque samedi il y avait un covid-19 ! Qui voit la purification libératrice du sabbat ? Pourquoi la nécessité de cette purification hebdomadaire et annuelle ?

Le sortir de la pandémie et l’après confinement sont identiques au sortir du sabbat et à l’après sabbat. La réitération de l’avant sabbat-covid nous introduira dans le premier jour de la semaine, c’est-à-dire dans la reprise des semaines précédentes, des mois et des années d’avant. La purification du sabbat-covid nous ouvrira à la contemplation de la réalité, celle de la vérité, non la réitération du premier jour d’avant, mais l’advenue du huitième jour, celui de la nouveauté radicale et plénière : Jésus-Christ. Consentons d’abord à la purification en sept points. De même que le sabbat a ses transgresseurs profiteurs ou d’exception, de même pour les règles sanitaires liées aux covid-19 lorsque le profit devient l’exception légitimant la transgression.

Proposition I : Que l’institution catholique établisse concrètement pour le Peuple de Dieu, cette interruption radicale (pourvu qu’il s’agisse de radicalité) hebdomadaire et annuelle, de sorte que l’exception ne devienne pas la règle.

1. « Parmi les dons de Dieu, cherchez à obtenir ce qu’il y a de meilleur » (1 Co 12, 31) : l’aristocratie spirituelle. Cette parole de saint Paul nous purifie de la névrose égalitaire et élitiste. Chercher à obtenir ce qu’il y a de meilleur relève d’une façon de se voir soi-même et de voir le monde qui n’est ni égalitariste, ni élitiste, c’est l’aristocratie spirituelle. La vie spirituelle est aristocratique car elle cherche ce qu’il y a de meilleur à titre personnel et communautaire. Parmi les dons de Dieu, l’aristocrate spirituel ne désire point que chacun ait la même chose ou bien que seuls les meilleurs l’obtiennent, nonobstant la discrimination de la médiocrité qu’elle suscite.

L’aristocratie spirituelle permet de dépasser les valeurs bien/mal entretenues par l’égalitarisme et l’élitisme qui se rejoignent sur ces valeurs. En effet, ils engendrent les mêmes conséquences : l’endogamie, l’inceste et l’eugénisme. L’endogamie car ils se reproduisent par ressemblance, l’inceste puisqu’il tue symboliquement le père garant de la non-égalité et du non-élitisme, et l’eugénisme en raison de l’élimination de ceux qui ne correspondent pas aux mises à jour de l’algorithme sociétal.

Les valeurs propres de la vie spirituelle aristocratique sont celles du meilleur/médiocre, selon les paroles de saint Jean : « Aussi, puisque tu es tiède – ni brûlant ni froid – je vais te vomir de ma bouche » (Ap 3,16), ainsi que de la force/faiblesse, selon les paroles de saint Paul à son apprenti Timothée : « Car ce n’est pas un esprit de peur que Dieu nous a donnés, mais un esprit de force, d’amour et de pondération » (2 Tm 1,7). Notons bien que le meilleur et la force sont ici spirituels, il ne s’agit ni de la force physique qui n’empêche pas d’être faible, fatigué, malade ou souffrant, ni de la force morale (vertus cardinales) qui n’empêche pas de manquer de courage, d’audace ou d’avoir peur. Dit autrement, on peut tendre concrètement vers le meilleur spirituel, en étant fort spirituellement, tout en étant faible physiquement, à cause d’une grave maladie, et faible moralement, à cause du découragement dans lequel nous met la maladie.

Proposition II : Que l’institution catholique éduque le Peuple de Dieu par le catéchisme et ses enseignements non pas à l’héroïcité du bien égalitaire ou élitiste, mais à la sainteté aristocratique du meilleur spirituel et de la force spirituelle.

2. « Celui d’entre vous qui est sans péché, qu’il soit le premier à lui jeter une pierre » (Jn 8,7) : la déculpabilisation moralisante. Cette parole de Jésus-Christ nous purifie de la culpabilisation anxiogène, à distinguer de la culpabilité réelle. Notre Seigneur dynamite la morale du bien/mal égalitaire et élitiste. L’égalitarisme et l’élitisme n’ont qu’un seul et même but : nous culpabiliser afin de prendre le pouvoir sur nous. D’ailleurs, ce sont les élites qui entretiennent l’égalitarisme pour transformer les individus en névrosés égalitaires. Jésus nous déculpabilise en pointant du doigt ceux qui prônent une morale universaliste culturelle (économique, sociale, écologique) imposée à tous par la culpabilité alors qu’ils mènent une vie privée immorale.

Pour autant, être déculpabilisé n’est pas devenir immoral, mais c’est changer de paradigme moral en adoptant la vie spirituelle aristocratique. Jésus n’a pas dit à la pécheresse de continuer une vie dépravée, mais « va et ne pèche plus » (Jn 8,11) : sors de cette culpabilisation (va) dans laquelle la morale culturelle t’emprisonne volontairement et adopte la vie spirituelle aristocratique (ne pèche plus). La culpabilisation imposée engendre le ressentiment pour nous aveugler et nous emprisonner, le Seigneur Jésus nous en purifie.

Proposition III : Que l’institution catholique refonde la morale du Peuple de Dieu en ne l’alignant plus sur la morale culturelle du bien et du mal, mais sur les dons de l’Esprit-Saint accomplissement de la morale naturelle.

3. « Alors il rentra en lui-même et se dit » (Lc 15,17) : obtenir la lucidité radicale. Rappelons-nous le contexte que Jésus va purifier : « Les pharisiens et les scribes récriminaient contre lui : “Cet homme fait bon accueil aux pécheurs, et il mange avec eux !” » (Lc 15,2). Jésus veut purifier notre médiocrité culpabilisante qui juge de tout et de tous sur l’extérieur et l’apparence du bien ou du mal. Il ne reproche pas de vouloir juger de tout et de tous, mais il y met une condition et non des moindre : la conscience.

L’éloge de la conscience afin d’obtenir la lucidité radicale sur soi et sur les autres. La lucidité de la conscience amène à saisir qui se cache derrière chaque idée, ainsi que les raisons que l’on se donne pour vivre de telle ou telle manière. Derrière les idées, les raisonnements et les arguments des scribes et des pharisiens, il y a les corps d’êtres humains qui s’expriment et derrière chaque corps, il y a une conscience qui motive le corps et le discours dans un sens ou un autre. Si la conscience n’est pas habitée par la lucidité radicale, alors les démons intérieurs se déchaînent et dénaturent le jugement de la conscience.

Derrière chaque système, celui du gouvernement, celui de la Commission Européenne ou celui de l’institution religieuse, il y a des êtres humains avec leurs motions intérieures dont parle saint Ignace de Loyola dans ses Exercices (mouvements de désolation et mouvements de consolation), ou bien leurs entéléchies, principes métaphysiques justifiant ce que je suis. La lucidité de la conscience est à l’origine du discernement intérieur de nos instincts, de nos désirs et besoins, de notre volonté de puissance. À l’image de l’enfant prodigue qui « entre en lui-même et se dit », opérons ce discernement intérieur sur soi afin d’être en capacité de le discerner chez l’autre. La lucidité radicale est nécessaire pour dépasser notre aveuglement intérieur et les illusions que nous nous créons. Elle est nécessaire pour discerner le qui derrière les discours qui agitent la peur en dénonçant la peur. Ces discours, dont la culpabilisation anxiogène corrompt l’aristocratie et la force spirituelles, abolissent les paroles de Jésus : « N’ayez pas peur pas de ceux qui tuent le corps sans pouvoir tuer l’âme ; ayez plutôt peur de celui qui peut faire périr dans la géhenne l’âme aussi bien que le corps » (Mt 10,28).

Se voir nu dans un miroir, atteindre notre cache-misère, ne faire qu’un avec son ombre, tel est le but de la lucidité radicale. Elle est constitutive de la force spirituelle qui de ce point de vue nous donne la capacité extraordinaire de ne pas se laisser manipuler par les autres et connaître les ressorts internes de leurs manipulations.

Proposition IV : Que l’institution catholique pratique avec le Peuple de Dieu l’examen de conscience pour libérer de la culpabilisation anxiogène prônée par la morale culturelle, pour obtenir la lucidité intérieure radicale et pour discerner les personnes derrière les systèmes.

(à suivre)

Père Bernard Lucchesi
Docteur en théologie

© LA NEF, le 26 juin 2020, exclusivité internet