Ambroise et Théodose par Van Dick © Wikipedia

Après Covid : reconstruire ? (4)

« Elle est vieille l’histoire de Naboth [1 R 21,1-9], mais elle se répète dans la vie de tous les jours. Quel riche ne convoite pas quotidiennement le bien d’autrui ? Quel potentat ne prétend pas chasser un petit de son maigre bien et expulser le pauvre de la terre de ses ancêtres ? Qui se satisfait de son patrimoine ? Quel est le riche dont la propriété voisine n’excite pas l’esprit ? Il n’existe donc pas qu’un seul Achab ; mais ce qui est pire, il naît des Achab tous les jours, ils ne disparaissent jamais de ce monde. Si l’un meurt, il en surgit un plus grand nombre ; ceux qui volent sont plus nombreux que ceux qui perdent. Naboth n’est pas non plus le seul pauvre qui soit tué : chaque jour Naboth est exécuté, chaque jour le pauvre est abattu. » Ces paroles de saint Ambroise de Milan (IVe siècle), tiré de son traité Naboth le pauvre, nous interpellent sur la question centrale d’un christianisme véritablement incarné de l’Église aux prises avec les réalités terrestres, la richesse, l’argent, le pouvoir, dont l’actualité n’échappera à personne. Ambroise est d’autant plus intéressant qu’avant de devenir évêque de Milan, il avait embrassé une carrière politique en étant nommé gouverneur de la Ligurie. Avec ces paroles se profilent déjà l’enjeu et le sens de la contemplation à venir.

À en croire saint Ambroise, le covid-19 ne peut pas éradiquer les Achab ! Quel que soit l’après covid-19, ils sont comme le phénix, ils renaissent de leurs cendres, plus nombreux. Pour que reconstruire ne soit pas un copier/coller de l’avant covid-19, poursuivons notre purification et nous verrons si elle est efficace pour défendre et protéger les Naboth.

4. « Enlève d’abord la poutre de ton œil ; alors tu verras clair pour enlever la paille qui est dans l’œil de ton frère » (Lc 6,42) : comprendre le monde. La lucidité radicale sur soi nous ouvre au discernement sur soi-même, sur les autres et sur le monde. Comprendre ce monde des centres-villes et des mégapoles qui se revendique du monde globalisé libéral-écolo, lui-même prônant le déracinement en faveur de la mondialisation.

Comprendre les tréfonds de ce qui nous arrive, grâce à la lucidité sur nous-mêmes et sur les autres, permet par extension d’obtenir une compréhension sur tous les phénomènes : historiques, sociologiques, culturels, économiques, politiques ou religieux. Tous les mouvements occidentaux de ces 50 dernières années : égalitarisme, féminisme, antiracisme, anticolonialisme, écologisme, gender, PMA ou GPA, sont des produits de la globalisation mondiale qui attise l’immédiateté et l’instantanéité afin d’exciter les consciences au lieu de les éclairer.

Notre période est celle d’une excitation continuelle au lieu d’être celle de la passion. La passion est le fruit du feu intérieur, celui que produit la conscience lorsqu’elle atteint la lucidité radicale qui lui apporte l’engouement du sens (signification et direction). À l’inverse, l’excitation moderne et contemporaine s’échauffe constamment, car au fond d’elle-même elle est glacée. L’excitation de s’afficher bariolé, coloré, échauffé sur les réseaux sociaux ou dans la rue est le signe du froid intérieur et de la glaciation profonde, produits par le monde libéral-écolo. Ce monde est fatigué de lui-même, lassé de lui-même, marqué par la tiédeur de la vie, le dégoût de la vie ou la fatigue de la vie. L’occident se cadavérise avec la volonté affichée et effective d’en finir.

Proposition V

Que l’institution catholique fonde un institut de veille sanitaire spirituel et de salubrité métaphysique, afin de ne pas subir l’excitation généralisée et entretenue, de diagnostiquer les mouvements de fonds de nos sociétés humaines et qui soient porteur de sens (signification et direction).

5. « J’ai mené le bon combat, j’ai achevé ma course » (2 Tm 4,7) : combattre en faveur de la foi catholique. Le nationalisme pur ou le souverainisme pur ont conduit aux deux guerres mondiales. Saint Paul aurait pu se revendiquer exclusivement de ses origines juives ou romaines, voire proposer une synthèse des deux par corrélation déductive. La foi catholique, l’attachement à Jésus-Christ lui ont permis de dépasser ses identités nationales, comme il l’exprime excellemment : « Car tous, dans le Christ Jésus, vous êtes fils de Dieu par la foi. En effet, vous tous que le baptême a unis au Christ, vous avez revêtu le Christ ; il n’y a plus ni juif ni grec, il n’y a plus ni esclave ni homme libre, il n’y a plus l’homme et la femme, car tous, vous ne faites plus qu’un dans le Christ Jésus » (Ga 3,26-28).

Combattre en faveur de la foi catholique afin que l’Église ne se range pas et ne se laisse pas réduire au niveau des nations animées par la globalisation mondiale, mais se distingue toujours par son caractère supranational.

Proposition VI

Que l’institution catholique dans son activité diplomatique de politique internationale, ainsi que dans toutes ses prises de position publiques ou privées ne mutile pas le caractère supranational de l’Église.

6. « Prends ta part de souffrance comme un bon soldat du Christ Jésus » (2 Tm 2,3) : aimer la vie comme un guerrier. Saint Paul apprend à Timothée qu’il doit aimer la vie comme un guerrier spirituel. Prendre sa part de souffrance ne signifie pas être sadomasochiste, c’est-à-dire désirer ou rechercher la souffrance, mais savoir que sa destinée est entre les mains de Dieu.

L’abandon à la Providence divine contribue à me faire aimer mon propre sort, mon destin, car la vie m’a été donnée, elle est un don gratuit de la Providence, comme en témoigne bien Job : « Nu je suis sorti du ventre de ma mère, nu j’y retournerai. Le Seigneur a donné, le Seigneur a repris : Que le nom du Seigneur soit béni ! » (Jb 1,21). Un guerrier ou un combattant ne lésine pas sur les moyens pour lutter et chercher à gagner le combat.

Saint Paul apprend à aimer la guerre, le combat, la lutte, tel un soldat spirituel qui n’abandonne pas face à l’adversité. Le monde globalisé nous apprend à aimer la paix consensuelle en disqualifiant la guerre spirituelle. Aimer la paix sans pratiquer la guerre spirituelle, c’est comme marcher paisiblement sur le toit du monde en ayant sous les pieds l’enfer ! Si nous voulons écouter le chant des oiseaux ou les symphonies musicales, nous émerveiller à regarder les prairies en fleur ou les tableaux des artistes, rire de la vie avec les enfants ou voir deux anciens se tenir par la main, alors nous devons aimer la vie comme un guerrier, quels que soient les coups, les blessures ou les pertes.

Proposition VII

Que l’institution catholique éduque les âmes du Peuple de Dieu à aimer la vie dans toutes ses dimensions et à aimer la guerre spirituelle quoi qu’elle en coûte.

7. « Quel malheur pour vous, docteurs de la Loi, parce que vous avez enlevé la clé de la connaissance ; vous-mêmes n’êtes pas entrés, et ceux qui voulaient entrer, vous les en avez empêchés » (Lc 11,52) : la critique des représentants de l’institution catholique. Arrivant au dernier point de purification, la critique est l’aboutissement de l’intégration des 6 points précédents. La critique n’est pas à comprendre au sens commun du terme : détruire ou nuire, mais dépasser. La purification critique consiste à porter des lunettes non pas de déformation, mais de transformation. Ces lunettes sont le résultat de l’intégration des points précédents, utilisables sur soi-même, les autres, le monde et avant tout l’autorité catholique. Rappelons-nous, derrière chaque phénomène se trouve un qui. Comme le qui derrière l’institution juive que visent les paroles de Jésus, de même Jésus vise le qui derrière l’institution catholique.

Les 6 points précédents par leur caractère purifiant provoquent une crise intérieure, une crise spirituelle. Par le discernement qu’elle engendre, la crise permet de juger en opérant un dépassement transformant. La transformation est celle qui va éprouver et séparer ce qui doit l’être, selon les mots de saint Paul : « N’éteignez pas l’Esprit, ne méprisez pas les prophéties, mais discernez la valeur de toute chose : ce qui est bien, gardez-le ; éloignez-vous de toute espèce de mal » (1 Th 5,19-22). L’institution catholique est constitutive de ces choses dont il est nécessaire d’éprouver (critique) la valeur.

L’institution catholique doit, elle aussi, être animée et habitée par cette purification, quelles que soient les épreuves par lesquelles elle passe, selon les mots de saint Paul encore : « Bien plus, nous mettons notre fierté dans la détresse elle-même, puisque la détresse, nous le savons, produit la persévérance ; la persévérance produit la vertu éprouvée ; la vertu éprouvée produit l’espérance ; et l’espérance ne déçoit pas, puisque l’amour de Dieu a été répandu dans nos cœurs par l’Esprit Saint qui nous a été donné » (Rm 5,3-5).

Proposition VIII

Que l’institution catholique fasse sienne les 7 points de la purification, fruit de la conversion, dont elle doit avoir l’audace, face au regard de vie et d’amour de Jésus.

(à suivre)

Père Bernard Lucchesi
docteur en théologie

© LA NEF, le 30 juin 2020, exclusivité internet