Livres Juin 2020

LA MÉMOIRE PERDUE
FRANCIS O’GORMAN
Éditions du Rocher/Idées, 2020, 246 pages, 17,90 €

Professeur à l’université de Lancaster, Francis O’Gorman est un essayiste qui a publié de nombreux livres sur la littérature anglaise ainsi que sur l’état actuel de l’enseignement supérieur en Grande-Bretagne, un enseignement soumis aux mêmes idéologies que le nôtre. Dans La Mémoire perdue, essai en forme de promenade sérieuse à travers les conclusions qu’il a pu tirer de ses multiples réflexions et essais, Francis O’Gorman montre, sur le plan de la mémoire, que « pour l’Occident contemporain, ce qui s’est passé est devenu comparable à la cité perdue de l’Atlantide. Nous ne savons pas où elle est et ne sommes pas sûrs qu’elle ait jamais existé ». Nous – un « nous » qui désigne la majorité autant que la structure sociale – avons admis, en forme de soumission, que nous devons vivre en dehors des grands récits fondateurs de notre civilisation. Analyser cet état de fait est le projet de l’auteur : « La Mémoire perdue : comment se fabrique la culture moderne de l’amnésie ne s’intéresse pas tant à l’oubli comme phénomène individuel qu’au fait que des groupes, des communautés et des sociétés perdent le souvenir, et à la manière dont l’expérience quotidienne de la perte du souvenir individuel peut se relier à une atmosphère plus générale de vacuité mémorielle. Mon attention se porte principalement sur la mémoire collective, sur la façon dont un être humain habitant l’Occident libéral établit des liens avec hier sur une base commune plutôt que privée, se rattache à un passé qui n’est pas seulement le sien mais aussi des autres. »

La cause ? Une perte de goût (imposé progressivement) pour le passé et ses grandes figures, pour la grande mémoire, issue de la modernité, au profit des revendications repentantes d’un présent considérant que tout passé est un traumatisme et tout avenir le meilleur des mondes possibles. Lire l’essai de Francis O’Gorman en ce premier semestre 2020 est ainsi loin d’être anodin. Le livre est divisé en six chapitres, « cultures de la mémoire, la fabrique de l’oubli contemporain, cultures amnésiques contemporaines, l’oubli dans les représentations contemporaines, apprendre le passé et les conséquences de l’oubli de l’histoire nationale ou locale », qui permettent de bien saisir l’état de la dégradation que toute personne de goût, encore soucieuse d’arts libéraux et de sacré, constate au quotidien, ne serait-ce qu’en écoutant une journaliste de BFM s’exprimer au sujet, par exemple, de Notre-Dame de Paris. Quel symbole que cette mémoire à nous encore un peu transmise ait brûlé un an avant le confinement lié à la pandémie mondiale. Il y a bien des signes des temps que nous peinons à lire.

Matthieu Baumier

INTUITIONS ET PIÈGES DE LA LOI NATURELLE
ÉLISABETH DUFOURCQ
Cerf, 2019, 464 pages, 24 €

Diplômée de l’Institut d’études politiques de Paris pour une thèse soutenue sous la direction de René Rémond, Élisabeth Dufourcq propose ici une réflexion vaste et savante, nourrie par sa foi catholique, sur un sujet bien plus complexe qu’il n’y paraît de prime abord. Définir le concept et le contenu de la loi naturelle est un exercice délicat que l’érudition de l’auteur permet d’aborder dans ses divers aspects. Elle scrute pour cela les écrits des plus anciens et célèbres penseurs de l’histoire (Grecs, Latins, Juifs, Arabes) mais aussi les positions prises au Moyen Âge par des souverains d’Orient et d’Occident ainsi que par des papes.

E. Dufourcq met en évidence les conceptions rivales auxquelles la chrétienté a parfois été confrontée entre les détenteurs des pouvoirs temporel et spirituel, alors tous deux considérés comme d’origine divine, par exemple au temps de l’empereur Frédéric II et du pape Innocent III. Par ailleurs, le rapport à la nature, étroitement lié à la pauvreté, idée si chère à saint François d’Assise, ne fut pas facilement admis par le pape Grégoire IX en lutte contre l’hérésie radicale des Cathares. Dans l’islam, El-Farabi et Averroès, s’inspirant d’Aristote et du Coran, entérinaient l’exclusion sociale des femmes en raison de leur état d’« inachèvement » par rapport aux hommes dont elles dépendent « naturellement ». Mais saint Thomas d’Aquin, qui occupe une place privilégiée dans l’ouvrage, vint corriger ce regard dans sa Somme contre les Gentils où il affirme l’égalité ontologique entre l’homme et la femme.

Loi éternelle, loi naturelle, loi humaine : à quelle loi se fier ? Quelle autorité peut légitimement fixer les règles ? C’est sur ces questions essentielles qu’en fin de volume l’auteur se penche en considérant les questions morales « qu’ont aujourd’hui à résoudre des cultures mondialisées » alors que « le christianisme revendique une vocation universelle ». Autrement dit, « les Dix Commandements peuvent-ils être présentés comme une charte commune à l’humanité entière ? » Faut-il opter pour une « théologie du moindre mal » sachant que « les probabilités et la relativité sont des acquis scientifiques » ? « Dans une société où la notion de péché disparaît, comment qualifier les fautes qui dénaturent mais que les lois civiles ne sanctionnent pas ? » Pour répondre à ces interrogations, E. Dufourcq propose de s’appuyer sur saint Isidore de Séville, le patron des internautes, donc engagé dans la modernité. Dès le VIIe siècle, ce dernier préconisait le remplacement de la notion de « sujet » par celle de « citoyen » qui suggère ce qui est « commun » à tous et n’a « rien d’incompatible avec le christianisme ». Mais en définitive, le choix de l’auteur se porte sur l’exemplarité du Christ. Pour elle, les Béatitudes contiennent des promesses qui, sans créer de royaumes en ce monde les rendent vivables. En effet, assure E. Dufourcq, « elles établissent la dignité de tous et résonnent dans le cœur des vivants ».

Annie Laurent

PETITE HISTOIRE DE L’ÉGLISE CATHOLIQUE
OLIVIER MINVIELLE
Via Romana, 2020, 314 pages, 23 €

Difficile de présenter vingt siècles d’histoire de l’Église en quelque 300 pages ! À travers un système d’une petite cinquantaine de fiches chronologiques et thématiques, Olivier Minvielle est parvenu à donner un bel aperçu de la richesse de cette histoire. Aucune prétention à l’exhaustivité ici, mais un souci de véracité dans un esprit d’Église qui fait de ce livre une première approche idéale pour les jeunes d’aujourd’hui peu au fait du passé de l’Église catholique – ou pour toute personne désirant une introduction à une histoire foisonnante et des points de repère aisés à retenir : conciles, hérésies, Pères de l’Église, schisme de 1054, croisades, Inquisition, etc., jusqu’à l’époque actuelle. Un travail méritoire à recommander.

Christophe Geffroy

LE MOMENT CONSERVATEUR
FRANÇOIS-RENÉ DE CHATEAUBRIAND
Éditions du Trident, 2019, 104 pages, 15 €

Chateaubriand est souvent considéré comme un représentant de la droite « ultra » sous la Restauration. Il a récusé le terme. On doit bien plutôt le considérer comme un des théoriciens de la monarchie parlementaire qu’il préférait qualifier de « représentative ». En 1818, il a parrainé Le Conservateur, périodique qui est paru jusqu’en 1820. Le très long article qu’il publia dans le premier numéro fut considéré comme le manifeste des « royalistes », face aux « ministériels » et aux « indépendants ». Ce manifeste et d’autres textes politiques de Chateaubriand sont réédités avec une longue présentation de Jean-Gilles Malliarakis.

« Le Conservateur, écrivait Chateaubriand, soutiendra la religion, le roi, la liberté, la Charte et les honnêtes gens, ou ni moi ni mes amis ne pouvons nous y intéresser. » Il défendait la « prérogative royale » : « l’autorité du Roi doit être dégagée de beaucoup d’entraves, pour agir avec vigueur et rapidité. » Mais il récusait l’intouchabilité des ministres : la Chambre doit conserver « le droit de contrôle et d’investigation ». Dans cet article-manifeste Chateaubriand montrait aussi que « la religion est le principal fondement des mœurs » et que « l’éducation est la seconde base des mœurs » et il en tirait diverses conséquences.

Une réédition très utile et des considérations qui restent souvent éclairantes.

Yves Chiron

NANCY MITFORD, LA DAME DE LA RUE MONSIEUR
JEAN-NOËL LIAUT
Allary éditions, 2019, 368 pages, 21,90 €.

Dans l’histoire contemporaine, les six filles Mitford ont toujours représenté une sorte de mythe familial où se mêlaient la littérature, la politique, les amitiés mondaines et une espèce de folie particulière, difficile à définir. L’an dernier, Jean-Noël Liaut a consacré une biographie à Nancy, l’aînée des Mitford, romancière et figure haut en couleur. Elle est décédée en France en 1973, après avoir longtemps habité « rue Monsieur » à Paris avant de rejoindre une petite rue de Versailles où réside aujourd’hui (quand il n’est pas à Toulon) un de nos écrivains engagés.

Lit-on, aujourd’hui, encore ses romans ? Pas sûr, mais peu importe, au fond. Nancy Mitford fut, en fait, le personnage principal du grand roman de sa vie qui s’inscrit dans l’espèce de saga familiale de la tribu qu’elle composait avec ses sœurs.

On connaît les grandes lignes de cette histoire. Issues de l’aristocratie britannique, les sœurs Mitford eurent des vies excentriques qui croisèrent souvent la grande Histoire. Unity fut une proche d’Hitler quand sa sœur Jessica s’enfuit de la maison familiale pour rejoindre les Rouges pendant la guerre d’Espagne. Après avoir épousé l’héritier des entreprises Guinness, Diana divorça pour se marier avec Oswald Mosley, le chef du parti fasciste anglais. Pendant la Seconde Guerre mondiale, ils furent emprisonnés sur ordre de son cousin, un certain… Winston Churchill. À côté, la vie de Nancy paraît plus calme, mais elle fut dévorée en fait par une insatisfaction humaine constante qu’elle crut compenser par un mariage (raté), puis auprès d’un proche du général de Gaulle, Gaston Palewski.

Avec beaucoup d’allégresse, sans pourtant cacher les zones d’ombre ou les déséquilibres de son personnage, Jean-Noël Liaut livre ici une biographie sur le ton qu’il convenait pour évoquer une des sœurs Mitford. Si l’on est souvent surpris, rien n’est jamais pesant dans ce livre. On se demande d’ailleurs pourquoi Julian Fellowes n’en a pas encore fait une série. La saga (vraie) des filles Mitford vaut largement toutes les œuvres d’imagination. Au travail !…

Philippe Maxence

LA LUTTE, LA RÉVOLTE ET L’ESPÉRANCE
Témoigner jusqu’au bout de la vie
EMMANUEL HIRSCH
Cerf, 2019, 200 pages, 19 €

Les questions bioéthiques sont au cœur des débats parlementaires. Que ce soit la PMA, la recherche sur les embryons ou encore la fin de vie, les avancées de la science ont besoin d’être régulées par la loi. En cela, le livre d’Emmanuel Hirsch traite de questions très actuelles. Il se présente comme un florilège de témoignages de personnes en grande souffrance et en fin de vie. Le titre de son ouvrage est inspiré des vers de Baudelaire dans Les Paradis artificiels : « La lutte et la révolte impliquent toujours une certaine quantité d’espérance, tandis que le désespoir est muet. » La profondeur des échanges entre M. Hirsch et ses patients est touchante et fait réfléchir le lecteur. Ils nous rappellent la vulnérabilité de l’homme et la force de ces malades en phase terminale : « Je commence à flancher, mais ne me rendrai jamais ! La vie est un don et il faut savoir aller au-delà de nous-même » (p. 65).

Dans son ouvrage, Emmanuel Hirsch ne se présente pas comme un moraliste. Il est l’aidant, celui qui fait preuve d’écoute active auprès de ceux qui souffrent et qui ont un témoignage à livrer à ceux qui restent. Il redéfinit la fonction de l’aidant en ces mots : « Nous ne pouvons pas être les thérapeutes qui te guériront. Nous sommes tes frères en humanité, soucieux de te témoigner une sollicitude en soutien à ton combat » (p. 56). Dans ces récits, pourtant tristes et émouvants, agrémentés de dialogues entre lui et ceux qui sont partis, Emmanuel Hirsch montre l’espoir. Il nous réapprend à « espérer contre toute espérance » selon les mots de saint Paul.

Cécile Miège

PAGES RETROUVÉES
PHILIPPE ARIÈS
Cerf, 2020, 304 pages, 24 €

Auteur renommé de L’enfant et la vie familiale sous l’Ancien Régime (1960) ou encore d’Essais sur l’histoire de la mort en Occident du Moyen Âge à nos jours (1975), Philippe Ariès eut aussi des engagements dont témoignerait Le Présent quotidien, recueil posthume de ses articles parus, entre 1955 et 1966, dans la Nation française, hebdomadaire peu argenté mais auquel l’éventail assez ouvert des opinions qui s’y rencontraient aida à sa vigueur intellectuelle – sans pouvoir survivre néanmoins au ressac de lassitude et de désaffection qui suivit le drame algérien. Cependant, chez Ariès, l’historien, tôt marqué par l’école des Annales (autour de Marc Bloch et Lucien Febvre) et les problématiques nouvelles qu’elle avait développées, se montrera également le commentateur averti de pas mal de livres méritant exégèse ou compte rendu. Et donc, de 1946 à 1957 surtout, il va donner des dizaines de chroniques à plusieurs revues, en particulier La Table Ronde, lancée au mois de janvier 1948 et garnie, prétendait-on, de « chevau-légers maurrassiens »… Là fut signalé, admiré, le jaillissement de l’immense ouvrage de Fernand Braudel sur la Méditerranée au XVIe siècle ; celui de Louis Chevalier sur la formation de la population parisienne au XIXe, étude magistrale à base statistique et démographique (toujours dans la longue durée, quoiqu’en un espace plus étroit) d’un milieu social. Et là, ou dans d’autres périodiques, reçurent un salut très motivé des hommes éminents comme René Grousset, Jérôme Carcopino, Daniel Halévy. Ou l’expression manifeste, adressée à la jeune médiéviste Régine Pernoud, pour ses Villes marchandes aux XIVe et XVe siècles, d’un réel intérêt.

Disparu en 1984, Philippe Ariès, quelques années auparavant, avait conté son curieux itinéraire et expliqué la genèse d’un travail novateur, entrepris sans agrégation et sans thèse en dehors de l’Université. Titre : Un historien du dimanche. Piquant. Prenant. Passionnant. Eh bien, les textes de date et de provenance diverses réunis aujourd’hui par Guillaume Gros appellent assurément les mêmes qualificatifs.

Michel Toda

LA CITADELLE IMPRENABLE
PERE GUY-EMMANUEL CARIOT
Préface de Mgr de Kerimel, Mame, 2020, 120 pages, 12,90 €

Sous-titré « petite méthode pour résister à l’ennemi et obtenir la libération », ce livre de celui qui est aussi prêtre exorciste du diocèse de Pontoise est un véritable guide d’inspiration ignacienne et fruit de son expérience, pour donner à chacun d’entre nous les armes permettant de rendre imprenable la citadelle de notre âme contre les attaques du démon. Un livre à lire et à relire pour s’imprégner de cette méthode de combat spirituel. Ce livre s’achève par quelques prières et un florilège de textes extraits de l’enseignement des papes sur ce thème.

Anne-Françoise Thès

SIMONE WEIL
La vérité pour vocation
LUDIVINE BERNARD
Éditions de L’Escargot, 2020, 202 pages, 14 €

Cette biographie de Simone Weil se lit d’une traite dans un récit au style agréable et accessible. Les événements de sa vie s’enchaînent chronologiquement comme autant d’étapes qui construisent sa philosophie. Le réel dont elle est actrice façonne sa pensée, donne du sens à ses contradictions, permet même de les dépasser et saisir, malgré tout, la permanence de ses idées. Les contraintes du réel perturbent les concepts philosophiques qu’elle s’était forgés mais ne les abolissent pas.

Plus qu’une biographie, nous pourrions parler d’une petite « vita » éclairante et passionnante. Mais le ton hagiographique est lassant. Dans l’histoire de Simone Weil, il demeure des doutes, des incohérences, des contrastes de vie ; on peut dire qu’il s’agissait d’une personnalité complexe et en recherche. L’auteur ne met pas assez l’accent sur ces failles et n’apporte rien de nouveau, n’explore aucune piste originale. On peut subodorer, en effet, qu’il reste encore beaucoup de pistes à explorer pour saisir le sens de sa vie engagée, de sa pensée philosophique et religieuse. On aurait aimé un récit intégrant une part critique et interrogative.

Pierre Mayrant

LA DISCRETE ÉVIDENCE
WENCESLAS GARAPIN
Vérone éditions, 2019, 324 pages, 24 €

De quelle évidence parle l’auteur ? Wenceslas Garapin pense à un prochain dépassement de la modernité. Celui-ci nous conduirait à une nouvelle période historique plus sage que celle que nous connaissons actuellement.

L’ouvrage se présente comme un récit didactique à l’intention de la nouvelle génération dont les repères sont aujourd’hui ébranlés : « Tu vas recevoir en héritage un monde cabossé, mis à mal par la génération de “vieux sybarites” à laquelle je ne suis pas très fier d’appartenir », dit-il à sa petite fille Delphine en évoquant la génération 68. Tout ce traité lui est adressé, comme un legs nécessaire pour les prochains jours orageux.

Ce qui ressemble à un manuel scolaire historique et culturel a pour originalité de s’appuyer sur des auteurs puissants rarement réunis : Michéa, Arendt, Aron, Brague… Wenceslas Garapin se distingue aussi en proposant une porte de sortie inédite de la modernité. Il présente un schéma à la fois historique et idéologique. La période contemporaine aurait vu se succéder trois totalitarismes (au lieu de deux), le rouge communiste, le brun fasciste, et le dernier libéral-libertaire, préexistant à tous et dernier survivant de la matrice moderne. Il resterait une dernière étape positive à franchir en acceptant la conception chrétienne de la liberté qui se situe « à un point d’équilibre entre l’autonomie et l’hétéronomie ». C’est la raison pour laquelle son livre est intitulé « Traité d’espérance pour les temps troublés qui s’annoncent ».

Pierre Mayrant

CATHERINE DE SIENNE. UNE PAROLE DE FEU
JEAN-LOUIS FRADON
Éditions Emmanuel, 2019, 294 pages, 19,90 €

En proclamant sainte Catherine de Sienne co-patronne de l’Europe le 1er octobre 1999, Jean-Paul II entendait saisir l’entrée dans le troisième millénaire de l’histoire chrétienne pour redonner un souffle nouveau au Vieux Continent « en lui rappelant ses racines chrétiennes comme elle [Catherine] en avait donné l’exemple en son temps ». Pour le saint pape, « la jeune Siennoise entra avec un regard sûr et des paroles de feu dans le vif des problèmes ecclésiaux et sociaux de son époque ». Le rapprochement avec notre temps est réellement frappant, comme le souligne avec raison Jean-Louis Fradon, dans cet ouvrage dont la lecture stimule le combat spirituel tout en nourrissant l’espérance.

D’où l’importance de mieux connaître cette Italienne qui, née en 1347 dans une famille de la bourgeoisie artisanale, connut une conversion décisive à l’âge de 15 ans. Entrée chez les Mantelatte, confrérie de pénitentes laïques sous tutelle dominicaine, elle connut un mariage mystique avec le Christ, assorti d’un « échange des cœurs ». Guidée, entre autres, par le bienheureux Raymond de Capoue, dominicain qui fut à la fois son maître et son disciple, Catherine fit de sa courte vie (elle mourut en 1380) un chantier immense : restaurer l’unité de l’Église écartelée entre la papauté romaine et la prétention du pape d’Avignon ; réformer les mœurs dissolues d’une partie de ses clercs ; retourner aux sources de sa vocation « au lieu de s’engluer dans la défense de ses intérêts temporels » ; réconcilier les cités rivales ; développer une saine anthropologie, reposant sur une juste connaissance de l’homme dans son rapport à Dieu, ceci pour éviter toute confusion et tout orgueil, fuir le monde et la chair. Il faut, disait-elle, « aimer Dieu sans mesure, la créature avec mesure », reprenant ainsi ce que Jésus Lui-même lui avait confié lors de leurs épousailles mystiques. En tous ces thèmes, dominent l’amour de la Croix et le salut des âmes.

L’œuvre considérable de sainte Catherine ressort des lettres qu’elle dictait à ses proches (383 ont été conservées) et que Fradon a pris soin de présenter selon un ordre clair qui en manifeste les différentes facettes, permettant ainsi à chacun de se retrouver dans ses propres combats. Le lecteur d’aujourd’hui ne peut qu’être frappé par l’autorité des conseils de Catherine (y compris quand elle s’adresse au pape), par son réalisme dépourvu de tiédeur, par sa liberté et son audace virile, mais aussi par son infinie miséricorde, son amour passionné pour le Christ et pour l’Église et enfin par son humilité. La maladie du monde actuel souligne l’urgence de redécouvrir cette maîtresse spirituelle.

Annie Laurent

LES SAINTS CATHOLIQUES FACE À L’ISLAM
ANTOINE RÉGIS
DMM, 2019, 330 pages, 22,50 €

Tout d’abord, il convient de saluer le gros travail de documentation que représente cet ouvrage qui met à notre disposition un ensemble de textes concernant l’islam, écrits par des saints de différentes époques, du VIIIe siècle à nos jours, de saint Jean Damascène à saint Jean-Paul II, en passant par saint Bernard, saint Thomas d’Aquin, saint Louis-Marie Grignion de Montfort et bien d’autres. Pratiquement, à tous les âges, de grandes voix se sont élevées pour dénoncer, et avec quelle vigueur, les erreurs de l’islam. Ce qui frappe, c’est la continuité de la condamnation sans appel, quasiment dans les mêmes termes, d’un saint à l’autre, d’une époque à l’autre, continuité aussi dans la charité par le constant désir de protéger les fidèles de l’erreur et de convertir les égarés : dès 1141, le bienheureux Pierre le Vénérable eut le souci de faire traduire le Coran de l’arabe au latin pour aider les catholiques à convertir les musulmans et à les prémunir eux-mêmes contre l’erreur. Au cours des siècles cette charité va s’affiner, les saints nous font un devoir non seulement de prier pour les musulmans mais aussi de faire un sérieux examen de conscience sur le témoignage que nous donnons par le respect ou l’irrespect dont nous honorons le Très Haut.

Marie-Dominique Germain

RÉCHAUFFEMENT CLIMATIQUE
Bonnes questions & vraies réponses
Association Sauvons le climat
Les Unpertinents, 2019, 120 pages, 10 €

L’idée de départ de cet opuscule était bonne : les questions précises que tout le monde se pose sur le climat avec des réponses « vrai/faux » d’une page. De fait, les réponses sont ici toujours claires et compréhensibles, le souci de vulgarisation est louable. On reste cependant quelque peu sur sa faim ! Parce qu’en voulant demeurer sur un terrain strictement « scientifique », les auteurs prétendent systématiquement apporter la seule réponse aux questions posées, alors que certaines d’entre elles sont l’objet de divergences importantes qui dépassent le cadre « scientifique » : par exemple, les liens entre croissance économique et réchauffement, sobriété et décroissance, niveau de vie et consommation d’énergie… Ce parti pris sur ces sujets controversés (sans dire qu’ils le sont) laisse une place au doute sur l’objectivité des auteurs sur le reste, c’est dommage car le tour d’horizon ici proposé est intéressant (avec, par exemple, une intelligente défense du nucléaire, ce qui est rare chez les écologistes patentés).

Christophe Geffroy

LE CHANT DE LA FRONTIÈRE
JIM LYNCH
Gallmeister, 2020, 394 pages, 10,80 €

Brandon Vanderkool intègre la Border Patrol, la police des frontières américaine d’une petite ville proche de l’ouest du Canada. Brandon est dyslexique et quelque peu à part, il vit dans son monde avec une passion pour les oiseaux, il peint aussi et a un don d’observation sans pareil qui lui permet de multiplier les arrestations de trafiquants de drogue, dont ceux pour lesquels travaille Madeline, sa voisine canadienne pour laquelle il éprouve des sentiments. Mais son père, vieillissant, ne parvient plus à mener son élevage de vaches, poussant ainsi Brandon à s’interroger sur ce qu’il convient de faire…

Jim Lynch est un amoureux de la nature et ses longues descriptions, qui enchanteront les lecteurs sensibles à cet aspect, donnent au roman un rythme particulièrement lent qui pourra rebuter certains. Un roman original et attachant pour qui accepte cette lenteur.

Patrick Kervinec

QUI A TUÉ LE MAIRE DE PARIS ?
PHILIPPE COLIN-OLIVIER
Pierre Guillaume de Roux, 2020, 250 pages, 18 €

Toute coïncidence ou ressemblance avec des personnages réels n’est ni fortuite ni involontaire, et l’auteur pourrait être au rang des suspects. Tout Paris, tout le monde politique, est en émoi : le maire écolo-bobo de la capitale a disparu ; on soupçonne un enlèvement, un meurtre… Les suspects, généralement des personnages aussi transparents que disjonctés, amoureux de leur Paris sans trottinette et où les embouteillages d’antan faisaient figure de légers ralentissements, auraient tous un bon mobile de lui en vouloir.

Pastiche d’un roman noir où les personnages n’existent que par l’argent, le sexe ou leur névrose, cette fiction fait rire quelque peu jaune par sa description si réaliste du microcosme politique et par ses accents d’anticipation.

Anne-Françoise Thès

© LA NEF n°326 Juin 2020