Évêque d’Ajaccio, Mgr Olivier de Germay a préfacé le livre de l’abbé Laurent Spriet, Se relever après un avortement (Peuple libre, 2020). Il a bien voulu répondre à nos questions sur ce sujet, nous l’en remercions.
La Nef – Le concile Vatican II qualifiait l’avortement de « crime abominable » : comment en est-on arrivé à une telle banalisation et même jusqu’à l’interdiction de le remettre en cause sous peine de poursuite ?
Mgr Olivier de Germay – En introduisant une première dissociation entre sexualité et fécondité, la pilule contraceptive a initié un véritable détricotage qui a entraîné bien d’autres disjonctions entre sexualité, mariage, amour, altérité sexuelle et maintenant filiation. La révolution sexuelle s’inscrit dans le contexte d’un individualisme grandissant qui revendique la toute-puissance de la liberté individuelle : « avortement : mon corps, mon choix, ma liberté ». Cette focalisation sur l’ego produit un aveuglement : l’autre disparaît en tant qu’autre, il devient un objet. S’il n’est pas désiré, l’embryon devient une chose à éliminer (IVG) ; s’il est désiré, il doit advenir à tout prix (PMA). Ce qui est frappant, c’est la façon dont cette idéologie s’est massivement répandue, surtout lorsqu’on sait les souffrances post-avortement. S’opposer à cette dérive mortifère est perçu comme un retour vers « l’ordre moral ». Cet angle mort de la conscience collective engendre certes une réelle culpabilité, mais celle-ci est niée. Il ne reste alors plus que la fuite en avant dans laquelle on reproduit ce qui est mal pour se convaincre que ce n’est pas mal. C’est ainsi que des femmes ayant subi une IVG défendent ce « droit » bec et ongles, et que le gouvernement cherche à en rendre l’accès toujours plus facile.
On reproche parfois aux évêques français de ne pas suffisamment se mobiliser contre ce « crime abominable », comme le font les évêques américains : que pensez-vous de cette critique ? Et verriez-vous une action spécifique à mener au sein de l’épiscopat français ? Par exemple, une des actions possibles à l’échelon national ne serait-elle pas d’aider à mieux accueillir les femmes enceintes en difficulté pour qu’elles gardent leur enfant ?
J’ignore si l’attitude des évêques américains a fait baisser le nombre des IVG. En 2014, un groupe de travail de la CEF a sensibilisé les évêques français à l’urgence d’aborder ce sujet sensible. Cela dit, la question n’est pas de savoir si on ose parler de crime abominable, mais de savoir quelle attitude prophétique adopter pour inverser la tendance. Il faut certes avoir l’audace de dire la vérité sur l’avortement. Mais on ne peut se contenter de quelques déclarations chocs, surtout lorsqu’elles sont ensuite habilement transformées en épouvantails ou passées sous silence. Il faut effectivement soutenir les initiatives en faveur des femmes enceintes en difficulté. Certaines associations font un travail remarquable ; elles donnent du crédit aux déclarations de l’Église. Il est urgent aussi d’éveiller les jeunes à la beauté et à la grandeur de la sexualité vécue en vérité. Ils ont soif du grand amour et sont moins idéologues que leurs aînés sur cette question.
Vous-même, avez-vous une action particulière dans votre diocèse sur cette question de l’avortement ?
Nous avons mis en place au niveau de la province une formation solide pour des adultes qui acceptent d’intervenir auprès des jeunes. Dans le diocèse, les responsables de la pastorale familiale passent dans tous les doyennés pour parler de l’avortement. Il existe également une écoute téléphonique pour les femmes enceintes qui envisagent une IVG. Il reste beaucoup à faire…
Vous avez préfacé le livre de l’abbé Spriet, Se relever après un avortement : pourquoi ?
J’ai apprécié son approche. Son propos ne consiste pas à condamner mais à aider les femmes à se relever après une IVG. Il s’inspire visiblement de l’attitude de Jésus qui n’est pas venu pour condamner mais pour sauver. Sans cacher la gravité de l’avortement et de ses « effets collatéraux », il donne la parole à des femmes concernées. Il peut ainsi susciter de la part du lecteur une remise en question.
En quoi la prise de conscience de l’urgence écologique peut-elle contribuer à ouvrir les yeux sur le danger des transgressions humaines actuelles dont l’avortement demeure la plus grave ?
Séduit par les progrès scientifiques, l’homme n’a pas respecté la cohérence interne de la nature qui s’est ainsi déréglée. Nous reproduisons la même erreur avec la nature humaine. Séduits par les avancées technologiques – concernant en particulier la procréation – nous sommes en train de brouiller les repères anthropologiques les plus fondamentaux. À nous de favoriser le passage de l’écologie à l’écologie intégrale !
Propos recueillis, par Christophe Geffroy
© LA NEF n°326 Juin 2020