L’abbé Laurent Spriet, prêtre du diocèse de Lyon et collaborateur de La Nef bien connu de nos lecteurs, a publié un magnifique livre (1), appuyé sur de nombreux témoignages bouleversants, qui montre qu’il est possible de se relever après un avortement. Il nous explique comment. Entretien.
La Nef – Vous montrez dans votre livre comment la généralisation de la contraception contribue à augmenter et banaliser l’avortement : pouvez-vous nous l’expliquer succinctement ?
Abbé Laurent Spriet – Depuis des décennies, la doxa officielle enseigne aux jeunes qu’ils peuvent avoir une sexualité « active » sans risque d’enfant grâce à la pilule ou au préservatif. Elle ne dit pas que la contraception n’est pas fiable à 100 %. Elle inculque dans les esprits une dissociation entre relation sexuelle et engendrement. C’est pourquoi beaucoup de femmes sont surprises de tomber enceintes alors qu’elles ont eu recours à une contraception. Puisque les parents de l’enfant conçu ne voulaient pas ou n’étaient pas prêts à transmettre la vie, ils l’interrompent définitivement par l’avortement en restant dans la même logique de fermeture à la vie dans laquelle ils se sont inscrits en prenant un moyen contraceptif. Ainsi plus la contraception est promue, plus les avortements sont nombreux. Les faits le prouvent. Ceux qui nous gouvernent ne le voient pas ou ne veulent pas le voir.
Comment avez-vous été amené à vous intéresser à cette question de l’avortement et à vous pencher sur le cas de femmes ayant avorté ? Qu’est-ce qui vous a le plus marqué chez ces femmes ?
Par la Providence de Dieu. Comme mes frères prêtres, je suis amené à accueillir des femmes ayant avorté soit au confessionnal, soit lors d’entretiens qu’elles sollicitent, soit dans la vie courante de mon ministère.
Ce qui me marque le plus chez ces femmes c’est leur souffrance et leur regret. Elles souffrent beaucoup psychologiquement et elles regrettent leur « choix ». Elles souffrent du fait que personne ne leur ait proposé d’autres solutions que l’avortement, que personne ne leur ait dit comment se déroulait vraiment un avortement et quelles en seraient les conséquences pour elles en particulier. Elles regrettent d’avoir « choisi » l’irréparable. Je suis aussi marqué par la générosité des femmes qui s’ouvrent à la miséricorde de Dieu : elles me font penser à la Samaritaine et à sainte Marie-Madeleine après leur conversion, par leur engagement au service de la vie et par leur amour de Dieu. Grâce au Christ Jésus, leurs blessures et leurs péchés deviennent les leviers de leur salut et de leur apostolat.
Loin d’être un acte banal comme on voudrait nous le faire croire, l’avortement laisse des traces profondes et occasionne souvent un traumatisme accompagné de culpabilité, douleur qui est officiellement niée : que pouvez-vous en dire et peut-on se relever d’un avortement ?
Puisqu’on leur dit et redit que « c’est leur corps, c’est leur choix, c’est leur droit », il leur est difficile de se plaindre en disant que ce n’était pas vraiment leur choix… Puisque « c’est remboursé par la Sécu », pourquoi se plaindre ? Puisqu’elles sont à l’origine de leur mal-être, comment être entendues de façon crédible ? Et puis à qui se plaindre ?
Oui, il est possible de se relever spirituellement d’un avortement. Il est possible d’analyser ce qui s’est passé et ainsi de situer sa vraie part de responsabilité. Si une femme a péché en avortant (car tout avortement est toujours un mal extrêmement grave puisque c’est la mort d’un innocent, mais il n’est pas toujours un mal pleinement conscient et volontaire), elle peut recevoir le pardon de Dieu. Ce pardon va aussi l’aider à se réconcilier avec elle-même et avec son enfant perdu. Faire son deuil d’un enfant avorté est possible. En revanche, oublier un avortement n’est pas possible. Un déni peut durer plusieurs années mais, au fond, une femme n’oublie pas son bébé avorté et les circonstances de sa mort.
Le témoignage de ces femmes regrettant leur avortement est d’une grande force ; évidemment, on ne les entend guère dans les grands médias : n’y aurait-il pas moyen de mieux faire connaître cette réalité cachée ?
Je note pour ma part que certains journalistes courageux donnent de plus en plus la parole à ces femmes blessées. Même à la télévision. Mais, fort heureusement, nous avons aujourd’hui internet pour diffuser davantage la vérité. Il existe ainsi plusieurs pages sur Facebook qui permettent aux femmes de s’exprimer et de s’entraider. Mais c’est vrai que cela reste malheureusement marginal parce que la souffrance post-avortement est un sujet tabou en France. Il est de moins en moins permis de s’exprimer librement sur l’avortement. Le carcan législatif se resserre de plus en plus. Informer est donc un des buts de mon livre. En ce sens, il s’inscrit dans le sillage de celui de Marie Philippe, Après l’IVG : des femmes témoignent. Cependant j’ai voulu aller plus loin qu’une description de l’horrible réalité en proposant un chemin de salut.
On reproche parfois aux hommes d’Église d’être trop silencieux sur l’avortement : mais que peuvent-ils faire concrètement, surtout dans notre contexte de pensée unique étouffante sur cette question ?
Les clercs peuvent et doivent prêcher et enseigner. Ils ne doivent pas avoir peur d’aller à contre-courant. Les laïcs peuvent et doivent s’engager en politique pour faire évoluer, dans le bon sens, les législations actuelles. Tous, clercs et laïcs, peuvent être cohérents dans leur vie : comment peut-on être « pro-vie » et voter pour des « pro-mort » ? Beaucoup plus grave mais cela existe : comment être « pro-vie » et conseiller à une femme (ou à sa fille) d’avorter ? Les États-Unis ou la Pologne nous montrent des exemples de cohérence entre foi et engagement politique, entre foi et charité.
Il y a un axe sur lequel on peut agir, c’est d’accueillir et aider les futures mères pour qu’elles gardent leur enfant : pourquoi existe-t-il trop peu d’organismes ayant cette mission ?
Parce qu’il n’y a pas assez de saints et de saintes et parce qu’il n’y a pas assez de prise de conscience en ce domaine. Que nos lecteurs se demandent ce qu’ils ont fait pour défendre la vie, pour aider des femmes à garder leur bébé, pour aider les jeunes à recevoir une saine éducation affective et sexuelle. Ont-ils soutenu des maisons comme « Marthe et Marie » ou « Magnificat » ou « Tom Pouce » ? Le combat pour la vie et pour aider les femmes ayant avorté n’est pas facultatif dans une vraie vie chrétienne. Il n’est pas optionnel. C’est un point non négociable.
L’avortement participe, avec toutes les transgressions anthropologiques actuelles (PMA, GPA, genre, transhumanisme…), à la destruction de l’humain, ce qui laisse nos contemporains insensibles à ce danger : comment expliquer cet aveuglement ?
Au fond, derrière l’avortement, il y a le « père du mensonge » : Satan. « L’ennemi de la nature humaine » se combat avec les armes de la prière et des sacrements mais aussi avec l’arme lumineuse de la vérité. Je pense ici au bienheureux Jerzy Popieluszko. L’avortement, comme le communisme, repose sur des mensonges. Pour l’abattre il faut dire la vérité. Avec charité mais dire la vérité. À temps et à contretemps. Ce prêtre héroïque disait : « Si la vérité devient pour nous une valeur pour laquelle nous acceptons de souffrir, de prendre des risques, alors nous surmontons la peur qui est la cause directe de notre esclavage. » Et encore : « La contrainte est la force de celui qui ne possède pas la vérité. » Tôt ou tard le mensonge s’écroule si la vérité est proclamée. Saint Jean-Paul II a écrit quant à lui : « La limite imposée au mal, dont l’homme est l’auteur et la victime, est en définitive la Divine Miséricorde » (Mémoire et identité, p. 71). C’est vrai. C’est ce que j’ai voulu montrer dans ce livre.
Y a-t-il un dernier mot que vous souhaitez ajouter ?
Oui merci. L’homme contemporain croit ne pas avoir besoin de libération et de rédemption. Il vit sans Dieu. Il passe ainsi à côté de sa vocation divine au risque de se perdre éternellement. Mais, paradoxalement, l’avortement est une occasion pour de nombreuses femmes d’expérimenter un besoin de salut. L’Église doit donc être là pour les accueillir et pour leur annoncer le Christ rédempteur. Ces femmes ayant avorté sont « une périphérie existentielle ». Elles sont environ 220 000 de plus chaque année en France. Il faut les aider à se relever. Offrez-leur ce livre après l’avoir lu vous-même.
Propos recueillis, par Christophe Geffroy
(1) Abbé Laurent Spriet, Se relever après un avortement, peuple Libre, 2020, 96 pages, 9,90 €.
© LA NEF n°326 Juin 2020